SMART BOURSE - Banques centrales : enjeux 2024

  • il y a 8 mois
Jeudi 25 janvier 2024, SMART BOURSE reçoit Gilles Moëc (Chef économiste, Groupe Axa)

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00:00 [Musique]
00:10 Le dernier quart d'heure de Smart Bourse, c'est le quart d'heure thématique.
00:12 Le thème ce soir, c'est celui de la politique monétaire et des enjeux pour les banques centrales au démarrage de cette année 2024,
00:18 dans le sillage de la première réunion de l'année pour la Banque Centrale Européenne.
00:22 Et c'est Gilles Mouet qui est avec nous en visioconférence, chef économiste du groupe AXA.
00:26 Bonjour et bienvenue Gilles. Merci beaucoup d'être avec nous.
00:29 Alors évidemment, on n'attendait pas de surprises dans les grandes lignes de la communication de la BCE,
00:34 tant les banquiers centraux européens se sont exprimés ces derniers jours,
00:37 et notamment à l'occasion du Forum économique de Davos.
00:40 Mais je trouve quand même les efforts de pédagogie de Christine Lagarde qu'il faut saluer,
00:44 qui ont été assez importants au cours de cette réunion.
00:47 Elle s'est apesantie notamment sur la partie salariale,
00:52 qui reste l'obsession ou la crainte obsessionnelle effectivement de certains banquiers centraux européens.
00:57 Mais pour expliquer effectivement quelles sont les typologies de données que regarde la BCE aujourd'hui,
01:02 et ce qu'il va faire à un moment la décision de baisser les taux.
01:08 C'est vrai, on a eu des explications assez longues, assez détaillées de la part de Christine Lagarde
01:14 sur la manière dont la BCE va faire son position sur le diagnostic.
01:20 Mais il y avait quand même des messages intéressants et des changements assez marquants, je trouve,
01:24 par rapport à la toute dernière communication de la BCE.
01:28 Parce que Christine Lagarde la semaine dernière avait été quand même assez au quiche dans ses commentaires à Davos.
01:34 Elle a été directement critiquée à le pricing du marché sur les attentes de baisser les taux.
01:40 Tout le monde, y compris moi-même, s'attendait à ce qu'elle aille plus loin,
01:44 ou en tout cas qu'elle réplique cette critique des attentes du marché aujourd'hui.
01:49 Elle ne l'a pas vraiment fait.
01:51 On a senti peut-être pour la première fois depuis longtemps une BCE qui est effectivement data-dependant,
01:59 qui est effectivement dépendante du flux de données,
02:02 qui ne veut pas donner trop de guidances au marché,
02:07 qui ne veut pas être trop claire, trop précise dans le timing de ses décisions futures.
02:14 Peut-être parce que, en toute bonne foi,
02:17 la BCE aujourd'hui ne sait pas très bien ce qui va se passer dans les mois qui viennent.
02:22 Donc il y a ce message général relativement confiant sur la baisse de l'inflation.
02:30 C'était quand même assez clair et je l'ai trouvé plutôt plus confortable que ce qu'on avait eu,
02:35 beaucoup plus confortable que ce qu'on avait eu au mois de décembre.
02:37 Donc une BCE assez confiante.
02:40 Un message assez curieux, là pour le coup, j'ai vraiment pas compris,
02:44 sur des données conjoncturelles qui indiqueraient plutôt le début d'une reprise.
02:49 J'ai plutôt l'impression qu'il faut un microscope pour les trouver dans les données actuelles.
02:53 Et sur les salaires, effectivement, un discours très nuancé,
02:57 avec cette idée que contrairement à ce qui a été dit il y a quelques semaines,
03:01 on attendra les données de la fin du printemps avant de savoir si effectivement les salaires commencent à se stabiliser.
03:08 Cette idée que non, en fait, on a tout un tas d'indicateurs, un peu en real time,
03:12 qui vont nous permettre peut-être de prendre une décision un peu plus tôt.
03:16 Tout ça est effectivement intéressant, parce que une BCE qui regarde les données de près, c'est toujours rassurant,
03:24 mais moins au quiche quand même que ce qui était dans le tube,
03:29 depuis, encore une fois, une interview à Davos qui était quand même incroyablement claire.
03:33 Est-ce qu'on a les germes d'un pivot, là, Gilles, pour le dire clairement ?
03:38 Oui, très clairement.
03:40 Et est-ce que l'horizon du mois de juin, effectivement, qui semble être l'horizon a minima pour la BCE,
03:47 en tout cas pour le consensus qui se semblait se dessiner au cœur du Conseil des gouverneurs,
03:52 est-ce que ça ouvre la possibilité, si nécessaire, à peut-être raccourcir un peu ce calendrier qui était celui d'il y a quelques jours ?
04:04 Oui, peut-être. Le marché au mois de décembre et encore au début du mois de janvier,
04:12 attendez, une première baisse des taux au mois de mars, ça va être toujours paru très irréaliste, disons.
04:19 Moi, depuis très longtemps, je suis sur juin, et j'étais plutôt conforté dans cette idée que c'était juin,
04:25 par tout ce discours de la BCE sur « on n'aura pas beaucoup de données sur les salaires, on veut vraiment savoir ce qui se passe »,
04:31 on ne saura ça qu'à la fin du printemps, donc moi, j'avais traduit ça comme « juin ».
04:34 Et je pense que pour la plupart des économistes, ce n'était pas le cas du précis de marché, mais juin, c'était juin au plus tôt.
04:40 Et aujourd'hui, j'aurais plutôt tendance à dire « c'est peut-être plutôt juin au plus tard, et peut-être que ça vient au mois d'avril ».
04:47 Pour le coup, je n'ai quand même pas envie de changer de base line et de dire « oui, oui, si, si, c'est avril »,
04:53 parce que j'ai quand même l'impression que pour que ce soit avril, il faudrait que le flux de données dans son intégralité soit parfait d'ici avril.
05:06 C'est-à-dire qu'on est à la poursuite du ralentissement de la pression sous-jacente,
05:09 on s'en casse à contenir effectivement ces données en temps réel sur les salaires qui aillent dans le bon sens.
05:15 Donc il faut vraiment une configuration idéale pour arriver à une baisse des taux en avril.
05:19 Mais autant, pour les semaines dernières, avril, n'y pensons pas, c'est vraiment totalement irréaliste,
05:25 aujourd'hui, je pense que oui, effectivement, c'est possible.
05:27 Ça me paraît toujours un peu compliqué, mais ça me paraît possible.
05:30 Y a le prochain print d'inflation, c'est la semaine prochaine, je crois, Gilles.
05:35 Alors, y a le jeu des effets de base qui a joué dans un sens, qui va commencer à jouer dans un sens peut-être plus favorable pour nous aussi, Gilles,
05:44 en tout cas pour la mécanique de désinflation.
05:47 Christine Lagarde le reconnaît elle-même.
05:49 On voyait venir le rebond de l'inflation en décembre, néanmoins, le rebond qu'on a constaté était moins important
05:56 que ce qu'on pouvait anticiper nous-mêmes à la Banque Centrale Européenne.
06:00 Est-ce que sur la marque du mois de janvier, la semaine prochaine, est-ce qu'on peut avoir de vraies surprises positives, y compris sur l'inflation cœur ?
06:09 Le problème, c'est qu'on va avoir énormément de bruit dans les prix à la consommation, au moins sur le mois de janvier,
06:17 et probablement sur la totalité du premier trimestre, parce qu'on a énormément de décisions prises par les États membres,
06:22 qui sont des décisions politiques, des décisions budgétaires, qui vont impacter le niveau des prix à la consommation.
06:27 C'est par exemple le cas en France avec la reflexibilisation des prix de l'électricité.
06:33 Tout ça va engendrer énormément de bruit dans les années.
06:35 Donc, ça va être extraordinairement compliqué d'extraire une tendance du CPI.
06:41 Mais si on regarde l'inflation sous-jacente, encore énergie et alimentation, et qu'on la regarde sur trois mois annualisés,
06:48 moi j'adore ça parce que l'inflation, on regarde toujours ça sur un an, on regarde ça en 10 mois annuels,
06:53 et là, ça embarque des effets de base sur un an, donc c'est parfois très inerte.
07:00 Sur trois mois annualisés, si on regarde la série désaisonnalisée, en fait, on est déjà en dessous de 2%,
07:07 et ça fait deux ou trois mois qu'on est en dessous de 2%.
07:10 Donc, pour moi, cette question de ce qu'il y a dans le CPI, c'est un tout petit peu,
07:16 c'est pas annexe, mais on en fait un peu ce qu'on veut.
07:21 C'est-à-dire que si on voulait dire qu'aujourd'hui déjà, on est en désinflation très agressée, on pourrait le faire.
07:25 Ce serait très facile de faire le cas en disant, regardez, en enlevant les effets de base,
07:29 en regardant l'inflation sous-jacente sur trois mois annualisés, ça fait plusieurs mois qu'on est en dessous de 2% objectif atteint.
07:34 Mais le problème, il n'est pas là.
07:36 Le problème, il est sur la possibilité qu'on ait une réaccélération de l'inflation dans les mois qui viennent,
07:43 qui serait déterminée par ce qui se passe du côté des salaires, du côté du marché du travail.
07:47 C'est ce que la BCE n'arrête pas de nous dire depuis des mois.
07:50 Et là, le changement de discours est quand même intéressant, parce que là, on a bien dit oui, on commence à voir...
07:56 - Ça se dessert, ça se dessert.
07:58 - Ça se dessert. Donc, il y a le CPI, mais ça, c'est la... Comment dire ?
08:03 Il faut que ça aille mieux, il faut que le glissement annuel de l'inflation sous-jacente continue à ralentir.
08:09 Je ne pense pas qu'il y ait énormément d'informations économiques, en fait, dans ce glissement annuel de l'inflation sous-jacente,
08:14 mais c'est une des conditions « techniques » ou de « comme » auxquelles il faut arriver.
08:22 Et en attendant, il faut qu'on ait des bonnes nouvelles sur l'atterrissage du marché du travail.
08:27 Et là-dessus, c'est là où ça va être compliqué, parce que les données sont vraiment mauvaises en la matière.
08:31 Ça, c'est un gros problème des données macro en Europe.
08:35 Autour des USA, on a une richesse de données sur le marché du travail, surtout sur les salaires,
08:40 avec plusieurs sources différentes, mais des vraies belles données très bien construites.
08:44 Et on le sait quasiment en temps réel. Dans la zone euro, on utilise des bouts de machin.
08:48 C'est-à-dire qu'on utilise des données incomplètes provenant des négociations salariales dans certains pays membres.
08:54 On obtient des choses, des sites web qui font des sites d'embauche sur le web.
09:01 C'est quand même tout ça être assez bricolé.
09:03 Il y a un moment où il va falloir faire un espèce de saut dans l'inconnu.
09:10 Il y a un choix, il y a une décision qui doit être faite par la BCE.
09:13 On n'aura pas une info à 100% idéale.
09:19 On va devoir commencer à prendre une décision. On ne l'aura pas.
09:22 Il y a un problème que la Banque Centrale Européenne n'a pas aujourd'hui, Gilles.
09:26 C'est celui de la fragmentation financière en zone euro.
09:29 Il faut évidemment s'en réjouir.
09:33 Quand je vois la convergence des écarts de coûts de financement entre la périphérie et le cœur,
09:40 je me dis que c'est une bonne nouvelle, c'est spectaculaire.
09:43 Il y a même quelque chose qui est un peu le monde à l'envers.
09:46 Les meilleurs performeurs sont aujourd'hui des pays qui viennent plutôt de la périphérie
09:50 par rapport à des pays-cœur qui souffrent et qui sont même devenus les moins bien-disants
09:56 avec des programmes, des missions nets qui vont être massifs pour cette année 2024.
10:01 Cette convergence et cette reconvergence sur le plan financier,
10:05 du coût de financement des Etats européens en zone euro, Gilles,
10:09 est-ce que c'est un état de fait qui peut se prolonger encore devant nous,
10:15 pour je ne sais quelle raison, mais est-ce que c'est quelque chose qui peut s'ancrer un peu dans la durée ?
10:21 Je n'en suis pas certain que ça puisse s'ancrer tellement plus,
10:27 parce qu'un élément important, comme le marché attend des baisses de taux assez imminentes,
10:35 je pense qu'en ce moment, il y a une espèce de course dans le marché pour aller capter,
10:39 pour aller loquer, je ne sais pas si vous avez utilisé le terme, des obligations avec des temps d'intérêt assez élevés.
10:47 Donc on va où ? On va sur l'Italie, on va sur l'Espagne,
10:51 parce qu'on est toujours sur des rendements supérieurs à 3%, etc.
10:55 Donc j'ai l'impression qu'on est dans cette espèce de course
10:59 où d'essayer dans les derniers mois avant la baisse des taux de la BCE,
11:06 d'aller remplir les bilans avec du crépier qui paye.
11:10 J'ai l'impression que c'est un peu ça, alors que du côté des pays du cœur et singulièrement de l'Allemagne,
11:15 en dessous de 2,50 sur un 10 ans allemand,
11:18 alors que le marché ne pense pas que la BCE pourra raisonnablement baisser ses taux en dessous de 2,5, de 2,25,
11:25 est-ce que ça vaut encore le coup d'aller charger les bilans avec du bunt qui paye et qui paye aussi peu ?
11:32 Donc je pense qu'il y a cet effet, ce n'est pas un effet d'aubaine,
11:35 mais c'est le dernier moment possible pour aller engranger du taux avant la baisse des taux.
11:43 La course au rendement, la peur de manquer de taux, de rendement, de durations,
11:48 chez certains intervenants de marché aujourd'hui.
11:51 Un mot pour conclure, le chiffre spectaculaire du jour, Gilles,
11:55 c'est la première estimation de la croissance américaine pour le quatrième trimestre,
11:58 le chiffre sera révisé de nombreuses fois et pendant encore longtemps, mais quand même.
12:03 3,3% de croissance au quatrième trimestre, ça nous donne 2,5 sur l'ensemble de 2023,
12:09 c'est plus qu'en 2022 avec un corps PCE qui est lui parfaitement à 2 et depuis déjà deux trimestres, Gilles.
12:18 Je veux dire, même dans les rêves les plus fous de Jérôme Pohel,
12:21 je pense que c'est quelque chose qui était impossible il y a encore quelques mois.
12:26 C'est beau, c'est miraculeux, c'est magnifique.
12:30 Je ne suis toujours pas sûr de comprendre très bien, mais voilà, c'est toujours bon à prendre.
12:37 Oui, on a une croissance de l'économie américaine qui est au double du taux potentiel.
12:43 Si on regarde le niveau du taux de chômage, c'est à peu près clair qu'il n'y a absolument aucun impôt de gap à combler.
12:49 Et pourtant, on a la fashion sous-jacente qui s'est incroyablement calmée.
12:56 Ce qui est rassurant, et ce qui est un caillou dans le jardin européen,
13:00 c'est que peut-être que ce que cela reflète, c'est que les conditions d'offres aux États-Unis
13:05 sont vraiment en train de s'améliorer très vite.
13:08 Donc on peut avoir une croissance forte sans inflation parce que l'offre est en train de rattraper.
13:12 Et l'un des meilleurs indicateurs de cela, c'est la très bonne tenue de la productivité aux États-Unis.
13:18 On est aujourd'hui aux USA, avec une productivité horaire qui est à peu près à 6% au-dessus du niveau qu'on avait atteint avant le Covid,
13:26 et qui, sur les trois derniers trimestres, est en accélération.
13:31 Et ça, c'est l'inverse de ce qui se passe dans la zone euro.
13:35 Dans la zone euro, on a un niveau de productivité qui est à peine supérieur à celui que l'on avait fin 2019.
13:41 On ne sait rien passer sur la productivité depuis maintenant 4 ans.
13:46 Au contraire, sur les derniers trimestres, on a une baisse de la productivité.
13:52 Donc nous, nos conditions d'offres ne se méliorent pas tant que cela.
13:56 Et pour moi, c'est ça le vrai divorce transatlantique en ce moment.
13:59 C'est l'idée d'une amélioration sous-jacente, effective, encourageante aux États-Unis, avec cette productivité très forte.
14:09 Alors que côté européen, c'est quand même incroyablement médiocre.
14:14 Merci beaucoup Gilles. Merci pour votre éclairage sur ces différentes situations américaines et européennes,
14:20 et les enjeux en matière de politique monétaire.
14:22 Gilles Moick, qui est avec nous en visioconférence, chef économiste du groupe AXA.
14:25 [Musique]

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