Deux ans de guerre en Ukraine, cyberattaques Russes : Sébastien Lecornu, Ministre des Armées est l'invité exceptionnel de RTL Matin.
Regardez L'invité de RTL du 22 février 2024 avec Amandine Bégot.
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00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Jusqu'où la France va-t-elle aller pour soutenir l'Ukraine face à la Russie ?
00:14 Amandine, vous recevez ce matin le ministre des armées Sébastien Lecornu.
00:17 Sébastien Lecornu, samedi ça fera deux ans qu'a débuté cette guerre en Ukraine. Deux ans c'est extrêmement long et on a l'impression depuis plusieurs mois que la ligne de front ne bouge pas.
00:27 Ou en tout cas qu'elle bouge très peu. Est-ce que l'Ukraine peut encore gagner cette guerre ?
00:31 Oui, ce genre de guerre aussi nous réapprend à nos autres occidentaux et nos opinions publiques aussi ce que c'est que la patience et l'endurance.
00:38 Au fond, on a eu plusieurs phases quand même dans la guerre. Février 2022, début de l'agression par la Russie de l'Ukraine.
00:44 Grande guerre de mouvement, on se rappelle des armées russes qui rentrent en Ukraine, qui vont d'ailleurs jusqu'à Kiev.
00:49 On se rappelle aussi les massacres de Boucha et l'Ukraine qui globalement avait quand même préparé des plans de défense assez performants,
00:56 se lance dans une contre-offensive qui permet de repousser les armées russes jusqu'à l'hiver 2022-2023.
01:03 Un hiver particulièrement rude, on le sait, qui sèche en quelque sorte cette ligne de front.
01:07 Et puis au printemps dernier, printemps 2023, une contre-offensive qui n'a pas fonctionné comme nous le souhaitions, comme les Ukrainiens le souhaitaient.
01:14 Mais il faut bien le comprendre qu'il n'a pas non plus permis à la Russie de reprendre la main.
01:18 Et donc vous avez au fond une situation qui se stabilise sur la ligne de front, pratiquement de 900 km.
01:23 Peut-être un chiffre intéressant, depuis le 1er janvier, vous avez un grignotage de la partie russe vers la partie ukrainienne,
01:30 qui est aussi grande que le département des Hauts-de-Seine.
01:32 Donc de fait, vous avez raison, la ligne de front s'installe, parfois elle bouge de quelques mètres, parfois seulement de 4 ou 5 km.
01:39 Et donc il y a une forme d'endurance qui va se créer, parce que bientôt la "raspiditsa", c'est-à-dire le dégel,
01:44 avec la part de boue malheureusement qui va avec, qui va limiter les initiatives terrestres,
01:49 ce qui explique aussi pourquoi la Russie mène des frappes dans la profondeur, notamment sur les infrastructures civiles.
01:54 Et donc évidemment, une nouvelle page qui va s'ouvrir dans cette guerre, dans les semaines qui vont venir.
01:59 Cette guerre, la Russie ne l'amène pas que sur le terrain militaire à proprement parler.
02:03 Vous avez récemment évoqué des menaces, des tentatives de sabotage contre nos propres armées.
02:08 Est-ce que vous pouvez, très concrètement ce matin, nous donner quelques exemples ?
02:12 Il y a évidemment plusieurs choses à retenir.
02:14 Le comportement de la Russie en 2024 n'est plus du tout celui qu'on a pu connaître en 2022,
02:20 et évidemment avant l'agression à l'égard de la France, de l'ensemble des alliés européens,
02:25 américains compris, Amérique du Nord compris, mais singulièrement européens.
02:30 Ça s'explique, comme je le disais, par le fait que la Russie est en difficulté sur le champ de bataille en Ukraine.
02:35 Et de fait, oui, vous avez désormais des interactions qui sont autrement plus agressives,
02:39 par exemple avec nos forces armées. Vous avez, au moment où on se parle, des patrouilles en mer,
02:43 des patrouilles aériennes qui permettent de garantir des libertés d'action en Méditerranée,
02:48 en mer Baltique, en mer du Nord, en mer Baltique plus rarement, mais en tout cas aussi en mer Noire,
02:53 évidemment aujourd'hui. Et oui, vous avez des interactions, c'est-à-dire des tentatives de prise de contrôle
02:59 de la part des Russes, d'un certain nombre de nos patrouilles.
03:02 Typiquement, il y a un mois, pour vous donner un exemple très concret,
03:05 un système de contrôle aérien russe a menacé d'abattre des avions français en mer Noire,
03:11 alors que nous étions dans une zone internationalement libre dans laquelle nous patrouillons.
03:16 - C'est-à-dire que vous recevez un message au moment où l'avion est en train de partir ?
03:19 - Clairement, vous avez des opérateurs russes qui menacent des pilotes français d'abattre leurs aéronefs.
03:24 Vous avez de cela quelques mois, un navire de guerre russe qui a mouillé en Betsen,
03:28 dans les limites des eaux territorialement, évidemment, autorisées,
03:31 comme pour venir intimider en quelque sorte la France.
03:35 Donc il faut bien comprendre que c'est vieux comme la guerre froide, si je peux me permettre cette expression,
03:39 mais que de nouveau, nous avons le retour d'un positionnement russe particulièrement agressif.
03:43 Et à cela se rajoute le cyber, l'informationnel, le chantage énergétique,
03:47 et donc on voit bien que la Russie joue avec les seuils, en quelque sorte, en matière d'agressivité.
03:52 - La Russie est en guerre contre la France, contre les puissances occidentales qui soutiennent l'Ukraine ?
03:57 - Plus sournois et plus pervers que cela, c'est aussi le principe de la guerre froide, rappelez-vous,
04:02 c'est de jouer avec les seuils. Et donc oui, vous avez une posture d'agressivité.
04:06 Parfois les attaques sont frontales et directes, c'est vrai, sur le terrain cyber.
04:09 Pour prendre encore un exemple peut-être concret, pour illustrer les choses,
04:12 il y a de cela maintenant quelques mois, une entreprise de défense importante française,
04:17 je vais taire son nom, mais qui a réussi à repousser cette attaque cyber,
04:20 mais a vu une agressivité russe particulière pour tenter de saboter un certain nombre d'éléments de production,
04:27 de munitions en espèce, ou de matériel ou d'équipement militaire, avec une attaque cyber frontale.
04:33 Et ça on va le voir de plus en plus, et c'est important pour nos auditrices, nos auditeurs,
04:37 sur des infrastructures civiles, sur des mairies, sur des hôpitaux.
04:41 - On a vu un certain nombre d'attaques contre des hôpitaux.
04:44 - Classiquement, on a plutôt une menace cyber qui peut plutôt être criminelle, à des fins de chantage, de rançonnage,
04:48 mais en fait on voit bien derrière, quand on enquête, quand on remonte, quand on attribue ces attaques,
04:52 de plus en plus ce sont des proxys russes qui sont derrière, avec toute la déstabilisation que cela peut donner,
04:57 y compris pour notre économie, pardon, mais y compris pour une radio comme RTL.
05:00 - Avec aussi une diffusion de fausses informations, vous le disiez,
05:04 et là encore à chaque fois qu'on remonte le fil, ça vient de Russie.
05:07 - Oui, alors ça c'est aussi très guerre froide,
05:10 avoir effectivement dans le champ informationnel démocratique, injecté des informations qui sont fausses,
05:17 on se rappelle tous par exemple du faux charnier de Gossie, Gossie c'est au Mali,
05:20 l'armée française venait de quitter effectivement ce camp, qui était un camp français pendant des années,
05:24 et des soldats de Wagner à l'époque avaient déterré des cadavres d'un charnier,
05:29 pour reconstituer un faux charnier sur le terrain militaire français,
05:32 pour accuser l'armée française d'un crime de guerre qu'elle n'avait pas commis.
05:35 Et ça, ça dit aussi quelque chose de la manipulation macabre,
05:38 avec évidemment, en pariant sur la crédulité parfois de nos concitoyens,
05:42 avec les caisses de résonance des réseaux sociaux, des fermatrolls,
05:45 des robots qui viennent en plus derrière donner une caisse de résonance particulière.
05:49 - Ces menaces, elles s'intensifient clairement, ces intimidations vous les évoquiez,
05:53 d'un mot, est-ce qu'il faut s'inquiéter à l'approche des élections européennes, à l'approche des JO aussi ?
05:58 - Oui, alors je ne mettrais pas forcément les deux sur le même plan,
06:01 pour les Jeux Olympiques évidemment, ça fait l'objet d'une concentration particulière des services,
06:06 Direction Générale de la Sécurité Intérieure sous l'autorité de Gérald Darmanin,
06:09 et la Direction Générale de la Sécurité Extérieure.
06:11 Pour les élections européennes, c'est une certitude,
06:13 parce que déjà en Europe, tous les pays de l'Union Européenne vont voter le même jour.
06:17 Donc par définition, ça crée une fragilité, puisque chaque démocratie va organiser son temps électoral,
06:23 et donc oui, il peut y avoir une veilléité de la Fédération de Russie,
06:27 soit d'injecter des faux contenus pour avoir un faux débat,
06:30 et pour troubler l'électeur au moment où il s'exprime,
06:33 voire même être dans une tentative d'approche des différents candidats aux élections européennes,
06:37 peut-être jouer sur la composition des listes, il est trop tôt pour le dire,
06:41 mais il y a un certain nombre d'agissements qui sont tout à fait curieux.
06:43 - Et ce qui est sûr, M. le ministre, c'est que la France va continuer à aider l'Ukraine.
06:47 Emmanuel Macron l'a redit il y a quelques jours,
06:49 il s'est engagé vendredi à donner 3 milliards d'euros d'aides supplémentaires.
06:53 Deux jours plus tard, Bruno Le Maire annonçait 10 milliards d'euros d'économies.
06:56 Le décret d'ailleurs vient tout juste d'être publié ce matin.
07:00 Est-ce que vous comprenez, Sébastien Lecornu, que certains Français s'interrogent ?
07:04 Qu'ils ne comprennent pas que d'un côté on donne 3 milliards d'euros à l'Ukraine,
07:08 dans une guerre, on le disait, qui a du mal à avancer,
07:12 où on se demande même presque à quoi sert cet argent,
07:14 et en même temps, on demande au gouvernement français de faire des économies.
07:18 Ça peut troubler, interroger.
07:19 - Alors moi je comprends déjà que le contribuable puisse se poser la question,
07:22 et c'est le rôle du gouvernement d'y répondre.
07:24 En tout cas, moi je le vois bien dans l'heure, ou chez moi à Vernon,
07:26 les questions qui me vont être posées.
07:27 Peut-être un point de forme, parce que j'ai vu beaucoup de contre-vérité sur les réseaux sociaux,
07:31 cette aide militaire qu'on apporte à l'Ukraine,
07:34 ce n'est pas des virements, ou de l'argent que l'on donne à l'Ukraine.
07:37 - Un sec qu'on fait à l'Ukraine.
07:39 - Exactement. Ce sont des lignes de crédit que l'on ouvre,
07:41 pour les industriels français,
07:43 Nexter par exemple, MBDA pour produire des missiles,
07:46 Thales pour produire des radars,
07:48 qui donc créent l'activité sur le territoire national français,
07:52 et permet ensuite de donner ses armements à l'Ukraine.
07:54 - Et l'Ukraine en paye une partie d'ailleurs, notamment les canons César ?
07:57 - Alors parfois l'Ukraine achète des choses.
07:58 Typiquement les canons César, l'Ukraine en achète une partie,
08:00 et vous avez aussi parfois des remboursements européens qui peuvent se produire.
08:04 Après ça pose une question plus redoutable.
08:06 Quel est le prix de notre sécurité ?
08:08 Et comme on n'est plus au 16ème, au 17ème, au 18ème siècle,
08:11 où votre sécurité démarre à la frontière terrestre du pays,
08:15 les temps ont changé, il suffit de voir les prix à la pompe,
08:17 depuis deux ans maintenant, pour voir qu'il y a des effets de cette guerre,
08:20 directement sur nos intérêts du quotidien,
08:23 il est certain que la sécurité de l'Europe,
08:27 passe par une victoire ukrainienne.
08:29 Et qu'au fond, il y a un narratif aussi qui monte,
08:31 qui dit, peu importe ce qui va se passer à la fin,
08:33 eh bien non, une victoire russe ou une victoire ukrainienne,
08:36 ça ne se vaut pas.
08:38 Ça ne sera pas la même architecture de sécurité en Europe,
08:40 ça n'aura pas le même impact pour nous.
08:42 Est-ce que vous ajouteriez quoi qu'il en coûte ?
08:44 Pour reprendre une expression qu'on a...
08:46 Non, parce que c'est l'argent quand même du contribuable,
08:48 et que de là où je suis, je fais attention à ce que chaque euro dépensé
08:50 pour l'aide militaire à l'Ukraine, déjà, est toujours une retombée pour nous-mêmes,
08:54 soit parce que ça nous apporte quelque chose.
08:56 Pourquoi aussi on produit plus de canons César aujourd'hui qu'il y a deux ans ?
08:59 Parce que cette aide à l'Ukraine a permis aussi de financer indirectement
09:02 une transformation de l'industrie française.
09:04 On essaie aussi de faire attention à ça, et je rajouterais aussi un dernier point,
09:07 c'est la ligne rouge qu'avait donnée la présidente de la République,
09:09 et j'y vais scrupuleusement, en aucun cas cela ne porte atteinte
09:12 à notre propre défense ou à nos propres efforts de réarmement.
09:15 Ça n'affaiblit pas l'histoire de l'armée française.
09:17 On ne peut pas dire qu'on est en danger d'un côté et de l'autre,
09:19 évidemment, freiner ce réarmement.
09:21 Sébastien Lecornu, il n'y a pas que la guerre en Ukraine,
09:23 il y a aussi cet autre conflit à nos portes, à moins de 5 heures d'avion de Paris,
09:26 celui qui oppose l'Arménie à l'Azerbaïdjan.
09:28 La France, d'ailleurs, livre du matériel militaire à l'Arménie.
09:31 Oui, je vais me rendre en Arménie tout à l'heure,
09:34 avec une délégation importante de parlementaires et d'administrateurs.
09:36 C'est la première fois qu'un ministre de la Défense ou des armées français sera en Arménie.
09:40 Première fois dans toute l'histoire.
09:41 Dans toute l'histoire, et je crois que la dernière visite d'un ministre de la Défense tout court,
09:44 occidental ou autre, ça a été il y a 10 ans.
09:46 Donc ça dit évidemment quelque chose.
09:48 Oui, l'Arménie, qui est un pays ami avec lequel la France a une relation particulière,
09:52 je crois qu'on l'a encore vu hier soir évidemment au Panthéon,
09:54 avec la cérémonie présidée par Emmanuel Macron,
09:56 on a une relation particulière.
09:58 Il faut comprendre que l'Arménie est face à un défi de sécurité majeur,
10:00 avec un enjeu de souveraineté, de protection de ses frontières,
10:04 lié effectivement à ce nombre de menaces qui peuvent parvenir et venir d'Azerbaïdjan.
10:08 Il y a des processus de discussion en cours,
10:10 mais il en va de notre responsabilité d'aider l'Arménie,
10:13 tout simplement à assurer une posture de dissuasion et de défense.
10:16 Donc mon propos est purement défensif,
10:18 mais comment effectivement on permet à Erevan d'avoir des dispositifs de main de défense sol-air,
10:23 si jamais il y avait une attaque sur la capitale,
10:25 comment on peut mettre des véhicules de transport de troupes blindés,
10:28 pour faire en sorte que les soldats arméniens ne soient pas en danger.
10:32 Donc c'est de la dissuasion, ce n'est pas faire la guerre à proprement parler.
10:35 De toute façon la France n'est jamais dans une position d'escalade,
10:38 c'est notre diplomatie historique et évidemment nous la poursuivrons.
10:41 Toute dernière question Sébastien Lecornu,
10:42 vous êtes beaucoup impliqué dans les négociations après les attaques du Hamas contre Israël,
10:46 vous êtes rendu sur place dans la région à plusieurs reprises.
10:49 Il reste un peu plus de 130 otages,
10:51 132 otages d'après les derniers décomptes de l'armée israélienne,
10:55 parmi eux trois français.
10:56 Alors je sais bien sûr que c'est toujours très délicat de vous demander des informations
11:01 pour des raisons évidentes de sécurité,
11:03 mais est-ce que vous avez des informations récentes les concernant,
11:06 des preuves de vie par exemple ?
11:07 Le fait c'est délicat,
11:09 on entretient évidemment un contact permanent avec les familles,
11:12 par l'ambassade et le consulat général à Tel Aviv.
11:15 Les discussions se poursuivent par des canaux diplomatiques,
11:18 par les canaux liés aussi à nos services,
11:20 qui sont en pointe, c'est une priorité absolue pour nous.
11:23 Ça explique aussi ce pourquoi, en plus évidemment des sujets éminemment préoccupants
11:27 sur le terrain humanitaire,
11:29 de ce qui se passe à Gaza,
11:31 nous aplonçons sans délai à une trêve des combats,
11:33 puisque nous le savons bien, il n'y a pas de libération de tâches possibles sans trêve.
11:38 Merci beaucoup monsieur le ministre.
11:40 Merci pour votre invitation.
11:41 des pilotes francs.
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