Daphné Roulier reçoit l'avocate Marine Calmet.
Marine Calmet appartient à cette nouvelle génération de juriste déterminés à défendre les droits de la nature. Parmi ses combats, l'EPR de Flamanville ou encore le projet Minier de la Montagne d'or en Guyane. Face à des outils juridiques qu'elle juge insuffisants pour protéger la planète et une hausse de la criminalité environnementale, l'avocate insiste ici sur l'importance d'accorder des droits opposables aux éléments naturels, ainsi que de renverser l'actuel rapport de force afin de corriger notre vision utilitariste et dominatrice de la nature.
La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.
Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..
Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?
Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ?
Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.
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Marine Calmet appartient à cette nouvelle génération de juriste déterminés à défendre les droits de la nature. Parmi ses combats, l'EPR de Flamanville ou encore le projet Minier de la Montagne d'or en Guyane. Face à des outils juridiques qu'elle juge insuffisants pour protéger la planète et une hausse de la criminalité environnementale, l'avocate insiste ici sur l'importance d'accorder des droits opposables aux éléments naturels, ainsi que de renverser l'actuel rapport de force afin de corriger notre vision utilitariste et dominatrice de la nature.
La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.
Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..
Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?
Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ?
Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.
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NewsTranscription
00:00 Musique douce
00:03 ...
00:18 Marine Calmet, comment vous définiriez-vous ?
00:21 Avocate, militante, guerrière, gardienne de la nature ?
00:25 -Un peu tout ça, en vérité.
00:27 J'ai adopté le terme de gardienne,
00:30 parce qu'il renvoie à la fois à une certaine forme de poésie
00:33 et à un rôle très sérieux,
00:35 c'est celui de se dépasser soi-même en tant qu'humain
00:38 et endosser cette responsabilité de représenter
00:41 plus que les simples humains,
00:43 la nature, les écosystèmes dans lesquels nous vivons
00:47 et dont nous avons la responsabilité.
00:49 -Vous êtes jeune diplômée,
00:51 mais vous comptez quelques beaux combats.
00:53 Le projet minier de la Montagne d'or,
00:55 qui a été en son temps en Guyane par Emmanuel Macron,
00:58 le père de Flamanville aussi,
01:00 vous a amené à vous intéresser à ces sujets-là ?
01:03 -Leurs dimensions, elles sont le symbole
01:06 d'une société qui va mal, qui surexploite la nature,
01:09 qui transforme les paysages,
01:11 qui détruit le monde dans lequel on est pourtant implanté.
01:14 Du coup, pour moi, c'est cette dimension pharaonique
01:17 qui était le symbole d'une société malade,
01:20 qui vit dans l'outrance et dans l'irrespect du vivant.
01:23 -Dans le cas de Flamanville, un arrêté du ministère de l'Ecologie
01:27 a permis à la centrale de continuer à fonctionner,
01:30 alors même qu'elle avait été jugée non conforme
01:33 en raison de failles sécuritaires.
01:35 Des aberrations comme celles-ci, vous y êtes souvent confrontée ?
01:39 -Oui, parce que typiquement, le droit nucléaire,
01:41 c'est comme un droit exorbitant,
01:43 un droit qui est tellement lié aux intérêts, je dirais, politiques
01:47 qu'en fait, on le transforme, on le façonne,
01:50 parfois en délaissant des choses aussi simples
01:53 que la sécurité la plus essentielle de nos populations
01:56 ou des considérations écologiques.
01:58 Et donc, sous prétexte de sauver les intérêts économiques,
02:02 eh bien, on va faciliter des dérogations
02:04 qui sont irresponsables.
02:06 -Comment se fait-il qu'aujourd'hui, une société, une entreprise,
02:09 a plus de droits que la nature ?
02:11 Ca devrait être le contraire, à priori.
02:14 On devrait donner des droits à la nature et pas à ceux qui l'abiment.
02:18 -Justement, la nature n'a aucun droit dans notre société,
02:21 ce qui n'est pas vrai de toutes les sociétés.
02:23 Il y a énormément de sociétés, historiquement,
02:27 qui protégeaient en priorité les communs
02:29 et qui, justement, mettaient de côté,
02:33 ou je dirais, canalisaient les intérêts
02:35 ou les pulsions individuelles.
02:38 -Prédatrices. -Exactement.
02:39 Or, dans notre société, c'est un mouvement historique
02:43 assez récent, au regard de l'humanité
02:45 et même du monde occidental,
02:47 là où, traditionnellement, on protégeait les communs,
02:50 progressivement, avec la création de la personne morale,
02:53 qui est un ovni juridique, il y a encore quelques centaines d'années,
02:57 la personne morale devient de plus en plus puissante
03:00 au fur et à mesure aussi que son capital augmente.
03:03 Quand vous avez des sociétés qui pèsent aussi lourd que des Etats,
03:07 forcément, ça déséquilibre ce rapport de force.
03:09 Et ces personnes-là, qui représentent un intérêt privé,
03:13 se retrouvent à chuchoter à l'oreille de ceux qui font la loi,
03:16 et c'est comme ça, de fil en aiguille,
03:19 qu'une personne morale peut avoir le respect de son image,
03:22 le respect de sa propriété, au détriment de tous les autres.
03:25 On pense à de nombreux procès environnementaux
03:28 qui l'ont illustré, notamment, par exemple,
03:31 le Texaco-Chevron, en Équateur,
03:33 où, justement, les pollutions monumentales
03:35 ont conduit à énormément de morts, de malades,
03:39 une forêt décimée sur de très nombreuses décennies
03:42 et une multinationale qui se cache derrière le droit
03:46 pour, justement, s'en tirer, ne jamais payer.
03:48 -Où en est-on, justement, de ce procès Texaco-Chevron,
03:51 en Équateur ? Parce que l'Équateur a inscrit
03:54 les droits de sa terre, la terre-mer,
03:56 dans sa Constitution.
03:58 -Oui, et d'ailleurs, ça avait mené à une condamnation en Équateur,
04:02 mais Texaco-Chevron a réussi à casser ce jugement
04:05 en se cachant derrière le droit international
04:08 et reste, aujourd'hui, parfaitement impuni.
04:10 Et ça, c'est le cas dans de très nombreux endroits dans le monde.
04:14 L'Équateur, justement, ce qui est fondamental
04:17 à retenir de l'histoire, c'est que le peuple d'Équateur,
04:20 traumatisé par cette histoire extrêmement lourde,
04:23 a eu et a saisi l'occasion de réviser sa Constitution
04:26 et a intégré en 2008 les droits de la terre-mer
04:29 dans l'article 71 de sa Constitution,
04:31 aussi pour dire "plus jamais ça".
04:33 -L'Équateur a révisé sa Constitution,
04:36 mais ça n'a aucun impact juridique concret
04:39 sur Texaco-Chevron, sur cette affaire,
04:41 en particulier, sur le droit
04:43 à l'eau, sur cette affaire ?
04:45 -Justement, parce que le droit international,
04:47 lui, est régi par tout un tas de considérations libérales
04:51 et surtout parce que Texaco-Chevron
04:53 se cache, notamment, derrière les tribunaux d'arbitrage.
04:56 C'est cette justice privée qui, justement,
04:59 lui permet d'échapper à la justice nationale,
05:01 celle de l'Équateur, alors que d'autres sociétés minières
05:05 qui souhaitent s'implanter en Équateur
05:07 se retrouvent confrontées à cette justice.
05:10 Récemment, on a de très belles victoires,
05:12 dans la forêt de Los Cedros.
05:14 Le juge a annulé les permis miniers délivrés aux entreprises
05:17 à la demande des citoyens, à la demande des collectivités
05:21 et a donné l'opportunité à l'État, justement, d'Équateur,
05:25 de réécrire un plan de gestion intégrant particulièrement
05:29 la question de la protection des droits de la nature
05:32 comme un présupposé à la bonne gestion de ce territoire.
05:35 -On va parler des failles juridiques
05:37 et du droit international et du droit français
05:40 en matière d'environnement,
05:42 vous avez fréquenté, Marine Calmet,
05:44 les grands cabinets d'avocats,
05:46 mais également les chemins de traverse,
05:49 notamment ceux de Notre-Dame-des-Landes.
05:51 Qu'êtes-vous allée chercher à Notre-Dame-des-Landes
05:54 et qu'en avez-vous retiré ?
05:56 -Moi, je me suis toujours intéressée, disons,
05:59 à ces luttes de terrain,
06:00 parce qu'elles nous montrent aussi la diversité des moyens d'action.
06:04 C'est cette richesse qu'on retrouve dans les territoires
06:07 et qui ne fait pas que contester,
06:09 mais qui protège aussi un certain idéal,
06:12 dans lequel les êtres humains vivent en harmonie avec leur terre.
06:15 Ils ne sont pas dans cette relation de prédation,
06:18 de violation des droits de la nature,
06:20 mais se voient comme des gardiens et des gardiennes
06:23 de leur territoire et disent
06:24 "Ce projet est fondamentalement incompatible
06:27 "avec le futur que je souhaite laisser à mes enfants."
06:30 Je pense que c'était aussi les luttes de Notre-Dame-des-Landes.
06:34 Tous ces grands projets, en fait, illustrent fondamentalement
06:37 la rupture avec le monde de ceux qui se projettent
06:40 comme étant les propriétaires de cette planète,
06:43 ceux qui peuvent exploiter à outrance la terre
06:46 et tous les aimants de la nature,
06:48 et les autres qui se voient comme parties prenantes,
06:51 comme membres inséparables de cette communauté des vivants.
06:54 Et quand on est juriste,
06:55 et surtout quand on arrive dans un territoire
06:58 et qu'on a la liberté et la possibilité d'observer,
07:01 c'est d'une richesse énorme,
07:03 parce qu'on se rend compte à quel point, oui,
07:05 sur notre planète, il y a des mondes très différents qui existent,
07:09 mais il s'agit de choisir à quel monde on souhaite appartenir
07:12 et ce qu'on souhaite défendre.
07:14 -Votre combat ne date pas d'hier.
07:16 Le juriste américain Christopher Stone
07:19 défendait déjà dans les années 70
07:21 des sequoias millénaires contre Walt Disney.
07:25 La firme de Mickey s'apprêtait à les raser
07:27 pour construire une station de ski et un parc d'attraction.
07:30 En quoi est-ce crucial d'accorder des droits à la nature ?
07:34 -Ce qui est fondamental dans la pensée de Christopher Stone,
07:38 c'est qu'il nous permet de dézoomer au niveau historique.
07:41 Il nous rappelle dans son ouvrage "Les arbres doivent-ils plaider ?"
07:45 à quel point l'évolution de la personnalité juridique
07:48 est fondamentalement liée à la culture,
07:50 à l'instant et à l'éthique qui se trouvent dans cet instant.
07:54 Il dézoome historiquement en nous rappelant
07:56 que pendant une très large partie de l'histoire de l'humanité,
08:00 les esclaves noirs étaient privés de la personnalité juridique.
08:03 Ils étaient la propriété de leurs maîtres.
08:06 Les femmes considérées comme des incapables,
08:09 classées comme des enfants, des fous,
08:11 même dans le régime français,
08:13 étaient sous la tutelle de leur mari ou de leur père.
08:16 De cette manière, Christopher Stone
08:18 essaie de réveiller notre mental en nous disant
08:21 que donner des droits à la nature,
08:23 reconnaître ces droits fondamentaux du vivant,
08:26 était le chemin éthique le plus normal à suivre
08:28 parce que, et il l'illustre,
08:30 la personnalité et les droits fondamentaux accordés à autrui
08:34 est une histoire, finalement, d'accroissement concentrique.
08:37 Progressivement, la société s'élargit
08:39 et considère les intérêts d'autrui
08:42 de manière de plus en plus large.
08:44 Aujourd'hui, Christopher Stone nous amène à réfléchir.
08:47 Est-ce qu'élargir la focale n'est pas absolument nécessaire
08:50 dans la situation de crise environnementale ?
08:53 -Et d'urgence, d'effondrement climatique.
08:55 -Il se place dans les années 70.
08:57 Ce qui était connu, déjà,
08:59 il parle du réchauffement climatique,
09:01 de l'effondrement de la biodiversité.
09:03 Si le mouvement des droits de la nature
09:05 est en train de prendre très largement dans le monde,
09:08 d'Amérique du Sud jusqu'aux Etats-Unis,
09:11 en passant par l'Ouganda et l'Inde,
09:13 c'est parce qu'on ressent profondément
09:15 cet appel aussi à la fois éthique, politique, juridique,
09:19 de s'aligner avec le fait que les non-humains
09:21 ont forcément des droits
09:23 et qu'il ne s'agit pas de leur donner des droits
09:26 ou de leur conférer, mais de les énoncer,
09:28 car ils ont toujours été là,
09:30 comme les droits fondamentaux humains,
09:32 à cause de notre naissance et de notre qualité.
09:35 En essayant de prendre un peu de recul,
09:37 c'est ce dézoom historique qui est nécessaire.
09:40 J'en avais parlé dans mon livre.
09:42 Je pense que ces trois "what happens" étapes
09:44 pour arriver à ce qu'une idée s'installe dans la société...
09:48 Au début, quand on parlait des droits de la nature,
09:51 les gens riaient de nous.
09:52 Ils se moquaient ouvertement de l'idée
09:55 de donner des droits à des fleuves, à des forêts.
09:58 L'étape numéro 2, c'est celle de devenir un danger.
10:01 On n'en peut plus. D'un coup, c'est sérieux.
10:03 On est face à des personnes
10:05 qui remettent en question l'ordre établi.
10:07 Là, on a un mouvement de recul.
10:09 Ça devient une confrontation
10:11 entre deux ordres du monde.
10:13 Je me suis dit qu'il faut voir plus loin.
10:16 La troisième étape, celle qu'on souhaite atteindre,
10:19 est devant nous, peut-être déjà atteignable.
10:22 C'est celle où l'idée devient banale.
10:24 Il faut passer par cette deuxième étape
10:27 pour que l'idée devienne parfaitement acceptée
10:30 et que demain, les droits de la nature,
10:32 cette défense du vivant, soit absolument mainstream.
10:35 J'en suis profondément convaincue.
10:37 Rien qu'à voir l'éducation de nos enfants
10:40 qui changent leur mentalité,
10:42 même dans les médias ou dans l'opinion publique,
10:45 l'idée que nous soyons pleinement
10:48 et responsables de la nature,
10:50 elle est en train de faire un chemin très rapide
10:53 et incroyablement fulgurant.
10:55 Ce que nous, aujourd'hui, nous avons du mal à défendre,
10:59 dans des circonstances difficiles,
11:01 je pense que nos enfants nous remercieront
11:03 d'avoir tenu bon.
11:04 -Plus le climat se détraque,
11:06 plus les citoyens se rebiffent,
11:08 plus les procès se multiplient.
11:10 On en compte une centaine de par le monde.
11:13 Le droit peut-il réussir là où le politique a échoué ?
11:16 -En fait, les deux ne peuvent pas être déliés.
11:21 La politique, en fait, est l'affaire de tous, en théorie.
11:26 Le mouvement des droits de la nature
11:28 prend dans des territoires où un droit
11:31 souhaite être imposé depuis le haut,
11:33 voire depuis l'extérieur.
11:35 C'est le cas lorsque des multinationales
11:37 arrivent et imposent leur droit.
11:39 Le mouvement des droits de la nature,
11:41 s'il prend comme ça, par petites oasis,
11:44 c'est parce qu'il crée un espace
11:46 dans lequel les citoyens disent
11:48 "Nous n'acceptons plus ce droit néocolonial,
11:51 "nous n'acceptons plus ce droit
11:53 "qui ravage impunément le vivant,
11:55 "et nous voulons notre propre droit."
11:57 Nous ne voulons pas être dans l'illégalité,
11:59 nous ne voulons pas être considérés
12:02 comme des terroristes, nous avons nos propres lois,
12:05 et elles sont respectueuses du vivant,
12:07 de notre identité, de nos traditions,
12:09 de notre histoire. C'est comme ça qu'en Ouganda,
12:12 on a l'adoption d'une loi sur les sites sacrés,
12:15 qu'en Inde, des citoyens se battent
12:17 pour les droits du Gange, de l'Himalaya.
12:20 Ces poches de résistance disent "Nous avions un droit,
12:23 "et quand le droit libéral arrive, nous avions notre droit."
12:26 Et celui-ci reconnaissait pleinement
12:29 que nous sommes interdépendants de la nature
12:31 et que nous sommes responsables d'elle.
12:34 Pour ne pas sombrer dans l'illégalité,
12:36 on oppose ce droit de la nature comme étant un droit juste
12:39 et qui garantit sur le long terme les fondamentales.
12:42 -Les droits accordés à la nature,
12:44 vos adversaires craignent les droits opposables.
12:47 Il y a une concurrence entre les droits de la nature
12:50 et les droits humains, et cette crainte va jusqu'à l'Elysée,
12:54 puisque Emmanuel Macron a été le premier à craindre
12:57 que les droits de la nature viennent contrecarrer
13:00 les droits humains.
13:01 -Oui, et c'est là qu'il y a une très grande confusion.
13:04 En fait, aujourd'hui, et c'est jusqu'aux plus grandes instances,
13:08 comme Antonio Guterres, l'ONU, etc.,
13:10 tout le monde, aujourd'hui, convient qu'il n'y aura pas
13:13 de protection des droits humains sans protection de la nature.
13:16 Aujourd'hui, les plus grandes instances
13:19 ont acté des fines conventions.
13:21 -Donc c'est un faux procès ?
13:23 -En fait, non, c'est pas un faux procès,
13:25 c'est délibéré.
13:26 C'est-à-dire que derrière, il y a l'idée
13:29 de faire passer le message que protéger la nature,
13:32 c'est forcément incompatible avec les intérêts humains.
13:35 Et ça, c'est une opinion politique.
13:37 C'est une visée aussi, apparemment, libérale,
13:40 de se dire... -Néolibérale.
13:42 -Néolibérale, ce sont, finalement, nos libertés ou la nature.
13:45 Et ça, c'est une vision politique.
13:48 On essaie de distiller dans l'opinion,
13:50 tout comme d'autres concepts, comme l'écologie punitive,
13:53 servent, justement, à nourrir cette pensée libérale.
13:56 Et donc, là, aujourd'hui, le mouvement des droits de la nature,
14:00 justement, a cette idée qu'il faut déconstruire cet imaginaire
14:03 et faire en sorte que nous intégrions pleinement
14:06 que nos droits fondamentaux sont interdépendants
14:09 des droits de la nature.
14:11 La nature et l'homme font partie du même système.
14:14 C'est la même chose de défendre les droits de la nature
14:17 et des droits humains.
14:18 -L'ancienne ministre Corine Lepage estime, néanmoins,
14:21 que cette question de droit en soulève d'autres,
14:24 d'ordre démocratique, notamment.
14:26 "Comment représenter ces écosystèmes, dit-elle,
14:29 "et entiter devant un tribunal sans les trahir
14:32 "ni les instrumentaliser ?"
14:34 -En fait, aujourd'hui, beaucoup s'en plaignent.
14:37 Ca passera notamment par une reconsidération,
14:39 une revalorisation de la pensée scientifique.
14:42 Aujourd'hui, la place laissée à la science dans nos sociétés,
14:46 malheureusement, on le voit, elle est infime.
14:49 On a de multiples instances scientifiques,
14:51 le Conseil national de protection de la nature,
14:54 le Haut conseil pour le climat, tous sonnent l'alarme en disant
14:58 "nos politiques vont dans le mauvais sens"
15:00 et parce qu'il s'agit uniquement d'instances consultatives,
15:04 eh bien, nous n'en tenons pas compte.
15:06 Quand je dis "nous", je ne m'y intègre pas.
15:09 Le gouvernement et les lois promulguées
15:11 n'en tiennent pas compte.
15:13 On ne connaît pas le pourcentage des lois
15:15 qui font l'objet d'un bilan carbone
15:17 et on ne connaît pas l'impact écologique
15:20 des lois, des programmes, des réglementations.
15:23 Or, il s'agit de redonner du poids à cette connaissance scientifique
15:27 pour qu'on puisse prendre des décisions éclairées
15:30 de ce qui est bon pour la nature
15:31 et ce qui est pérenne sur le long terme.
15:34 Une société qui se base sur des lois
15:38 qui sont fondamentalement incompatibles avec le vivant
15:41 ne peut pas être pérenne sur le long terme.
15:44 -En 2021, le fleuve de Tavignanou, en Corse,
15:46 a bénéficié d'une déclaration de droit de la nature.
15:50 Qu'est-ce que cela signifie concrètement
15:52 et est-ce que cela pourrait faire jurisprudence ?
15:55 -Il s'agit d'un mouvement qui prend un peu partout dans le monde.
15:59 On a une déclaration universelle des droits des rivières
16:02 qui a été écrite avec de nombreux juristes scientifiques
16:05 du Earth Law Center.
16:07 Ce modèle, comme la déclaration universelle
16:10 de la terre-mer, sert à répliquer des initiatives
16:12 un peu partout dans les territoires.
16:15 On travaille aussi sur la déclaration
16:17 pour les droits de la Seine, sur la Garonne,
16:19 en Haute-Savoie, sur le Chiran, le Nant-Bénin.
16:22 Toutes ces initiatives prennent à partir de poches de citoyens
16:26 qui constatent dans leur territoire
16:28 l'implantation d'une nouvelle décharge,
16:30 comme c'est le cas en Corse,
16:32 de retenues collinaires en Savoie
16:35 pour le ski et la neige artificielle
16:37 ou pour la Garonne, de pollution, de barrages ou de projets polluants.
16:41 Il y a des citoyens qui saisissent de cet outil des droits de la nature
16:45 pour faire monter ce sujet en disant
16:47 "Voilà les droits que devraient avoir nos fleuves,
16:50 "nos forêts, nos rivières."
16:52 Ils contestent, comme je vous le disais,
16:54 le système actuel grâce à cette déclaration.
16:57 -Les droits que devrait avoir la nature.
16:59 En France, est-ce qu'un citoyen peut engager des poursuites
17:03 contre des pollueurs au nom d'un écosystème dégradé
17:06 et saisir l'Etat pour s'opposer à un projet
17:08 qu'il considérerait désastreux pour l'environnement ?
17:11 -C'est un grand problème.
17:13 En tant que citoyen isolé,
17:14 sauf si vous êtes lésé personnellement
17:17 par un préjudice écologique,
17:18 vous ne pouvez pas agir.
17:20 Ce que je trouve personnellement anticonstitutionnel,
17:23 puisque notre charte de l'environnement prévoit
17:26 que chacun a l'obligation d'agir pour défendre l'environnement.
17:30 C'est à mon sens quelque chose qui doit évoluer
17:32 dans d'autres pays, comme en Équateur ou en Inde.
17:35 L'action popularis, c'est l'action ouverte
17:38 à tous les citoyens de défendre l'intérêt public.
17:41 Ce n'est pas le cas en France.
17:42 Ça doit évoluer pour que chacun puisse défendre
17:45 les droits de la nature.
17:47 -Pour que chacun puisse les défendre,
17:49 l'écocide n'a pas été reconnu dans le droit français.
17:52 La Convention citoyenne l'a réclamé.
17:54 Le gouvernement a détricoté cette loi
17:56 pour en faire un délit de pollution.
17:59 Grosso modo, pour poursuivre l'Etat, une entreprise,
18:02 il faut montrer l'intentionnalité
18:04 de nuire.
18:05 -Oui. Ce qui est très dur à comprendre
18:08 aujourd'hui dans ce modèle juridique,
18:10 ce qui était un vrai blocage,
18:12 c'était que l'Etat se retrouvait finalement
18:15 à être contredit dans son action.
18:18 On autorise aujourd'hui énormément d'activités
18:21 qui sont fondamentalement incompatibles
18:24 avec les besoins du vivant.
18:25 Et ce qui, finalement, était une remise en question,
18:29 l'écocide était une remise en question de ce modèle.
18:32 Et les entreprises disaient, mais comment se fait-il
18:35 que demain, on puisse nous donner l'autorisation
18:38 et ensuite nous contraindre par le droit ?
18:41 Eh bien, nous, nous voyons la nécessité aujourd'hui
18:45 de donner la possibilité d'agir pour l'écocide
18:48 lorsque, malheureusement,
18:49 des considérations économiques,
18:52 des considérations strictement financières
18:54 ont justifié certaines activités.
18:57 Il faut donner la possibilité aux juges d'agir
19:00 lorsque les droits du vivant ne peuvent pas, justement,
19:03 être garantis sur le long terme.
19:05 Et donc là, on avait un modèle, malheureusement,
19:08 une proposition de l'écocide qui a fait peur,
19:11 qui a fait peur, et en même temps, j'ai envie de dire,
19:15 elle a ouvert un débat.
19:16 Il faut se projeter sur le long terme.
19:19 -L'écocide, écrit Dominique Bourg,
19:21 n'est pas le crime ultime, mais le crime premier,
19:24 le crime transcendant, celui qui réunirait
19:27 les pays de la Terre. Ce crime, aujourd'hui,
19:30 Marine Kalmett, n'est toujours pas reconnu.
19:32 Les entreprises ont-elles un devoir de vigilance ?
19:35 -Oui, évidemment. On l'applique très mal,
19:38 puisqu'on voit à quel point le juge a du mal
19:41 à se saisir de cet outil.
19:42 Il y a plusieurs procès en cours.
19:44 On n'a pas encore de grandes jurisprudences.
19:47 -Est-ce qu'il y a un délit de la prudence ?
19:50 -Oui, bien sûr. D'ailleurs, on le connaît parfaitement.
19:53 Dans le domaine social, lorsque vous ne protégez pas
19:57 les gens, vous les condamnez. -Concrètement,
19:59 la criminalité environnementale est en hausse,
20:02 +7 % entre 2016 et 2021,
20:04 mais il y a peu de risques d'être contrôlés,
20:06 faute de personnels suffisants formés,
20:09 et les sanctions sont faibles.
20:11 La réponse pénale n'est pas déchirante,
20:13 aujourd'hui, en France.
20:14 -C'est pas nouveau, malheureusement.
20:17 Ca vient d'une culture assez profonde.
20:19 D'ailleurs, quand on est allé rencontrer
20:21 notre ministre de la Justice, celui-ci a dit,
20:24 face aux citoyens, face à moi-même,
20:26 "Il n'y a pas de crime contre l'environnement."
20:29 -Eric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux ?
20:32 -Oui, parce qu'en fait, pour lui, il n'y a que des délits,
20:35 finalement, contre la nature.
20:37 On ne peut pas commettre de crimes contre l'environnement.
20:40 Pourtant, si, et on le voit aujourd'hui,
20:42 il y a des crimes majeurs commis contre la nature chaque jour.
20:46 Et donc, en fait, ça vient profondément
20:49 d'un oubli, d'un impensé,
20:53 parce que nous sommes dominants sur la nature.
20:55 Et pour ça, encore, j'aime utiliser un comparatif historique.
20:59 J'avais une discussion avec ma belle-mère,
21:01 qui s'est battue pour le droit des femmes.
21:04 Elle me disait, "Ce que tu portes avec l'écocide,
21:06 "ça me fait penser à nos débats, nous,
21:09 "pour la criminalisation du viol."
21:11 On considère aussi trop souvent que violer une femme
21:14 est un délit, parce que les hommes, finalement,
21:16 disposent du corps des femmes.
21:18 Et que s'ils prennent, c'est bien que ces femmes
21:21 se sont trouvées soit au mauvais endroit,
21:24 soit mal habillées, soit en de mauvaises compagnies.
21:27 Donc, finalement, c'est la faute des femmes,
21:29 ce qui leur arrive. Pour la nature, c'est un peu pareil.
21:32 On considère que prendre le corps de la nature en disposé,
21:35 c'est le droit des hommes.
21:37 -Donc, aujourd'hui, votre combat,
21:39 c'est de faire reconnaître le crime d'écocide.
21:42 -Oui, c'est un changement culturel profond,
21:44 parce que c'est tout simplement reconnaître
21:47 que notre relation à la nature,
21:49 elle a, malheureusement, un côté criminel.
21:51 Lorsqu'on est incapable de voir que ce qu'on cause...
21:54 Pour toute personne qui est descendue, par exemple,
21:57 dans une mine, comme je l'ai fait,
21:59 qui a constaté la destruction massive
22:01 des entrailles de la terre par les êtres humains,
22:04 les machines qu'on a inventées
22:06 pour littéralement vider la terre de sa substance,
22:10 eh bien, on se rend compte à quel point
22:12 la domination et la violence marquent notre relation à la terre.
22:16 -Quand un industriel est condamné,
22:18 pour avoir pollué une rivière, par exemple,
22:21 qui reçoit les dédommagements, les indemnités ?
22:25 L'Etat, qui subventionne, par exemple,
22:27 les énergies fossiles, ou les associations
22:29 qui se battent bénévolement et peinent à rembourser
22:33 leurs frais d'avocat ? Où va cet argent ?
22:35 -Souvent, oui.
22:37 Alors, les condamnations vont à l'Etat.
22:40 Les associations, heureusement, peuvent bénéficier,
22:44 dans certains cas, du remboursement
22:47 de certains frais, mais, en fait,
22:50 il faut le voir aujourd'hui,
22:51 il y a énormément de citoyens qui,
22:53 par leur implication, leur temps, mais aussi leur argent,
22:57 aident des associations qui font un travail d'intérêt public.
23:00 Et ça, aujourd'hui, c'est ce qui est très compliqué,
23:03 je trouve, dans notre manière d'agir,
23:06 et qui a un frein monumental,
23:07 c'est le financement des associations,
23:10 qui sont vraiment, et je le pense, pour avoir travaillé
23:13 tous les jours avec des associations
23:15 qui font un travail extraordinaire.
23:17 S'il n'y avait pas les associations en France
23:20 pour protéger l'environnement, la situation serait grave.
23:23 J'ose même pas imaginer à quoi ressemblerait la France
23:26 si en Guyane, il n'y avait pas eu ces collectifs
23:29 qui font ce travail pour protéger la forêt, la terre.
23:32 Et partout en France, ces collectifs
23:34 qui alertent sur la pollution de l'eau,
23:36 qui alertent au quotidien sur la destruction de nos forêts.
23:40 -Marine Gelmat, la France a été condamnée trois fois
23:43 pour une action climatique sans que ces condamnations
23:46 ne changent le cours des choses.
23:48 Vers qui ou vers quoi se tournait ?
23:50 -Il y a une expression que j'utilise souvent,
23:53 c'est de dire que le juge, c'est l'homme du passé.
23:56 Le juge ne peut pas contraindre l'Etat
24:00 à prendre des décisions,
24:01 parce qu'on a la séparation des pouvoirs
24:03 qui fait qu'il revient au pouvoir exécutif d'exécuter,
24:07 de mettre en place des politiques.
24:09 Le juge constate des effractions.
24:12 C'est ce qui s'est passé dans le cas des carences fructives
24:15 en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
24:18 Le juge constate l'inaction de l'Etat.
24:20 Mais la solution, elle est à l'intérieur de chacun de nous.
24:24 On ne peut pas attendre du juge de faire ce travail
24:27 à la place des gouvernants.
24:29 Mais on ne peut pas non plus, en tant que citoyen,
24:31 attendre du gouvernant qu'il fasse le travail
24:34 si, objectivement, tous les indices sont là pour nous dire
24:38 que ce gouvernement ne va pas le faire.
24:40 On annonce, au lieu d'investir massivement
24:43 dans la protection des droits de la nature,
24:45 on investit des centaines de millions d'euros
24:48 dans développer des nouveaux carburants
24:51 pour faire voler des avions verts.
24:53 C'est ça, le problème, c'est qu'en fait,
24:55 construire un imaginaire, ça demande aussi
24:58 que chacun d'entre nous s'y mette.
25:00 Aujourd'hui, on a besoin d'un mouvement citoyen
25:02 qui se mette en place et qui change profondément la société.
25:06 Ca ne va pas venir du haut,
25:08 mais de chacun d'entre nous.
25:09 C'est pour ça qu'avec l'association Wild Legal,
25:12 on essaie d'accompagner tous les territoires
25:15 qui souhaitent utiliser les droits de la nature,
25:17 parce qu'on a compris que ça ne viendrait pas
25:20 d'une grande loi, d'une nouvelle constitution.
25:23 Vu le modèle politique actuel, c'est trop tôt.
25:25 Par contre, en travaillant localement,
25:28 il y a des gestionnaires de parcs naturels,
25:30 des citoyens dans leurs communes, des élus,
25:33 des présidents, des directeurs de parcs,
25:35 des syndicats de gestion des eaux,
25:37 qui font ce travail au quotidien et qui constatent
25:40 le droit de l'environnement tel qu'il est.
25:43 Ca ne suffira pas.
25:44 Il nous faut de nouvelles gouvernances biomimétiques,
25:47 un droit qui soit respectueux des fonctionnalités du vivant
25:50 et qui se dise comment on fait ça.
25:52 On peut accompagner ces transitions,
25:54 parce que localement, on a aussi des petits pouvoirs,
25:57 on a la possibilité de planifier,
25:59 de recréer des gouvernances différentes.
26:02 Ca demande beaucoup de volonté, du courage
26:04 et de la créativité, et on le fait au quotidien.
26:07 -Merci. -Merci à vous.
26:09 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:11 Générique
26:13 ...