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Vendredi 21 avril 2023, SMART BOURSE reçoit Gilles Moëc (Chef économiste, Groupe Axa)

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00:00 [Musique]
00:10 Parlons justement pour commencer des décisions de Banque Centrale qui approchent.
00:14 Et c'est Gilles Mouet qui est avec nous en visioconférence, chef économiste du groupe AXA.
00:17 Bonjour et bienvenue Gilles. Merci beaucoup d'être avec nous.
00:20 On est dans le moment un peu décisif de cristallisation sans doute des prochaines décisions de la FED et de la Banque Centrale Européenne.
00:27 Avant d'évoquer cette partie-là, Gilles, peut-être un mot du stress bancaire qu'on a vécu il y a un peu plus d'un mois maintenant.
00:35 On a un petit mois de recul sur les conséquences de cette situation de stress bancaire
00:42 qui marquera sans doute la chaîne de distribution de crédit dans les prochains mois
00:46 mais qui semble quand même en dynamique s'être considérablement apaisée, ce stress bancaire, depuis quelques semaines maintenant Gilles.
00:55 Oui et on peut le suivre presque en temps réel dans le cas américain
00:59 parce que la FED nous donne des données extraordinairement riches semaine après semaine, quasiment immédiatement.
01:05 Et ce qui est très frappant c'est qu'en fait on a atteint un pic de stress
01:10 qu'on pouvait déterminer en termes de montant de refinancement auprès de la Banque Centrale,
01:17 en termes de stockage de cash par les banques.
01:20 On a atteint ce pic dans la semaine du 15 mars et depuis lors les choses se sont véritablement calmées,
01:26 on a beaucoup moins de mouvements brutaux sur les actifs et les passifs bancaires.
01:31 Donc sur le plan systémique, en termes de gestion de la crise à court terme,
01:36 effectivement je pense qu'on tient le bon bout et on le tient depuis deux ou trois semaines.
01:40 Et il faut encore une fois saluer ce qu'a fait la FED parce qu'elle a réagi extrêmement vite,
01:44 elle a réagi de manière extrêmement généreuse.
01:47 Donc de ce point de vue là les choses sont vraiment en train de se calmer.
01:50 Maintenant si on regarde les choses sur six semaines, parce qu'on a maintenant six semaines de recul sur la crise,
01:55 en termes de réduction des dépôts, de d'érosion de la base des dépôts,
01:59 et là je ne parle pas simplement des petites banques mais je parle de la totalité des banques américaines,
02:03 le choc est quand même lourd et on s'aperçoit qu'on a déjà en fait une diminution assez forte
02:09 des concours à l'économie en termes de crédit classique.
02:13 Un écart-type de baisse des crédits de l'économie en l'espace d'un mois.
02:19 Donc voilà, on gère la situation systémique, on gère le choc de stabilité financière.
02:24 En revanche pour moi les conséquences macroéconomiques elles sont à venir et elles restent à mon avis assez importantes.
02:31 Est-ce que ça valide l'idée que la FED pourra délivrer tranquillement j'allais dire,
02:36 une dernière hausse de taux de 25 points de base le 3 mai prochain,
02:39 Gilles, sans prendre les risques de faire une erreur monumentale ?
02:43 Oui je pense que les données sont suffisamment claires pour que la FED puisse prendre ce risque.
02:51 On s'aperçoit qu'effectivement on n'est plus dans la phase aiguë du choc.
02:56 Sur les données macro on est encore dans une croissance du PIB probablement assez correcte sur ce début d'année 2023.
03:05 Les choses commencent à se dégrinder maintenant mais en partant d'un niveau de croissance tellement élevé qu'on a quand même pas mal de marge.
03:14 Et sur l'inflation je pense que la FED commence à se sentir un peu mieux.
03:19 On commence à voir quelques effets assez encourageants du côté des salaires.
03:23 On commence à le voir aussi sur les prêts de la production.
03:25 Donc voilà encore une hausse de 25 points de base et puis ensuite on s'arrête.
03:30 La vraie question à mon avis pour la FED ce sera de le dire ou pas.
03:34 C'est à dire est-ce qu'on fait 25 points de base et on ne dit rien sur la suite ?
03:38 Ou est-ce qu'on commence à préparer les esprits à une pause ?
03:42 Pour moi c'est ça le vrai débat.
03:45 Ce n'est pas tellement le fait que oui on est extraordinairement proche du tout terminal.
03:49 Du côté européen, Gilles, quand on regarde l'inflation effectivement le cœur de l'inflation reste chaud.
03:55 Trop chaud pour la Banque Centrale Européenne mais c'est aussi une fonction d'une activité dans les services par exemple
04:01 qui reste très dynamique et qui accélère encore.
04:04 On a eu ce matin les enquêtes flash PMI qui montrent un secteur des services booming
04:09 en France, en Allemagne et dans l'ensemble de l'Europe.
04:13 C'est vrai et pour la BCE c'est vraiment un élément de confort important
04:17 parce qu'on a échappé au pire entre guillemets à l'hiver.
04:21 On avait très peur d'un choc énergétique qui allait se traduire par un rationnement top down
04:27 qui allait avoir un impact très très lourd sur les données macro, il ne s'est pas produit.
04:31 Et là effectivement on a même plutôt l'impression d'une réaccélération dans certains secteurs,
04:35 en particulier dans le secteur des services.
04:37 Ce qui est quand même assez étonnant et assez difficile à comprendre
04:39 parce que la machine derrière est quand même assez enriée.
04:42 C'est-à-dire qu'on a un pouvoir d'achat des ménages qui souffre quand même.
04:45 Donc on a un petit peu du mal à le comprendre.
04:48 Et moi tout à l'heure justement j'étais en train de faire une toute petite comparaison
04:52 entre l'enquête INSEE dans les services et le PMI dans les services.
04:56 Pour le mois d'avril.
04:58 Et on a la poursuite de ce qui était apparu au mois de mars,
05:01 c'est-à-dire une divergence assez forte entre l'enquête INSEE et l'enquête PMI.
05:05 Étant un ancien de l'INSEE, évidemment vous saurez vers où on est, mes préférences.
05:10 Mais voilà, restons quand même un tout petit peu prudents.
05:13 Ça arrive d'avoir des signaux un peu divergents pendant quelques mois entre ces deux enquêtes-là.
05:19 Mais là la divergence c'est quand même très fort.
05:21 Donc si il n'y a pas un effet de composition quelque part, restons un peu prudents quand même.
05:25 La question des marges se pose de manière centrale désormais
05:29 dans la dynamique d'inflation ou l'entretien d'une inflation à un niveau élevé.
05:33 Je crois que le constat est partagé par tout le monde, en Europe notamment aujourd'hui.
05:37 Et c'est même explicitement signalé dans les discours des banquiers centraux au plus haut niveau désormais.
05:43 Gilles, cette question de l'inflation entretenue par des stratégies prises agressives
05:49 jusqu'au boutiste peut-être de certaines entreprises,
05:52 parfois de manière légitime avec une période quand même désinflationniste très longue en Europe
05:58 qui a mis les marges sous pression.
05:59 La volonté de reconstituer les marges est sans doute légitime pour plein d'entreprises,
06:03 plein d'industries, plein de secteurs.
06:05 Il ne faut pas que ça aille trop loin.
06:07 Est-ce que pour une banque centrale comme la Banque Centrale Européenne,
06:11 cette dynamique d'inflation motivée ou tirée par les marges des entreprises,
06:16 est-ce que ça appelle une réaction particulière ?
06:20 Est-ce que c'est un sujet plus compliqué que le risque traditionnel de spirale prix-salaire ?
06:27 Deux choses là-dessus.
06:29 La première, sur le plan statistique, encore une fois désolé de jouer mon grognon de service,
06:34 mais en général on sait que les marges sont trop importantes le jour où elles ont fini d'être trop importantes.
06:41 Au sens où les informations macro sur le comportement des marges des entreprises sur les profits arrivent en général.
06:49 Effectivement, l'État a une contribution très forte de l'augmentation des marges d'entreprise à l'inflation en 2022 et la décès, on en a parlé.
07:00 Mais moi j'ai plutôt l'impression que c'est en train de se résorber.
07:04 En tout cas, les informations microéconomiques qu'on a entreprise par entreprise nous dirait que le pic des profits est probablement derrière nous.
07:11 Premier point.
07:12 Deuxième point, moi je suis assez gêné par cette insistance sur cette question des marges dans la rhétorique actuelle de la BCE.
07:20 Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt pour la BCE de s'apesantir sur cette question là.
07:25 Parce que, au fond, que l'inflation soit tirée par les marges ou qu'elle soit tirée par les coûts salariaux,
07:31 à la fin des fins, la Banque Centrale n'a qu'un seul instrument, elle n'a qu'un seul canal d'action.
07:36 Le canal d'action c'est la réduction de l'amende agrégée.
07:39 Donc, pour qu'il y ait "marge excessive", c'est toujours très compliqué de définir ce qu'est une marge excessive,
07:45 pour qu'il y ait des marges excessives, il faut qu'en fait, en face, il y ait une demande solvable.
07:50 Donc si l'inflation aujourd'hui est dominée par des comportements de marge des boîtes,
07:55 la réponse normale de la BCE ce serait de continuer à augmenter ses taux directeurs pour faire atterrir la demande globale.
08:03 Et c'est la même chose côté salaire.
08:05 Si l'inflation est déterminée essentiellement par les coûts salariaux, il revient à la BCE de faire pression sur la demande globale
08:11 pour que les créations d'emplois ralentissent et pour que les salaires ralentissent.
08:15 Donc j'ai du mal à comprendre cette insistance sur ce thème et je trouve que c'est même potentiellement contre-productif.
08:24 Parce que si la Banque Centrale aujourd'hui pose un diagnostic en disant "écoutez, pour l'instant l'inflation en ce moment c'est vraiment un phénomène de marge,
08:31 c'est un phénomène de profit", le message pour les salariés il est très simple,
08:35 si la Banque Centrale me dit que l'inflation est aujourd'hui déterminée par les profits,
08:39 et bien il est à ce moment là normal que moi je demande un rattrapage et que je demande une accélération de mes salaires.
08:44 Et c'est ça qui peut provoquer une spirale prix-salaire.
08:47 Donc même stratégiquement, tactiquement, j'ai du mal à comprendre cette insistance de la BCE sur cette question là.
08:54 - Et sur le plan macro-économique, Gilles, vous considérez effectivement qu'avec le retour progressif de l'offre de travail, de production,
09:04 et le jeu normal de la concurrence, ce sujet des marges est potentiellement derrière nous ?
09:10 - Oui, et c'est souvent le cas, les marges obéissent à des cycles, et là on a peut-être un cycle qui est plus accentué que d'habitude.
09:19 Mais deux choses l'une, soit les marges sont excessives parce qu'il y a des pratiques anticompétitives,
09:25 et à ce moment là elle revient aux autorités concurrentielles d'agir.
09:30 Il y a eu une très bonne série de tweets de Benoît Cœuret, qui est maintenant le patron de l'autorité de la concurrence en France,
09:38 qui dit voilà, si nous nous rendons compte qu'il y a des activités anticoncurrentielles, nous agirons.
09:43 Mais ça n'est pas du ressort de la Banque Centrale, et c'est probablement davantage structurel que conjoncturel.
09:49 - On verra, on en parlera avec une vision microéconomique dans un instant.
09:53 Intéressant de noter que dans un secteur où l'intensité concurrentielle est quand même historiquement élevée,
09:58 l'automobile par exemple, on voit tout de suite, à partir du moment où les chaînes de valeur se détendent,
10:02 on voit tout de suite le début d'une guerre des prix reprendre très vite le dessus.
10:07 Gilles, question bonus autour du plafond de la dette américaine, comme tous les deux ans,
10:11 le drama se prépare d'une certaine manière.
10:15 Sans aller jusqu'au scénario du défaut, évidemment, dont la probabilité n'est peut-être pas nulle,
10:22 nous disent les instruments de marché, mais quand même, quels peuvent être les impacts,
10:26 sans aller dans ce scénario extrême, quels peuvent être les impacts d'une crispation,
10:30 ou de la crispation habituelle qui va avoir lieu sans doute au congrès américain sur cette question,
10:37 dans le contexte actuel ?
10:39 Je pense qu'il y a quand même un point à surveiller, c'est quelles seront les concessions
10:44 que Joe Biden et les démocrates devront probablement à un moment ou à un autre amener
10:50 pour obtenir une décision positive des Républicains.
10:54 Et si ces concessions se traduisent par un virage austéritaire un peu trop rapide
11:00 de la politique budgétaire américaine, là, ça peut avoir d'impact sur le cycle économique
11:07 dans la seconde moitié de 2023.
11:09 Moi, je n'ai pas vraiment de doute sur le fait qu'à la fin des fins, on trouve un deal.
11:14 La question pour moi, c'est quel sera le prix à payer pour ce deal,
11:17 et quel peut être l'impact sur la conjoncture dans la seconde moitié de 2023.
11:20 Pour moi, c'est ça la vraie question.
11:22 Un plafond de la dette qui est peut-être plus proche de nous que ce qu'on imagine,
11:25 les banques américaines sont en train de recalculer un peu la situation
11:29 avec des collectes de taxes qui ont été plus faibles finalement, visiblement,
11:34 rapproche peut-être un peu plus le plafond de la dette par rapport à ce qu'on pouvait envisager précédemment.
11:39 Merci beaucoup Gilles.
11:40 Gilles Mouecq, chef économiste du groupe AXA, qui est avec nous en visioconférence dans cette demi-heure d'émission.

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