L'Histoire n'est pas une œuvre de fiction, elle est une réalité vécue dans le passé. Les découvertes, la création, la volonté, l'ambition, l'intention (bonne ou mauvaise), le hasard, les circonstances... l'amour même, façonnent ce monde. Libre à chacun d'agir ou de subir. Les hommes de quelques pays que ce soit écrivent chacun une petite histoire qui va alimenter la grande Histoire, et ces hommes et ces femmes, ce sont nos ancêtres, connus ou inconnus, ils forment nos familles et recouvrent une extrême diversité : nobles, bourgeois, militaires, artisans, religieux, ouvriers et paysans... Malgré tous ces contrastes, ces familles convergent et, à force d’alliances et de mésalliances, réussissent une synthèse. Cette synthèse c’est notre histoire de France…
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00:00 [Générique]
00:21 Bonjour à tous.
00:22 L'histoire n'est pas une œuvre de fiction, elle est une réalité vécue dans le passé.
00:27 Les découvertes, la création, la volonté, l'ambition, l'intention, bonne ou mauvaise,
00:32 le hasard, les circonstances, l'amour même, façonnent ce monde,
00:36 libre à chacun d'agir ou de subir.
00:38 Les hommes de quelques pays que ce soit, écrivent chacun une petite histoire
00:43 qui va alimenter la grande histoire.
00:45 Et ces hommes et ces femmes, ce sont nos ancêtres, connus ou inconnus.
00:49 Notre invité de ce jour a, lui, la chance de les connaître.
00:52 Il est même remonté au Moyen-Âge et a découvert une extrême diversité de familles.
00:57 Quatre sortes de noblesse, des militaires de tout grade,
01:00 des chapeliers, des boulangers, des meuniers et beaucoup de paysans.
01:04 Malgré tous ces contrastes, ces familles convergent
01:07 et à force d'alliances et de mésalliances, réussissent une synthèse.
01:11 Et cette synthèse, c'est notre histoire de France.
01:14 Donc notre invité, Nicolas Saudré. Nicolas Saudré, bonjour.
01:17 Bonjour.
01:18 Merci d'avoir répondu à notre invitation.
01:20 Alors, vous êtes normand d'origine, puisque né à Bayeux, on va dire ça,
01:25 mais nous allons le voir, vos origines sont très diverses.
01:28 Vous êtes haut fonctionnaire, vous faites Sciences Po, l'ENA,
01:31 et vous avez mené une carrière d'inspecteur des finances.
01:35 Mais parallèlement, vous avez exercé en tant que bénévole dans le monde de la culture,
01:39 à la Bibliothèque Nationale, vous étiez président du conseil d'administration,
01:43 mais aussi médiateur du livre, et vous avez présidé la commission
01:47 de terminologie de l'économie et des finances.
01:50 Et enfin, vous êtes romancier et essayiste, auteur d'une quinzaine d'ouvrages.
01:55 Alors je vais en citer 3, 3-4, 3 parce qu'ils ont figuré dans les sélections du Goncourt.
02:01 "La maison des prophètes", paru au Seuil en 1984,
02:06 qui raconte la construction d'une mosquée par un architecte chrétien
02:09 dans un pays du Moyen-Orient.
02:11 Également "Dieu est-il gentilhomme", toujours au Seuil en 1986,
02:16 là ça raconte l'histoire de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem avant la Révolution française.
02:22 "Napoléon au Brésil", chez Michel de Maule en 2019.
02:26 Puis je vais citer également "Nous les dieux", c'est une réflexion, un essai sur le sens de l'histoire.
02:31 Donc finalement on peut vous présenter comme un philosophe de l'histoire ?
02:34 On peut, si c'est à vous.
02:35 Ça vous va.
02:36 Alors je vous reçois aujourd'hui pour un livre assez étonnant.
02:39 "L'histoire de France vécue par 12 familles", qui vient de paraître chez Édicence.
02:47 Alors quand je disais "étonnant", c'est que ces 12 familles finalement n'en composent qu'une seule,
02:52 et c'est la vôtre.
02:53 Oui, elles n'en composent qu'une, mais après tout un travail de fusion et d'élaboration,
02:57 parce qu'au départ elles sont complètement différentes,
03:01 aussi bien par les professions que par les régions, et même que par les religions,
03:05 ce qui est une forte cote-part de protestants.
03:08 Et puis ça finit quand même par fusionner en une synthèse bien française.
03:12 Donc une première question, pourquoi écrire un tel livre ?
03:15 Est-ce que finalement l'histoire de votre famille, ou de vos familles,
03:20 est susceptible d'intéresser tout le monde, et pourquoi ?
03:22 J'ai voulu montrer que l'ancienne société française n'était pas du tout cloisonnée,
03:27 comme on le croit d'habitude, c'était pas du tout une société de caste,
03:31 elle était assez ouverte, et ça circulait dans les deux sens,
03:35 des ascensions, des descentes sociales, des mésadiences assez nombreuses.
03:40 J'ai voulu aussi montrer que nos ancêtres avaient connu une série d'épreuves
03:45 absolument sans comparaison avec ce que nous vivons aujourd'hui,
03:49 et qu'ils avaient quand même tenu le coup, et donc c'était une belle leçon pour nous.
03:54 Puis il faut dire aussi que depuis que je suis enfant,
03:57 je me suis toujours intéressé aux histoires de famille,
04:00 j'avais une grand-mère un peu érudite, qui aimait bien raconter des histoires,
04:04 et puis je peux peut-être vous livrer une anecdote.
04:07 Le frère de cette grand-mère s'appelait, mon grand-oncle, s'appelait Paul Saudré,
04:11 c'était un garçon brillant, qui était dans les affaires,
04:14 il aidait son père à gérer une entreprise d'exportation,
04:18 ce qui était assez rare avant la guerre de 14.
04:20 Il n'avait pas fait d'études supérieures, parce qu'à l'époque,
04:23 on entrait dans les affaires après le bac, on n'avait pas besoin d'études supérieures,
04:27 mais il avait fait des stages à l'étranger, et il parlait couramment anglais et allemand,
04:32 ce qui était assez rare à l'époque.
04:35 Puis vient la guerre de 14, et avant de partir,
04:39 il fait une petite lettre qu'il confie à sa fiancée, il avait 30 ans,
04:45 et qui dit "à remettre à mes parents si je me fais tuer".
04:50 Alors la lettre, je l'ai, parce que ma grand-mère me l'a donnée,
04:53 il a été tué en 1915 près de Baccarat,
04:57 et la lettre, je la résume, "mes chers parents,
05:00 je vous remercie du fond du cœur pour l'excellente éducation que vous m'avez donnée,
05:04 détruisez s'il vous plaît toutes mes correspondances privées qui sont dans ma chambre,
05:09 donnez ma bicyclette à un de mes amis, je meurs en chrétien".
05:14 Bon, alors ça c'était un choc pour moi,
05:18 je me suis dit, il faut absolument que je fasse revivre tout ça.
05:21 – Bien, alors qu'à travers l'histoire de ces familles,
05:24 finalement c'est l'histoire de France que nous découvrons,
05:27 et vous employez un terme qui m'a beaucoup plu,
05:29 vous allez peut-être nous expliquer un peu mieux,
05:31 vous dites "c'est l'histoire de France vue d'en dessous", vous trouvez ça…
05:35 – Oui, vue par des humbles qui chacun essayent de tracer leur route,
05:41 et puis c'est l'agrégation de tout ça qui fait l'histoire de France.
05:47 Alors il y a quelques personnalités un peu distinguées qui se détachent du lot.
05:51 – Oui mais qui ne sont pas des célébrités…
05:53 – Qui ne sont pas, à part Éric Satie,
05:55 mais qui n'était pas, qui était un compositeur et non pas un homme politique.
05:59 Donc c'est la masse des humbles ou des demi-aisés qui ont fait notre histoire.
06:08 – Donc c'est pour ça que finalement c'est une histoire qui peut nous parler à tous.
06:11 Est-ce que vous pensez que tout un chacun, dans ce livre,
06:14 s'il en fait le travail, peut retrouver finalement
06:18 ce que c'est l'histoire d'une famille, de douze familles communes ?
06:20 – C'est ça, donc chacun peut s'y retrouver,
06:22 alors il se trouve que par hasard ou par chance,
06:25 il y a beaucoup d'éléments pittoresques chez moi
06:27 qu'on ne retrouve pas forcément ailleurs,
06:29 mais l'idée générale est la même, la fusion, notamment grâce à Paris,
06:34 des gens qui viennent de toutes les provinces, puis qui fusionnent.
06:38 – Alors cette petite histoire qui fait la grande,
06:41 finalement va nous faire interroger sur le sens de l'histoire.
06:45 Je sais que vous avez écrit un livre "Nous les dieux",
06:48 donc vous parlez du sens de l'histoire.
06:50 Est-ce qu'il y a vraiment un sens de l'histoire
06:54 ou est-ce que ce sont tous ces hommes qui la font ?
06:56 – Alors y a-t-il vraiment un sens de l'histoire ?
06:59 Ce serait téméraire de dire que oui.
07:02 On peut dire que le sens de l'histoire c'est la mondialisation,
07:07 c'est un peu triste de dire ça.
07:08 Moi je crois que l'intérêt de notre genre humain,
07:12 c'est qu'il a formé des sociétés différentes
07:15 dont chacune a son intérêt.
07:18 Donc l'idée d'un sens général de l'histoire, ça ne me séduit pas beaucoup.
07:23 L'idée que notre civilisation occidentale a un sens,
07:27 oui sans doute, alors est-ce qu'elle va vers le déclin ?
07:31 C'est une vaste question qu'on ne va pas essayer de résoudre aujourd'hui.
07:37 En tout cas la période que je décris,
07:40 les 5-6 siècles que je décris,
07:43 c'est essentiellement une ascension.
07:48 Nos problèmes actuels, je ne les ai pas traités.
07:52 – Et donc cette histoire finalement pour vous,
07:54 elle est plutôt faite par les hommes ?
07:56 – Évidemment.
07:57 – Il n'y a pas de grand sens messianique ?
08:01 – Oui, c'est le résultat d'une convergence.
08:06 – Alors vous réussissez à rendre finalement votre arbre généalogique vivant,
08:11 on passe de branche en branche.
08:14 – Mes douze arbres.
08:15 – Vos douze arbres.
08:17 Mais je voudrais moi en tirer quelques constantes.
08:22 Et donc la première que je voudrais, vous l'avez évoqué au début,
08:26 en bref une première idée reçue, c'est que finalement
08:28 la société n'était pas si figée qu'on le croit.
08:32 Et pour ça vous nous le démontrez en remontant jusqu'au 14e siècle.
08:37 Je voudrais que vous nous donniez quelques exemples justement
08:40 de ce dépoisonnement de la société.
08:42 – On voit un peu partout, dans toute la France et pas seulement chez moi,
08:48 des gens qui s'élèvent, qui franchissent les barrières sociales.
08:54 Et l'ascension, elle peut être envisagée de deux manières.
09:00 Habituellement on dit, bon il y avait des paysans,
09:02 ils sont devenus commerçants, artisans, cadres,
09:06 ça c'est une forme d'ascension.
09:08 Et puis il y a une autre approche qui est celle des démographes,
09:11 des statisticiens, ils disent qu'il y a une échelle sociale,
09:15 il y a 10% de gens en haut, il y a 10% un peu plus bas,
09:19 il y a 10% tout en bas et à chaque époque,
09:22 il y a des gens qui partent du 10% inférieur et qui montent.
09:26 Voilà l'ascension sociale.
09:27 Mais alors je dis, s'il y a des gens qui montent,
09:30 mathématiquement il y en a d'autres qui descendent,
09:32 sinon ça ne serait plus une échelle sociale
09:34 et tout le monde se trouve en haut.
09:36 Et c'est une chose qu'on oublie généralement
09:38 dans les discours sur ce sujet, que j'ai essayé de rappeler.
09:42 Je donne un exemple de chute, la famille de la Saudrée
09:46 qui était des petits nobles bretons, mais très anciens,
09:50 remontant au Moyen-Âge, du pays de l'Orient.
09:53 Ils quittent le pays de l'Orient,
09:54 ils vont vers la pointe de la Bretagne à Saint-Paul-de-Léon.
09:58 Ils ne sont pas très riches, mes ancêtres sont des cadets,
10:00 donc des cadets d'une famille un petit peu pauvre.
10:03 Un beau jour, un jeune homme qui s'appelait de la Saudrée
10:08 décide de quitter son domicile à Saint-Paul-de-Léon,
10:11 un peu contre l'avis de son père, son père était un ancien militaire.
10:15 Il quitte le domicile, il va à Brest,
10:17 il s'engage dans la marine royale qui était quelque chose
10:21 de tout à fait brillant et célèbre, qui attirait les jeunes gens.
10:25 Mais il n'a aucune formation, donc il est sous offre, quartier maître.
10:30 Il rencontre une jeune fille tout à fait plébéienne
10:33 qui ne savait même pas écrire.
10:35 Il décide de l'épouser et à l'époque, jusqu'à l'âge de 30 ans,
10:39 on ne pouvait pas se marier sans l'autorisation paternelle.
10:42 Alors il savait bien que son père refuserait l'autorisation.
10:45 Il a dit au curé, "Monsieur le curé, mon père est mort."
10:48 Et c'était faux.
10:49 Et il a épousé cette jeune fille et il est resté quartier maître
10:53 et il ne s'est pas appelé de la Saudrée, mais Saudrée tout court.
10:57 Voilà un exemple de descente sociale.
10:59 Il y en a plusieurs autres dans mon livre.
11:01 - Et là, vous parlez d'alliances et de mésalliances également.
11:07 - Alors en voilà une, ce cadet de noblesse qui est pour...
11:10 - Est-ce qu'il y a d'autres exemples de mésalliances ?
11:12 - Un exemple qui a été une mésalliance heureuse,
11:15 mon arrière-grand-père Henri Saudrée, revenu d'une famille qui avait...
11:20 C'était les descendants de ce garçon dont je viens de vous parler,
11:23 du quartier maître de Brest.
11:25 Les Saudrées étaient parties au Brésil parce qu'ils étaient pauvres
11:29 et voulaient faire fortune, font fortune, reviennent ruinés,
11:32 notamment à cause d'une épidémie de fièvre jaune
11:35 qui avait tari leur clientèle, ils avaient un hôtel de grand luxe.
11:39 Arrive mon grand-père en France tout petit garçon, éduqué pauvrement,
11:45 parce qu'il n'y avait plus d'argent.
11:46 Il doit cesser ses études à 14 ans.
11:48 À 14 ans, il est embauché comme sautre-huisseau,
11:51 c'est-à-dire comme commissionnaire dans une entreprise.
11:54 Et puis il se débrouille, c'est un jeune homme très débrouillard.
11:58 Et arrivé à 25-26 ans, il demande la main d'une jeune fille
12:04 qui était la fille d'un directeur au ministère des Finances.
12:07 Donc, cas de mésélience flagrante.
12:11 Et le père de la jeune fille, directeur au ministère des Finances,
12:14 dont je descends aussi, a été un homme assez intelligent
12:18 pour passer outre à la différence de fortune.
12:21 Il a compris que ce garçon était quelqu'un d'intelligent
12:24 et qui allait assez loin.
12:26 Il a accordé sa fille.
12:28 Et Henri Saudrey a donc fondé pratiquement
12:31 la première maison d'exportation en France.
12:33 Et c'était lui le père de ce Paul Saudrey qui a été tué en 1915.
12:37 – Vous en avez parlé tout à l'heure, oui.
12:39 Alors justement, on va maintenant parler un peu,
12:41 enfin décrire ces familles.
12:42 Donc il y en a 12.
12:43 – Oui, il y en a 12, plus des collatéraux.
12:46 Alors si on les compte bien, on arrive à plus.
12:48 Vous pouvez aller rapidement, une par une, nous donner les grandes lignes.
12:52 – Alors je commence par les plus anciennes.
12:54 Alors il y a une famille…
12:55 – Quand vous dites les plus anciennes, c'est parce que c'est là
12:57 où vous avez trouvé…
12:58 – Oui, les familles qui sont connues, parce que toutes les familles
13:00 remontent à la Norvège, mais disons qui sont connues depuis très longtemps.
13:03 La famille Eusée, c'est du Cotentin.
13:06 Le premier Eusée connu, c'est début XVe.
13:11 Il gérait les biens de l'abbaye du Veux,
13:16 qui était une très belle abbaye près de Cherbourg, en dehors des murs.
13:21 Et il était noble, il a été reconnu comme noble.
13:23 Alors je ne sais pas trop comment, il a été anobli.
13:26 À l'époque, l'anoblissement pouvait se faire par consentement social.
13:31 Un monsieur, il a peut-être guéroyé, il administre une grande abbaye,
13:35 allez hop, il est noble.
13:37 Ce qui, peu de temps après, a cessé d'être.
13:39 Et les rois de France se sont réservés le monopole de l'anoblissement.
13:43 Alors voilà, une famille ancienne.
13:45 - C'est pour ça qu'ils viennent de Normandie.
13:46 - Ils viennent de Normandie et même de la Normandie extrême,
13:48 ce que j'appelle le Finistère normand, c'est-à-dire le Cotentin,
13:52 ancienne île rattachée au continent à une époque biologique assez récente.
13:58 Alors autre exemple, Jean Danneau, c'est la même époque, début du XIVe.
14:07 Jean Danneau, venu de la Tyrache, qui est un pays à la frontière de l'actuelle Belgique,
14:14 s'engage comme simple soldat dans l'armée française, c'est au temps de Jeanne d'Arc,
14:21 combat à Patais sous les ordres de Jeanne d'Arc
14:26 et a l'extrême chance de capturer le grand chef des Anglais qui s'appelait Talbot.
14:31 Alors à la suite de ça, Jean Danneau a été anobli.
14:35 Mais le degré le plus bas de la noblesse, il était écuyer
14:38 et sa famille n'a pas pu s'élever au-delà de cette promotion sociale.
14:44 Troisième exemple de famille ancienne, mais très différente,
14:47 famille d'Eaucy, H-A-U-D-E-C-Y, venue du nord de la France, installée à Péronne,
14:52 Péronne en Picardie, qui est une ville qui autrefois avait nettement plus d'importance qu'aujourd'hui
14:59 parce qu'elle gardait l'un des rares passages sur la rivière Somme.
15:04 L'Eaucy s'installe là et pendant cinq siècles, il participe à un bon niveau à la vie de la ville de Péronne.
15:13 Ils sont magistrats de père en fils et cinq au moins d'entre eux ont été maires de Péronne.
15:19 Mais ils n'ont pas cherché à quitter ce petit paradis qui était Péronne, ça leur suffisait.
15:26 Donc l'ascension sociale a été freinée, même arrêtée pendant cinq siècles à Péronne.
15:33 Voilà des exemples de familles anciennement connues.
15:37 Alors des familles récemment connues, je vais en prendre une qui cette fois vient de Suisse,
15:42 c'est des Grisons, c'est peut-être le plus montagneux et le plus typique en Suisse, famille Hermann.
15:50 Un jeune homme tout de suite après la chute de Napoléon quitte les Grisons,
15:56 qui était un pays pauvre, la Suisse était encore un pays pauvre à part Genève,
16:00 pour aller faire fortune en France et faire fortune comment ? Par la boulangerie.
16:04 Parce qu'il avait appris la boulangerie, donc il vient en France, il vient en Normandie.
16:08 La Normandie était riche, les Grisons étaient pauvres.
16:11 Il s'installe, il vient dans une petite ville charmante appelée Bernay, dans l'Eure.
16:16 Il s'installe comme boulanger, il réussit bien.
16:19 Son fils, également appelé Hermann, cesse d'être boulanger pour devenir pâtissier
16:25 parce que c'était plus chic d'être pâtissier.
16:28 Ce deuxième Hermann a une fille unique appelée Anna.
16:33 Et Anna, son père étant veuf, aidait son père à tenir la boulangerie à Bernay.
16:40 Et elle était surnommée "la belle pâtissière".
16:43 C'était mon arrière-grand-mère, je suis l'arrière-petit-fils de la belle pâtissière.
16:47 Arrive un jeune officier sans le sou breton, il épouse Anna, ce sont les arrières-grands-parents.
16:54 Voilà un exemple de famille récemment sortie de...
16:58 Alors justement, je voulais en venir, je vous ai fait parler un peu de ces douze familles.
17:02 On vient là, qui est la mobilité géographique de tous ces gens.
17:09 Il y en a qui viennent de Normandie, de Picardie, de Suisse, vous savez, qui viennent d'en dessous de la Loire quand même.
17:14 Alors oui, j'ai un ancêtre qui s'appelait Jean de Neyrouze, qui était né et élevé à Nîmes
17:21 et qui était le fils d'un ouvrier en chambre.
17:23 Donc parti vraiment d'un niveau extrêmement modeste.
17:26 Peut-être protestant, mais je n'en ai pas eu absolument la preuve.
17:30 Ce Jean de Neyrouze, homme très actif, quitte Nîmes pour les environs de Paris
17:36 et fonde une manufacture de cachemire.
17:38 Le cachemire était une époque très en vogue et il réussit très bien.
17:43 Ce n'était pas une très grosse entreprise, elle avait en gros 230 personnes.
17:46 Mais partant d'où il partait, c'était très remarquable.
17:50 Et il a gagné plusieurs médailles d'or dans les expositions internationales.
17:53 Alors c'est un cas de promotion et d'ascension sociale en une seule génération.
17:57 Mais c'est rare.
17:58 D'habitude, en général en France et dans mon livre aussi,
18:02 ça demandait au moins deux générations l'ascension sociale.
18:05 – Et donc cette mobilité géographique, elle est provoquée par quoi ?
18:09 – Elle est provoquée, il faut bien dire, par l'attrait de Paris.
18:12 – Ah oui, déjà.
18:13 – Qui est un peu à côté miroir aux Alouettes aussi.
18:15 Paris attire les jeunes ambitieux.
18:17 – Et ça vous l'avez constaté ? À partir de quelle époque ?
18:20 – Depuis très longtemps, je vois, depuis le milieu du 17ème,
18:25 j'ai un ancêtre qui s'appelait Farou, qui venait probablement de Vendée,
18:31 qui s'est installé à Chaillot, qui à l'époque était une paroisse distincte de Paris,
18:36 qui a fondé une boulangerie.
18:37 Elle a réussi.
18:38 – Encore un boulanger.
18:40 – Encore un boulanger.
18:41 Les boulangers et les militaires sont les plus répandus dans mon livre.
18:45 Il a fondé une boulangerie, ça a réussi.
18:47 Il a été élu marguilier de sa paroisse,
18:49 donc ça prouvait qu'il était devenu un petit notable local.
18:52 Ceci au milieu du 17ème.
18:53 Donc l'exode rural, c'est pas seulement le 19ème comme on croit,
18:57 ça a commencé beaucoup plus tôt.
18:59 – Ça vous le constatez vraiment, dans toutes les familles ça a bougé.
19:02 – Il y a une prépondérance 19ème, mais il y a bien d'autres cas.
19:05 – Et alors ces douze familles, elles commencent à se réunir à partir de quelle époque ?
19:10 – La fusion se fait de manière progressive à mesure que les gens arrivent à Paris
19:17 et ils se marient avec Adnan Yousuf.
19:20 – D'accord, donc Paris est principalement le point…
19:22 – Paris est le point de convergence, c'est bien connu dans l'histoire française.
19:25 Et c'est elle, c'est Paris qui provoque la fusion des différentes familles.
19:31 – Il n'y a jamais de déplacement dû à la pauvreté par exemple, ou à la recherche ?
19:37 – Je viens d'en citer un quand même qui n'était pas directement à Paris,
19:41 ce Herman des Grisons, il n'est pas allé à Paris, il est allé à Bernays,
19:46 très sympathique petite ville, mais ça n'est pas Paris.
19:49 Et c'est seulement ses descendants, plusieurs générations après,
19:52 qui sont allés à Paris, donc le phénomène est complexe.
19:55 – Alors vous parliez également des boulangers,
19:58 donc finalement il y a aussi une stabilité, une vraie dynastie de boulangers,
20:01 peut-on dire, qui durent combien de temps ?
20:03 – Tout à fait, si je pars du milieu du 17ème siècle, j'arrive au début du 19ème,
20:10 donc ça fait 170 ans à peu près.
20:13 – Deux boulangers ?
20:14 – Deux boulangers, tous dans l'Ouest parisien ou à Paris même,
20:18 alors avec de très grandes inégalités, il y avait des boulangers riches,
20:21 il y avait des boulangers pauvres, mais qui n'ont pas cherché à sortir de leur boulangerie.
20:26 Donc l'ascension sociale a été bloquée.
20:29 – Est-ce que ça veut dire, je vais reprendre un dicton,
20:32 "il faut se marier dans sa rue",
20:33 est-ce que ça veut dire que par exemple ces boulangers épousaient des filles
20:36 ou des fils de boulangers ?
20:37 – Mais bien sûr, mais bien sûr, et alors quand ils n'avaient pas de chance,
20:40 quand ils n'avaient pas l'occasion de reprendre une boulangerie,
20:42 ils devenaient cafetiers, mais ça n'allait pas au-delà.
20:48 Alors je vais vous citer un exemple, un de mes ancêtres,
20:51 qui s'appelait donc Farouh, s'installa au Theuil, au point du jour,
20:56 les auditeurs connaissent peut-être, et fonde une boulangerie assez modeste.
21:01 Il engendre trois enfants, il meurt peu de temps après,
21:06 sa femme qui était une personne extrêmement courageuse et résiliente,
21:11 épouse l'ouvrier boulanger, il y avait un ouvrier boulanger,
21:14 il continue la boulangerie, quatre autres enfants, donc sept enfants.
21:18 Le deuxième mari meurt, elle se retrouve veuve avec sept enfants,
21:21 elle, ni une ni deux, elle crée une auberge au point du jour,
21:26 et d'après des témoignages de voyageurs que j'ai retrouvés,
21:29 ce n'était pas si mal que ça, ce n'était pas une gargote,
21:31 et jusqu'à l'âge de près de 80 ans, elle gère sa gargote,
21:35 et elle arrive à élever ses sept enfants.
21:38 – Et finalement elle a refait deux mariages après.
21:40 – Deux mariages, elle a épousé deux boulangers successifs.
21:42 – Finalement gardé son affaire.
21:43 – Deux boulangers successifs, puis ensuite elle n'a pas pu
21:45 continuer la boulangerie, elle s'est mise aubergiste,
21:48 donc il y a eu un virage.
21:50 – Mais donc elle se marie finalement pour garder ses affaires ?
21:52 – Absolument, et c'était la règle à l'époque, le mariage…
21:55 – Je parlais dans mon introduction d'amour,
21:57 est-ce que vous avez des traces de vrais mariages d'amour ?
22:00 – Je vais vous en donner une, mais il faut dire que dans l'ensemble
22:03 de la France, et c'est confirmé par mon livre,
22:06 les mariages étaient avant tout gouvernés par des considérations
22:10 d'ordre matériel, ce n'était pas un jeune homme qui épouse
22:13 une jeune fille, c'était une famille qui épouse une autre famille.
22:17 Et alors j'ai un exemple, mais tout à fait à la fin de cette période,
22:20 dans les années 1900, où l'amour a triomphé.
22:23 Le chapitre s'appelle "Le triomphe de l'amour",
22:26 c'est un titre que j'ai emprunté à Marivaux,
22:28 mais le sujet est assez différent.
22:30 Alors de quoi s'agit-il ? Il y avait un assez riche propriétaire foncier
22:34 en Normandie qui avait deux filles, arrive un jeune officier sans le sou,
22:40 qui demande la main d'une des filles, et le propriétaire foncier lui dit
22:46 "Non, cher ami, vous êtes quelqu'un de très bien,
22:48 vous êtes le fils de la belle pâtissière, et c'est quand même
22:51 assez différent de ma famille à moi, donc désolé, mais je ne peux pas,
22:57 et j'ai trouvé à ma fille un autre mari".
22:59 Donc il impose à sa fille un autre mari, qui n'était pas si mal,
23:03 mais enfin, ce n'était pas lui qu'il aimait, et puis par accident,
23:07 ce mari avait une santé extrêmement délabrée,
23:10 ce qui avait été caché à sa jeune épouse.
23:13 Il meurt en laissant sa jeune épouse avec deux enfants à peine nés.
23:18 Le militaire revient d'Indochine où il était allé,
23:21 demande une deuxième fois la main de la belle,
23:25 et là le propriétaire foncier s'est dit "Elle a deux enfants,
23:29 c'est une chance qu'il y ait encore ce jeune homme,
23:32 bon, je suis obligé d'accepter".
23:35 Donc il a accepté cette mésalliance, parce qu'il y avait une très grande
23:39 différence de fortune, et c'est l'amour qui a triomphé pour une fois.
23:42 Et d'ailleurs ils n'ont pas eu à le regretter,
23:44 parce que le jeune officier sans le sou est devenu général de Bregal.
23:48 – On constate d'ailleurs également les âges, les différences d'âge,
23:53 les garçons se marient beaucoup plus tard que les filles.
23:56 – Oui, il y avait couramment dans l'ancienne France un décalage
23:59 de 5, 6, 7 ans entre les deux.
24:02 – Il fallait que les hommes aient eu une situation déjà pour pouvoir prétendre.
24:05 – Oui, et les hommes se mariaient couramment à 30 ans.
24:09 – Alors, est-ce que vous avez également observé des périodes clés,
24:14 des périodes de changement, de bouleversement qui pourraient
24:18 s'appliquer à l'ensemble de la population ?
24:22 – Il y a une période clé qui est dans l'ensemble de la France,
24:26 et pas seulement dans mon livre, qui est la Révolution Napoléon.
24:29 Ça a fait sortir un certain nombre de jeunes gens un peu ambitieux
24:33 du milieu où ils se trouvaient un petit peu enfermés,
24:36 et ils se sont engagés. Ils se sont engagés dans l'armée,
24:39 puis ensuite ils ne sont pas revenus au point de départ,
24:42 et leurs descendants ont continué.
24:45 Par exemple, la famille Carr, paysan assez modeste des Ardennes,
24:50 l'un d'eux s'engage à la Révolution, fait quelques années dans l'armée,
24:55 ensuite devient maître de poste à chevaux,
24:58 parce que le fait d'avoir été soldat dans la cavalerie lui donnait priorité
25:04 pour devenir maître de poste, ce qui était déjà un niveau assez élevé.
25:08 Et puis le fils de ce maître de poste devient colonel,
25:11 et puis ainsi de suite, ça continue dans l'armée.
25:14 Donc c'est la Révolution qui a fait partir ce garçon du nid où il était.
25:21 Et il y a comme ça deux ou trois autres exemples dans mon livre.
25:24 – D'accord, donc vous avez pu constater que l'armée, la guerre,
25:26 finalement, joue un rôle dans l'ascension sociale ?
25:29 – La guerre, pas forcément. La Révolution et l'Empire, oui.
25:32 Parce que ça a déraciné beaucoup de gens.
25:35 Je reviens à mes boulangers farous.
25:37 La des fils de cette courageuse boulangère aubergiste
25:41 veut quitter ce milieu familial un petit peu étriqué, s'engage dans l'armée,
25:46 combat donc dans les armées napoléoniennes,
25:48 est très déçue par le retour des Bourbons,
25:50 et avec un bon nombre de camarades s'en va pour le Brésil.
25:53 Il y a eu une émigration contrôlée.
25:57 Et là, il s'est enrichi, il a construit un hôtel pour voyageurs absolument magnifique.
26:03 Puis il est revenu ruiné.
26:04 Mais là, on voit encore, c'est Napoléon qui a affranchi
26:08 ce jeune homme ambitieux de son milieu familial sympathique,
26:12 mais un peu renfermé.
26:14 – D'accord. Et est-ce que, économiquement, le XIXe siècle,
26:19 et puis l'apparition du libéralisme,
26:24 est-ce que ça a eu des conséquences sur les familles ?
26:26 Est-ce qu'il y a eu un embourgeoisement ?
26:28 – C'est évident, il y a eu un embourgeoisement,
26:30 il y a eu des gens qui ont fait fortune assez facilement.
26:34 Je vous ai pris l'exemple de l'industriel du Cachemire,
26:36 parti de presque rien.
26:39 Son gendre, qui était un grand propriétaire foncier,
26:42 s'est également enrichi beaucoup.
26:44 Et puis avec, en contrepartie, des ruines,
26:47 parce que les affaires étaient nettement plus dangereuses qu'aujourd'hui.
26:50 – Oui, c'est une époque où tout était permis,
26:52 mais on pouvait se casser la figure.
26:53 – On avait vite fait de se casser la figure.
26:55 C'est ce qui est arrivé au Brésil, mais même en France,
26:58 l'industriel du Cachemire a eu une fin de vie un peu difficile.
27:02 – Et le reste de la famille, il y a eu d'autres réussites ?
27:06 Est-ce qu'on devrait vraiment tirer des constantes ?
27:09 – Je vous ai cité le cas d'Henri Saudray, petit garçon du Brésil,
27:15 qui a fondé la première maison d'exportation française
27:18 et qui est devenu président de la Chambre d'exportation.
27:21 Voilà un cas d'ascension sociale assez brusque.
27:25 – Et ensuite, les deux guerres mondiales,
27:29 première guerre mondiale, seconde guerre mondiale,
27:31 est-ce que ça a vraiment changé, fait éclater les choses ?
27:34 – Dans mon cas, non.
27:36 Dans mon cas, non, ça a plutôt été négatif.
27:39 Ça a été une source de malheur et de chagrin.
27:45 Mes deux grands-pères ont été blessés durant la guerre de 1914.
27:49 J'ai eu trois grands-oncles tués.
27:52 Ensuite, en 1940, mon père grément blessé avant ma naissance.
27:57 S'il était mort de sa blessure, je ne serais pas là à vous parler
28:00 parce que j'ai été conçu après.
28:02 Donc ces deux guerres mondiales ont été pour eux,
28:05 et comme pour la plupart des Français, de graves épreuves.
28:08 – Mais est-ce qu'au niveau des conséquences,
28:11 enfin on s'aperçoit souvent de ça, c'est au niveau de la mobilité géographique,
28:14 que finalement après la seconde guerre mondiale,
28:16 surtout, ça bouge beaucoup plus, est-ce que c'est le cas ?
28:18 – Je ne suis pas sûr, en tout cas,
28:20 mes familles étaient déjà implantées à Paris, pour l'essentiel.
28:24 Donc elles n'avaient pas besoin d'en changer.
28:27 C'était des familles militaires, alors on partait en garnison,
28:30 on faisait une garnison, une deuxième, une troisième,
28:32 et puis à la retraite, on revenait à Paris, voilà, comme ça, ça s'est passé.
28:35 – D'accord. Alors on constate, ces douze familles,
28:38 aujourd'hui, il n'en reste plus que…
28:40 – Il n'en reste plus que trois ou quatre, oui.
28:42 – Trois ou quatre, c'est-à-dire que les noms se sont éteints ?
28:44 – Oui, ils se sont éteints par une logique tout à fait habituelle,
28:47 c'est que jusqu'à une époque très récente,
28:49 le nom n'était transmis que par les garçons et pas par les filles.
28:53 Alors à chaque génération, il y a des gens qui n'ont pas d'enfants,
28:57 il y a des gens qui n'ont que des filles,
28:59 alors à ce moment-là, le nom s'éteint,
29:01 alors que la population augmente, voyez ?
29:03 La population augmente et le nombre de noms diminue.
29:06 Maintenant, le fait que les parents peuvent donner à leurs enfants
29:11 le nom de la mère aussi, va sauver un grand nombre de noms
29:15 et en créer d'autres, il y aura des noms composés.
29:18 Donc cette perte du nombre de noms va s'atténuer
29:22 ou même changer de sens.
29:25 Au XVIe siècle, par exemple, il y avait beaucoup plus de noms
29:28 de familles distinctes en France qu'aujourd'hui.
29:31 La plupart se sont éteints.
29:33 – D'ailleurs, à propos d'extinction, en termes de…
29:38 comment dire… de nombre d'enfants,
29:41 on constate là aussi une diminution de la natalité dans toutes les familles.
29:46 C'est le lot de tout le monde.
29:49 – C'est le mouvement général.
29:51 Mais dans ma famille, il y a quand même des cas en sens inverse.
29:53 Quand ma grand-mère naît Saudray, elle a eu 20 petits-enfants.
29:57 – Oui. Alors, c'est un énorme…
30:00 je voudrais revenir sur votre travail,
30:02 parce que c'est un énorme travail de généalogie que vous avez fourni
30:06 et on sait que les Français en sont assez friands.
30:10 C'est un travail qui représente combien d'années de travail ?
30:14 – Je dirais que c'est le livre de toute une vie,
30:16 parce que dès que j'étais petit-enfant,
30:18 je me suis intéressé à ces histoires,
30:20 ma grand-mère m'avait intéressé à ça.
30:22 Puis ensuite, j'ai complété au fil du temps mes recherches
30:27 par des interventions dans les archives départementales
30:31 de tel et tel département.
30:34 J'ai trouvé dans les affaires de ma grand-mère
30:36 cette lettre de Paul Saudray, tué en 1915,
30:39 qui m'a confirmé dans ma volonté de faire revivre tout ça.
30:43 Et la rédaction, proprement dite, n'a duré que 2 ou 3 ans.
30:46 – Oui, mais pour retrouver justement des archives du 14e siècle
30:50 sur des familles qui ont disparu, vous vous êtes énormément dépassé.
30:54 – Oui, il y a eu des coups de chance.
30:56 Par exemple, je me présente aux archives départementales
30:59 de la Manche, à Saint-Lô.
31:01 J'avais le nom de mon ancêtre Robert Eusée, 14e siècle,
31:06 mais je ne savais pas trop ce qu'il avait fait.
31:08 Je fouille dans les livres qui étaient à l'aide du public.
31:11 Je trouve qu'il avait géré les biens de l'abbaye du Veux
31:14 pendant un certain temps.
31:16 De même, pour la famille Saudray, je croyais que les Saudray
31:20 étaient à l'origine des paysans bretons.
31:23 Et puis, une excellente dame Saudray,
31:25 qui n'est pas forcément ma cousine d'ailleurs, m'écrit,
31:27 "Non mais vous savez, vous descendez de la famille de la Saudray,
31:31 nobles qui ont perdu leur noblesse et qui remontent au Moyen-Âge."
31:35 Donc, j'ai bénéficié de quelques coups de chance.
31:37 – Et votre ancêtre qui lui a combattu aux côtés de John Dark,
31:40 vous l'avez retrouvé comment ?
31:41 – Eh bien, je l'ai retrouvé parce que j'avais une biographie
31:46 d'un de ses descendants.
31:47 L'un de ses descendants s'appelait Lambert Dano,
31:49 était un pasteur protestant de choc au 16e siècle,
31:53 et qui était quelqu'un de très important à l'époque.
31:56 Et il y avait une biographie.
31:58 Alors, je lis la biographie et je vois Lambert Dano expliquer
32:01 qu'il descend de Jean Dano, compagnon de John Dark.
32:05 – Alors justement, vous parlez d'un pasteur,
32:08 on n'a pas abordé la question religieuse.
32:10 Vous avez des ancêtres protestants, qui sont devenus protestants,
32:14 est-ce que vous ne savez pas, ça se passe où et à quel… ?
32:17 – Dans différents endroits.
32:18 J'ai eu des protestants paysans, le pays de Sedan.
32:22 Sedan a longtemps été une métropole protestante,
32:25 avec une académie protestante, la famille de la Tour d'Auvergne, les Bouillons.
32:30 J'ai eu la petite noblesse de Caen aussi,
32:32 qui était presque entièrement protestante, soutien de Henri IV.
32:37 Et puis sans doute aussi des protestants du Midi,
32:39 Jean de Neyrouze, industriel du Cachemire.
32:42 Alors je vais vous raconter une anecdote sur les protestants des Ardennes.
32:47 Milieu XVIIIème, un cahors, qui est un de mes ancêtres,
32:53 passe dans la nuit avec une petite charrette,
32:55 sur laquelle se trouve le corps de son père, qui vient de mourir,
32:58 et frappe à la porte du curé en disant
33:00 "Monsieur le curé, j'aimerais bien que vous enterriez mon père".
33:03 Le curé dit "Mon brave, c'est pas possible,
33:05 parce que ton père était un parpaillot".
33:07 Donc il ne s'était pas converti après la révocation de l'édit de Nantes.
33:11 Mon ancêtre continue avec sa petite charrette,
33:14 frappe à une deuxième église, pareil, une troisième, pareil,
33:18 et enfin il enterre son père dans un champ,
33:20 parce qu'il ne pouvait pas l'enterrer ailleurs.
33:22 Et je descends de ces deux,
33:24 de l'homme qui était dans la charrette et de l'autre.
33:27 Donc les protestants ont subi quand même pas mal de pression,
33:30 de mauvais traitements et autres,
33:33 qui les ont amenés petit à petit,
33:35 ou bien à immigrer, ou bien à devenir catholiques,
33:39 sauf quelques îlots comme Nîmes, Montpellier, les Cévennes.
33:43 - Et à propos d'immigration, vous avez beaucoup de vos ancêtres
33:46 qui ont fait, si je puis dire, des petits, des branches, en Amérique.
33:50 - Alors il y a eu le Brésil, tentative manquée.
33:53 J'ai des cousins américains, à deux reprises,
33:56 des membres de ma famille qui sont allés fonder des foyers aux États-Unis.
34:01 - Alors, vous vous posez la question,
34:06 comment nos ancêtres ont-ils pu résister
34:08 à la série de calamités qui s'est abattue sur eux ?
34:11 Cette série de calamités, vous la faites remonter...
34:14 - Déjà la guerre de Cent Ans, qui a été horrible.
34:18 Et puis ensuite les guerres de religion, les guerres mondiales.
34:22 La guerre de 70 a été assez méchante,
34:25 pour la plupart de nos compatriotes.
34:28 Il faut dire qu'il y a eu des morts, des blessés,
34:32 et puis la plupart des familles s'en sont quand même tirées.
34:35 - Et on ne compte pas les maladies, il y a eu les pestes...
34:38 - Les maladies qui ont souvent fait plus de morts que la guerre,
34:41 notamment en 70, les gens sont morts du typhus ou de la variole,
34:44 beaucoup plus que des balles tirées par les Prussiens.
34:47 Alors j'attribue cette résilience à la vieille éducation française.
34:51 - Expliquez-nous ça.
34:53 - On apprenait aux jeunes garçons et jeunes filles
34:57 à se contenter de peu, à travailler,
35:00 à obéir quand il le fallait,
35:03 à ne pas se plaindre tout le temps.
35:06 C'est ça qui leur a permis de traverser les épreuves.
35:09 Et je me demande s'il nous arrivait le même genre de choses à nous,
35:12 ou nous serions capables de la même résilience, à chacun de répondre.
35:16 - Écoutez, nos téléspectateurs y répondront peut-être.
35:20 Nicolas Cedré, merci infiniment.
35:22 Votre livre, paru chez Édicent, "Histoire de France vécue par 12 familles",
35:27 c'est vraiment une histoire qui nous parle à tous.
35:31 Je pense que ça peut encourager des gens qui ont...
35:35 Il faut avoir du temps quand même, bien évidemment.
35:37 Mais aujourd'hui, avec Internet, c'est de plus en plus facile,
35:40 surtout qu'on trouve des sites Internet collaboratifs.
35:43 Plusieurs membres de la même famille peuvent s'y mettre
35:46 et alimenter avec leurs histoires,
35:48 histoire de remonter le plus loin possible,
35:51 et puis voir que... 12 familles pour n'en faire qu'une.
35:56 Merci. - Merci à vous.
35:58 - Avant de nous quitter, je vous propose une bande dessinée à découvrir.
36:02 Elle raconte l'histoire du conquistador Hernán Cortés,
36:06 plein de fougue et d'ambition qui prend pied sur le territoire,
36:10 qui deviendra plus tard le Mexique.
36:12 Moctezuma II, l'empereur des Aztèques, se demande s'il s'agit enfin du retour
36:16 du dieu Quetzalcoatl, le serpent à plumes.
36:19 Mais il ne se doute pas qu'en quelques années,
36:22 c'est toute la civilisation aztèque qui va disparaître.
36:25 Le scénariste Christian Chavassieux, en alternant les points de vue
36:28 de Cortés et de Moctezuma II, expose parfaitement le contexte.
36:32 On découvre que c'est en utilisant les conflits entre les différents peuples autochtones
36:37 que la petite armée espagnole va faire tomber un immense empire.
36:41 Notons le beau dessin de Cédric Fernandez,
36:44 qui par un trait réaliste et précis,
36:46 reconstitue à merveille Tenochtitán, la capitale aztèque.
36:51 C'était Passé-présent, l'émission historique de TVL,
36:55 réalisée en partenariat avec la Revue d'Histoire Européenne.
36:58 Nous allons maintenant retrouver Christopher Lanne et la petite histoire.
37:02 Mais avant, surtout n'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
37:06 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
37:08 Merci et à bientôt.
37:10 [Générique]
37:23 Salut les amis, aujourd'hui on va parler de la guerre de Sécession.
37:26 En novembre 1860, Abraham Lincoln, le mec avec la barbe,
37:30 non pas lui, lui non plus, bon voilà,
37:34 est élu à la tête des Etats-Unis.
37:36 Pour présenter très rapidement Abraham Lincoln, il est démocrate, il est progressiste
37:40 et surtout, il est très favorable à l'abolition de l'esclavage.
37:43 Durant son mandat, il propose donc d'interdire l'esclavage
37:46 dans tous les nouveaux Etats qui viendraient rejoindre l'Union.
37:49 Malgré tout, il consent pour un maintien de l'esclavage dans les Etats du Sud,
37:52 où il se pratique déjà.
37:54 Mais comme il y a même 1000 leurs garanties que l'esclavage sera maintenu dans leurs Etats,
37:58 les Etats du Sud ont peur de se retrouver en minorité au Sénat.
38:01 Entre novembre 1860 et mars 1861,
38:05 7 Etats du Sud font ainsi sécession.
38:08 Ils rédigent une nouvelle constitution et élisent même un nouveau président
38:11 à la personne de Jefferson Davis.
38:13 Il y a donc des tensions entre Lincoln,
38:15 qui veut par-dessus tout sauver l'unité et sauver l'idéal des Pères Fondateurs,
38:19 et les Etats du Sud, qui craignent de voir leur indépendance menacée par un gouvernement central.
38:24 7 Etats esclavagistes ayant fait sécession,
38:26 il en reste donc 8 auxquels Lincoln propose de négocier.
38:29 Mais il se montre néanmoins très ferme et leur assure qu'il enverra l'armée
38:33 si ceux-ci occupent les forts de l'Etat.
38:35 Pourtant, le 26 décembre 1860,
38:37 ce sont des troupes de l'Union qui occupent Fort Sumer.
38:40 Fort Sumer, c'est un fort,
38:42 hé, merci,
38:43 qui garde l'accès au port de Charleston en Caroline du Sud.
38:45 Sauf que la Caroline du Sud vient tout juste de faire sécession
38:48 et donc l'occupation de ce fort par l'Union est là pour faire pression sur les sudistes.
38:53 Le 11 avril 1861, le fort est sommé de se rendre, ce qu'il refuse.
38:57 Le 12 avril, donc, le lendemain,
38:59 Jefferson Davis ordonne d'ouvrir le feu sur le fort
39:02 et c'est la guerre qui commence.
39:29 On voit donc que la motivation du Nord est surtout de sauver l'unité,
39:33 d'éviter la sécession tout en faisant pression sur les Etats du Sud,
39:36 et non d'abolir l'esclavage, qui est une question qui arrivera bien après.
39:40 D'ailleurs, Lincoln, dès son investiture,
39:42 abolit certes l'esclavage automatiquement dans tous les nouveaux Etats,
39:46 mais il propose le maintien dans les Etats du Sud,
39:48 ce qui prouve bien que cela n'était pas une question centrale.
39:51 Alors comment s'est déroulée cette guerre, militairement parlant ?
39:54 Au début, personne n'est prêt.
39:56 Il faut dire qu'aux Etats-Unis, l'armée ne compte que 16 000 hommes.
39:59 16 000 soldats professionnels seulement en 1861,
40:03 mais des deux côtés, il y a un engouement très fort
40:05 et très vite, les volontaires se présentent.
40:07 Des milices se forment et le début de la guerre
40:09 n'est ainsi qu'une série d'escarmouches
40:11 entre milices d'un Etat contre milices d'un Etat voisin.
40:14 Il n'y a aucune stratégie centralisée au départ,
40:17 mais quel est le rapport de force ?
40:19 Le Nord est industriel et urbain,
40:21 le Sud, agricole et rural.
40:23 Néanmoins, le Sud n'est pas négligeable,
40:25 mais en termes de plantations et ses esclaves,
40:27 il produit 75% du coton mondial
40:30 et est la 4e puissance économique du monde.
40:32 C'est ce qui a valu au Sud, malgré l'esclavage,
40:34 une sympathie, notamment de la part de la France
40:36 et de l'Angleterre, qui malgré tout n'osait pas intervenir.
40:39 Ouais, parce que ça la fout mal quand même.
40:41 Mais dans cette guerre, c'est avant tout le Nord qui est le plus avantageux.
40:43 En plus de concentrer plus de 80% de l'industrie,
40:46 le Nord mobilise également beaucoup plus d'hommes
40:49 et ainsi, au début de la guerre,
40:51 les sudistes se battent à 1 contre 2,5.
40:53 Au début et ensuite aussi.
40:54 Face à cette situation, le Sud se retrouve donc
40:56 dans l'obligation de mener une guerre de résistance
40:59 en attendant que le Nord, et surtout que l'opinion publique du Nord,
41:02 se lasse de cette guerre et reconnaisse son indépendance.
41:05 Mais la guerre va se prolonger longtemps
41:07 et va même se montrer particulièrement meurtrière.
41:10 On l'oublie souvent, mais la guerre de Sécession
41:12 est LA guerre la plus meurtrière de l'histoire des Etats-Unis.
41:15 La guerre de Corée, c'est 37 000 morts côté américain.
41:18 La guerre du Vietnam, 58 000.
41:20 La 1ère guerre mondiale, 120 000.
41:22 Et la 2ème guerre mondiale, environ 400 000.
41:25 La guerre de Sécession, elle, qui est une guerre civile américaine,
41:28 a fait entre 620 et 850 000 morts.
41:32 Comment expliquer cette boucherie ?
41:33 Eh bien tout d'abord, l'absence de tactique
41:35 et de stratégie centralisée,
41:37 mais aussi l'amateurisme des participants.
41:39 Ils n'étaient pas très bien formés
41:41 et utilisaient des manuels de guerre du siècle précédent.
41:43 On a donc assisté à une guerre napoléonienne
41:46 menée par des amateurs, par des bras cassés,
41:48 enfin, par des Américains, quoi.
41:50 Au nord, on a certes l'industrie et donc l'armement avec soi,
41:53 mais on a de piètres généraux, à l'image de Grant,
41:56 surnommé "Jojo l'Alcolo",
41:58 "Descente du coude" ou encore "La pinte céleste".
42:01 Si, c'est vrai.
42:02 En face, côté sud, on a moins d'hommes,
42:04 moins de moyens, mais on a de meilleurs généraux,
42:06 à l'image du général Lee,
42:08 brillant tacticien qui brisera de nombreuses tentatives d'invasion.
42:11 Grant, en revanche, est un général moyen sur le terrain,
42:14 mais il a une vision stratégique globale
42:16 incluant des données telles que la démographie et l'économie.
42:19 En 1864, faute de parvenir à déborder le général Lee,
42:23 Grant lance ainsi une guerre d'usure.
42:25 Les pertes vont monter en flèche,
42:27 il va se créer une réputation de boucher,
42:29 mais sa stratégie va payer.
42:31 La même année, le blocus du sud,
42:33 appelé aussi "Plan Anaconda",
42:35 va commencer à porter ses fruits.
42:36 A l'est, la côte atlantique est totalement bloquée
42:38 par la marine du nord,
42:39 nettement supérieure à celle du sud,
42:41 malgré ses barques cuirassées redoutables.
42:43 Là, on voit ici un des tout premiers sous-marins
42:45 qui était employé au nord.
42:47 Et ça, c'est une barque cuirassée du sud
42:49 qui augure déjà les bateaux cuirassiers
42:51 qu'on verra notamment pendant la première guerre mondiale.
42:53 A l'ouest, le nord prend le contrôle des rivières
42:56 à l'aide de ses flottis fluviales.
42:58 L'étau se resserre,
42:59 et le sud est victime de malnutrition,
43:01 il voit éclater des émeutes de la faim,
43:03 il ne peut pas importer d'armement étranger,
43:06 et son inflation grimpe à 9000%.
43:09 Ainsi, malgré la vaillante résistance des troupes du général Lee,
43:12 c'était perdu d'avance.
43:13 En juillet 1864, après la prise de Vicksburg et de Pornhutson,
43:18 la Confédération est littéralement coupée en deux.
43:20 Lee ne parvient pas à se défaire de cette situation
43:23 et à battre en retraite convenablement,
43:25 il capitule le 9 avril à Apotomatox.
43:28 À Apotomatox.
43:29 À Apotamatox.
43:30 Apomatox.
43:32 Lee ne parvient pas à se défaire de cette situation
43:36 et il capitule le 9 avril à Apomatox.
43:39 Voilà.
43:40 La guerre est terminée.
43:42 Mais alors, quel est le rôle de l'esclavage dans tout ça ?
43:44 C'est ce que nous allons voir.
43:46 La guerre de sécession est-elle une guerre pour l'émancipation des Noirs ?
44:10 Mais non, mais pas du tout !
44:11 Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'esclavage est un objectif stratégique
44:15 avant d'être un but de guerre.
44:16 Aussi, comme on l'a vu, il ne déclenche pas directement la guerre,
44:19 c'est la sécession et la volonté de Lincoln de préserver l'Union qui déclenchent la guerre.
44:23 La question de l'esclavage aura mis le feu aux poudres et alimenté toutes les passions.
44:27 Après l'indépendance des États-Unis,
44:29 il y a déjà eu une fracture nord-sud et de nombreuses tensions sur la question des Noirs.
44:33 Entre 1780 et 1801, les États du Nord abolissent l'esclavage.
44:38 En revanche, au Sud, l'esclavage est toujours pratiqué,
44:41 alors on peut en penser ce qu'on veut moralement,
44:43 mais à l'époque, c'était un outil de production qui garantissait la stabilité totale de l'économie.
44:48 Au Nord, la question était déjà tranchée sous la pression de groupes religieux chrétiens
44:52 qui appelaient au principe d'égalité entre tout homme.
44:54 Mais au Sud, c'est différent.
44:55 Et à travers cette question épineuse et condamnable moralement,
44:58 le Nord va sans arrêt faire pression sur le Sud,
45:01 et notamment, comme on l'a vu, avec cette loi
45:03 qui oblige tous les nouveaux États qui entrent dans l'Union à abolir automatiquement l'esclavage.
45:07 En 1820, le Congrès vote ce qu'on appelle le Compromis du Missouri.
45:11 Il stipule que l'esclavage sera désormais interdit dans tous les États situés au Nord du parallèle 36-30
45:17 et autorisé dans tous les nouveaux États situés au Sud de ce parallèle.
45:21 En 1850, on fait un nouveau compromis.
45:24 D'un côté, les nouveaux États qui entrent dans l'Union auront le libre choix sur la question de l'esclavage,
45:29 et de l'autre, le Nord garantit au Sud qu'il lui renverra tous les esclaves
45:33 qui ont fui le Sud pour aller se réfugier au Nord.
45:36 Mais ce qui apparaît comme un compromis va galvaniser les tensions,
45:39 notamment à chaque fois qu'un nouvel État entre dans l'Union.
45:42 On voit ainsi que c'est la question de l'esclavage,
45:44 en tout cas utilisée comme argument moral par le Nord,
45:47 qui est au cœur des tensions.
45:49 Mais c'est bien la sécession et ses réalités économiques,
45:51 et la rivalité Nord-Sud, qui déclenchent la guerre.
45:54 D'ailleurs, la première année du conflit, la question de l'esclavage est mise totalement entre parenthèses,
45:58 et elle ne sera mise sur le devant de la scène par Lincoln
46:01 que lorsque celui-ci aura pris conscience qu'aucun compromis n'était possible entre les deux camps.
46:06 Ainsi, en juillet 1862, l'esclavage devient un but de guerre.
46:11 Mais un but de guerre stratégique.
46:13 Pour le Nord, l'émancipation est un habile moyen de priver le Sud de son principal outil de production,
46:18 mais il est aussi un moyen de faire des 3,5 millions d'esclaves du Sud
46:22 de potentiels candidats à la rébellion,
46:24 ou même mieux, à l'engagement dans les rangs de l'armée du Nord.
46:27 En revanche, l'opinion publique du Nord s'en contrebalance un peu de la question Noire,
46:31 en effet elle est plus attachée à l'union qu'à l'abolition.
46:34 Et le Sud va profiter de ça, puisqu'il va mener une guerre de résistance,
46:38 en espérant que l'opinion publique du Nord fasse pression sur ses dirigeants
46:42 pour arrêter cette « guerre menée pour les Noirs ».
46:45 Et il n'aura pas tort de mener cette stratégie.
46:47 En juillet 1863, après une nouvelle conscription,
46:50 on linge des Noirs à Baltimore, Boston et New York.
46:54 Et même en 1864, lorsque Grant mène sa guerre d'usure et enregistre des pertes phénoménales,
47:00 l'opinion publique dénonce la négromanie de Lincoln,
47:03 pour laquelle des Yankees meurent sur le sol américain.
47:06 Mais pour Lincoln, la question ne se pose pas, ne se pose plus.
47:09 130 000 Noirs combattent dans les rangs de son armée.
47:12 Ce sont les victoires de Sheridan à la fin de la guerre qui sauveront Lincoln,
47:15 et même après la victoire,
47:17 Lincoln, qui était très engagé sur la question de l'abolition,
47:20 n'était pas si populaire que ça au sein des civils,
47:22 avec seulement 54% d'opinions favorables.
47:25 Et d'ailleurs, ce n'est pas la fin de la guerre qui mettra un terme à la question Noire,
47:28 parce qu'après l'abolition de l'esclavage, est venu le temps de la ségrégation.
47:32 Et les Noirs devront même attendre 1964 pour accéder à l'égalité politique.
47:37 On a vu mieux comme abolition.
47:38 Pour ce qui est des conséquences politiques, on peut l'observer encore aujourd'hui,
47:42 la fracture Nord-Sud n'est toujours pas refermée.
47:45 On a toujours au Sud de nombreux États dont la population conteste le pouvoir de l'État fédéral.
47:50 On voit donc que cette guerre était peut-être inévitable,
47:52 au vu des tensions qui existaient entre le Nord et le Sud,
47:54 mais elle ne les a pas réglées,
47:56 et elle n'a même pas réglé immédiatement la question Noire.
47:59 Merci à tous d'avoir suivi cet épisode.
48:01 Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures.
48:03 On va cette fois revenir à l'Histoire de France sur TV Liberté.
48:06 [Musique]
48:28 [Générique]