• il y a 7 mois
Alma Dufour, députée "La France insoumise" de Seine-Maritime

Elle a enfreint la loi pour défendre ses idées, essuyé des tirs de LBD pendant les manifestations des gilets jaunes. Puis elle a fini par se lancer en politique. Alma Dufour siège aujourd'hui dans le groupe LFI à l'Assemblée.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00 -Elle a enfreint la loi pour défendre ses idées,
00:02 a essuyé des tirs de LBD dans les manifs de Gilets jaunes,
00:05 puis elle a fini par se lancer en politique.
00:08 Mon invité siège aujourd'hui au sein du groupe LFI à l'Assemblée.
00:11 Musique intrigante
00:14 ...
00:25 Bonjour, Alma Dufour. -Bonjour.
00:27 -C'est pas tous les jours qu'on reçoit une députée
00:30 qui assume d'avoir été condamnée par la justice.
00:32 Vous étiez porte-parole des Amis de la Terre,
00:35 c'est une ONG écologiste.
00:37 Vous étiez allée décrocher le portrait d'Emmanuel Macron
00:40 dans une des mairies d'arrondissement de Paris
00:43 pour dénoncer l'inaction climatique.
00:45 Ca vous a valu une amende de 500 euros.
00:47 C'était du temps de l'activiste écolo Alma Dufour.
00:50 La députée Alma Dufour referait la même chose ?
00:53 -Bien sûr que non.
00:54 Justement, le rôle des activistes,
00:56 c'est de tirer la sonnette d'alarme
00:58 pour alerter les pouvoirs publics sur une situation
01:01 qui est devenue insupportable, qu'elle soit écologique ou sociale.
01:05 Et le rôle des politiques, c'est d'entendre la détresse du peuple,
01:09 qui peut s'exprimer de façon plus ou moins légale,
01:12 plus ou moins violente.
01:13 Le rôle d'un député, c'est de faire changer la loi,
01:16 mais de la respecter, du coup, évidemment.
01:18 -La désobéissance civile, vous l'avez aussi appliquée
01:21 dans un autre combat que vous avez mené
01:24 contre l'une des plus grosses entreprises au monde, Amazon.
01:27 Vous avez bloqué plusieurs sites du groupe
01:29 pour dénoncer les effets du e-commerce sur la planète
01:32 et sur l'emploi.
01:34 On va revoir en image ce à quoi ça ressemblait.
01:38 Derrière l'image, il y a une voix. La voix, c'est la vôtre.
01:41 -Aujourd'hui, nous intervenons sur ce site
01:46 pour alerter sur les désastres écologiques et sociaux
01:49 qu'enjoint la surproduction.
01:51 La fabrication et le transport sont polluants.
01:53 C'est la moitié des émissions de gaz à effet de serre.
01:56 Le stockage d'énergie vore est polluant.
01:58 Lorsque les produits ne sont pas vendus, ils sont détruits.
02:02 Amazon détruit plus d'emplois qu'il manquerait.
02:04 Il a besoin de deux fois moins d'employés
02:07 pour vendre la même quantité.
02:09 Les conditions de travail ont été dénoncées.
02:11 -Des blocages d'entrepôts Amazon, vous en avez fait plusieurs.
02:15 Là, c'était à Bretigny-sur-Or, je crois,
02:17 c'était le jour du Black Friday.
02:19 On voit que vous êtes peu nombreux.
02:21 Les gens qui travaillent,
02:23 il y a une prise de risque derrière ça.
02:25 Comment appréhende-t-on ça ?
02:27 -Il y a une prise de risque, évidemment,
02:29 parce que quand on s'en prend à une multinationale
02:32 dont les impacts sociaux et environnementaux sont connus,
02:35 c'est pas si simple.
02:36 C'est une multinationale qui emploie des gens sur site.
02:40 Là, il y avait aussi beaucoup de chauffeurs de poids lourd étrangers
02:43 qui ne comprenaient pas bien ce qui se passait.
02:46 C'est un autre problème des entrepôts logistiques.
02:49 Beaucoup de travailleurs sont détachés
02:51 dans des conditions déplorables.
02:53 Ils n'ont pas accès aux toilettes.
02:55 Il y avait une file de camions qui bloquait la circulation.
02:58 C'était dur, mais ça s'est très bien passé à l'intérieur du site,
03:02 parce que les syndicats d'Amazon et les salariés d'Amazon
03:05 savent bien que le modèle pour lequel ils travaillent
03:08 est négatif pour la société.
03:10 Les conditions de travail sont déplorables
03:12 à l'intérieur des entrepôts.
03:14 On a fini dans cette campagne
03:16 avec une sorte de convergence des luttes
03:19 entre les écolos, les travailleurs, les petits commerces,
03:22 et une lutte des classes au sens propre du terme.
03:25 -Derrière ce type d'action, il y a l'idée
03:27 que quelques individus peuvent faire plier une multinationale
03:30 qui fait 560 milliards de dollars de chiffre d'affaires.
03:34 -On a été un énorme caillou dans leurs chaussures,
03:36 parce qu'on a fait plus que bloquer les entrepôts,
03:39 on a fait annuler cinq projets d'entrepôt en France.
03:43 -Sur une quinzaine, c'est ça ?
03:45 -Sur une quinzaine. Et pendant le Covid,
03:47 la France est le seul pays où Amazon n'a pas gagné
03:50 des parts de marché, ce qu'il faut se rendre compte.
03:53 Pourquoi ? Les analystes économiques l'attribuaient
03:56 au mouvement anti-Amazon, dont on était la cheville ouvrière.
03:59 Ca m'a montré qu'avec de la détermination
04:02 du collectif et de l'intelligence appliquée au bon endroit,
04:05 on peut faire bouger énormément de choses.
04:08 J'ai porté une loi qui arrivait jusqu'à l'Assemblée
04:11 et jusqu'au Sénat, où les sénateurs pour tant de droits
04:14 ont voté pour le moratoire sur les entrepôts.
04:16 -On va en parler de l'épilogue. -De l'épilogue.
04:19 Mais au contraire, ça prouve qu'avec le peuple,
04:22 on peut tout. Et qu'il y a si peu de nombreux,
04:24 on a réussi à avoir un effet pareil.
04:26 Imaginez si des millions de personnes s'organisaient
04:29 comme on s'est organisés. -Dans les arguments
04:31 que vous portiez à l'époque, que vous portez aujourd'hui,
04:35 il y a cette idée que l'écologie ne peut fonctionner
04:38 que si elle est populaire, sociale.
04:40 Mais quand vous attaquez Amazon, vous attaquez
04:43 l'économie. -Oui, mais l'écologie sociale,
04:45 c'est l'écologie qui donne du travail aux gens
04:47 et qui crée de l'emploi en France et qui permet des bons salaires.
04:51 -Quand on vous voit en activiste qui enfreint les lois,
04:54 on se dit que vous avez dû naître un peu le point levé
04:57 dans le berceau. C'est pas du tout le cas.
04:59 Vous dites que vous avez eu un réveil militant assez tardif.
05:03 Pourquoi ? -Parce que je pense
05:04 que j'ai grandi dans une famille...
05:07 Ma mère est abstentionniste.
05:09 Mon père est plutôt de droite.
05:13 J'ai pas grandi dans une famille qui m'a éduquée au militantisme.
05:16 J'étais à la Sorbonne, mais en droit.
05:19 C'est pas non plus le foyer du militantisme.
05:21 -Vous vous sentiez pas concernée par les questions d'écologie ?
05:25 -Je me sentais surtout concernée par le social.
05:27 Par contre, j'ai grandi avec une mère
05:29 qui, pendant une grosse partie de ma vie, était au RSA,
05:33 et j'étais tiraillée dans ma famille
05:35 par des origines sociales différentes.
05:37 J'avais du mal à comprendre de quel côté je me situais
05:40 et comment fonctionnait le monde.
05:42 J'ai pris le temps de réfléchir.
05:44 -Qu'est-ce qui a provoqué le déclic
05:46 de l'engagement militant associatif ?
05:48 -Le déclic, c'est quand j'avais vraiment la rage, socialement.
05:52 J'ai vécu des choses dures.
05:53 J'ai vu des gens autour de moi vivre des choses très dures.
05:57 Ca a mûri dans ma tête, et d'un coup,
05:59 je me suis rendue compte qu'on pouvait faire des choses,
06:02 qu'on pouvait agir. Quand j'étais sûre de moi,
06:05 c'était grâce à des amis que j'avais
06:07 qui m'ont montré ces actions directes.
06:09 Je suis passée de rien à l'action directe,
06:12 sans même passer par la manifestation.
06:14 J'ai eu l'impression d'avoir un impact.
06:16 Ca a tout changé. -Fin 2019.
06:18 Votre engagement a pris une autre forme.
06:20 Quand les Gilets jaunes se sont mobilisés,
06:23 vous les avez rejoints et continuez à les soutenir.
06:26 Votre suppléant lui-même est un ancien leader
06:28 des Gilets jaunes près de Rouen.
06:30 Qu'est-ce qui fait que la militante écolo
06:33 est dans le combat de ceux qui dénonçaient
06:35 la hausse des taxes contre le carburant ?
06:38 -Quand j'ai compris que les Gilets jaunes manifestaient,
06:41 parce que ceux qui bossaient,
06:42 même avec un SMIC, ils n'arrivaient pas
06:45 à nourrir leurs gosses,
06:46 il y avait une dame qui racontait qu'elle devait couper
06:49 les stacks hachés en deux pour en donner une moitié à elle,
06:53 une moitié à son enfant.
06:54 Quand on bosse dans des secteurs comme la logistique,
06:57 l'agroalimentaire, j'ai vu une colère sociale
07:00 s'exprimer de façon très forte sur une question écolo,
07:03 mais au moment où on baissait l'impôt sur la fortune,
07:06 il faut raconter l'histoire.
07:08 On augmentait les taxes sur les pauvres
07:10 pour combler le budget troué par les baisses de taxes sur les riches.
07:14 J'ai compris qu'il n'y aurait pas d'écologie,
07:16 si on se rendait pas compte que pour les classes populaires,
07:19 c'est pas aussi facile d'être écolo.
07:22 On a pas de transport en commun, on a besoin de sa voiture.
07:25 Augmenter de 10 centimes le prix de la taxe sur l'essence,
07:28 ça vous coûte peut-être 100 euros de plus à la fin du mois
07:32 pour votre travail, comme chez moi,
07:34 où les gens vivent loin de leur travail.
07:36 -Est-ce que cet engagement aux côtés des Gilets jaunes
07:39 vous a radicalisé, vous a rapproché d'un engagement politique ?
07:43 -Oui. Ca a été le tournant de ma vie.
07:46 Déjà, pour les gens que j'ai vus,
07:48 pour la beauté des gens que j'ai vus,
07:50 le courage des gens que j'ai vus.
07:52 Et puis, parce que j'ai découvert la brutalité de l'Etat,
07:57 d'un gouvernement qui se sent menacé par son peuple,
08:01 on était dans un moment quasi révolutionnaire, à ce moment-là.
08:04 J'ai vu que tous les grands distours de "on écoute les Français",
08:08 "ils ont le droit de s'exprimer", etc.,
08:10 se sont d'un coup arrêtés face à une vague de colère
08:14 qu'on n'avait jamais vue depuis très longtemps.
08:17 Et d'un coup, la répression s'est déchaînée.
08:19 -Vous-même, vous avez été ciblée ?
08:21 -J'ai été ciblée, alors que je ne faisais rien.
08:24 Je précise, parce que les gens s'imaginent souvent
08:27 que quand on se prend un tir de LBD, on l'a bien cherché,
08:30 on jette des cocktails sur la police,
08:32 on casse des vitrines, etc.
08:34 Et les gens que je connais qui ont été éborgnés, aussi,
08:37 l'ont été en faisant rien.
08:38 -Un autre élément a accéléré votre engagement politique.
08:42 Vous l'avez évoqué, c'est début 2021,
08:44 le vote de la loi climat.
08:45 Vous aviez fait du lobbying auprès des députés,
08:48 vous aviez convaincu certains de voter un moratoire
08:51 sur les installations d'entrepôt Amazon,
08:53 et tout ça a été balayé d'un revers de main par la majorité.
08:57 -Excessivement en colère.
08:58 -Vous vous êtes engagée au sein de l'AFI.
09:01 -C'était dans le cadre d'une CMP, une commission mixte paritaire,
09:04 où c'était super flou, on n'y comprenait rien.
09:07 -Vous vous êtes dit, autant faire la loi soi-même,
09:10 y aller pour faire la loi soi-même.
09:12 -Franchement, trois ans et demi de ma vie
09:14 à monter une coalition avec des petits commerçants,
09:17 des syndicats, des travailleurs Amazon,
09:19 tout ça pour être balayé par une quinzaine de députés
09:22 qui étaient lobbyés, qui ne comprenaient pas le sujet,
09:25 ça m'a rendue folle.
09:27 -Vous êtes allée au sein de l'AFI, législative,
09:29 près de Rouen, dans la banlieue de Rouen,
09:32 là où vous aviez combattu l'installation d'un entrepôt.
09:35 Après votre élection, vous avez fait le buzz
09:37 en publiant une vidéo tournée dans les couloirs de l'Assemblée.
09:41 C'était juste avant l'utilisation du 49.3 par Elisabeth Borne.
09:44 -49.3 pour le climat, du coup, c'est ça ?
09:47 -Je pense pas qu'on peut pas dire ça.
09:49 -Bah si.
09:50 -C'était historique, madame. Vraiment.
09:52 -Vous savez très bien qu'on ne peut pas dépenser.
09:55 -On ne peut pas dépenser 15 milliards d'euros.
09:58 -Je sais bien que si.
09:59 Tous les crédits d'impôt que vous faites,
10:01 la suppression de la CVAE...
10:03 -Non, mais ne laissez pas croire qu'on peut multiplier
10:06 par sept, du jour au lendemain, les dépenses de rénovation.
10:10 -Les scientifiques le disent.
10:11 -Ce qui a pu surprendre, c'est la méthode.
10:14 Filmer la Première ministre dans les couloirs de l'Assemblée,
10:17 ça ne s'était jamais fait.
10:19 Vous aviez préparé votre coup ? -Pas du tout.
10:21 -La caméra filme déjà quand Elisabeth Borne est en haut des marques.
10:25 -Je suis passée dans la cour
10:27 et j'ai vu des collaborateurs de la France Insoumise.
10:30 Je n'étais pas préparée.
10:31 J'y suis allée pour rentrer dans l'hémicycle.
10:34 Ils m'ont dit qu'elle allait sortir.
10:36 J'ai couru, je me suis retrouvée devant elle.
10:39 -C'est la députée activiste qui est entrée en action ?
10:42 -C'était mes réflexes d'activiste,
10:44 parce qu'on avait, à ce moment, toutes les oppositions,
10:47 il faut quand même le dire, donc la droite aussi,
10:50 qui avaient voté pour 15 milliards
10:52 pour la rénovation thermique des logements.
10:55 C'était important quand il y a eu la crise du gaz, de l'électricité.
10:58 On s'est fait balayer à coups de 49.3,
11:00 y compris quand toutes les oppositions
11:02 se mettent d'accord. -Un autre combat
11:05 que vous avez mené en tant que militante dans une ONG
11:07 a progressé à l'Assemblée ces derniers jours.
11:10 C'est le combat contre la "fast fashion",
11:12 la mode jetable, avec une proposition de loi d'horizon
11:15 qu'LFI a votée.
11:17 Est-ce que vous diriez que la députée Alma Dufour
11:19 a récolté là les fruits du combat de la militante activiste ?
11:23 -Je crois bien que oui.
11:24 Je crois bien que oui, parce que les gens qui ont inspiré
11:27 cette loi auprès de La Rapporteur
11:29 sont, en fait, les gens, les amis de la Terre,
11:32 sont le collectif en mode climat,
11:34 des entreprises avec qui je travaillais à l'époque,
11:37 du "made in France", et c'est quelque chose
11:39 qu'on poussait depuis 4 ans, et ça a enfin fait son chemin.
11:42 C'est un des moments les plus heureux que j'ai eus,
11:45 c'est-à-dire de pouvoir contribuer,
11:47 et j'ai beaucoup donné de ma personne en commission,
11:50 pour en faire une loi, si elle va jusqu'au bout
11:53 et je pourrais révolutionner le secteur sur une dizaine d'années.
11:56 -On va passer à notre quiz, à présent,
11:58 pour conclure l'émission.
12:00 Vous allez devoir compléter les phrases que je vais vous proposer.
12:03 "Quand on a été élève à la Légion d'honneur..."
12:06 -Ca a été très dur. -Vous avez mal vécu ?
12:09 -Oui, très, très mal vécu.
12:11 -Vous avez un grand-père qui était résistant
12:14 et qui a été décoré de la Légion d'honneur,
12:16 et ça vous a ouvert les portes de cet établissement.
12:19 -Donc, une élite, une formation de très haute qualité,
12:22 beaucoup trop de filles de droite, très à droite, trop pour moi.
12:26 -Antoine Dupont et moi.
12:28 -Je le connais depuis qu'il a 10 ans.
12:30 -Vous le connaissez ? -Oui.
12:32 De loin, c'est un petit, mais je peux vous dire
12:35 qu'à 10 ans, il était déjà massif, un mètre sur un mètre.
12:38 -Vous êtes née dans le même village.
12:40 -Ma famille vient du même village.
12:42 -Parfois, j'aimerais ne pas être députée pour pouvoir encore...
12:46 -Pour pouvoir encore prendre le métro sans qu'on me reconnaisse.
12:52 -Vous vivez la notoriété mal ?
12:54 -Je le vis bien, parce que pour l'instant,
12:56 les gens me disent merci, me faire des câlins,
12:59 mais on a envie d'écouter sa musique, d'avoir sa capuche...
13:02 -Tranquille. -C'est plus trop possible.
13:05 -Merci, Elma Dufour, d'être venu dans "La Politique".
13:08 -Merci à vous.
13:10 Générique
13:13 ...

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