• il y a 11 mois
En mars 1793, la Révolution est aux abois, la conscription imposée pour la guerre contre les puissances étrangères, les attaques contre la liberté de culte et de conscience provoquent des contestations violentes dans tout le pays. Si toutes sont réprimées avec la plus grande férocité et s’éteignent assez rapidement dans le sang, dans l’ouest, en Vendée, en Bretagne, en Normandie, l’insurrection armée va durer plusieurs années, mais il faut plutôt parler "d'insurrections" car elles recouvrent des réalités historiques parfois très différentes mais souvent confondues. Il en est ainsi des chouans et des Vendéens, de la chouannerie voire des chouanneries… Pour y voir clair, "Passé-Présent" reçoit Reynald Sécher et Jacques Villemain.
Transcription
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00:06 *Musique épique*
00:36 Chers amis de TVL, bonjour et bienvenue dans Passé-présent,
00:39 votre émission historique présentée en partenariat avec la revue d'histoire européenne,
00:45 revue d'histoire européenne, dont le dossier actuel est la terreur, l'autre visage de la révolution.
00:51 Justement en mars 1793, la révolution est aux abois.
00:56 La conscription imposée pour la guerre contre les puissances étrangères,
01:00 les attaques contre la liberté de culte et de conscience
01:02 provoquent des contestations violentes dans tout le pays.
01:06 Si toutes sont réprimées avec la plus grande férocité et s'éteignent assez rapidement dans le sang,
01:11 dans l'ouest, en Vendée, en Bretagne, en Normandie,
01:14 l'insurrection armée va durer plusieurs années, ou plutôt, devrais-je dire, des insurrections,
01:20 car elle recouvre des réalités historiques parfois très différentes, mais souvent confondues.
01:24 Il en est ainsi des Chouans et des Vendéens, de la Chouanerie, voire des Chouaneries.
01:30 Pour y voir plus clair, et appeler un Chouan un Chouan,
01:33 j'ai le plaisir de recevoir Jacques Villemin et Reynald Seychère.
01:37 Jacques Villemin, bonjour.
01:39 Vous êtes diplomate et juriste, diplômé de Sciences Po et de l'ENA,
01:44 et vous avez travaillé sur les questions de justice et de droit pénal international
01:48 et sur les guerres de Vendée principalement.
01:50 Vous avez publié deux ouvrages chez aux éditions Le Serre,
01:53 en 2017, trois ouvrages, pardon, en 2017, Vendée 1793-1794,
02:00 plus axé sur les questions de droit, en 2020, Génocide en Vendée,
02:05 histoire, et tout dernièrement, en décembre 2023,
02:10 une histoire politique des colonnes infernales, toujours chez Le Serre.
02:15 Reynald Seychère, bonjour.
02:17 Bonjour, je ne vous présente plus, vous êtes bien connu des téléspectateurs de TVL,
02:21 vous êtes en effet un spécialiste reconnu des guerres de Vendée,
02:24 vous avez été l'un des premiers à reprendre le terme de génocide vendéen,
02:28 et vous avez soutenu deux thèses sur le sujet, l'une en 1983,
02:32 "Anatomie d'un village vendéen, la chapelle basse-mer,
02:35 essais sur les notions de légitimité et de légalité",
02:37 l'autre en 1985, "Contribution à l'étude du génocide franco-français, la Vendée vengée".
02:44 Cette dernière a d'ailleurs été publiée par les presses universitaires de France,
02:47 puis rééditée par Perrin en 2006,
02:50 et vous avez également publié "Vendée, du génocide au mémoricide" en 2011,
02:55 aux éditions Le Serre.
02:57 Alors vous étiez venus tous les deux il y a quelques semaines,
03:00 nous parler du génocide vendéen,
03:03 et j'ai souhaité vous réinviter, comme je le disais en introduction,
03:05 pour dissiper une confusion souvent faite entre les insurgés vendéens,
03:10 donc au sud de la Loire, mais vous allez sûrement me corriger,
03:13 et les insurgés bretons, au nord de la Loire, les fameux Chouans.
03:16 Alors une première question, qu'est-ce qui différencie et rapproche
03:20 la Chouanerie et la Vendée insurgée ? Rénald.
03:23 – Alors pour commencer, la distinction elle est territoriale.
03:28 La Vendée concerne exclusivement une région de 10 000 km²,
03:34 située sur la rive gauche de la Loire,
03:38 et qui comprend le sud du département de la Loire inférieure,
03:42 Loire atlantique de nos jours,
03:44 le sud-ouest de l'Anjou,
03:48 et le nord-ouest de la province du Poitou,
03:53 c'est-à-dire le nord de la Vendée,
03:56 et le nord-ouest des Deux-Sèvres,
03:58 soit à peu près à l'époque 815 000 habitants
04:02 sur une population de 28 millions d'habitants.
04:05 La Chouanerie, c'est dans un premier temps en tout cas,
04:08 sur la rive droite de la Loire,
04:12 et contrairement à ce que l'on pourrait imaginer,
04:15 la Chouanerie ne naît pas en Bretagne,
04:18 elle naît dans la région de Laval, dans un tout petit village,
04:24 à partir de la résistance d'un homme, Jean Cotreau,
04:31 qui a dit non à un certain nombre de mesures gouvernementales,
04:37 notamment la conscription,
04:39 et son surnom à lui, comme cela se fait naturellement à l'ouest,
04:46 était Jean Chouan, tout simplement.
04:50 Alors pourquoi Jean Chouan ?
04:51 C'est lié au fait qu'on se prévenait,
04:56 on se parlait à travers le cri du Chouan,
05:00 que je peux vous faire.
05:00 – Chouan, les îles, oui.
05:01 [Cri de Chouan]
05:04 – Tout vendéen apprenait ça à l'école.
05:08 Et après ce mot a été repris par la République
05:13 et s'est généralisé à travers la Bretagne,
05:18 puis après à travers la Normandie,
05:22 et on peut même aller beaucoup plus loin,
05:24 puisqu'il y a eu des Chouaneries un peu partout,
05:27 dans le Béry, en Belgique, en Allemagne, etc.
05:31 Et même lors de l'affaire des Christeros,
05:35 on parlait de Chouaneries.
05:38 – Alors qu'est-ce que la Chouanerie exactement ?
05:40 Il y a des spécificités ?
05:42 – Oui, on devrait parler d'ailleurs de Chouaneries au pluriel,
05:46 parce que la Chouanerie bretonne n'est pas la Chouanerie mayonnaise,
05:49 n'est pas la Chouanerie belge, n'est pas la Chouanerie allemande, etc.
05:54 À chaque Chouanerie, il y a des spécificités.
05:58 Alors on va parler de la Chouanerie bretonne,
06:02 qui se positionne dans un contexte extrêmement précis.
06:07 Il y a eu un traité d'union entre la France et le duché de Bretagne en 1532.
06:14 Traité d'union et non pas de fusion,
06:17 contrairement par exemple à Longe-Haut.
06:22 Et dans le cadre de ce traité,
06:25 les Bretons avaient négocié le fait de garder
06:30 un certain nombre de privilèges, c'est-à-dire de lois particulières,
06:34 et notamment celui de la représentation à travers un parlement
06:40 et les États de Bretagne, avec leurs législations,
06:46 et bien entendu toutes leurs coutumes, leurs usages, etc.
06:54 Lorsqu'on a les frémissements de la Révolution,
06:59 un homme va comprendre qu'il faut profiter de l'occasion
07:06 pour que la Bretagne retrouve une certaine autonomie
07:09 par rapport au pouvoir centralisateur du roi.
07:16 C'est le Marquis de la Roirie,
07:17 qui est vraiment le fondateur de la Chouanerie bretonne.
07:23 La Chouanerie bretonne est exclusivement un mouvement
07:28 monobiliaire dans sa naissance, dans son organisation.
07:34 Contrairement à la Vendée, nous avons vu lors de la dernière émission
07:37 à ce sujet que c'est un mouvement populaire et spontané.
07:42 La Chouanerie en Bretagne est un mouvement préparé, organisé,
07:47 orchestré par la noblesse et notamment par des parlementaires bretons
07:53 dont le Marquis de la Roirie.
07:56 Et on va mettre en place tout un système
07:59 à la fois de résistance, d'organisation, etc.
08:03 Malheureusement pour ces Chouans en herbe,
08:08 l'histoire n'a pas évolué comme ils le souhaitaient
08:11 puisque les députés bretons, qui ne sont pas mandatés pour cela,
08:17 vont voter la fameuse loi de 4 août 1799
08:21 avec l'abolition des privilèges
08:23 et notamment l'abolition du statut spécifique de la Bretagne
08:28 puisque nous nous retrouvons dans un royaume un et indivisible.
08:32 Ça veut dire qu'en une nuit, la Bretagne perd tous ses privilèges
08:36 qui avaient été actés par le traité de 1532.
08:42 Ces chefs bretons vont dénoncer deux choses.
08:46 Un, le fait que les députés n'étaient pas mandatés pour cela
08:52 et deuxièmement que spontanément, naturellement,
08:56 dans le cadre de cette loi,
08:57 on dissout et le Parlement de la Bretagne et les États de Bretagne.
09:03 Et là ils vont entrer en résistance,
09:06 mais je répète, comme c'est un mouvement organisé,
09:10 orchestré par la noblesse,
09:12 il va conserver cette caractéristique avec la clé de voûte
09:17 qui est le Marquis de la Roirie.
09:19 Quant à Jean Cotreau, lui c'est un mouvement populaire, local.
09:26 Alors l'histoire de Jean Cotreau elle est assez connue,
09:30 d'ailleurs elle est intéressante, c'est vraiment un homme issu du peuple,
09:35 il dit non et il va fédérer autour de lui un certain nombre de compatriotes
09:40 et ça restera pour l'essentiel un mouvement populaire.
09:43 La troisième chouannerie à l'ouest,
09:46 c'est la chouannerie normande bien entendu,
09:49 qui est beaucoup plus tardive,
09:50 qui a été orchestrée par le Marquis de Frotté
09:56 et qui va connaître un certain nombre d'histoires,
10:02 mais qui n'aura pas l'ampleur de la chouannerie bretonne.
10:07 – Bien, alors on a parlé des différentes chouanneries,
10:09 alors maintenant est-ce qu'il y a des différences de motivation
10:13 entre la chouannerie et la Vendée ?
10:15 – Oui, je pense que la caractéristique essentielle de la Vendée
10:26 est vraiment la revendication de la liberté,
10:32 notamment de la liberté religieuse.
10:36 Je pense que les Vendéens se sont soulevés pour rester libres.
10:40 Évidemment ça peut paraître contradictoire,
10:42 mais on avait bien vu ça dans le cadre de la dernière émission,
10:46 les Vendéens se sont battus pour la liberté.
10:50 La chouannerie, dans sa naissance,
10:54 se bat pour que la Bretagne recouvre une autonomie.
11:03 Donc c'est un acte politique…
11:05 – Brune vraiment, alors, dans le sien.
11:07 – Voilà, une autonomie,
11:09 alors on ne sait pas sous quelle manière,
11:12 mais c'est une réaction exclusivement,
11:16 dans un premier temps, politique.
11:18 Après ça va évoluer,
11:20 mais dans un premier temps elle est exclusivement politique.
11:23 – Nous en parlions d'ailleurs, en préparant l'émission,
11:24 on parlait de contre-révolutionnaires et d'anti-révolutionnaires.
11:27 C'est Jacques Villemin qui a émis ce message.
11:29 – Oui, la distinction entre les deux,
11:31 les contre-révolutionnaires sont ceux qui veulent revenir à l'Ancien Régime.
11:35 Les anti-révolutionnaires sont ceux qui ne sont pas nécessairement hostiles
11:39 au nouveau, non pas au nouveau régime,
11:42 mais en tout cas au nouvel état de la France.
11:45 Liberté, égalité, ça ne les gêne pas.
11:47 Mais par contre, la révolution leur a fait des promesses
11:50 qui n'ont pas été tenues.
11:51 Et les Vendéens sont beaucoup plus anti-révolutionnaires
11:56 que contre-révolutionnaires.
11:57 On les a fait passer pour des contre-révolutionnaires
11:59 de manière à pouvoir les délégitimer,
12:01 dire qu'ils étaient contre le progrès de la France.
12:04 Mais il faut bien remarquer que la Vendée ne commence qu'en mars 93.
12:09 La révolution commence en 89.
12:10 Ils ne se sont pas soulevés en 89, ni en 90, ni en 91, ni en 92.
12:14 Et en 92, il y a eu quelques émeutes.
12:16 Mais même l'exécution, enfin la mise à mort de Louis XVI en janvier 93,
12:20 il n'y a pas eu de soulèvement en Vendée.
12:22 Le soulèvement de Vendée, c'est mars 93,
12:24 parce que le nouvel état des choses n'a pas du tout profité
12:27 aux paysans vendéens qui n'ont pas pu racheter les terres,
12:32 les terres des nobles et les terres des habillés.
12:35 Tout ça a été trusté par les bourgeois des villes
12:38 qui eux sont républicains et qui, eux, pour le coup,
12:42 ils ont investi de l'argent, ils veulent que ça rende.
12:43 Le seigneur local, l'abbé local se contentait de ce que l'usage lui accordait.
12:47 Le bourgeois des villes, lui, il veut, j'allais dire, faire sur le burnus.
12:51 C'est une expression qui date de l'époque coloniale.
12:53 Mais lui, il veut que ça rapporte et donc il va, en fait,
12:58 même intégrer les anciens droits féodaux au loyer,
13:02 ce qui fait que le paysan, en disant "mais tu paies la même chose",
13:05 ben oui, l'idée c'était quand même, en supprimant les droits féodaux,
13:08 d'alléger la charge qu'il supportait.
13:12 Or, la charge n'a pratiquement pas changé.
13:15 Donc, en fait, il n'est pas du tout content de ce que la révolution a fait
13:19 et donc, lui, il se bat, au fond, pas du tout contre la liberté et l'égalité.
13:23 Et d'ailleurs, on verra que l'armée vendéenne est une armée
13:26 dans laquelle il y a beaucoup plus d'égalité, par exemple,
13:30 que dans les armées révolutionnaires qu'on leur envoie.
13:32 Ce n'est pas la première armée qu'on envoie contre les vendéens,
13:34 c'est le comte de Marseille.
13:35 Ensuite, ce sera le duc de Biron.
13:36 Alors que l'armée vendéenne, n'est-ce pas, c'est Jacques Cattelino,
13:40 voiturier colporteur de son état.
13:42 – Et donc, ça échouant, militairement parlant, on est là.
13:45 – Alors, il y a plusieurs chouineries, comme l'a dit Reynald.
13:50 La chouinerie à laquelle on pense le plus souvent,
13:53 c'est moins celle de la roirie, parce que l'affaire de la roirie,
13:56 à toi, comment dirais-je, a échoué.
13:58 Le complot a été vanté, il a été trahi,
14:01 et donc ça n'a pas réellement abouti.
14:03 La chouinerie à laquelle on pense,
14:06 et celle qui fait le bruit que je ne saurais pas faire,
14:08 qu'a fait Reynald, en fait, elle commence au moment où la Vendée finit.
14:14 C'est-à-dire que la Vendée, l'armée catholique et royale,
14:17 meurt à Saveney en décembre 93,
14:20 ensuite il y a l'épisode des colonnes infernales,
14:22 et c'est le moment où la Vendée meurt.
14:24 – La chouinerie n'est pas plus précoce que la chouinerie de Saint-Germain ?
14:27 – Alors elle est plus précoce dans sa réflexion,
14:31 dans sa naissance pour des raisons qu'on a indiquées tout à l'heure,
14:34 mais pas dans sa manifestation.
14:36 Il y a eu quelques mouvements insurrectionnels,
14:39 je pense à Vannes, etc., qui ont été réprimés.
14:42 Il y a une grande différence militaire entre la Vendée et la chouinerie
14:47 qui s'explique en raison de l'histoire des provinces.
14:50 C'est-à-dire que la Bretagne est un pays souverain,
14:54 c'est-à-dire un douché.
14:55 Et la Bretagne a deux ennemis traditionnels,
14:59 l'anglais et le français.
15:01 Et les ducs de Bretagne ont militarisé leur territoire,
15:07 militarisé au niveau du front de mer, de la côte,
15:13 mais aussi militarisé à l'intérieur des terres.
15:16 – Les marches de Bretagne.
15:17 – Les marches de Bretagne, ce qui fait que la plus grande cité,
15:21 par exemple, enserrée de murailles, c'est Fougère.
15:28 Et sur les marches de Bretagne,
15:29 vous avez comme ça une addition de forteresses, de donjons, etc.
15:34 Ce qui explique d'ailleurs une partie des échecs successifs
15:38 des Vendéens dans le cadre de la Vendée militaire,
15:42 parce qu'ils traversent la Loire à l'est de la muraille,
15:46 c'est-à-dire à l'est de cette ligne,
15:48 excusez-moi l'anachronisme, de cette ligne Maginot avant l'heure.
15:53 Mais chaque ville en Bretagne est un lieu de casernement,
16:00 tant et si bien que lorsque les mouvements populaires s'expriment,
16:05 ils vont attaquer la ville, mais à l'intérieur de la ville,
16:08 vous avez des garnisons qui tirent à vue,
16:10 contrairement à la Vendée où il n'y a pas de grande cité
16:14 et donc il n'y a pas de répression, vous voyez ?
16:17 C'est une importance fondamentale pour comprendre l'évolution de l'Europe.
16:20 – Il y a aussi une autre différence, mais qui est d'ailleurs
16:22 la transposition de ce que vient d'expliquer Renald,
16:25 la Bretagne ayant été un duché, un pays séparé,
16:29 en tout cas sans fusion avec le reste de la France,
16:31 avec une union, la Bretagne par le Breton.
16:34 Et donc que ce soit le Pays Gallo ou la Bretagne bretonnante,
16:38 de toute façon ce n'est pas le français.
16:40 Et ce sera d'ailleurs une des difficultés que rencontreront les Vendéens
16:44 quand ils vont traverser la Loire, c'est que la jonction avec les Bretons,
16:51 qui était un des espoirs notamment de celui qui a poussé
16:53 à cette virée de Galerne qui était le prince de Talmont,
16:56 dont les possessions se trouvaient au nord de la Loire,
17:00 Talmont espérait au fond que les Vendéens pourraient s'unir aux Bretons
17:06 et que le mouvement reprendrait de la force.
17:09 Et ça n'a pas marché, les Bretons, alors à la fois,
17:12 parce que comme l'a dit Reynald, ils sont passés au-delà des marges de Bretagne
17:17 et donc à un endroit qui... - Moins protégé.
17:20 - Mais en même temps parce que ça n'est pas,
17:22 enfin je vais dire, c'est pas le même peuple, c'est le peuple français.
17:25 Mais en tout cas, à l'époque, ils ne se comprennent tout simplement pas.
17:29 Et ça c'est une vraie différence et donc il n'y aura pas de jonction militaire,
17:35 en tout cas en 93-94, entre la Vendée et la Chouinerie.
17:39 Parce qu'ensuite les choses vont évoluer.
17:41 - On va revenir aux origines, donc au niveau date,
17:45 vous dites c'est à la fin de l'assuréction.
17:47 - La deuxième Chouinerie.
17:48 - Pour moi c'est la première Chouinerie,
17:51 mais disons la grande Chouinerie va s'exprimer à la fin de l'affaire de Vendée.
17:57 - C'est-à-dire que la Roirie c'est quand même avant.
17:59 - C'est avant.
18:00 - Et la Roirie ça concerne combien de personnes ?
18:03 Est-ce que c'est une assuréction armée ?
18:05 - Alors, ils ont monté une association qui est très poussée,
18:09 très organisée, très structurée, qui réunit en fait
18:11 une bonne partie de la noblesse territoriale,
18:14 et comment dire, pas les aristocrates,
18:18 les aristocrates ne participent pas à ce mouvement.
18:22 C'est le moment d'expliquer la différence entre aristocratie et noblesse.
18:27 C'est une définition donnée par Jean Meyer,
18:30 je crois que c'est une bonne définition.
18:33 La noblesse est celle qui reste sur son territoire,
18:39 qui vit communément, on le voit par exemple en Vendée,
18:42 le paysan tutoie le noble, le noble tutoie le paysan,
18:46 il y a une horizontalité naturelle.
18:50 L'aristocrate c'est le noble qui est parti à Versailles,
18:54 qui est à la cour, c'est une très très bonne définition.
18:57 - Une noblesse de cour.
18:57 - Oui, une noblesse de cour.
18:59 Et en fait cette noblesse de cour ne va pas participer directement à la surrection.
19:07 Et c'est très intéressant à noter,
19:09 c'est que le mouvement chouan dans sa naissance est farouchement monarchique.
19:16 Et l'expression de ça, c'est que lorsque Laroueri qui est malade,
19:23 va apprendre en lisant le journal que le roi a été exécuté,
19:29 il va en mourir.
19:31 C'est le choc tellement terrible, et là la chouanerie va être décapitée,
19:35 d'autant plus, j'ai écrit un livre là-dessus "Les miroirs sont autour",
19:39 comme le disait Jacques, elle va être trahie par le meilleur ami de Laroueri,
19:44 qui est le docteur Schäfftel, qui va dénoncer à la fois le complot,
19:48 mais aussi dénoncer les gens qui ont participé à ce complot,
19:53 et ça donnera l'arrestation de tous les leaders, excusez-moi l'anachronisme,
19:58 qui seront décapités, c'est la première exécution collective,
20:01 par la guillotine, 12 personnes en 12 minutes,
20:04 l'effroi a été tel, mais en même temps l'acceptation a été là,
20:09 et à partir de là, Danton et ses acolytes ont décidé de faire des exécutions publiques.
20:16 – Ce qui est intéressant c'est que cet épisode que vient de "Retrasse sérénale"
20:20 a permis une partie de la falsification de la guerre de Vendée,
20:24 parce qu'à Paris on a été persuadé que le soulèvement vendéen était le fait de Laroueri,
20:31 parce que les débuts de la Vendée sont contemporains de Laroueri,
20:35 mais la chouanerie en elle-même, elle est plus tardive,
20:39 et donc à Paris on a été persuadé que le soulèvement vendéen qui a été subi,
20:43 c'est-à-dire subi, hitté, c'est-à-dire soudain,
20:46 tout le monde s'est soulevé entre le 9 et le 15 mars,
20:49 était l'effet d'un complot qui aurait été organisé par Laroueri,
20:53 alors que les deux choses étaient, et aujourd'hui les historiens en sont d'accord,
20:56 les deux choses étaient totalement indépendantes.
20:59 Ce qui a fait que le soulèvement a été un soulèvement populaire et général en Vendée
21:03 entre le 9 et le 15 mars 93,
21:05 c'est que c'était les jours qui étaient fixés pour la conscription,
21:08 et que ce jour-là on réunit les paysans sur la place du village
21:11 pour tirer au sort ceux qui vont sac au dos à la frontière,
21:13 et c'est à ce moment-là que tout explose.
21:15 Les révolutionnaires parisiens qui n'y ont rien compris se sont dit
21:18 s'ils se sont tous soulevés en même temps, c'est…
21:20 – C'est qu'il y a un complot.
21:21 – Au fond c'était déjà les théories du complot,
21:23 et comme il fallait trouver une origine au complot,
21:25 et qu'il venait d'y avoir l'échec du projet Laroueri,
21:29 on a essayé de le rattacher à ça,
21:31 mais en fait il n'y avait pas de lien entre les deux,
21:33 aujourd'hui c'est parfaitement détabli.
21:35 – Alors il y a une cartographie de la chouanerie,
21:36 parce que c'est très important,
21:38 qui a été établie par un historien,
21:42 qui a superposé deux cartes.
21:47 La première carte c'est la carte de la répression
21:50 faite dans le cadre de… terrible,
21:53 terrible de l'affaire des Bonnairouges,
21:55 par Louis XIV, qui a massacré la population,
21:59 détruit des villages, décapité des clochers, etc.
22:04 qui a profondément marqué les populations concernées,
22:10 qui a été farouchement révolutionnaire.
22:13 Et deuxième, c'est tout le pays gallo, le pays vinté,
22:20 le nord, qui n'a pas été touché par cette répression féroce,
22:25 qui va être pro-monarchique.
22:28 Tout à l'heure on parlait de l'impossible union
22:30 entre les deux rives.
22:32 Il y avait de part et d'autre cette envie de s'unir.
22:38 En Vendée, le mouvement de la Vendée
22:42 est tardif par rapport à la conception.
22:46 - À la conception, oui.
22:48 - C'est important.
22:49 Et la conception de la chouanerie bretonne
22:53 est en décalage avec le mouvement populaire.
22:56 Et comme c'est un mouvement nobiliaire,
22:59 ils ne comprennent pas ce qui se passe en Vendée.
23:02 D'ailleurs on aura ce même problème
23:04 lors du débarquement de Quiberon.
23:05 - On va en parler.
23:06 - On en parlera à la fin j'imagine.
23:08 Et donc les Vendéens se retrouvent assez isolés.
23:13 Et ils se disent, en fait la meilleure solution
23:16 pour retrouver notre liberté, c'est de s'emparer de Paris.
23:19 Donc on va suivre la loi,
23:22 puis on va s'apercevoir que plus on s'éloigne
23:25 du territoire naturel, plus on est isolés.
23:29 Et ils vont faire un acte incroyable,
23:31 c'est-à-dire tous les chefs vendéens
23:34 vont créer un généralat
23:38 qu'ils vont confier à Catalino.
23:43 Catalino fait ce constat que l'isolement
23:47 et l'éloignement assuraient la défaite.
23:51 D'où la nécessité de s'unir, d'unir le Grand Ouest.
23:56 Et pour ce faire, il faut maîtriser la loi.
23:59 D'où l'attaque de Nantes.
24:01 Mais en même temps, il y a un général extraordinaire,
24:04 un général républicain, qui lui,
24:06 dès le mois de mars 1793, part du principe
24:12 que s'il y a l'union des deux rives,
24:14 c'en est foutu, je reprends son expression,
24:16 de la République.
24:17 Et il va créer sur la loi une flottille de 41 bateaux
24:22 qui a deux finalités, empêcher la traversée de la loi
24:27 rive gauche, rive droite, rive droite, rive gauche,
24:29 et puis dans un deuxième temps, participera activement
24:32 à l'extermination de la Vendée.
24:34 – Ce qu'on appelle les chaloupes canonnières.
24:36 – Voilà.
24:37 – Parce qu'en fait, de bateaux, ce sont en fait des grosses barques
24:39 sur lesquelles on met un canon qui est capable de tirer un mitraille
24:43 et qui a deux finalités.
24:45 D'une part, il faut permettre quand même d'approvisionner Paris
24:49 d'un certain nombre de denrées qui arrivent,
24:50 y compris par le port de Nantes.
24:52 Donc il faut tenir la loi.
24:53 Et d'autre part, il faut effectivement isoler la rive sud, la Vendée,
24:58 de la rive nord, qui n'est pas encore la Chouennerie
25:01 mais dans laquelle c'est pas tout à fait tranquille,
25:03 et de manière à bien contrôler la chose.
25:06 – Alors justement, revenons…
25:07 – Je voudrais préciser aussi qu'il y a des chouans comme Canoudal
25:12 qui ont participé activement à la virée de Gallerne.
25:15 Mais aussi, la République a recruté massivement des habitants,
25:22 je pense à Gare par exemple, pour exterminer les Vendéens
25:26 qui ont traversé la loi.
25:27 Et d'ailleurs, il en reste une trace,
25:29 ce sont les fameux drapeaux en laiton sur l'église ou sur les mairies.
25:35 – Alors pour revenir à la chronologie,
25:37 c'est au moment où l'affaire Vendéenne s'arrête,
25:40 – Enfin, étant perte de vitesse.
25:42 – Enfin, étant perte de vitesse, que débute…
25:44 – La chouannerie sur le terrain.
25:47 – La chouannerie sur le terrain.
25:47 – C'est-à-dire que…
25:48 – Ça se concrétise comment ?
25:49 – Alors ça se concrétise comment ?
25:50 – Est-ce qu'il y a des armées qui sont levées ?
25:51 Est-ce que ce sont juste des escargots, des petits gros ?
25:53 – C'est en fait, dans un premier temps,
25:56 une addition de nobles locaux, ou de non-nobles,
26:00 c'est le cas de Kadoudal,
26:02 qui vont fédérer autour d'eux des gens.
26:08 La Ruairie est un compagnon de Washington
26:11 qui a participé à la guerre d'indépendance des États-Unis,
26:14 qui a été beaucoup marqué par la guérilla.
26:17 Et lorsqu'il commence à imaginer un plan insurrectionnel,
26:22 il va créer des camps d'entraînement.
26:26 Et à la tête de ces camps d'entraînement,
26:28 il va mettre un certain nombre de militaires, de gendarmes,
26:32 qui, lorsqu'il le mouvement va être décapité,
26:35 vont prendre l'initiative locale de soulever la population.
26:39 Et malheureusement, c'est une addition de soulèvement
26:44 qui, faute de chef, ne sera jamais globale.
26:47 – On soulève la population sous quel motif,
26:49 sous quel prétexte ?
26:51 – La défense du royaume de Bretagne,
26:53 la défense des libertés bretonnes.
26:56 Vous savez, c'est très dur, tout à l'heure Jacques en parlait,
27:01 lorsqu'on impose aux Bretons de ne parler que français,
27:04 alors que ce n'est pas leur langue maternelle,
27:07 et le fait de ne pas parler le français,
27:09 ils deviennent hors la loi, c'est quelque chose de terrible.
27:12 La conscription, c'est quelque chose de terrible.
27:14 On va défendre la France qui a écrasé militairement la Bretagne, etc.
27:23 Je prends le problème de l'impôt,
27:25 puisque les États de Bretagne, dont dépendait le niveau de l'impôt,
27:30 avaient négocié, réussi, par la résistance féroce, têtue,
27:35 auprès du roi, que la fiscalité bretonne était deux fois moindre
27:40 par rapport à la fiscalité française, c'est pas mal.
27:43 Et lorsque l'on a une fiscalité une et indivisible,
27:47 ils vont l'impôt doubler.
27:49 Vous voyez, c'est un certain nombre de sujets de mécontentement
27:53 que nous ne retrouvons pas en Vendée.
27:55 – Oui, il y a vraiment une espèce de croisement,
27:57 comme dans des ciseaux, entre la Vendée et la Chouinerie.
28:01 C'est-à-dire que la Vendée commence avec de grandes armées,
28:04 et finit en guérilla à l'époque des colonnes infernales,
28:07 à partir de décembre 1993, il n'y a plus d'armée catholique et royale,
28:11 alors que la Chouinerie commence en guérilla,
28:14 et au fond périra de ne pas avoir pu se coordonner
28:17 de manière à former une armée.
28:20 Mais là-dessus, le rôle qui a été rappelé par Reynald
28:23 de la guerre d'indépendance américaine est essentiel.
28:26 Le chef vendéen qui va le mieux réussir, c'est Charette,
28:29 parce que Charette lui aussi a fait la guerre d'Amérique,
28:32 et lui aussi a une expérience, même s'il l'a faite dans la marine,
28:36 il sait la puissance de la guérilla,
28:41 il sait qu'il n'a pas les moyens d'un choc frontal,
28:44 et dès le début il s'organise,
28:46 il ne participe pas à la Vierrée de Gallères,
28:48 il ne participe pas aux grandes batailles,
28:50 il n'est pas là à Cholet, il n'est pas là à Savenay,
28:55 il n'est pas là lors de la Vierrée de Gallères,
28:56 en revanche il va durer beaucoup plus longtemps, jusqu'en 1996,
28:59 grâce à cette organisation en guérilla,
29:02 qui est celle de la Chouinerie dès le début.
29:04 Kadouda aurait sans doute aimé et essayé de coordonner tout ça
29:08 de manière à en faire à la fin une armée,
29:10 parce qu'il aurait fallu ça, il ne réussira jamais.
29:14 Donc Vendée et Chouinerie sont deux choses qui, j'allais dire,
29:18 auraient dû se donner la main et n'ont jamais pu le faire.
29:21 – La Bretagne est un État souverain,
29:24 je le rappelle toujours, jusqu'à le traité d'Union,
29:29 mais qui conserve son identité face à la monarchie centralisatrice,
29:34 et la République française va gommer tout ça,
29:37 y compris le nom de la province, le nom du royaume,
29:40 la Bretagne, puisqu'il est interdit de maintenir les provinces
29:45 et qu'on va les découper en départements.
29:48 – On se veut commencer un peu avant,
29:50 quand Louis XIV transfère la capitale de Nantes à Rennes,
29:53 puisque le Parlement est à Rennes,
29:55 alors que le château des Ducs est à Nantes.
29:58 – Oui mais l'identité elle est toujours vécue,
30:02 consommée naturellement par les Bretons,
30:05 et d'ailleurs c'est ce qui se maintient toujours,
30:07 pourquoi les Parisiens aiment aller en Bretagne,
30:09 parce qu'il y a une identité forte.
30:12 – Là on a parlé un peu de la chaunerie bretonne,
30:14 la grande chaunerie comme Boulapé,
30:16 qui débute quand la ferme a donné une perte de vitesse.
30:19 – Qui est une addition de mouvements locaux,
30:22 avec chacun leur leader, les Bois-de-Niz.
30:25 – Donc ça c'est en Bretagne,
30:26 mais alors est-ce que les chauneries,
30:27 on en joue, voire en Normandie ça se passe comment ?
30:29 – Alors en Normandie, comment dire,
30:33 en Normandie elle est beaucoup plus tardive,
30:35 avec le marquis de Frotté,
30:37 quant à la Mayenne, ça va toujours rester
30:41 une addition de petits mouvements locaux.
30:46 Il n'y aura pas une grande chaunerie,
30:49 contrairement à ce qui s'est passé en Bretagne.
30:52 – Alors on a parlé de la Rurie, on a parlé de Kadoudal,
30:54 est-ce que ce sont déjà des figures ?
30:56 La Vendée, elle a ses grandes figures, avec Charette notamment,
31:01 la chaunerie, qu'est-ce qu'elle a comme grande figure ?
31:03 – Il y a un certain nombre de grands leaders nobs,
31:07 je pense à Boigui par exemple,
31:11 donc nobs, un certain nombre de leaders
31:14 qui viennent de couches moyennes,
31:18 je pense par exemple à Kadoudal, qui est un clair de notaire,
31:22 ou de simples paysans, je pense à Rouy par exemple,
31:26 à Port-Anaël où il y a le musée sur les guerres de l'Ouest.
31:30 Donc c'est un peu toutes les différentes strates
31:33 de la population qui s'investissent dans ce mouvement,
31:38 c'est-à-dire que le commencement, il est noble, nobilière,
31:44 et petit à petit ça va glisser vers le peuple.
31:47 Alors on peut s'étonner que des régions entières
31:50 ne se soient pas assurgées, il y a une explication partielle
31:52 que je vous ai donnée tout à l'heure,
31:54 mais quand on parle du Finistère par exemple,
31:57 toute l'élite du Finistère a été décapitée,
32:00 c'est-à-dire le conseil départemental, parce que Girondins, vous voyez.
32:06 Et donc l'État central décapite systématiquement,
32:12 quand il le peut, les forces organisées de contre-pouvoir.
32:16 – Et il essaye de promouvoir cette idée,
32:19 ensuite dans l'Emmanuel scolaire ça deviendra "les guerres de l'Ouest",
32:22 alors qu'en fait elles sont très différentes.
32:26 Il est très très surprenant de voir que dès 1794,
32:29 un Le Quignot par exemple, qui écrit son bouquin
32:33 essentiellement sur la Vendée, il l'intitule
32:34 "Guerre de la Vendée et des choix contre la République française",
32:38 alors qu'il ne parle que de la Vendée.
32:39 Quand Savary, en 1824, publie tous les documents
32:43 qu'il a sauvegardés en 6 volumes,
32:45 c'est un ouvrage absolument essentiel
32:47 parce qu'il a sauvegardé un tas de documents
32:49 qui ont été purgés des archives
32:50 et qui sont précisément ceux qui montrent
32:52 à quel point tout ce massacre organisé de la population
32:55 a été bien organisé depuis Paris.
32:58 Il intitule aussi son livre "Guerre de la Vendée et des choix
33:01 contre la République française",
33:03 alors que la Vendée et les choix,
33:04 il y a bien une inspiration commune et un objectif semblable,
33:08 qui n'est pas le même, effectivement, mais qui est semblable.
33:10 Ce sont deux histoires différentes
33:14 qui sont néanmoins en voisinage
33:16 et qui vont finalement se rejoindre,
33:17 mais alors sur la fin, c'est-à-dire vers 1799,
33:21 au moment où, peut-être que Renal voudra en parler,
33:24 au moment où Bonaparte prend le pouvoir,
33:27 lui c'est un politique, c'est pas un idéologue,
33:30 il veut résoudre le problème de la France de l'Ouest
33:33 et il veut le résoudre sur une base politique.
33:35 Et du coup, il va tout résoudre en même temps
33:38 et il va au fond fusionner politiquement
33:40 des choses qui militairement n'avaient jamais réussi à fusionner.
33:44 – Alors ça c'est très intéressant
33:45 parce que l'Union est effectivement tardive, 1799,
33:49 et les choixneries qui fusionnent deviennent très très fortes,
33:54 si bien qu'elles vont s'emparer de toutes les grandes villes
33:57 du pays gallo-saint-brieuc, etc.
34:00 et malheureusement, ils n'ont plus d'hommes.
34:02 Donc ils ne vont pas pouvoir rester sur place
34:05 et puis Napoléon va négocier assidueusement.
34:08 Alors qu'en Vendée, ils ne peuvent quasiment plus rien faire
34:10 parce qu'il n'y a plus d'hommes
34:12 et ça donnera la loi d'admissi du 28 décembre 1799.
34:16 – Il faut bien comprendre que les guerres de l'Ouest
34:18 ce sont ce qu'on appelle des guerres asymétriques.
34:20 La guerre asymétrique, n'est-ce pas, c'est la guerre
34:23 d'un côté vous avez une armée, de l'autre vous avez une guérilla.
34:25 Mais la différence entre la guerre symétrique et la guerre asymétrique,
34:29 c'est que dans la guerre asymétrique,
34:30 les insurgés n'ont pas pour but de gouverner le territoire
34:33 mais d'empêcher l'autre de le gouverner.
34:36 Et tant qu'ils réussissent à empêcher l'autre de gouverner,
34:39 c'est eux qui gagnent.
34:41 Et cette guérilla est pratiquement impossible à éradiquer
34:45 justement parce que c'est une guérilla
34:46 qu'elle est ancrée dans le pays et qu'ils le connaissent parfaitement.
34:49 Et du coup, il faut un règlement politique.
34:51 Et c'est pour ça qu'en Vendée, c'est en 95
34:54 que la République commence à sentir qu'elle est obligée
34:57 de négocier avec les Vendéens.
34:58 Ce sera le traité de la Jaunet qui pour diverses raisons va capoter
35:01 et qu'à la fin, la Vraie Paix, ce sera le concordat de différents.
35:05 – Alors avant d'en arriver à la Vraie Paix,
35:07 moi je voudrais reparler un peu des opérations militaires.
35:11 Vous avez expliqué comment lorsque la Chaunerie se fédère,
35:15 les grandes places sont occupées.
35:17 Il y a un moment clé dans la révolte chaune
35:19 qui est le débarquement de Quiberon.
35:21 Est-ce que vous pouvez…
35:21 – Alors ça, il est beaucoup plus tardé.
35:23 – En 95 ?
35:24 – En 95, en juin-juillet 1795.
35:29 L'idée, elle est très très simple.
35:33 C'est une idée qui émane d'un certain nombre de leaders,
35:36 excusez-moi l'anachronisme, chouans, notamment Kadoudal.
35:41 Kadoudal est un homme d'exception qui s'est imposé
35:46 pour des raisons, en raison de sa carure,
35:49 et deuxièmement de son intelligence pratique.
35:53 C'est un clair de notaire, c'est un lettré,
35:56 qui a été très bien formé par le collège saint-yves de Vannes.
36:01 D'ailleurs beaucoup de leaders du sud du département du Morbihan
36:10 sont issus du même collège et c'est intéressant à noter.
36:15 Très bien formés, ils sont très très bien formés.
36:17 Et qui se dit, en fait, il faut essayer d'accélérer l'histoire.
36:23 Et ils vont négocier avec le royaume d'Angleterre
36:28 le transfert d'une partie des émigrés
36:32 qui sont dispersés à travers l'Europe et en Angleterre,
36:38 qui débarquerait à Quiberon, le port a été choisi d'avance
36:43 et puis c'est un site extraordinaire pour débarquer des hommes,
36:48 et auquel on joindrait 15 000 chouans,
36:54 principalement du sud du département.
36:57 Et en fait tout va bien se passer,
37:00 c'est-à-dire que les anglais vont vraiment tout financer,
37:05 parce que la noblesse exilée n'a pas grand moyen
37:09 et puis les chouans n'ont pas de moyen non plus.
37:12 Donc c'est vraiment le premier ministre anglais
37:16 qui fait financer l'opération, le coût est colossal.
37:21 Les anglais ne débarqueront pas,
37:24 c'est une affaire vraiment franco-française,
37:26 brito-bretonne.
37:30 Et donc les émigrés vont débarquer effectivement sur les plages
37:35 et les chouans vont arriver.
37:37 Malheureusement les bretons, les chouans,
37:40 ne vont pas s'entendre avec les émigrés,
37:42 ou plus exactement les émigrés ne vont pas s'entendre avec les chouans.
37:45 Ils sont conduits par qui les émigrés ?
37:47 Dans un premier temps c'est un ordre dispersé,
37:52 il y a un certain nombre de leaders.
37:55 Personne ne s'impose réellement.
37:57 Du côté breton c'est Cadou Dal.
38:01 Mais les émigrés n'ont pas vu que l'histoire avait évolué,
38:04 ils sont hors sol.
38:06 Et eux lorsqu'ils débarquent,
38:08 ils veulent prendre d'autorité le pouvoir sur les chouans
38:12 qui eux disent "bah non, ils ne sont pas issus du terrain,
38:15 ils ne savent pas comment se battre etc."
38:18 Et ils vont tergiverser.
38:21 Et pendant ce temps-là, il y a le général Hoche qui est à Brest,
38:25 qui comprend le danger et l'urgence de la situation.
38:30 Il va faire envoyer 10 000 hommes avec des pelles et des pioches,
38:34 et ils vont faire de toutes pièces un mur de sable
38:39 pour empêcher les émigrés de rentrer sur le continent.
38:45 – Oui parce qu'ils vont être mis, c'est une presqu'île exactement.
38:48 – Et donc les émigrés vont être obligés de se rendre,
38:53 là en l'occurrence le chef c'est le sombroy,
38:58 qui va prendre deux précautions.
39:01 Premièrement, précaution de temps,
39:04 c'est-à-dire qu'il va négocier le temps qu'un certain nombre d'émigrés
39:09 puissent regagner les bateaux.
39:12 Et les anglais, là encore, jouent leur rôle.
39:15 Et deuxièmement, il va négocier avec Hoche
39:19 le traitement futur des prisonniers.
39:23 Et Hoche s'engage à reconnaître dans ses prisonniers
39:29 des prisonniers de guerre avec toutes les conséquences que cela a.
39:34 Et Hoche ne va pas respecter sa parole,
39:37 et là il va éliminer tous les prisonniers,
39:41 et là le mouvement nobilière-chouan disparaît définitivement.
39:48 – On peut être tout petit d'accord avec Renald,
39:50 est-ce que Hoche n'a pas respecté sa parole
39:53 ou est-ce que les représentants en mission,
39:55 moi ce serait plutôt ma thèse,
39:56 l'ont obligé à appliquer la loi du 19 mars 1993
40:00 qui a été d'ailleurs largement appliquée en Vendée,
40:02 c'est-à-dire qu'ils sont hors la loi
40:04 et par conséquent ils doivent être exécutés.
40:06 Moi j'aurais tendu plus l'audience à penser que...
40:08 – Ah mais moi je suis d'accord avec ça.
40:10 – Parce que l'éditeur Hoche n'a pas respecté sa parole.
40:12 – Oui mais parce que c'est lui le chef.
40:13 – Alors lui c'est le chef militaire,
40:15 mais les représentants en mission qui sont les commissaires politiques...
40:18 – En fait Hoche pour moi était chiracien,
40:19 les professeurs s'engagent que ceux qui y croient.
40:22 – Alors justement on parlait de répression,
40:24 on va moins sourire,
40:25 mais est-ce que la répression futile ou c'est féroce
40:28 et de même ampleur qu'en Vendée contre la sonnerie ?
40:31 – Alors ça c'est une bonne question.
40:33 Parce qu'en fait ce qui a sauvé la Bretagne c'est la Vendée.
40:39 C'est l'échec du système d'extermination en Vendée.
40:46 En fait l'idée de Robespierre et de tous les révolutionnaires,
40:54 c'était soit on régénérait la population,
40:59 soit ceux qui refusaient cette régénération devaient être éliminés.
41:04 Le problème c'est qu'on ne sait pas comment éliminer massivement les gens.
41:07 Et c'est l'échec de la Vendée qui a fait,
41:11 parce que c'était la deuxième région qui devait être éliminée, la Bretagne,
41:18 et en fait c'est la Vendée qui sauve la Bretagne de l'extermination.
41:22 Il y a eu des collins des infernales en Bretagne.
41:26 – Avec quand même aussi cette circonstance essentielle
41:29 qu'entre-temps Robespierre est tombé.
41:31 Il tombe en 27 juillet 94, donc le 9 Terminor.
41:34 Or à ce moment-là la chouannerie a commencé depuis seulement quelques mois,
41:40 qui bronce les 95, on n'est pas,
41:42 c'est-à-dire le comité de salut public, car il y en a toujours un,
41:45 jusqu'à octobre 95 qui sera donc le début du directoire,
41:51 à ce moment-là le gouvernement révolutionnaire n'est plus dans la logique
41:55 qui était la logique robespierriste de 93-94.
41:58 Il y a effectivement, et là-dessus je suis tout à fait d'accord avec Renald,
42:01 le fait qu'ils ont constaté l'échec de leur politique en Vendée
42:06 et qu'ils ne vont pas refaire la même chose en Bretagne.
42:09 Ajoutez à ça que Hoche va avoir également un rôle très important en Vendée
42:14 et que comme lui c'est quand même plutôt un militaire de carrière,
42:17 il est absolument contre la politique d'extermination
42:20 et il va mener, alors pour ça on le qualifie un peu activement à mon avis
42:27 de pacificateur de la Vendée, je dis ça parce qu'il a sa statue à Versailles
42:30 avec ce titre sur son piédestal,
42:33 je veux bien qu'on l'appelle pacificateur
42:35 mais au sens où Bujaud a pacifié l'Algérie, c'est quand même une forme de…
42:40 – Il a aussi sa statue, comment dire, à Quiberon
42:44 qui a un traitement très spécial par la population.
42:48 – Oui.
42:50 – Qu'est-ce qu'on y fait ?
42:52 – C'est un urinoir.
42:54 – D'accord.
42:56 – Alors finalement la chonnerie s'éteint de quelle manière ?
43:00 Il y a des négociations, exécutions, Kadouda avait été exécuté, arrêté ?
43:03 – Très tardivement.
43:05 – Oui, c'est Bonaparte.
43:07 – Tu citais Hoche, je crois qu'il y a un autre général
43:13 qui est absolument hostile à cette politique d'extermination,
43:17 c'est Bonaparte qui a refusé de servir en Vendée,
43:20 on connaît tous cette histoire extraordinaire,
43:22 dans la précipitation on envoie ces effets
43:26 et en fait ils vont être bloqués par les Vendéens
43:30 à la Seyre, tout près de la chapelle d'Assmer d'ailleurs,
43:34 ils vont être pillés mais Bonaparte refuse d'aller sur le terrain
43:40 parce qu'il n'est pas du tout d'accord avec le système d'extermination.
43:42 – Alors évidemment il trouve un bon prétexte, il dit "mais vous savez,
43:44 moi je suis artilleur et on ne peut pas se servir d'artillerie dans le bocage
43:48 puisque l'artillerie ça a un sens si on a un champ dégagé devant,
43:52 or on ne peut pas se servir de canon dans les chemins creux".
43:55 Mais Bonaparte est quand même très important pour l'histoire,
43:58 notamment de la Vendée, on l'a un peu oublié
44:01 mais c'est lui qui va être chargé de formule tribunale qui jugera Thurot.
44:05 Et il parle énormément de la Vendée,
44:09 on a une centaine de pages dans les mémoires de Montellon
44:13 qui a recueilli à Sainte-Hélène ce que Bonaparte avait à dire sur la Vendée.
44:19 Alors il n'y a pas réellement agi mais il a été au courant d'un tas de choses
44:24 et il dit des choses extrêmement intéressantes sur la Vendée,
44:27 je le mentionne parce que je le cite dans mon bouquin pour expliquer
44:33 que la répression en Vendée est bien un projet du comité de salut public
44:39 et c'est précisément parce qu'il était bien au courant
44:41 que c'était un projet politique qu'il ne voulait pas y participer
44:45 et qu'il s'en est défilé, ce qui montre,
44:48 à contrario à quel point Thurot est criminel,
44:50 parce que qui ne voulait pas aller servir en Vendée
44:53 pouvait en fait s'en dispenser.
44:57 Bonaparte l'a fait, Thurot n'a pas voulu le faire.
44:59 – Pour revenir sur Napoléon, il ne faut pas oublier que c'est Napoléon
45:03 qui a donné un certain nombre de privilèges au sens du 18ème à la Vendée
45:07 et qui va aussi indemniser la Vendée en 1808, 1811 et 1812.
45:11 Je pense qu'il était heurté profondément par le crime d'état commis en Vendée.
45:17 Alors pour répondre à votre question, pourquoi la Chouinerie
45:20 ou les premières Chouineries, parce qu'il faut exclure celles de 1799,
45:26 s'arrêtent, elles s'arrêtent tout naturellement ?
45:30 Faute de leaders, parce que petit à petit ils sont arrêtés,
45:34 exécutés ou tués au combat.
45:37 Faute aussi de soldats qui sont épuisés par ces rêves
45:42 et puis le système répressif est tel que les gens sont immobilisés.
45:47 Il y a eu un travail de fait sur cette question
45:51 par un grand historien breton, j'ai eu le privilège de l'avoir
45:56 comme professeur d'histoire, François Marquer
46:00 qui a écrit sous le pseudonyme d'Erlenich,
46:03 qui a fait une étude très approfondie sur cette question,
46:07 notamment à partir d'un officier local, Sol de Grisole.
46:11 C'est l'épuisement des populations.
46:14 Et il y a une deuxième différence,
46:16 autant la Vendée est immensément riche,
46:19 – Autant la Bretagne…
46:21 – Autant la Bretagne n'a pas cette richesse,
46:26 et il faut coûte que coûte se nourrir et travailler le champ.
46:31 – Nous arrivons à la fin de cette émission,
46:33 un dernier mot sur la mémoire de la chouannerie
46:37 aujourd'hui dans les régions concernées, en Bretagne.
46:40 Je sais que vous êtes le conservateur d'un musée qui est à Plouarnel.
46:43 – Qui est unique, c'est incroyable.
46:45 – Et sinon dans les villages, est-ce qu'il y a une mémoire ?
46:51 – Très faible.
46:52 Il y a des associations qui bien entendu travaillent
46:57 dans le sens de la conservation de la mémoire,
46:59 comme d'ailleurs en Mayenne avec les frères Rousseau.
47:03 Il y a quelques associations,
47:09 il y a quelques éléments de souvenirs ici et là,
47:15 des statues, des vitraux, etc.
47:21 Mais par rapport à la Vendée…
47:22 – Il y a le traumatisme et le panache.
47:25 – Il y a des monuments funéraires aussi.
47:27 Je pense par exemple à tous les monuments
47:31 qui ont été construits à partir du grand massacre de Quiberon,
47:35 dont on a la liste au sein du musée.
47:38 Et on a fait une crypte dans laquelle
47:44 est conservée les ossements des fusillés de Quiberon
47:51 dans la grande chartreuse d'Aurènes.
47:54 On peut la voir.
47:55 – Et donc le musée de Plouernel, je rappelle pour nos téléspectateurs,
47:58 Plouernel c'est vraiment juste à l'entrée de la presqu'île de Quiberon.
48:04 On mettra les coordonnées en incrustation.
48:07 Et sinon, les éditions Annel Sécher aussi diffusées des bandes dessinées…
48:12 – Oui, parce que je trouve qu'il y a une injustice en la matière.
48:18 Donc j'ai voulu effectivement publier une bande dessinée sur la Chanderie
48:24 comme j'ai fait sur la Vendée pour la faire connaître au plus grand nom.
48:29 Il manquerait évidemment la création d'un grand spectacle
48:33 comme Philippe de Villiers a fait au Puy-du-Fou.
48:37 Mais bon, tout ça, ça demande du temps, de l'argent, de l'énergie…
48:42 – Et Philippe de Villiers !
48:45 – Bretons !
48:45 – Merci, merci messieurs.
48:48 Vous allez maintenant retrouver Christophe Orlan et sa petite histoire.
48:53 N'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
48:56 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
48:59 Merci et à bientôt !
49:00 [Générique]
49:18 Quand on pense à la bataille de Normandie en 1944, on pense d'abord à…
49:21 [Générique]
49:34 Ou encore…
49:34 [Générique]
49:43 Et même, même à…
49:44 [Générique]
49:49 Quoi ?
49:49 Mais à ça, on y pense rarement.
49:51 [Générique]
50:03 Et pourtant, c'est bien là l'envers du décor, à supposer qu'il y ait encore un décor.
50:08 Vous le savez, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944,
50:11 les Américains déclenchent l'opération Overlord.
50:13 En six jours sont débarqués 620 000 soldats, 95 000 véhicules et 220 000 tonnes de matériel.
50:19 Ah ouais, quand même !
50:20 Contrairement à ce qu'on a souvent dit, la bataille de Normandie
50:22 ne fut pas pour les Yankees une petite promenade de santé.
50:25 Face à eux, une farouche résistance allemande qui induit une progression lente.
50:30 Et pour aller plus vite, selon la doctrine de l'époque,
50:32 il faut intensifier les bombardements,
50:34 "encager le champ de bataille" selon l'expression de l'historien Edi Florentin.
50:38 D'après les Américains, il fallait créer des roadblocks à chaque grand carrefour
50:42 situés en plein cœur des villes pour ralentir l'arrivée des renforts allemands.
50:45 Et que trouve-t-on sur ces roadblocks,
50:48 des grands carrefours,
50:49 où sont situés les grands carrefours dans les villes,
50:51 et que trouve-t-on dans les villes ?
50:53 Des civils.
50:54 Sauf que pour les Alliés, et surtout pour les Américains,
50:56 la France est un pays occupé, et donc un territoire ennemi.
50:59 Donc vous imaginez bien, on s'embarrasse peu des civils.
51:02 Ainsi, du 5 juin jusqu'à la fin de la bataille de Normandie, fin août,
51:06 des millions de bombes vont être déversées
51:08 avec des conséquences dramatiques pour les habitants.
51:11 [Musique]
51:13 [Musique]
51:42 Pour ne rien arranger, le jour du débarquement,
51:45 les avions américains, gênés par les nuages
51:47 et surtout de peur de bombarder leurs propres hommes,
51:49 ne bombardent pas la ligne de côte,
51:51 mais les fermes environnantes,
51:53 dans le plus grand des calmes.
51:54 Les civils sont donc les principales cibles
51:56 de cette stratégie de bourrin à l'anglo-saxonne.
51:59 J'ai toujours dit que c'était des bourrins, toujours.
52:01 C'est la ville de Caen qui va subir le bombardement le plus intense et le plus meurtrier.
52:05 Du 6 juin au 19 juillet,
52:07 les bombardements alliés font plus de 3 000 victimes,
52:10 15 000 même selon certains,
52:12 soit plus de 3,5 % de la population.
52:15 Le Havre est la deuxième grande cité martyr de cette guerre,
52:18 avec des bombardements du 5 au 11 septembre qui font plus de 2 000 victimes.
52:21 Et les bombardements ne visent pas que les grandes villes.
52:24 Dans le petit village d'Evrescy, près de Caen,
52:26 130 habitants sont tués sur les 400 du village,
52:29 soit un tiers de la population.
52:31 En tout, la Basse-Normandie enregistre dans ses trois départements plus de 14 000 morts.
52:36 8 000 dans le Calvados, 4 000 dans la Manche et 2 000 dans l'Orme.
52:39 En Haute-Normandie, surtout au Havre, à Evreux et à Rouen,
52:43 on enregistre plus de 5 000 morts,
52:45 soit au total pour toute la Normandie,
52:47 plus de 20 000 tués sous les bombes alliées,
52:49 sans compter les blessés.
52:50 C'est un chiffre énorme comparé aux 37 000 soldats alliés
52:53 et aux 80 000 soldats allemands qui ont été tués durant cette bataille.
52:57 Vous vous en doutez bien, les victimes sont majoritairement des citadins
53:00 car les villes sont visées par les bombes,
53:02 mais pas qu'eux, on trouve également des paysans
53:03 car en plus de ces bombardements,
53:05 les avions alliés mitraillent les routes.
53:07 À Trins, le 12 juin, le docteur Foissier est tué sur la route
53:11 alors qu'il allait visiter un malade.
53:12 De même pour le conseiller général Longuet des Diguers,
53:15 fauché alors qu'il transportait des réfugiés.
53:17 Ah ça c'est la frappe chirurgicale à l'américaine,
53:19 on l'a vu en Irak d'ailleurs.
53:20 Dans les villes, c'est l'apocalypse.
53:22 Écoutez ce témoignage de René Streff,
53:25 maître d'internat au lycée Malherbe de Caen.
53:27 "Des cris, des râles sortent de sous les décombres.
53:30 À l'auspice Saint-Jean, une jeune fille est vivante
53:33 sous une énorme pierre que nous n'arrivons pas à soulever.
53:35 Le corps d'une autre jeune femme affreusement mutilée
53:38 gît sur le pavé, les jambes coupées et la tête arrachée.
53:42 Un peu plus loin, c'est une petite fille blonde qui frappe notre attention.
53:45 Inerte, les bras en croix, son tronc a été sectionné en deux par un éclat.
53:50 Une mare de sang baigne ses cheveux."
53:52 Conformément à la stratégie américaine,
53:54 qui fut également celle des anglais et de Churchill,
53:56 comme du maréchal Arthur Harris, surnommé Butcher Harris,
54:00 Harris le boucher,
54:02 on cherche à raser des zones entières
54:04 pour pulvériser l'ennemi sous un déluge de feu.
54:06 Des villes entières sont rasées sous les bombes.
54:08 Saint-Lô à 77%,
54:10 Falaise à 76%,
54:13 Le Havre, 86%.
54:15 En 18 jours, 600 000 obus s'abattent sur la ville de Caen
54:18 qui est détruite à 75%.
54:20 Dans ce chaos plane, selon les mots de Christophe Bauduf,
54:23 "Enivrante et horrible, l'odeur inoubliable de la mort,
54:27 la senteur fade du charnier et des chairs brûlés
54:30 qui, par endroits, s'accrocha pendant plusieurs mois aux ruines de Caen."
54:34 Pour lui, incontestablement,
54:36 le marteau allié est bien plus destructeur que l'enclume allemand.
54:39 Pour l'historien Henri Amouroux,
54:41 l'adiation alliée, sauvagement, a ravagé, incendié et tué.
54:46 Tué des hommes, des femmes, des enfants,
54:49 dont souvent on ne retrouve que des lambeaux impossibles à identifier.
54:52 Il existe également des corps que nul ne réclame,
54:55 soit parce que la famille toute entière a péri,
54:57 soit encore parce que les survivants ont fui aussi loin qu'ils pouvaient fuir.
55:01 Loyez aujourd'hui !
55:02 En parallèle de cette tragédie, on assiste à un exil massif des citadins,
55:06 accueillis par dizaines dans les campagnes par les paysans.
55:09 Vient donc le moment de s'interroger sur la nécessité d'une telle boucherie.
55:13 [Musique]
55:42 Aujourd'hui encore, la stratégie alliée de bombardement intensif
55:45 soulève de nombreuses questions, la plus grave étant,
55:48 y a-t-il eu une intention homicide ?
55:50 Officiellement, non.
55:52 D'ailleurs, le 6 juin 1944,
55:54 des avions alliés déversent sur les zones ciblées
55:57 des milliers de tracts signés "Dies an hour"
55:59 où on peut lire "N'encombrez pas les routes,
56:02 dispersez-vous dans la campagne autant que possible,
56:05 partez sur le champ, vous n'avez pas une minute à perdre."
56:08 Là c'est quand même différent des bombardements de terreur
56:10 qui étaient imposés au peuple allemand, par exemple.
56:12 Le 12 octobre 1942, déjà, une directive de la RAF précise
56:17 que toute attaque en territoire neutre et ennemi
56:19 doit être conduite avec le souci raisonnable
56:22 d'éviter les pertes civiles indues.
56:24 Sauf que dans l'esprit des alliés, comme on l'a dit,
56:26 la Normandie est considérée comme un territoire occupé
56:29 et donc comme un territoire ennemi,
56:31 d'autant que les alliés se méfient des français
56:33 et particulièrement des normands.
56:34 Donc certes, il n'y a pas d'intention homicide officielle,
56:37 mais il convient de s'interroger tout de même
56:39 sur la nécessité et la pertinence de cette stratégie.
56:42 Par exemple, pour Max Hastings,
56:44 le bombardement de Caen est l'une des attaques
56:46 les plus futiles de la guerre.
56:48 Tout comme le Havre, d'ailleurs.
56:49 Alors certes, ce sont des axes routiers importants,
56:51 mais de l'aveu même des allemands,
56:53 ces bombardements ont gêné leurs mouvements,
56:55 mais sans les empêcher.
56:55 Eh bon, c'est l'esprit américain, ça.
56:58 Ça ralentit, on bourrine.
56:59 Faudrait peut-être vous interroger aussi.
57:01 Si ça ralentit, c'est peut-être pas qu'il faut bombarder à tour de bras,
57:03 c'est peut-être juste que vos soldats sont nuls.
57:06 Faut creuser là-dessus, à mon avis.
57:07 En 97, l'université de Caen a d'ailleurs publié un document
57:10 dans lequel elle s'interroge sur la nécessité et la finalité
57:13 d'une opération au coût matériel et humain si lourde.
57:16 Écoutez ce témoignage d'un témoin...
57:18 Oui, c'est un témoin qui témoigne.
57:19 ... cité par Christophe Bauduf.
57:21 "Au moins, les civils allemands bombardés pouvaient-ils,
57:23 lorsqu'ils survivaient,
57:25 comprendre qu'il s'agissait là de faits de guerre
57:27 perpétrés par une armée hostile.
57:29 Eux pouvaient trouver un bouc émissaire à leur malheur
57:31 et tourner leur poing vers le ciel
57:33 en criant leur rancœur ou leur haine.
57:35 Nous autres, normands, n'avions même plus le ciel
57:37 contre qui nous tourner.
57:39 Au final, de 40 à 45 sur la totalité du territoire français,
57:43 600 000 tonnes de bombes anglo-américaines ont été déversées,
57:47 70 000 Français tués, 90 000 bâtiments détruits."
57:50 Ah, si c'est ça, la libération, moi ça va !
57:53 Je préfère m'habituer à la choucroute.
57:54 Plus sérieusement, bien sûr, on va pas regretter l'occupation allemande,
57:57 bien entendu, mais bon...
57:59 Avec des alliés comme ça, on va pas bien loin.
58:01 Et puis d'ailleurs, on le voit,
58:04 on n'a pas été bien loin.
58:05 Merci à tous d'avoir suivi ce nouvel épisode de La Petite Histoire.
58:09 Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures,
58:11 mais avant de vous quitter, j'aimerais vous informer d'une chose.
58:13 Je sais que sur YouTube, c'est un peu la mode de faire des FAQs
58:16 quand on a un certain nombre d'abonnés
58:18 pour que la personne qui fait sa vidéo puisse répondre
58:21 aux téléspectateurs et interagir avec eux.
58:25 Alors moi, j'ai pas envie de consacrer un épisode anti à faire une FAQ,
58:29 ça n'aurait pas vraiment de sens sur TV Liberté.
58:32 Ce que je me propose donc de faire, c'est,
58:34 quand vous avez des remarques et que vous les publiez en commentaire de mes vidéos,
58:38 de temps en temps, voire toutes les semaines si possible,
58:40 quand il y a des questions pertinentes,
58:42 moi, j'en prends une et à la fin de chaque épisode,
58:45 je traite une question, je réponds à une interrogation qu'on me fait,
58:48 que ce soit sur la manière dont je travaille,
58:51 sur les livres que j'utilise, les documents que j'utilise,
58:54 ou même sur un sujet précis que j'aurais abordé dans l'émission.
58:57 Voilà, donc n'hésitez pas, si vous avez des questions,
58:59 à les poser dès maintenant dans les commentaires de cette vidéo.
59:02 Et à bientôt pour de nouvelles aventures !
59:05 [Musique]

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