Céline Alonzo et André Bercoff reçoivent Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, à l'occasion de la parution de son livre "Camus, notre rempart" aux éditions Plon.
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##LA_CULTURE_DANS_TOUS_SES_ETATS-2024-05-03##
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00:00SUD RADIO, la culture dans tous ses états. André Bercoff, Céline Alonso.
00:06Je ne puis vivre personnellement sans mon art.
00:10Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout.
00:14S'il m'est nécessaire, au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne
00:19et me permet de vivre tel que je suis au niveau de tous.
00:24L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire.
00:28Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes
00:32en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes.
00:38Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer.
00:42Il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle.
00:48Et celui qui souvent a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent
00:56apprend bien vite qu'il ne nourrira son art et sa différence
01:01qu'en avouant sa ressemblance avec tous.
01:05Et oui, le discours engagé d'Albert Camus lors de la remise de son prix Nobel,
01:09c'est en 1957, André Bercoff.
01:12Aujourd'hui, eh bien, il est l'un des auteurs français les plus lus dans le monde.
01:15Et Hubert Védrine, l'ancien ministre des Affaires étrangères,
01:18lui rend un très bel hommage, un hommage très émouvant
01:22dans un livre très personnel qui vient de paraître, André Bercoff, chez Plon.
01:26Oui, Camus, Camus, notre rempart.
01:29Très, très joli mot, notre rempart.
01:31Parce que je rappelle que Camus a connu, Albert Camus, le purgatoire.
01:35Il est mort en janvier 1960.
01:38Et je me rappelle d'un titre très ricanant
01:43qui s'appelait Albert Camus, philosophe pour classe terminale.
01:48Et il fut un temps où on disait, oui, Camus, l'humanisme méditerranéen,
01:52pas très sérieux, tout ça, c'est bien, c'est émotif, tout ça.
01:55Eh bien, non.
01:56Ce qui s'est passé, c'est qu'après, on a découvert, effectivement, ce qu'était Camus.
02:01Camus, le porte, le héros, H-E-R-A-U-T, des valeurs, d'un certain nombre de valeurs,
02:07qui sont infracassables et qui sont extrêmement importants.
02:12Et justement, le livre d'Hubert Védrine est passionnant
02:16parce qu'il parle de cette totalité de Camus,
02:19aussi bien le Camus de Nantes, de l'été, de l'étranger.
02:22Et puis, Hubert Védrine a été, effectivement, à l'Élysée pendant 14 ans,
02:28il a été 5 ans ministre des Affaires étrangères.
02:31Et puis, voilà, à ce stade, à un moment donné, il retrouve
02:35et il relit les œuvres complètes d'Albert Camus.
02:38Et puis, il voit, il voit quoi ?
02:40Quelqu'un, et non pas ce que disait Sartre,
02:42un homme de tous les hommes, fait de tous et qui vaut n'importe qui,
02:47il voit quelqu'un qui, effectivement,
02:49quelqu'un qui est à la mesure de l'homme, est à la valeur de l'homme,
02:53et qui, à même aujourd'hui, est d'une actualité absolument totale, Céline.
02:57Et oui, Camus qui écrivait, effectivement, en 1944,
03:00Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde, pardon.
03:05Cette phrase est, effectivement, toujours d'actualité, André Bercoff.
03:07On va en parler dans un instant avec Hubert Védrine.
03:10Alors, restez avec nous.
03:12Camus, notre rempart, c'est dans un instant sur Sud Radio.
03:40Par la misère hantée, qui préféra ta mère à la justice amère.
03:52Oh Camus, je te pleure, mon héros, tu demeures.
04:00Toi qui est mort d'un Dostoyevski dans le cœur.
04:06Albert Camus, cet immense écrivain qui vous a passionné dès l'enfance, Hubert Védrine.
04:10Saluté ici par Serge Lama.
04:12Exactement, sublimement salué par Serge Lama.
04:15Hubert Védrine, son haute passion ne vous a jamais quitté.
04:19Alors, bonjour à vous et merci d'être avec nous sur Sud Radio.
04:21Bonjour.
04:22Jusqu'à 14h.
04:23Alors, vous publiez chez Plon, Camus, notre rempart,
04:26un livre hommage très émouvant que vous introduisez par ce flash spécial
04:31que vous aviez entendu à la radio le 4 janvier 1960,
04:36à l'époque où vous aviez à peine 13 ans.
04:39Petit pot.
04:40C'est de cet amas de ferraille que l'on a retiré le corps d'Albert Camus,
04:44coincé entre le tableau de bord et le dossier de son siège,
04:48d'Albert Camus qui avait été tué sur le coup.
04:51De la manière dont a été disloqué la voiture,
04:54on se rend parfaitement compte de la puissance du choc.
04:58On a retrouvé des parties de la machine à plusieurs dizaines de mètres du lieu de l'accident
05:03et Mademoiselle Gallimard a été projetée de l'autre côté de la route,
05:07agrippée à son coussin, ce qui lui a valu d'avoir la vie sauve.
05:11Son père, Michel Gallimard, qui était au volant, souffre de plusieurs fractures du crâne.
05:18Une roue avait parait-il éclaté.
05:21La voiture marchait à grande allure, quoi qu'il en soit.
05:25Le bilan est tragique et il a causé dans notre région un émoi considérable.
05:30Et oui, malheureusement Michel Gallimard n'a pas survécu à ces blessures.
05:34Hubert Védrine, la mort de Camus a été un choc pour vous ?
05:39Alors d'abord, j'étais ému tout à l'heure d'entendre la voix de Camus,
05:43parce qu'avant le choc de la mort que je raconte,
05:46c'est le début du petit livre très personnel que j'ai écrit.
05:51Mes parents m'avaient offert un disque après qu'il eut le Nobel.
05:54Il y avait un disque dans lequel il y avait des textes de Camus,
05:56des textes de Paris Gianni, des pièces de théâtre, des morceaux de pièces avec Maria Casares,
06:02avec Alain Cuny, enfin des gens comme ça.
06:05Donc j'avais déjà cette voix si particulière, nasillarde dans l'oreille,
06:10et déjà une passion.
06:11Et on avait quelques amis, on écoutait le disque sans arrêt,
06:14et j'en connaissais au moins 20 à 30 pages par cœur en fait,
06:18de l'étranger, des choses comme ça.
06:20Ce qui fait que quand arrive le choc,
06:22c'est quelqu'un auquel j'ai déjà développé une relation personnelle, à distance.
06:28Oui, alors que vous étiez enfant encore.
06:30Oui, je suis ado.
06:32Je suis ado.
06:34Donc il y a ce choc, c'est le point départ de mon petit récit.
06:38Et après, j'ai continué, mais je suis entré dans le monde camusien.
06:42Alors je ne suis pas un expert total, parce que j'ai découvert, grâce à vous,
06:46la chanson de Lama, qui est magnifique.
06:49Pourtant je suis assez camusien par rapport à...
06:52Donc je suis entré.
06:54Et adolescent, vous le dites dans votre livre, vous avez été ébloui par le camus de l'étranger,
06:59de Nos et de l'Été.
07:01Alors d'abord c'est Nos et l'Été, notamment Thiebaza, qui est très important pour moi,
07:05puis l'étranger.
07:06Le reste, je le découvre après.
07:08Pourquoi Thiebaza, très important pour vous, Hubert Véronique ?
07:11Écoutez, j'ai été ébloui, je ne sais pas, c'est mystérieux,
07:14mais dans Nos et l'Été, il y a le texte de Camus dans les essais,
07:19avant la guerre, il y en a un après, retour à Thiebaza.
07:22Je trouvais ça tellement beau, que dès que j'ai gagné un peu d'argent de poche
07:25en donnant des cours d'histoire géo dans une boîte privée, j'ai été à Thiebaza.
07:29J'ai passé deux journées à flâner dans Thiebaza.
07:32Et c'est devenu un lieu un peu emblématique, imaginaire,
07:37pas forcément lié à l'endroit où c'est d'ailleurs.
07:40C'est très important, et je suis revenu régulièrement.
07:43C'est une sorte de définition de la beauté.
07:46Je dis quelque part, j'avoue, je rappelle qu'on est avant 68,
07:50donc on n'est pas dans une époque...
07:52Oui, on est en 1965 exactement.
07:5465.
07:55Donc je rappelle qu'on n'est pas dans une époque de sexualité débridée,
07:58pour dire les choses directement.
08:00Donc il y a une sorte de sensualité contenue chez un jeune adolescent,
08:03et les mots de Camus, à mon avis, là-dedans, dans Nos,
08:07dans Nanty Pazar, ou une fosse d'autant plus considérable,
08:10qu'on est dans ce moment-là.
08:12Après, ça ne m'a jamais quitté.
08:14Mais j'ai reçu d'ailleurs, depuis que le livre est paru,
08:16il n'y a pas longtemps, il y a quelques jours,
08:18j'ai déjà reçu des petits messages de gens qui disent
08:20Tipaza a beaucoup compté sur moi.
08:23Pour moi.
08:24Et vous vous dites que Tipaza aura été votre colline inspirée,
08:27comme celle de plusieurs gens de votre génération, en quelque sorte.
08:31C'est une sorte de méditation autour de la beauté, la sensualité.
08:35Il y a l'écriture de Camus, il y a le Sud, il y a la Méditerranée,
08:39que j'ai découvert à d'autres endroits.
08:41En tout cas, c'était très fort.
08:42Donc le témoignage, c'est que j'entre dans Camus,
08:44pas par le mythe décisif, pas par l'homme révolté,
08:47pas par la philosophie, par la sensualité, on va dire.
08:50Par la sensualité, le soleil, l'Algérie.
08:52Et la beauté.
08:53Absolument.
08:54L'étranger, c'est vrai aussi, mais quand je le relis maintenant,
08:57je le dis, c'est la limite de la provocation,
08:59mais je dis que c'est un drame de la canicule, en fait.
09:02Quand on lit l'étranger aujourd'hui.
09:04L'impression de chaleur accablante, sans arrêt.
09:07Un drame du réchauffement climatique, c'est ça ?
09:09C'est avant le réchauffement.
09:10Donc vous voyez, encore pire après.
09:12Encore pire après.
09:13Alors justement, vous parliez effectivement de ce disque
09:15que vous écoutiez sans relâche quand vous étiez adolescent.
09:19Écoutons un extrait où Camus lit des pages de l'étranger.
09:23Aujourd'hui, maman est morte.
09:25Ou peut-être hier, je ne sais pas.
09:27J'ai reçu un télégramme de l'asile.
09:29Mère décédée, enterrement demain, sentiments distingués.
09:33Cela ne veut rien dire, c'était peut-être hier.
09:37L'asile de Vieillard est à Maringo, à 80 km d'Alger.
09:41Je prendrai l'autobus à 2h et j'arriverai dans l'après-midi.
09:45Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir.
09:50J'ai demandé deux jours de congé à mon patron
09:52et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille.
09:56Mais il n'avait pas l'air content.
09:58Je lui ai même dit, ce n'est pas de ma faute.
10:00Il n'a pas répondu.
10:02J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui dire cela.
10:04En somme, je n'avais pas à m'excuser.
10:07C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances.
10:10Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil.
10:13Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'était pas morte.
10:17Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée
10:20et tout aura revêtu une allure plus officielle.
10:24J'ai pris l'autobus à 2h.
10:26Il faisait très chaud.
10:28Très, très beau. C'est le début, Hubert Védrin, c'est le début.
10:31Oui, c'est le début.
10:33C'est tout à fait le début et c'est fabuleux, d'ailleurs.
10:35Et ce qui est extraordinaire, c'est qu'on voit aujourd'hui, on peut le citer,
10:40combien par exemple un Kamel Daoud, qui a éditorialisé dans Le Point,
10:43au point, au journal hebdomadaire, est inspiré de Camus.
10:47Enfin, il a fait d'ailleurs une espèce de...
10:49Je parle de lui. J'ai parlé avec lui.
10:51Vous l'avez rencontré à plusieurs reprises, effectivement.
10:54Vous savez, dans le texte qu'on vient d'entendre,
10:56c'est le cas dans toute l'écriture de Camus,
10:58il n'y a pas un mot de trop, il n'y a pas un mot à enlever.
11:01C'est très rare, ça. D'où la force, à mon avis.
11:04Dans la suite de l'affaire d'étrangers,
11:07après l'assassinat de l'Arabe sur la plage,
11:09je dis l'Arabe parce qu'il n'a pas de nom, précisément,
11:11et certains lui ont reproché.
11:13Sur la plage, le procureur qui va réclamer la peine de mort
11:17va se servir de ça, pour montrer l'insensibilité monstrueuse
11:21du personnage qui est Meursault, par rapport à la mort de sa mère.
11:24Oui, c'est fabuleusement écrit, c'est vrai, c'est magnifique.
11:29Et la chose la plus importante, je trouve,
11:32c'est quand vous dites qu'on a pénétré, et c'est vrai,
11:36vous avez connu Camus par la sensualité, par le soleil,
11:40par la plage, par la mer, et lui, au fond,
11:43quelque part Hubert Védrine, c'est que toute la philosophie,
11:47c'est ce qui le différencie de Sartre, mais beaucoup d'autres,
11:51il a été marqué par ça, c'est-à-dire,
11:53si ce n'était pas un terrien méditerranéen,
11:55il n'aurait pas écrit les mêmes choses,
11:57et pensé les mêmes choses.
11:58Oui, et on peut ajouter que s'il n'était pas d'une famille ultra-pauvre,
12:02vraiment pauvre, un point inimaginable,
12:04vraiment les pieds noirs basiques, arrivés de Minorque,
12:08avec une grand-mère et une mère analfabètes,
12:11c'est dingue, il a eu le prix Nobel après.
12:14Donc il y a tout cet élément là.
12:16Même sa mère était analfabète ?
12:18Elle était à moitié, puis elle était à moitié sourde, enfin bon.
12:21Il y a quand même des handicaps incroyables,
12:23jusqu'à ce qu'un personnage merveilleux,
12:25auquel il va dédier le discours de Suède du prix Nobel,
12:28M. Germain, l'instituteur, c'est extraordinaire.
12:32Les hustards noirs de la République, c'était ça.
12:35Il va détecter chez le jeune Albert,
12:37qui veut surtout faire du foot avec ses copains dans la rue,
12:40détecter un don, une capacité.
12:42Il va essayer de convaincre la grand-mère,
12:44qui est une femme dure, une espèce de paysanne,
12:48qui a le plus grand mal à nourrir la famille.
12:52Donc il va essayer de convaincre la grand-mère
12:54qu'il faut qu'elle accepte la bourse qu'il a trouvée pour ce jeune garçon.
12:58Elle a dit oui, mais il est déjà employé dans la quincaillerie,
13:01et puis on a besoin de son argent.
13:03Vous savez, c'est comme dans les vies paysannes, ça.
13:05Donc le rôle de Germain, c'est incroyable.
13:09Il lui a changé la vie.
13:11Complètement.
13:13C'est magnifique.
13:15Alors à l'adolescence...
13:17Donc il garde ça tout le temps.
13:19Il y a un débat dans le Paris féroce d'après la guerre,
13:22le Paris très très progressiste.
13:24Il y a toujours cette dimension.
13:26Moi je suis d'origine pauvre en vrai.
13:28Et dans la polémique avec Sartre,
13:30où je trouve Sartre effrayant,
13:32toujours brillant, brillantissime, mais effrayant.
13:34Il lui dit, vous avez peut-être été pauvre,
13:37mais vous ne l'êtes plus.
13:39Ça joue un rôle.
13:40En fait Camus et Bervédrine, c'est le contraire
13:42de ce qu'on appelle aujourd'hui les bobos gauchos.
13:44Le contraire absolu, oui.
13:46Les antipodes.
13:47Alors à l'adolescence, vous êtes,
13:49on l'a dit il y a quelques instants,
13:51vous êtes surtout intéressé au Camus,
13:53donc écrivain.
13:54Qu'est-ce qui fait, vous qui rêviez
13:56de devenir journaliste,
13:57vous ne vous êtes pas intéressé justement
13:59au Camus, journaliste, engagé
14:01et très courageux surtout, l'éditorialiste
14:03qu'il a été ?
14:04Je l'ai découvert après,
14:06mais vous savez, j'ai eu ce flash,
14:08le coup de foudre en quelque sorte.
14:10Puis après la vie continue.
14:12Faut présenter les examens, le bac,
14:14entrer à Sciences Po, faire des voyages.
14:16J'ai rêvé de voyages sans arrêt,
14:18donc c'est toujours en fond de ma propre vie après.
14:20Mais la vie galope.
14:22Et donc je ne me suis pas intéressé
14:24sur le Camus journaliste à ce moment-là.
14:26Mais quand j'ai revu,
14:28après, quand j'ai relu
14:30de ce qu'il écrit et tout ce qu'on a écrit sur lui,
14:32c'est là où j'ai vu que par exemple le reportage
14:34sur la misère en Kabylie était un élément fondamental.
14:36Oui, c'était en 1939.
14:38Et il a vu la vraie misère,
14:40donc il n'oubliera jamais ça.
14:42Donc il sera toujours de,
14:44quelle que soit la violence de l'affrontement
14:46avec le clan progressiste, on va dire,
14:48il sera toujours de gauche
14:50de cette façon-là.
14:52Est-ce qu'on peut comparer,
14:54et attention comparaison, on n'est évidemment pas raison,
14:56le retour à Tipaza de 1952 de Camus
14:58avec le retour du RSS de Gide ?
15:00Non, parce qu'il n'y a pas
15:02la dimension politique,
15:04ça n'a pas les mêmes conséquences.
15:06Ce que dit Gide a une importance énorme
15:08par rapport à une époque où c'est tout à fait impossible
15:10de critiquer l'URSS,
15:12de dire qu'il y a des goulags,
15:14le mot apparaîtra après avec Solzhenitsyn,
15:16donc ça n'a pas la même importance.
15:18Mais il y a un côté, la guerre est passée par là.
15:20Entre le Tipaza d'avant la guerre
15:22et le Tipaza d'après,
15:24Tipaza sous la pluie, entouré de barbelés,
15:26c'est pas le même monde,
15:28même si ça joue un rôle dans le cœur de Camus.
15:30Donc on ne peut pas comparer les deux.
15:32En revanche, quand il y aura le débat,
15:34lui contre Sartre,
15:36et que Camus dira dans L'Homme révolté,
15:38on a des tas de raisons de se révolter,
15:40mais il n'empêche que ça ne justifie pas
15:42le meurtre politique.
15:44Jamais, comme dans la pièce
15:46où il met en scène l'anarchiste russe
15:48qui ne lance pas la bombe contre le Grand-Duc
15:50parce qu'il y a des enfants dans la voiture.
15:52Donc il y a un élément fondamental
15:54de rupture,
15:56mais pas dans Retour à Tipaza.
15:58Vous avez la même pensée, moi.
16:00Absolument,
16:02mais ce qui est intéressant, c'est comment Camus
16:04a effectivement tout le temps,
16:06alors qu'il est la doxa progressiste
16:08au sens gauchiste
16:10du terme de l'époque, était
16:12absolument prégnante.
16:14C'était plutôt stalinien que gauchiste.
16:16Oui, c'est vrai.
16:18Les gauchistes staliniens,
16:20ça existe encore aujourd'hui.
16:22Après, oui.
16:24Mais ce que je veux dire, c'est que
16:26quand il a dit, je voudrais qu'on passe un peu,
16:28quand il a dit, je n'oublie pas ma mère
16:30par rapport à la justice, c'est sa mère,
16:32ce qui a été fondamental, ça.
16:34Parce qu'il dit la justice, la justice,
16:36si il y avait un certain nombre de gens qui disaient
16:38c'est ça le droit, ils disaient, oui, mais n'oubliez pas ma mère.
16:40Oui, mais c'est plus conjoncturel,
16:42c'est tout à fait vrai.
16:44Mais en fait, il est à Stockholm pour recevoir le prix.
16:46Et il y a
16:48le discours de Suède, et puis
16:50il y a une conférence de presse.
16:52Et là, il y a un étudiant algérien, nationaliste,
16:54qui vient l'attaquer un peu, l'agresser,
16:56parce que les positions de Camus sont pas claires
16:58du point de vue du nationaliste.
17:00Camus n'est pas pour l'indépendance
17:02de l'Algérie n'importe comment.
17:04Les peuples n'ont pas des colons.
17:06Il y a des colons, très bien.
17:08Il y a toute une population.
17:10Il y a des grands colons qui sont durs,
17:12il y a des moyens colons,
17:14et puis il y a une population basique.
17:16D'où vient sa famille ? Et quand la question lui est posée,
17:18il y a du terrorisme
17:20à Alger.
17:22Il a peur que sa mère, qui vit à Alger,
17:24monte dans un tramway et soit victime d'un attentat.
17:26C'est là où il dit,
17:28entre la justice et ma mère, désolé, mais
17:30je pense d'abord à ma mère en fait.
17:32À ce moment-là, ça ne veut pas dire qu'il balaie la justice.
17:34Donc il y a une interprétation exagérée de ça.
17:36Et d'ailleurs,
17:38dans un livre récent,
17:40dictionnaire amoureux de Camus,
17:42par Romain Médessaoui, très bien,
17:44il raconte que l'étudiant en question,
17:46après il n'a pas eu le remord de ce qu'il a dit,
17:48mais il a voulu rencontrer Camus pour lui parler.
17:50Et trop tard,
17:52Camus est mort.
17:54Et donc il a été sur la tombe de Camus à Lourdes-Marins.
17:56Vous y avez été vous-même ?
17:58Oui, j'y ai été avec mon ami,
18:00mon collègue devenu ami,
18:02Joschka Fischer, le chef des Verts allemands,
18:04qui lui respectait énormément Camus
18:06comme la figure de
18:08l'anti-totalitarisme,
18:10à l'époque où c'était presque impossible
18:12à assumer.
18:14C'est vrai, à l'époque, il passait...
18:16Alors vous disiez tout à l'heure
18:18que vous aviez en 2002 relu
18:20effectivement son oeuvre.
18:22Il y a des textes qui vous ont particulièrement
18:24marqué,
18:26exactement quand vous avez quitté le gouvernement,
18:28en quelque sorte.
18:30Les textes qui vous ont particulièrement marqué,
18:32c'est le premier homme.
18:34On peut dire que ça reste son texte majeur.
18:36Il y a des textes un peu oubliés.
18:38L'ensemble de l'oeuvre
18:40est majeur. Il y a des textes un peu oubliés
18:42comme la préface de L'envers et l'endroit,
18:44qui est formidable, où il y a toutes les suites.
18:46Il revient toujours à la mer.
18:48Il dit, j'ai vécu dans la misère et le soleil.
18:50On a du mal à associer les deux
18:52dans notre tête.
18:54Il y a plein de textes formidables à relire,
18:56à découvrir. Mais, je trouve que le livre
18:58posthume, qui était dans la fameuse
19:00voiture qui a explosé, là,
19:02contre le platane, et qui veut devenir
19:04le premier homme, qui a été publié
19:06grâce à Catherine Camus,
19:08la fille d'Albert Camus, qui a donné son accord
19:10au bout d'un certain temps.
19:12C'est un texte magnifique, absolument
19:14magnifique, qui reprend la trame
19:16et, comment dire, ça ordonne
19:18l'ensemble de ce qu'il a dit aux différentes
19:20époques, quand il a eu
19:22sensibilité. Il même a été membre
19:24du parti communiste, à un moment donné,
19:26brièvement, mais il n'a pas attendu.
19:28Il a compris... – Mais c'est en Algérie, encore, là ?
19:30– En Algérie, avant la guerre.
19:32Il n'a pas attendu les événements
19:34qui ont amené certains autres,
19:36mais longtemps, longtemps après... – Il n'a pas eu
19:38le porc-roue-de-chèvres, etc., et le génie de cygne.
19:40– Il n'a pas eu besoin de ça pour sortir.
19:42En fait, il y a tout un itinéraire.
19:44Après, il y a toujours la famille, mais tout ça
19:46est parfaitement fusionné,
19:48parfaitement harmonisé.
19:50Les mots sont magnifiques.
19:52Le livre de Camus, que je trouve formidable,
19:54émouvant, depuis le début, est encore plus clair.
19:56Et c'est immensément...
19:58Évidemment, c'est tragique qu'il soit mort
20:00aussitôt, mais il avait annoncé
20:02que c'était le début d'un nouveau
20:04cycle. Il y avait d'autres livres en préparation,
20:06qu'on connaîtra jamais. En tout cas,
20:08c'est merveilleux, ce livre.
20:10Pour ceux qui ne l'ont pas lu, ils peuvent
20:12entrer dans Camus par ce livre, à mon avis.
20:14– L'envers...
20:16– Le premier romain.
20:18– En revanche, vous dites que vous avez eu du mal
20:20à re-rentrer dans la peste.
20:22– Oui, alors, j'ai lu un peu
20:24par acquis de conscience le mythe de Sisyphe,
20:26l'homme révolté, important, dans l'affaire
20:28de la polémique. Et la peste, je trouve
20:30ça bien, mais il y a un côté
20:32un peu lourd dans la peste.
20:34Ils l'ont utilisé souvent de façon un peu lourdingue
20:36dans les transpositions.
20:38Mais bon, c'est un grand texte, bien sûr.
20:40On voit bien ce qu'il veut dire,
20:42mais on ne peut pas non plus
20:44l'extrapoler
20:46à toutes les situations
20:4820 ans, 30 ans, 50 ans après.
20:50Bon, c'est important, je ne néglige pas, mais
20:52j'ai pas eu la même sensibilité
20:54spontanée, même s'il y a des personnages
20:56magnifiques, comme Rieu,
20:58dans la peste.
21:00– Juste un mot,
21:02par rapport à ça, c'est intéressant, parce que
21:04ça n'a rien à voir, mais vous voyez,
21:06vous parlez de la misère et du soleil.
21:08C'est intéressant, quand même.
21:10La chanson d'Aznavour, il me semble,
21:12la misère serait moins pénible au soleil.
21:14Ce qui n'est pas faux.
21:16– Oui, parce qu'il parle beaucoup
21:18de la grisaille de Paris.
21:20Il n'aime pas Paris, en fait.
21:22– Ah oui, il n'aimait pas.
21:24Déjà, à l'époque, il disait
21:26Paris est sale, il y a des pigeons.
21:28– Oui, alors il n'aime pas
21:30le genre d'intello progressiste,
21:32après la guerre, qui se rattrape en faisant des tonnes.
21:34Il n'aime pas ça.
21:36Mais la ville, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.
21:38Donc on revient toujours
21:40au soleil. C'est pour ça qu'il va,
21:42après des années et des années,
21:44tirer à l'our marin, à mon avis.
21:46– Et oui.
21:48Ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui,
21:50c'est intéressant,
21:52on va en parler en seconde partie d'émission,
21:54mais quand même,
21:56vous vous dites Camus notre rempart,
21:58mais est-ce que vous pouvez dire aussi Camus notre contemporain ?
22:0060 ans après sa mort,
22:02plus de 60 ans après sa mort.
22:04– Alors, il faut faire attention,
22:06il ne faut pas que ce soit tiré par les cheveux.
22:08C'est un peu la tentative
22:10critiquable, je reconnais,
22:12un peu exagérée, à la fin du petit décès.
22:14Mais d'avoir le rempart, c'est le rempart
22:16contre le fanatisme.
22:18Compte tenu de la façon dont il a été déchiré,
22:20légitimement, honorablement,
22:22dans l'affaire de l'Algérie,
22:24il n'aurait jamais pu être manichéen après.
22:26Il n'aurait jamais été binaire.
22:28La plupart des gens contemporains,
22:30surtout à l'époque
22:32des réseaux, de l'Internet
22:34qui extrapole tout, sont binaires.
22:36– Un peu binaires, c'est bien de le dire.
22:38– En tout cas, au fil du temps, Hubert Védrine,
22:40votre passion pour Camus n'a jamais faibli.
22:42On va continuer d'en parler dans un instant
22:44sur Sud Radio. Alors, tout de suite, reste avec nous.
22:48– Sud Radio, la culture dans tous ses états.
22:50André Bercoff, Céline Alonso.
22:52– Quand j'habitais Alger,
22:54je patientais toujours dans l'hiver
22:56parce que je savais qu'en une nuit,
22:58une seule nuit froide et pure de février,
23:00les amendiers de la vallée
23:02des consuls se couvriraient de fleurs blanches.
23:06Je m'émerveillais de voir ensuite
23:08les fleurs fragiles résister à toutes les pluies
23:10et aux vents de la mer.
23:12Chaque année, pourtant, elles persistaient,
23:14juste ce qu'il fallait
23:16pour préparer le fruit.
23:18Ce n'est pas là un symbole.
23:20Nous ne gagnerons pas
23:22notre bonheur avec des symboles.
23:24Il n'y faut plus de sérieux.
23:26Je veux dire seulement que parfois,
23:28quand le poids de la vie devient
23:30trop lourd dans cette Europe
23:32encore toute pleine de son malheur,
23:34je me retourne vers ces pays éclatants
23:36où les moyens de force sont encore intacts.
23:38Je les connais trop pour ne pas savoir
23:40qu'ils sont la terre d'élections
23:42où la contemplation et le courage peuvent s'équilibrer.
23:44Et oui, Serge Reggiani,
23:46André Bercov qui lit Les amendiers d'Albert Camus,
23:48ce lumineux petit texte
23:50incorporé à l'été m'habite
23:52lui aussi encore, écrivez-vous
23:54Hubert Védrine dans votre livre Camus, notre rempart
23:56paru chez Plomb.
23:58En fait, votre passion pour Camus ne vous a jamais quitté
24:00et au cours de votre vie
24:02trépidante, vous le racontez,
24:04les rencontres vous ont envoyé des signaux
24:06camusiens, notamment celle
24:08avec René Char. Comment
24:10vos chemins s'étaient-ils croisés ?
24:12Eh bien, dans l'époque où je suis
24:14adolescent et on écoute le disque,
24:16Marie-Claude Billet
24:18est l'assistante de mon père
24:20et elle est... Il y a un groupe
24:22d'amis familial,
24:24tout un groupe autour de mes parents
24:26qui étaient des gens exceptionnellement accueillants,
24:28ouverts, rayonnants, tout ce qu'on veut.
24:30Et Marie-Claude en faisait partie. C'est une sorte de
24:32d'ami d'enfance pour moi, une sorte de cousine
24:34on va dire. Et longtemps,
24:36longtemps après, elle devient la femme de René Char.
24:38Après d'autres péripéties.
24:40Voilà. Enfin, péripéties,
24:42le terme...
24:44Et vous connaissez
24:46l'œuvre de René Char.
24:48Je l'ai rencontrée parce que
24:50c'est l'époque où
24:52René Char ne voulait pas donner ses archives
24:54qui étaient magnifiques, aux archives
24:56de l'Isle-sur-la-Sort.
24:58Oui, il avait des trésors
25:00de lettres notamment, des échanges
25:02avec Camus, c'est ça.
25:04Beaucoup d'autres, toute l'après-guerre.
25:06Et donc Marie-Claude me demande de venir.
25:08Et j'ai passé deux après-midi à l'époque
25:10avec mon épouse et mes deux enfants,
25:12on était souvent dans le Lyon à l'époque,
25:14à essayer de convaincre Char qu'il pouvait avoir confiance
25:16aux institutions en question.
25:18Il s'en méfiait
25:20beaucoup, il y a des gens qui s'étaient mal conduits
25:22pendant la guerre. Donc on a eu
25:24des discussions de ça, et j'ai eu
25:26quelques contacts avec lui
25:28à partir de là. Évidemment j'en ai profité.
25:30Vous l'avez longuement questionné
25:32sur Camus.
25:34Qu'est-ce qu'il vous a raconté sur Camus ?
25:36Non mais la façon
25:38d'en parler, ils étaient fraternels.
25:40Il suffit de voir
25:42les textes entre eux,
25:44les lettres, le visage
25:46de Char
25:48au moment de l'enterrement de Camus à Lourdes-Marins.
25:50C'était absolument fondamental.
25:52Et après que Camus ait
25:54loué différentes maisons dans le Lubéron,
25:56dans le coin, finalement il a trouvé une maison
25:58à Lourdes-Marins,
26:00qu'il a achetée au
26:02docteur Bonneau. Mais donc
26:04Char l'a conduit là.
26:06C'est l'époque où, quand ils sont pas
26:08très... Ils s'entendent
26:10bien, mais ils sont pas aussi intimes qu'après.
26:12Camus lui dit
26:14aidez-moi à trouver, j'en ai marre de la
26:16pègre parisienne. C'est la pègre
26:18intellectuelle.
26:20Donc aidez-moi
26:22à trouver quelque chose. Et on voit bien que
26:24le Lubéron est quelque chose qui lui rappelle
26:26un peu l'Algérois.
26:28Et puis il essaie de faire venir sa mère.
26:30Donc Char est très lié à ça.
26:32Donc je suis enchanté d'avoir été
26:34associé, d'avoir pu
26:36échanger avec lui sur ce point.
26:38Oui, on peut dire que Camus s'y est vraiment senti heureux
26:40dans cette région de France. Dans la région,
26:42oui, mais dans la maison de Lourdes-Marins,
26:44il n'en a bénéficié que deux ans.
26:46Et oui, ça c'était la fin.
26:48Et oui, c'était en 58 et 56.
26:50Alors c'est pas le même pays, mais il y avait au moins
26:52la lumière, le soleil,
26:54la beauté,
26:56les saisons, tout un...
26:58tout l'ensemble provençal.
27:00Je vais revenir
27:02à la question
27:04qu'on posait
27:06à Hubert Védrine
27:08sur justement un peu du chrony.
27:10Mais au fond,
27:12est-ce que Camus,
27:14je rappelle mort en janvier
27:161960, ça veut dire
27:18il y a presque 65 ans...
27:20Et donc avant l'indépendance
27:22de l'Algérie, par exemple.
27:24Et donc sept ans avant l'indépendance de l'Algérie.
27:28Je ne parle pas philosophiquement,
27:30parce que Dieu sait, ce serait une question idiote.
27:32Est-ce qu'il a quelque chose à nous dire
27:34aujourd'hui par rapport
27:36à tout ce qu'on vit dans le bouleversement du monde ?
27:38D'abord, il y a
27:40l'exigence d'éthique
27:42sur la langue. On l'a rappelé au début.
27:44Il faut nommer les choses justement.
27:46Mal nommer les choses,
27:48noter au malheur du monde. Vous voyez à quel point on doit être malheureux
27:50en ce moment.
27:52Donc il y a cet élément-là.
27:54Après, chacune des phrases, quand on les réentend,
27:56que ce soit sa voix, lui, ou Rudigénie
27:58ou autre, vous voyez bien que ça résonne,
28:00même maintenant. Il y a une force incroyable
28:02dans la formulation.
28:04Il y a une sorte de génie de la maîtrise
28:06de la langue dépouillée.
28:08Après, je suis frappé
28:10en relisant de sa distinction
28:12permanente, il est
28:14contre l'engagement.
28:16Ce n'est pas un écrivain engagé.
28:18Il est contre l'engagement, parce que l'engagement,
28:20c'est sartrien.
28:22Non mais ça, c'est par rapport à Sartre.
28:24Il était engagé.
28:26Il dit qu'on est embarqués. On n'a pas le choix.
28:28On est embarqués dans notre époque, dans notre temps.
28:30Il faut se comporter bien par rapport
28:32à ça. Donc on a le droit d'être
28:34révolté, mais il n'empêche que ça ne justifie pas
28:36n'importe quoi. Donc il y a un fil conducteur.
28:38On peut continuer quelles que soient
28:40les époques. Après,
28:42comme je l'ai dit,
28:44il est cartelé. Sa mère,
28:46Algérie, il aurait été manichin sur rien, à mon avis.
28:48Dans tous les grands événements depuis,
28:50il n'aurait pas été des gens
28:52qui prennent totalement parti pour un camp
28:54contre un autre. – Il n'y a pas le corps du bien et le corps du mal.
28:56– Je crois, je ne peux pas
28:58le prouver, c'est audacieux, mais
29:00je ne crois pas qu'il aurait été comme ça. D'ailleurs, à un moment donné
29:02où il commence à être représenté
29:04comme moraliste, ou alors il y a
29:06la fameuse expression après pour
29:08classe terminale, si seulement c'était vrai,
29:10on pourrait dire. Je suis renseigné en classe
29:12terminale, ce serait déjà super.
29:14Quand on le présente
29:16comme ça, il réagit contre ça.
29:18En disant, oui, mais je ne suis pas
29:20comme ça, je suis plus compliqué.
29:22J'en ai marre de ce gargarisme moderne.
29:24Gargarisme, c'est tout
29:26le côté sur les valeurs, la morale, tout ça.
29:28Il est hyper moral, mais en même temps, il ne veut pas
29:30être ramené à ça. – C'est ça.
29:32– Il décrit des situations complexes.
29:34Ce qui fait que je ne l'imagine
29:36pas du tout,
29:38encore une fois, n'importe qui peut
29:40démentir, mais restant dans le débat
29:42à Paris, les colloques,
29:44les trucs, ça je ne crois pas.
29:46Je l'imagine en ermite de lourds-marins
29:48et recevant à lourds-marins
29:50des personnalités,
29:52comme Jean Daniel, bien sûr, René Char, c'est son pote,
29:54c'est différent, mais
29:56Simon Leste, des gens comme ça, vous voyez, Orwell,
29:58des gens comme ça, c'est ça que j'imagine.
30:00– Et vous l'imaginez aussi
30:02en écolos convaincus ?
30:04– Alors, il faut faire attention, certainement,
30:06pas le mot écolo.
30:08Si on enlève du mot écologie
30:10le sens écologie politique,
30:12oui, d'accord, on peut dire ça,
30:14mais c'est pas du tout, du tout un écologiste politique.
30:16Aucun risque
30:18qu'il soit comme ça. Mais il a une telle sensibilité
30:20à la beauté,
30:22à la nature,
30:24je cite quelques passages, mais sa façon de parler
30:26de la nature, des plantes,
30:28des odeurs,
30:30de la chaleur, des animaux, donc je pense qu'il aurait
30:32été de plein pied dans l'idée
30:34que,
30:36quand même, le système
30:38hyper productif, incroyable, depuis
30:40deux siècles, a mis en danger la vie sur la planète,
30:42pas la planète, la vie sur la planète.
30:44Donc je crois qu'il aurait été plutôt
30:46comme ça. D'ailleurs, je reprends le discours
30:48de Suède, chaque génération
30:50sans doute se croit avouée à refaire le monde,
30:52la mienne, c'est du moins qu'elle ne le refera pas,
30:54mais sa tâche est peut-être plus grande.
30:56– On ne le défasse pas. – On ne le défasse pas,
30:58bravo, et donc
31:00je l'applique à ça. Mais c'est une interprétation
31:02qui est la mienne, mais c'est ce qui
31:04me paraît le plus solide,
31:06le plus actuel,
31:08le plus vivant aujourd'hui,
31:10en 2024. – Hubert Védrine,
31:12par rapport à son œuvre et par rapport
31:14à sa vie, puisque vous parlez de ça dans votre
31:16livre, on peut dire que c'était
31:18quelqu'un de courageux ?
31:20– Oui. – Ça ne veut pas dire
31:22opposé à lâche, mais courageux,
31:24ça veut dire qu'il prenait, chaque fois qu'il
31:26le pouvait, des positions, etc.
31:28– D'abord, je trouve qu'il
31:30était courageux de dire
31:32ce qu'il a dit sur l'Algérie.
31:34Il aurait pu ne pas répondre,
31:36ou trouver une formule en mélangeant
31:38les hypothèses. Je ne sais pas comment ça va
31:40tourner, il y a plein de scénarios, on verra bien.
31:42Non, il est courageux par rapport
31:44à ça. Après, je le trouve
31:46très courageux quand
31:48il résiste à la furie
31:50sartrienne de l'époque.
31:52– En 1952, oui. – Sartre est un immense
31:54personnage, je ne peux le diminuer.
31:56– Oui, parce qu'il est quasiment seul, en quelque
31:58sorte. – Oui, c'est ça que je voulais dire.
32:00Je dis au passage sur Sartre, il ne faut pas que
32:02les gens qui nous écoutent se trompent.
32:04C'est un immense personnage, si on relit les mots, par exemple,
32:06on est ébloui. – Chef d'œuvre.
32:08– Plusieurs préfaces, éblouissants. Il n'empêche
32:10que là, il est quand même à la tête d'une
32:12espèce de règlement
32:14de comptes contre Camus.
32:16Et Camus résiste. Il est en situation
32:18de, il est menacé d'être
32:20cancellé, pour parler des termes contemporains.
32:22La cancel culture.
32:24À peu près tous les intellectuels
32:26qui influencent les médias de l'époque, qui sont
32:28beaucoup moins influents qu'aujourd'hui.
32:30La presse écrite, les éditeurs, la vie
32:32intellectuelle dans le sixième arrondissement,
32:34etc. Il est très seul.
32:36– Mais justement, d'où il a tiré la force à l'époque
32:38pour résister à cette cancellation ?
32:40– Je ne sais pas, de lui-même, de sa nature,
32:42de M. Germain. – De ses origines.
32:44– La fierté de ses origines,
32:46le fait qu'en fait, fondamentalement,
32:48il n'est pas de ce monde-là.
32:50Et que quelque part, même si 99%
32:52des intellectuels de l'époque lui tapent dessus,
32:54il n'est pas du même monde.
32:56Donc il n'est pas déstabilisé personnellement.
32:58J'essaie de comprendre.
33:00À côté du René Char,
33:02donc son pote, il a
33:04Romain Garry,
33:06qui est un autre personnage
33:08inclassable, et il a
33:10Jean Guéhenno. – Oui, c'est ça.
33:12– Ce sont à peu près les seuls qui le défendent.
33:14Donc il est en situation de harcèlement
33:16par la cancel culture de l'époque.
33:18Il résiste, il tient bon.
33:20Du coup, il a envie de quitter ce monde
33:22parisien, d'où le Luberon
33:24du Lille-sur-la-Sol, puis l'Omara.
33:26– Puis l'Omara, oui. – Et puis il va rester dans le débat.
33:28Et puis il écrit, il publie
33:30le premier homme, il aurait continué à écrire d'autres...
33:32Il aurait écrit, mais je crois qu'il se serait
33:34détaché de ce milieu,
33:36parce qu'on n'aurait pas
33:38pardonné la distinction,
33:40je suis rappelé, entre engagement
33:42et le fait d'être marqué. – Et en même temps,
33:44vous en parlez, Hubert Drin,
33:46ce qui est formidable, c'est que ça,
33:48c'est le côté politique, et en même temps,
33:50toute sa correspondance d'amour avec
33:52Nazareth, c'est extraordinaire.
33:54Il y avait ça, il y avait le camus politique
33:56ou le camus philosophe,
33:58et puis il n'y avait qu'homme. – Bien sûr.
34:00– Homme amoureux. – L'homme, c'est
34:02d'abord la fidélité au milieu d'origine,
34:04la famille, sans arrêt,
34:06il y revient, sa mère, c'est fondamental.
34:08Bon, le camus homme et les femmes.
34:10Mais je ne crois pas qu'il aurait été
34:12démolissable, si je puis dire,
34:14par un courant
34:16féministe à l'américaine.
34:18– Oui, vous dites qu'il aurait été étranger au
34:20petit tout, au hashtag, cette ère-là,
34:22il n'aurait pas du tout adhéré.
34:24– Je n'en sais rien, mais je pense qu'il n'aurait pas été
34:26tellement attaquable, parce que
34:28ce n'est pas du tout un prédateur, en fait.
34:30Il n'y a aucune masculinité toxique,
34:32je le dis pour employer les termes d'aujourd'hui
34:34chez lui, et
34:36on voit bien des témoignages de femmes qui l'ont aimé
34:38passionnément, passionnément.
34:40Même sa femme qui pouvait
34:42en souffrir, mais il y a quand même des
34:44attachements, ça n'a rien à voir avec le
34:46prédateur compulsif.
34:48– Je crois que là-dessus,
34:50en tout cas, je parle à titre totalement personnel.
34:52– Il n'y a pas du tout de don Juanis
34:54maladif ? – Oui, mais vous savez
34:56très très bien, la connerie contemporaine étant
34:58celle qu'elle est, on ne sait pas ce qu'il aurait été,
35:00mais il aurait été capable, puisqu'aujourd'hui,
35:02personne n'est à l'abri
35:04de la connerie
35:06woke, enfin, je le dis à titre personnel.
35:08– Vous parlez de quoi ? Vous parlez du
35:10fanatisme, en fait, pas de la connerie ?
35:12– Je parle du fanatisme
35:14qui s'apparente quand même à quelque chose,
35:16le fanatisme glauque, mais je reviens à ça,
35:18en fait... – Mais il aurait été furieusement
35:20défendu par Maria Casares, par exemple.
35:22– Ah oui, sûrement, comme Catherine Deneuve
35:24aujourd'hui défend un certain nombre de gens.
35:26Juste un mot, Hubert Védrine,
35:28au fond,
35:30Camus, c'est vrai, quand on regarde avec le recul,
35:32il avait cet extraordinaire sens
35:34de la nuance, il n'a jamais été manichéen.
35:36C'est ça qui est
35:38très frappant quand on le relit, enfin, je n'ai pas
35:40tout relu, mais c'est vrai que c'est quelqu'un
35:42qui avait ces mots extrêmement charnels,
35:44mais, vous le racontez dans votre livre,
35:46c'est pas quelqu'un qui était
35:48engagé, mais pas dans le côté
35:50c'est moi le corps du bien et c'est vous le corps du mal, quoi.
35:52– Il est très équilibré.
35:54D'ailleurs, il y a des passages
35:56où il se définit comme étant étranger
35:58au monde chrétien.
36:00Au monde chrétien, mais il n'y a pas d'animogité,
36:02il n'y a pas d'agressivité,
36:04mais c'est quand même un monde qui a déterminé
36:06le bien et le mal, quoi.
36:08Il y a la vérité et ce qui n'a pas été révélé.
36:10Donc, il est plutôt inspiré
36:12par l'idée qu'il se fait de la philosophie grecque.
36:14Il revient sans arrêt au principe
36:16d'équilibre, donc contre
36:18la démesure, contre l'hubris.
36:20Donc, il y a un élément fondamental
36:22chez lui qui le guide et qui,
36:24je crois, là on ne peut pas se tromper,
36:26il continue à le guider.
36:28– Juste un mot, avant de 58,
36:30De Gaulle arrive au pouvoir,
36:32il a pris position.
36:34– Alors, on dit qu'il l'a vu,
36:36mais il n'y a pas de résultat de l'échange.
36:38Mais si on reprend les
36:40conversations par exemple de Jean Daniel,
36:42dont je parle beaucoup parce qu'il a,
36:44quand même, ils se sont connus
36:46et puis Jean Daniel s'identifiait
36:48à lui à un certain moment. – Oui, vous dites de lui
36:50qu'il a été effectivement votre
36:52intercesseur avec le Camus
36:54chamanique, en quelque sorte. – Non, le chaman
36:56c'est Jean Daniel. Donc,
36:58l'intercesseur, pour moi,
37:00qui suis passionné par tout ça, je fais parler
37:02Jean Daniel chez un Camus, comme si,
37:04vous voyez, on faisait tourner les tables.
37:06– Mais Jean Daniel, il s'habillait comme Camus,
37:08il mettait son par-dessus
37:10quand même, l'imperméable.
37:12– Jean, que j'adorais,
37:14on a une relation magnifique,
37:16Jean Lagouture, Jean Daniel, on a une relation
37:18magnifique. À un moment donné,
37:20il avait dit qu'il s'était débarrassé de ce
37:22despotisme. Il avait sans doute
37:24été trop loin dans l'identification,
37:26dans le regard des autres. Il a
37:28une pensée à lui. Mais tout ce que
37:30Jean Daniel a écrit, qui a été rassemblé
37:32dans un lit passionnant,
37:34par Sarah Daniel et par son
37:36compagnon, est très très fort,
37:38c'est complètement camusien par rapport à ça.
37:40Et Jean Daniel dit sur
37:42l'affaire de l'Algérie que
37:44Camus était
37:46quand même plus lucide qu'eux.
37:48Plus tragiquement lucide,
37:50à l'avance. Donc, c'est
37:52pas absurde de lier les deux,
37:54en réalité. – Oui, la
37:56profondeur de leur désaccord sur
37:58l'Algérie a été la cause de la rupture
38:00de leur amitié.
38:02– Mais, je sais pas s'il y a
38:04eu une vraie rupture, en fait.
38:06– Ils ne se sont pas parlé pendant des années.
38:08– Oui, parce qu'il y a plein de gens
38:10qui ne se sont plus parlé.
38:12Et quand
38:14il y a le Nobel, et que
38:16Jean Daniel lui écrit,
38:18pour lire quand même son admiration,
38:20son affection, etc.
38:22Albert Camus
38:24lui répond
38:26en disant que l'essentiel, c'est que
38:28nous soyons, vous
38:30et moi, partagés.
38:32Là-dessus, que nous en souffrions.
38:34Donc, il y a quand même
38:36quelque chose, ils se seraient évidemment
38:38réconciliés après.
38:40Quand j'imagine, moi...
38:42– Et ils n'ont pas pu se réconcilier, effectivement, malheureusement.
38:44– Et quand j'imaginais Camus, l'ermite
38:46de Lourdes-Marins, là, j'imagine
38:48Jean Daniel, très souvent,
38:50j'imagine un long livre
38:52d'entretien, énorme, entre les deux.
38:54– Ah oui. – Baissez l'air !
38:56– Mais Camus se réoccupait
38:58du théâtre que Malraux voulait lui donner.
39:00– C'est vrai. – Ah oui, c'est ça.
39:02– Avec le Paris du théâtre.
39:04Là, on peut rêver.
39:06On peut rêver à Hubert Védrine, mais vous avez raison de rêver.
39:08– Et oui, Camus, notre rempart, on va continuer
39:10d'en parler dans un instant sur Sud Radio.
39:12À tout de suite.
39:14– Sud Radio, la culture dans tous ses états.
39:16André Bercoff, Céline Alonso.
39:18– L'obsession de la moisson
39:20et l'indifférence à l'histoire, écrite
39:22admirablement René Char,
39:24sont les deux extrémités de mon arc.
39:26Si le temps
39:28de l'histoire, en effet, n'est pas fait du temps
39:30de la moisson, l'histoire
39:32n'est qu'une ombre fugace et cruelle
39:34où l'homme n'a plus sa part.
39:36Qui se donne à cette histoire ne se donne à rien
39:38et à son tour n'est rien.
39:40Mais qui se donne au temps de sa vie,
39:42à la maison qu'il défend,
39:44à la dignité des vivants,
39:46celui-là se donne à la terre
39:48et en reçoit la moisson qui en se mence
39:50et nourrit à nouveau.
39:52Pour finir,
39:54ceux-là font avancer l'histoire,
39:56ils savent, au moment voulu,
39:58se révolter contre elle aussi.
40:00Cela suppose une interminable
40:02tension et la sérénité
40:04crispée dont parle le même poète
40:06mais la vraie vie
40:08est présente au cœur de ce déchirement.
40:10Elle est ce déchirement lui-même,
40:12l'esprit qui plane sur
40:14– Eh oui, l'homme révolté par Albert Camus,
40:16André Bercoff, Hubert Védrine,
40:18vous avez été ministre des Affaires étrangères
40:20de 1997,
40:22à 2002, aujourd'hui vous menez
40:24diverses activités, notamment
40:26des activités de conseil en géopolitique.
40:28Quelle analyse faites-vous
40:30du conflit au Proche-Orient ?
40:34– Moi j'admire
40:36la petite minorité
40:38en Israël
40:40qui à l'époque dite Sainte-Rabine
40:42s'était régignée
40:44à ce qu'il y ait un État palestinien
40:46et la minorité
40:48du côté palestinien qui s'était régignée
40:50à reconnaître
40:52l'existence d'Israël
40:54et son droit à la sécurité.
40:56Donc j'ai connu cette période extraordinaire,
40:58on pouvait espérer qu'il y ait une solution,
41:00qui a duré une quinzaine d'années,
41:02parce qu'il y a Rabine, le plus courageux,
41:04c'est l'homme le plus courageux que j'ai vu de ma vie,
41:06après il y a eu assassiné par un Israélien fanatique,
41:08après il y a eu Pérech,
41:10il y a eu Dolmert,
41:12il y a eu Oudbarak,
41:14et même Sharon à la fin.
41:16Et puis j'ai connu le contraste,
41:18c'est-à-dire la quinzaine d'années dominante
41:20de Netanyahou qui dit lui-même qu'il est le rempart
41:22contre l'état palestinien.
41:24Des côtés palestiniens aussi, il y avait une minorité...
41:26Moi je pense qu'il faut revenir à ça.
41:28Mais c'est deux minorités, très courageuses,
41:30menacées par leurs propres extrémistes,
41:32et si jamais ça redémarre,
41:34il faudra qu'ils soient très bien protégés,
41:36immédiatement,
41:38parce que ces gens-là ont été menacés dans leurs propres camps.
41:40Après il y a tout un cheminement,
41:42mais il y a eu beaucoup de tentatives
41:44qui n'étaient pas très loin d'une solution,
41:46qui ont échoué, donc aussi curieux
41:48que ça puisse paraître après les horreurs
41:50du 7 octobre et les horreurs de la guerre de Gaza,
41:52je ne suis pas totalement pessimiste.
41:54Il y a quand même pas mal de gens en Israël
41:56qui acceptent l'idée,
41:58comme étant l'idée de l'état palestinien
42:00qui est la seule qui peut garantir...
42:02Est-ce qu'il y a à votre avis des gens du côté palestinien et autres
42:04qui acceptent l'idée de l'état israélien ?
42:06Alors du côté palestinien c'est évident,
42:08mais il faut évidemment juguler
42:10les extrémistes maximalistes,
42:12Jean Ramas, Frère Moisulman,
42:14donc faire ressurgir
42:16le lecteur palestinien crédible au lieu de le démolir.
42:18Et du côté du monde arabe,
42:20les dirigeants s'en touchent
42:22pour un accord, et les peuples,
42:24s'il n'y a pas de solution pour les palestiniens,
42:26ils seront toujours opposés,
42:28s'il y a une solution, ils ont accepté,
42:30c'est gérable.
42:32La solution à deux états, c'est la seule possibilité,
42:34il n'y a pas d'alternative.
42:36Il y a d'autres scénarios, où Israël élimine
42:38tous les palestiniens,
42:40où les arabes éliminent Israël,
42:42un scénario monstrueux,
42:44il n'y a pas de solution, il n'y en a pas 36,
42:46c'est celle-là.
42:48Et à propos de l'Ukraine, vous avez déclaré
42:50au JDD le 19 février dernier,
42:52il faut empêcher par tous les moyens Vladimir Poutine
42:54de gagner, mais comment est-ce possible
42:56selon vous, Hubert Védrine ?
42:58C'est ce que les américains viennent de décider,
43:00en revotant finalement, même Trump
43:02était pragmatique,
43:04il a laissé les trumpistes,
43:06la chambre des représentants,
43:08voter les 61 milliards de dollars supplémentaires
43:10pour l'Ukraine,
43:12pour empêcher Poutine de gagner
43:14contre l'armée ukrainienne.
43:16Et moi je suis tout à fait d'accord avec Alain Biden depuis le début,
43:18empêcher Poutine de gagner,
43:20sans se laisser entraîner dans l'engrenage de la guerre
43:22à la Russie.
43:24C'est la bonne ligne.
43:26Et ce qu'il s'est passé récemment,
43:28ce qu'il s'est passé récemment,
43:30alors c'est un progrès,
43:32ça ne m'a pas étonné, parce que ce n'est pas possible
43:34pour l'Amérique, qui veut devenir numéro 1 mondial,
43:36en dépit des défis chinois,
43:38à cause des défis chinois,
43:40c'est pas possible de laisser perdre l'Ukraine.
43:42Mais cela dit, ça ne me conduit pas
43:44à imaginer une solution.
43:46Parce que même si c'est équilibré,
43:48ça conduit que ce soit Trump ou Biden
43:50à un moment donné une sorte d'enlisement,
43:52d'arrêt des combats,
43:54passer de ça à une négociation,
43:56une solution, c'est une autre paire de manches.
43:58Mais voilà où j'en suis.
44:00En fait, Hubert Védrine, vers
44:02l'Europe de l'Est compliquée,
44:04vous ne volez pas avec des idées simples.
44:06Non, d'abord je ne suis pas le général de Gaulle,
44:08puisque vous citez ses remarques
44:10sur le Proche-Orient.
44:12Ce n'est pas là où il a été le mieux, d'ailleurs.
44:14De Gaulle en 1943, sur le Proche-Orient.
44:16Un immense personnage.
44:18Donc il y a ce scénario sur l'Ukraine.
44:20Je pense comme les vieux réalistes américains
44:22qu'il aurait fallu traiter la question
44:24autrement, plus intelligemment,
44:26avec plus de ruse stratégique dans la décennie 90.
44:28Mais les dernières années,
44:30il fallait être plus dissuasif par rapport
44:32à Poutine. Et même si je ne crois pas
44:34qu'il veuille attaquer l'OTAN,
44:36alors que l'OTAN a quand même renforcé,
44:38réarmé, etc.
44:40Il ne faut pas
44:42créer d'occasion, ni d'ambiguïté.
44:44Donc je suis tout à fait favorable
44:46à l'augmentation de la défense
44:48des pays baltes
44:50ou les environs de la Moldavie, etc.
44:52Donc il ne faut pas être trop naïf.
44:54En tout cas, lisez, lisez
44:56Camus, Notre Rempart.
44:58On ne va pas faire
45:00du chrony, mais lisez
45:02le fondamental. Parce que
45:04Camus était l'écrivain du fondamental.
45:06Hubert Védrine, merci
45:08d'être venu sur Sud Radio. Tout de suite,
45:10vous retrouvez Brigitte Lahaie.