Depuis des siècles, l'Arménie est prises en étau entre deux empires : à l'ouest, l’Empire byzantin puis aujourd’hui la Turquie, à l’est la Perse devenue l’Iran. Sans compter son voisin du nord, la Russie. Le dernier épisode de la guerre du Haut-Karabakh nous rappelle que l’Arménie a toujours su résister, mue par le courage et la foi de ses habitants. Antoine de Lacoste nous rappelle l’histoire de ce qui fut le premier état chrétien du monde.
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00:36 Chers amis téléspectateurs de TVL, bienvenue dans "Passé-présent",
00:39 votre émission historique présentée en partenariat avec la revue d'histoire européenne.
00:45 Au Karabakh, le nom de cette enclave arménienne en Azerbaïdjan fait depuis quelques jours la une des médias.
00:51 En l'espace d'une semaine, les forces de l'Azerbaïdjan ont pris le contrôle total de l'enclave du Haut-Karabakh,
00:57 contraint les autorités arméniennes séparatistes à déposer les armes le 20 septembre
01:02 et à dissoudre la république autonome qu'elles avaient mise en place et mis sur la route de l'exode près de 100 000 habitants,
01:08 soit plus de 80% de la population.
01:11 Poussés à tout laisser derrière eux avec la conviction que leur communauté ne sera plus en sécurité.
01:16 Nous assistons à un déferlement de scènes dramatiques, des réfugiés qui se pressent à la frontière arménienne,
01:21 des habitants qui brûlent leur maison avant de partir, des chrétiens qui emportent leurs morts,
01:26 et puis ces images de soldats azeris démolissant croix, églises ou tous autres symboles chrétiens.
01:31 Depuis la dislocation de l'Union soviétique, les décennies ont été marquées par deux guerres meurtrières,
01:36 des revers de fortune pour les parties belligérantes et une fragilité chronique sous l'œil de Moscou et d'Ankara,
01:42 protecteurs des Arméniens chrétiens pour le premier et des Arbaïdjanais, turcophones et musulmans pour le deuxième.
01:48 Aujourd'hui, le rêve d'un Haut-Karabakh arménien et chrétien semble bel et bien enterré
01:52 et l'Arménie de plus en plus désolée, si ce n'est les effets d'annonce de l'Union européenne ou des Nations unies.
01:58 Ce pays martyrisé dans l'indifférence internationale, pays martyr depuis ses origines,
02:03 a toujours montré une résilience étonnante. D'où lui vient cette force ?
02:06 Et nous, Européens, avons-nous le devoir, au-delà de simples considérations humanitaires, de nous préoccuper de l'Arménie ?
02:13 Pour tenter d'y répondre, je reçois aujourd'hui Antoine Delacoste.
02:16 Antoine Delacoste, bonjour. – Bonjour.
02:18 – Vous êtes conférencier, spécialiste de géopolitique,
02:21 vous animez d'ailleurs un blog de géopolitique, donc vous allez nous rappeler le nom tout de suite.
02:26 – Geocronique.fr – Et j'ajoute que vous êtes un contributeur
02:29 maintenant régulier de la revue d'Histoire européenne,
02:32 puisque vous y tenez la rubrique de géopolitique.
02:35 Alors je reviens à la question que je posais en introduction,
02:38 devons-nous, nous Européens, avons-nous, nous Européens, le devoir de nous préoccuper de l'Arménie ?
02:44 Ce petit pays aux confins du Caucase.
02:46 – Bien sûr que nous en avons le devoir, la France est censée être protectrice des chrétiens d'Orient,
02:51 l'Arménie c'est un peu plus loin que l'Orient puisque c'est le Caucase,
02:54 mais tout de même c'est un vieux pays chrétien avec lequel nous avons des liens étroits.
02:59 La classe politique française au fur et à mesure des échéances électorales
03:03 s'est bousculée pour visiter l'Arménie, on y a vu Valérie Pécresse, François Fillon,
03:08 on a vu tout le Gotha, y compris à gauche d'ailleurs,
03:11 pour montrer la solidarité de la France avec l'Arménie.
03:14 Eh bien elle ne s'est pas beaucoup vue ces derniers temps,
03:17 on n'a pas levé le petit doigt ce qui était d'ailleurs absolument prévisible,
03:20 c'est vrai aussi, il faut être juste, que c'était compliqué,
03:23 parce que là les Assyries ont attaqué, l'ont emporté en 48 heures,
03:28 ce qui était prévisible puisque l'armée arménienne n'a pas été envoyée sur place
03:31 et que ce sont donc les forces d'auto-défense du Haut-Karabakh très réduites
03:35 qui étaient censées défendre ce territoire, c'était mission impossible,
03:39 il y avait toujours les drones israéliens et les drones turcs à la manœuvre,
03:44 il aurait fallu quasiment une guerre contre l'Azerbaïdjan,
03:47 ce qui n'est pas envisageable puisque c'est devenu, depuis qu'on a puni la Russie,
03:51 notre premier fournisseur de gaz.
03:54 – Alors on va refaire un petit retour en arrière, un retour dans le temps,
03:57 l'Arménie, pays très ancien, il apparaît quand dans les premiers textes qui citent l'Arménie ?
04:03 – Alors le pays lui-même n'apparaît pas de façon si ancienne que cela,
04:08 par contre, dans Xénophon, il est question d'Arméniens,
04:13 lorsque en -400 avant J.-C., Xénophon avec ses 10 000 mercenaires grecs
04:18 envoyés à la rescousse contre les Perses, sont partis pour une grande marche,
04:22 la marche des 10 000, la fameuse marche des 10 000,
04:25 et à l'extrémité est de ce qui est la Turquie actuelle,
04:29 et de ce qui était une population arménienne qui occupait ce pays,
04:33 eh bien ils ont rencontré les premiers princes arméniens,
04:36 qu'ils appelaient les satraps, vieille formule du capitaine Haddock, bien connu,
04:39 les satraps arméniens ont accueilli ces mercenaires grecs,
04:43 il y a eu des premiers échanges à ce moment-là,
04:45 et c'est une des premières fois où l'on entend parler de ces Arméniens.
04:49 – De ces Arméniens, et sinon en tant qu'État,
04:52 parce que je crois que c'est aussi le premier État chrétien ?
04:54 – Alors c'est le premier État chrétien, on saute quelques siècles,
04:58 mais avant de devenir le premier État chrétien, il a été un grand État païen,
05:02 l'Arménie a été un grand empire,
05:05 sous le nom de son souverain qui s'appelait Tigran,
05:08 et Tigran c'est pour ça qu'il y a beaucoup de petits Arméniens qui s'appellent Tigran,
05:11 parce que c'était un des âges d'or, il y en a eu d'autres,
05:13 mais c'est un des âges d'or arméniens,
05:15 et ils avaient à ce moment-là un territoire
05:17 qui s'étendait depuis l'Arménie actuelle jusqu'à Damas.
05:21 Alors c'était un petit peu théorique,
05:23 dans la mesure où ils n'ont jamais véritablement administré Damas ni Antioche,
05:27 mais en théorie ça allait jusque-là,
05:28 en tout cas ils administraient la moitié de la Turquie actuelle,
05:31 ça a été le grand royaume de Tigran.
05:34 Et puis les Romains ont estimé que c'était quand même un petit peu trop,
05:37 et ils ont poussé les Arméniens vers leur frontière actuelle,
05:42 et donc ça, ça a été le premier grand royaume arménien.
05:46 – Et il devint chrétien rapidement ?
05:48 – Alors il devint chrétien quelques années plus tard,
05:52 les Romains avaient installé sur le trône un roi qui s'appelait Tiridate IV,
05:59 Tiridate IV était païen,
06:01 et il a été converti par le grand saint arménien, Saint Grégoire l'Illuminateur.
06:05 Et en 313, Saint Grégoire l'Illuminateur a convaincu,
06:10 a converti et convaincu le roi de non seulement se convertir au christianisme,
06:16 mais ensuite de proclamer l'Arménie comme étant un royaume chrétien.
06:20 Et donc c'est le premier royaume chrétien au monde,
06:23 c'est le premier royaume qui se dit officiellement chrétien,
06:25 où le christianisme est la religion d'État.
06:28 – Alors lorsqu'on regarde une carte,
06:30 on se rend compte vraiment que l'Arménie est coincée entre deux empires,
06:34 et au début de notre ère, à cette époque-là,
06:37 – 4ème siècle, 313.
06:40 – 313 pardon, il y a deux empires,
06:43 donc à l'ouest l'Empire romain, l'Empire byzantin,
06:47 et à l'est l'Empire perse.
06:49 – L'Empire perse, qu'on appelait l'Empire sassanide à l'époque.
06:52 – Quels sont les rapports de l'Arménie avec ses deux puissants voisins ?
06:56 – La pauvre Arménie va beaucoup souffrir,
06:58 parce que les puissants voisins se font la guerre de temps en temps,
07:01 et de temps en temps ils se font la paix,
07:02 et ils ne peuvent pas passer leur vie à se faire la guerre.
07:04 Et donc l'Empire byzantin et l'Empire sassanide
07:07 vont passer une sorte d'accord, on va appeler ça le grand partage,
07:12 et ils vont se partager le royaume arménien.
07:16 Ils vont conquérir deux tiers pour les perses, un tiers pour les romains.
07:22 Ils vont laisser une certaine autonomie aux arméniens,
07:25 mais les arméniens n'ont plus de pays en réalité,
07:27 et ils attendront 1920 pour reconquérir une indépendance.
07:32 Et ils vont être sans arrêt à l'ombre de ces deux royaumes,
07:35 et lorsqu'ensuite les turcs vont remplacer l'Empire romain,
07:38 ce sera encore pire, puisqu'ils seront à l'ombre des perses,
07:41 mais aussi des turcs, c'est-à-dire deux puissances musulmanes.
07:46 Alors qu'au moment de l'Empire romain,
07:47 c'était tout de même une puissance chrétienne,
07:48 ce qui adoucissait quand même un petit peu les relations.
07:51 – Donc ils se battent plus souvent contre…
07:53 – Ah oui, ils ne se battent pas vraiment.
07:54 – Contre les perses, il y a des batailles ?
07:55 – Oui, alors il y a des batailles, il y en a une qui a été très grande,
07:59 parce que les perses à ce moment-là étaient zoroastres.
08:02 Les zoroastriciens, ça a été la grande religion païenne perse,
08:07 avec un clergé très puissant, très riche, qui adorait le feu éternel,
08:11 alors ils fabriquaient des hôtels du feu.
08:12 Et puis un jour le royaume perse, l'Empire perse,
08:15 s'est mis en tête de convertir les Arméniens au zoroastrisme.
08:19 Vaste programme qui n'a pas du tout été accompli.
08:22 Alors ils ont envoyé tout le clergé zoroastricien en Arménie,
08:27 ils ont chassé les prêtres des églises,
08:28 et en gros ils ont pris leur place.
08:31 Alors le peuple arménien a grondé,
08:32 parce que le peuple arménien était très chrétien, très fidèle, très pieux,
08:35 et ils ont obligé les nobles à se révolter
08:38 et à déclarer finalement la guerre à l'Empire sassanide.
08:41 Et malheureusement, ça s'est très mal passé,
08:43 et en 451, il y a eu une grande bataille entre les perses et les Arméniens,
08:46 la bataille d'Avarahir, et là ça a été perdu,
08:49 et la noblesse arménienne a été décimée dans cette bataille.
08:53 Les perses ont cru à ce moment-là qu'enfin ils avaient la paix,
08:56 qu'ils allaient pouvoir faire quasiment une province zoroastricienne,
09:00 mais le peuple s'est révolté, et le peuple n'a pas accepté,
09:02 et il s'est lancé dans une guérilla redoutable.
09:05 Les Arméniens sont de redoutables combattants.
09:08 À titre individuel, ça a toujours été des guerriers
09:12 vraiment extrêmement courageux et prêts à tout.
09:14 Donc le peuple s'est lancé dans une grande guérilla,
09:17 et finalement les perses ont décidé au bout d'un moment
09:19 que les pertes étaient trop importantes
09:22 et que ça ne justifiait pas un tel investissement
09:24 pour un pays qui finalement ils pouvaient contrôler à distance,
09:28 et donc ils ont renoncé à faire de l'Arménie un pays zoroastrien.
09:31 – Donc ça reste un pays impéri, un pays chrétien,
09:35 mais dont le christianisme est proche de l'orthodoxie,
09:38 est proche du catholicisme, enfin à l'époque en 400 et quelques,
09:43 ils se sont rattachés à la Cus.
09:45 – C'est ça, il y a eu deux conciles successifs
09:48 qui vont provoquer le détachement de l'Arménie de l'Église officielle.
09:52 431 le concile d'Éphèse, 451 le concile de Chalcédoine.
09:57 Au cours de ces conciles, on a condamné plusieurs hérésies,
10:02 le nestorianisme, l'arianisme, le monophysisme,
10:06 c'est-à-dire toutes ces hérésies qui ont fleuri au 1er siècle de l'Église
10:10 où tout n'était pas encore stabilisé sur le plan du dogme,
10:12 et qui consistait soit à nier la nature divine du Christ,
10:16 soit à nier sa nature humaine.
10:18 Et donc dans cet horizon,
10:20 les Arméniens au concile d'Éphèse ont adhéré au concile,
10:24 mais ils ont considéré que le concile de Chalcédoine
10:26 s'était écarté de la traduction du concile d'Éphèse,
10:29 c'est un débat de spécialistes,
10:31 et c'est pour ça que tout en se séparant à ce moment-là de l'Église officielle,
10:34 parce que refusant la nouvelle traduction du concile de Chalcédoine,
10:37 ils n'ont jamais été non plus considérés comme pleinement schismatiques,
10:40 contrairement à l'Église orthodoxe,
10:42 que l'Église catholique a toujours considéré comme purement schismatique.
10:44 Ça n'a pas été le cas de l'Église arménienne,
10:46 qui s'est proclamée comme une Église en soi,
10:49 une Église à part,
10:51 l'Église apostolique arménienne,
10:53 dirigée par un catholikos, c'est-à-dire un patriarche,
10:56 qui finalement n'avait aucun supérieur au-dessus de lui.
10:59 Mais sur le plan dogmatique, si on regarde de près les choses,
11:03 on pense la même chose que les Arméniens.
11:04 Donc le schisme là-dessus n'est pas véritablement un schisme,
11:07 c'est pour ça que l'Église catholique, dans sa grande prudence,
11:10 a toujours été extrêmement indulgente
11:12 avec ce qui n'est pas véritablement un schisme.
11:15 Mais tout de même, ils vivent leur vie de leur côté.
11:17 – Alors au 7e siècle, c'est l'arrivée de l'Islam,
11:22 mais malgré cela, l'Arménie connaît ce qu'on appelle l'âge d'or,
11:27 un âge d'or du 7e siècle.
11:29 Comment c'est possible par rapport à l'Islam ?
11:32 – Alors les musulmans arrivent et ils ne sont pas si nombreux en réalité.
11:36 – Ce sont des Arabes qui arrivent ?
11:37 – Ce sont des Arabes qui viennent des sables d'Arabie saoudite
11:41 après la mort de Mahomet.
11:42 Mahomet meurt en 632 et très vite, les Arabes vont sortir des sables
11:48 et avec une tactique guerrière assez éprouvée,
11:51 une cavalerie légère, très mobile, des très bons archers,
11:53 enfin on connaît ça, en un siècle ils seront à Poitiers quand même.
11:57 – Oui, 632-732, il y a juste 100 ans d'écart.
12:00 Et donc ils vont évidemment commencer par le Proche-Orient,
12:03 ils vont conquérir tous les territoires,
12:06 vaincre les Perses, ce qui n'était pas écrit,
12:09 et surtout vaincre les Byzantins à la grande bataille du Yarmouk,
12:13 3-4 années après, ça doit être 634-636 dans ces eaux-là,
12:17 et à cette bataille du Yarmouk, les Byzantins sont battus.
12:21 Donc les Arméniens, qui sont ces cavaliers arabes ?
12:24 On ne connaît pas, qu'est-ce que c'est que cet Islam ?
12:26 On ne le connaît pas, et comme les Arabes sont assez peu nombreux,
12:29 ils ne vont pas se lancer dans une conquête de l'Arménie
12:32 et ils ne vont pas se lancer dans une hostilité au christianisme arménien.
12:38 Ils vont faire les choses prudemment,
12:40 ils vont surtout s'occuper de l'Empire Byzantin,
12:42 du sens évidemment beaucoup plus redoutable,
12:44 et ils vont laisser tranquilles les Arméniens.
12:46 Évidemment c'était une ruse parce qu'à la fin les choses se passeront moins bien,
12:50 mais ça a permis aux Arméniens de connaître 2-3 siècles de tranquillité,
12:55 d'expansion du christianisme et d'un nombre de constructions d'églises
13:00 absolument incroyable.
13:01 – Oui, on appelle ça l'âge d'or parce qu'il y a véritablement…
13:03 – Ils avaient déjà construit beaucoup d'églises au IVe, Ve, VIe siècle,
13:07 et ils vont continuer, VIe, VIIe, VIIIe siècle,
13:10 c'est l'âge d'or d'Arménie,
13:11 on a même appelé à ce moment-là l'Arménie le "chaînon manquant"
13:14 parce que l'Occident au VIe, VIIe siècle, ça ne va pas fort,
13:18 le moral est bas, on construit quelques églises mais pas énormément,
13:21 il y a assez peu d'églises paléo-chrétiennes finalement en France,
13:24 alors qu'il y en a énormément en Arménie.
13:27 Et donc ce "chaînon manquant" permet de faire le lien
13:31 entre ce qui fut les premiers siècles puissants de l'église chrétienne
13:35 et, avant qu'il y ait le renouveau médiéval,
13:38 c'est l'Arménie qui est à ce moment-là la grande puissance
13:41 architecturale, artistique et intellectuelle.
13:44 Ils inventent un alphabet pour pouvoir transmettre
13:49 notamment des très vieux manuscrits chrétiens
13:51 qui n'existent aujourd'hui qu'à Erevan,
13:53 et qui sont vraiment la transmission intellectuelle
13:56 de tout ce que les premiers moines de l'Histoire avaient écrit.
13:59 Et comme tout avait été détruit,
14:00 l'autre partie avait été détruit, Alexandrie,
14:02 lors du fameux incendie de la grande bibliothèque d'Alexandrie,
14:05 les copistes arméniens ont été finalement le vecteur de transmission
14:10 et dans bien des cas l'unique vecteur de transmission.
14:12 Et j'invite les téléspectateurs à se rendre à Erevan,
14:15 voir ce musée absolument somptueux,
14:17 où on voit des incunables des IVe, Ve, VIe siècles
14:22 avec des enluminures extraordinaires, c'est un très beau spectacle.
14:26 Alors le grand malheur finalement, c'est l'arrivée des Turcs tchèdjoukides.
14:32 C'est ça, les steppes d'Asie centrale.
14:34 Qui là, la donne va vraiment changer.
14:36 La donne va vraiment changer parce qu'au fond,
14:38 les Turcs vont finir par repousser les Arabes.
14:42 Alors déjà arrivant dans l'Asie centrale, ils passent par l'Arménie ?
14:45 Alors ils passent au début par l'Asie centrale,
14:47 d'où les stants actuels, Ouzbékistan, Turkménistan,
14:49 c'est pour ça qu'ils sont peuplés de turcomans,
14:51 d'où leur entente assez bonne avec Erdogan
14:54 qui lorgne sur une influence géopolitique en Asie centrale.
14:58 Ensuite en effet, ils franchissent la Caspienne,
15:00 ils arrivent dans le Caucase.
15:03 Et puis ensuite, ils vont conquérir tout ce qui est la Turquie actuelle.
15:06 Ces tchèdjoukides vont donner, il y a une branche tchèdjoukine,
15:08 une famille qui s'appelait les Ottman,
15:10 et c'est ça qui va donner naissance à l'Empire Ottoman.
15:12 Et donc ces tchèdjoukides vont vaincre successivement
15:17 toutes les armées byzantines et ils vont vaincre les croisés.
15:21 Ce sont quand même eux, même si Saladin était kurde,
15:24 ses armées étaient surtout composées de tchèdjoukides.
15:28 Et petit à petit, ils vont s'occuper des Arméniens.
15:32 Mais dans un premier temps, contrairement à ce qu'on pourrait penser,
15:35 les Arméniens ne vont pas énormément en souffrir.
15:38 Parce que l'Empire Ottoman est assez pragmatique.
15:42 C'est-à-dire que ceux qui se révoltent, comme les Serbes dans les Balkans,
15:45 c'est terrible, c'est terrible.
15:46 La répression est immense et là, les gens sont décapités par milliers,
15:50 il n'y a pas de prisonniers.
15:52 Et les Turcs, pour effrayer les Serbes qui auraient encore envie de se révolter,
15:57 font des pyramides de crânes absolument incroyables.
16:00 L'Arménie qui ne se révolte pas, jouit d'une relative tranquillité.
16:05 Au fond, les Ottomans, ce qu'ils veulent, c'est qu'il y ait l'ordre et que l'impôt rentre.
16:09 Et donc les Arméniens, qui sont d'excellents commerçants,
16:12 et qui ont donc des revenus importants,
16:15 c'est l'époque où ils sont sortis en quelque sorte d'Arménie pour beaucoup d'entre eux.
16:20 Ils ont installé des comptoirs en Asie mineure, à Marseille,
16:23 c'est là où ça commence, dans toute la Méditerranée.
16:26 Et vous avez de très nombreux bateaux arméniens qui s'inglent sur tous les ports,
16:30 quasiment du monde, ils vont aller jusqu'en Inde.
16:33 Et donc, ils amassent un certain nombre de richesses.
16:35 Et donc finalement...
16:36 Ils font partie de l'Empire Ottoman ?
16:38 Ils font partie de l'Empire Ottoman à ce moment-là.
16:40 Il y a une forme d'autonomie avec un gouverneur...
16:43 Oui, mais non, le gouverneur est Turc.
16:45 Non, il y a un gouverneur Turc, mais il n'y a pas un prince...
16:47 C'est ça, il y a une noblesse qui jouit d'une relative tranquillité.
16:51 Et les Arméniens peuvent vaquer leurs affaires,
16:54 aussi bien religieuses qu'économiques.
16:56 Donc, ils jouissent d'une certaine tranquillité,
16:58 en dehors du fait que de temps en temps,
17:00 sinon ce ne seraient plus des Turcs, il y a un massacre,
17:03 il y a des Arméniens, sinon ce ne seraient plus des Arméniens
17:06 qui se révoltent quand même un petit peu.
17:08 Mais finalement, ça ne prend pas des proportions gigantesques
17:10 comme ça en prendra après, au XIXe et au XXe siècle.
17:14 Alors, je voudrais que vous nous disiez deux mots du royaume de Cilici.
17:18 Petit royaume qui se trouve sur la côte...
17:23 Sur la côte méditerranéenne...
17:24 Voilà, méditerranéenne de la Turquie, tout à fait au sud,
17:27 en face de Chypre en fait.
17:28 En face de Chypre, vous avez vu...
17:29 Frontières de la Syrie aujourd'hui...
17:30 Exactement, exactement.
17:32 Sur son extrémité est, il touche la Syrie, il touche...
17:35 Et Antioche est en fait...
17:37 Alors, ce n'était pas vraiment la Cilicie,
17:38 mais ça s'arrêtait là, grosso modo.
17:41 En réalité, pourquoi les Arméniens sont allés si loin
17:43 de ce qui était leur base, c'est à la demande de l'Empire Byzantin.
17:47 Et donc, les Arméniens sont allés en Cilicie pour repousser les Arabes.
17:51 Il y a eu une époque de bonne entente entre l'Empire Byzantin
17:54 et les Arméniens.
17:55 Et puis ensuite, ils se sont installés, ils étaient bien,
17:58 ils avaient chassé les Arabes,
17:59 et les Turcs avaient autre chose à faire que de reconquérir la Cilicie.
18:03 Et donc, dans un premier temps, ce royaume de Cilicie va vivre
18:07 avec des rois, un État vraiment souverain
18:10 qui sera reconnu par plusieurs puissances européennes,
18:12 par le peuple, et peuplé quasiment exclusivement d'Arméniens.
18:16 Il y a aussi des Grecs, et il n'y a plus d'Arabes,
18:19 et il n'y a pas encore de Turcs.
18:20 Et donc, ce royaume de Cilicie va connaître
18:23 deux ou trois siècles, là aussi, d'un âge d'or,
18:26 et ça démarre vraiment au moment des croisades,
18:30 parce que Chypre était l'escale, en quelque sorte, des croisés.
18:34 C'est juste en face de la Cilicie,
18:36 c'est un endroit rêvé pour faire du commerce,
18:38 et tout le monde après Chypre s'arrête en Cilicie
18:40 avant d'aller en Terre Sainte ou au retour de Terre Sainte.
18:42 Et donc, c'est un endroit qui est devenu très important.
18:45 Et puis les Turcs, évidemment, vont finir par s'en occuper
18:48 parce qu'ils n'ont pas accepté que ce royaume chrétien
18:51 les nargue à leurs portes.
18:53 – Et d'ailleurs, un peu, vous parliez de croisés,
18:54 l'anecdote, le dernier roi de Cilicie est français, est d'origine française.
18:58 – Oui, c'est un Lusignan,
18:59 exactement comme celui qui fut le dernier roi de la Jérusalem chrétienne.
19:06 C'était donc un Lusignan, Guy de Lusignan, le mari de Sibyl,
19:10 qui était la sœur de Baudouin IV, le roi lépreux,
19:14 et ce fut un très mauvais roi de Jérusalem,
19:15 parce que c'est lui qui a livré la bataille absurde d'Athènes en 1187,
19:19 où les armées croisées ont été écrasées par Saladin.
19:21 Et ensuite, ce Guy de Lusignan est parti à Chypre,
19:24 dans l'ombre de Richard, cœur de Lyon,
19:25 et il est devenu roi de Chypre, et stupeur, ce fut un très bon roi de Chypre.
19:29 Donc, quand on se promène à Chypre, les Lusignans sont extrêmement présents,
19:33 ils vont régner plusieurs siècles sur Chypre.
19:35 Et donc, il y a un cousin des Lusignans, qui par les alliances, Léon,
19:39 va devenir, hélas, le dernier roi de Cilicie.
19:43 Et les armées de Cilicie, les armées arméniennes de Cilicie
19:45 sont vaincues, somme toute, assez facilement par les Turcs,
19:48 il n'y a plus de croisés, il n'y a plus rien pour les soutenir.
19:51 Et la France va accueillir Léon dans son exil.
19:55 Et donc, Léon de Lusignan, va mourir à Paris.
19:59 – Alors, nous sommes maintenant au XVIe siècle,
20:01 l'Arménie est toujours prise en étau, l'Empire Byzantin a changé de nom.
20:05 – Non, ça se passe au XIVe, pour la mort de…
20:07 – Les Guides du Bouygue, non, non.
20:08 – La fin du royaume de Cilicie. Après vous sautez le siècle.
20:10 – Donc, l'Empire Ottoman, vous nous avez expliqué
20:15 comment cette enclave chrétienne résiste, finalement,
20:18 par le commerce et puis sa religion forte.
20:21 À l'Est, on a toujours la Perse, quel est le danger à l'Est ?
20:25 – Alors, il y a toujours l'Empire Perse, absolument,
20:28 on n'appelle plus Sassanide, mais peu importe, ce sont les mêmes.
20:31 Et ils se font, évidemment, régulièrement la guerre
20:34 avec le Nouvel Empire Ottoman.
20:36 Et donc, comme d'habitude, la pauvre Arménie est entre les deux.
20:39 – C'est un champ de bataille ?
20:40 – Oui, c'est un champ de bataille, il y aura des déportations organisées,
20:44 comme on ne veut pas laisser l'armée d'en face
20:47 bénéficier de ravitaillement sur les terres,
20:50 on va à certains moments, c'est ce que fera un des chats d'Iran de l'époque,
20:56 eh bien, on va déporter des milliers et des milliers d'Arméniens,
21:00 on ira les chercher sur leurs terres et les déporter en Iran
21:04 pour, en quelque sorte, pratiquer une politique de la terre brûlée.
21:07 Et donc, les Arméniens vont être là aussi déportés par les Iraniens,
21:11 un peu massacrés par les Sédjoukides, par les Turcs,
21:15 et donc, pour eux, ça va être extrêmement difficile,
21:17 mais courageusement, ils continuent,
21:19 même s'il y a une immigration qui est déjà importante,
21:22 il commence à y avoir une diaspora arménienne à l'extérieur,
21:25 supérieure à la population de ce qu'est l'Arménie,
21:28 mais je vous rappelle que l'Arménie n'existe toujours pas
21:30 en tant que pays à ce moment-là.
21:33 C'est une province partiellement perse et partiellement turque.
21:37 – Et son identité est donc toujours très chrétienne,
21:39 finalement c'est ce qui fait son nom de ciment.
21:41 – Oui, et aussi bien les chiites perses que les sunnites turcs
21:47 n'ont pas de temps à perdre, en quelque sorte,
21:50 avec le fait de raser les églises et de partir, là encore,
21:53 ils le savent très bien, dans une guérilla infinie,
21:56 parce que jamais, jamais les Arméniens n'accepteront de devenir musulmans.
21:59 – Vous nous expliquez qu'au XVIIIe siècle,
22:01 il y a une petite tentative de l'église de Rome…
22:04 – Oui, Rome a toujours eu comme préoccupation
22:08 d'essayer de ramener l'Arménie dans le giron romain,
22:12 sachant que les différences dogmatiques étaient quasi nulles.
22:16 En fait, ils croient exactement de la même façon,
22:18 le Christ mort et ressuscité, et contrairement aux orthodoxes,
22:23 il n'y a pas la querelle du filio cué,
22:24 il n'y a aucune querelle dogmatique sur le sujet.
22:26 Donc, ils vont essayer, ça va presque marcher,
22:29 il y a toute une partie du clergé arménien qui va rallier Rome,
22:34 et ils vont même fonder au large de Venise,
22:37 vous avez une île arménienne, l'île San Lazaro,
22:40 il y a un monastère arménien catholique.
22:42 Et là encore, c'est le peuple qui va s'opposer à ce mouvement de conversion.
22:46 Le peuple est attaché à l'autonomie de l'église arménienne,
22:50 sans querelle théologique particulière,
22:52 mais c'est une question de discipline,
22:54 notre catholicos c'est le chef,
22:55 et nous n'obéirons pas à un autre chef que notre catholicos,
22:58 et donc l'affaire finira par échouer,
23:01 mais après quand même un mouvement de conversion très important du clergé.
23:04 – Alors apparaît maintenant au 19e siècle,
23:06 un nouvel acteur qui est la Russie, l'empire russe,
23:11 et les Arméniens placent beaucoup d'espoir dans la Russie.
23:15 – Au début, ils regardent ça quand même avec une certaine inquiétude,
23:18 parce qu'ils sentent la guerre venir,
23:20 mais la Russie, à un moment donné du 19e,
23:23 conquiert le Caucase et finit sa conquête du Caucase,
23:26 non sans mal, mais ils finissent leur conquête du Caucase,
23:29 qui représente donc la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan actuelles.
23:32 Et puis ils descendent au sud, et à ce moment-là,
23:35 la grande idée russe, c'est de reprendre Constantinople,
23:38 et d'en faire la nouvelle grande ville chrétienne orthodoxe.
23:43 Et la pyrphie d'Albion va évidemment s'opposer à cela,
23:47 parce que la pyrphie d'Albion ne veut absolument pas
23:49 que les Russes prennent trop d'importance dans cette région du monde.
23:52 Les Anglais ont toujours les Indes pas loin,
23:54 ils veulent commercer, ils ne veulent pas avoir
23:57 une concurrence géopolitique trop forte.
23:59 – Mais à cette époque, l'Empire ottoman est affaibli ?
24:01 – Oui, au 19ème siècle, l'Empire ottoman, c'est l'homme malade de l'Europe.
24:05 Et donc, ils ont beaucoup plus de mal,
24:07 l'Empire ottoman est rentré en pleine décadence,
24:09 d'ailleurs il n'en a plus pour longtemps,
24:11 et les souverains, enfin les pachas turcs,
24:15 sont plus décadents les uns que les autres.
24:17 Ils ont massacré tous les janissaires qui se révoltaient
24:19 contre cette décadence et cette fin du nationalisme turc, en réalité,
24:24 et donc l'Empire part à Volo.
24:26 Et les Anglais, eux, voient avec inquiétude les Russes arriver,
24:30 alors les Russes descendent, ils délivrent Erevan,
24:33 qui était occupé par les Perses, et ensuite…
24:36 – Par les Perses. – Par les Perses.
24:38 Et donc, ensuite, c'est les fameux deux tiers du départ des Perses,
24:41 du grand partage, et ensuite, eh bien l'objectif,
24:45 c'est Constantinople, qui n'est pas si loin.
24:47 Et donc, c'est tout à fait envisageable.
24:49 Donc, les Anglais vont dire aux Turcs,
24:52 "on va vous aider à contrer les Russes".
24:55 Déjà, déjà, l'obsession anglaise, contrer les Russes.
24:59 Et la stupéfaction, la mauvaise nouvelle, l'erreur tragique,
25:02 c'est que Napoléon III va être convaincu par les Anglais.
25:05 On se demande comment et pourquoi,
25:07 mais il va être convaincu par les Anglais de déclencher la guerre,
25:11 de participer à cette guerre qu'on appellera la guerre de Crimée.
25:14 – La fameuse guerre de Crimée.
25:15 Et donc, la guerre de Crimée se termine par le traité de Berlin.
25:21 – Alors, 20 ans après, il y a le traité de Berlin
25:24 qui conclut, en quelque sorte, la guerre de Crimée.
25:26 La guerre de Crimée permet de stopper l'avancée russe.
25:29 La Russie a reconquis, grosso modo, un tiers de l'Arménie.
25:34 – Seulement.
25:34 – Un tiers, oui.
25:35 Et ils ont été arrêtés ensuite.
25:37 Et parce que, bon, c'est vrai que quand je dis "c'est pas si loin",
25:41 c'est au St-Denis, il y avait quand même un petit peu de route.
25:43 Donc, ils ont conquis un tiers.
25:44 Il n'y aurait pas eu la guerre de Crimée,
25:45 comme il n'y avait plus d'Empire Ottoman.
25:47 En trois mois, c'était fait, franchement.
25:49 Mais là, il y a eu cette incursion franco-turco-britannique
25:56 qui a stoppé les armées russes,
26:00 avec notamment le fameux siège de Sébastopol, la victoire de Malakoff.
26:03 On s'enorgueillit de ces succès.
26:05 Les soldats français ont été extrêmement courageux, brillants.
26:08 Mais franchement, sur le plan géopolitique, quelle catastrophe !
26:11 Quoi qu'il en soit, on signe un armistice.
26:14 On obtient quand même des Turcs
26:16 qu'il y ait une égalité de traitement complète
26:18 que le statut des chrétiens dans l'Empire Ottoman
26:21 soit le même que le statut des musulmans.
26:24 C'est la seule avancée.
26:25 Et en effet, 20 ans après, il faut quand même se mettre d'accord
26:28 sur ce qu'on fait de tout ça.
26:29 Et on formalise ça au Congrès de Berlin.
26:31 Et là, au Congrès de Berlin, c'est le début de la catastrophe.
26:35 C'est-à-dire que les puissances européennes décident
26:38 que ce que les Russes ont reconquis sera sous protection russe
26:44 et que les deux tiers occidentaux seront sous protection turque.
26:49 Alors les Arméniens, affolés, disent "mais vous ne connaissez pas les Turcs ?
26:52 À la première occasion, ils vont mettre la main dessus,
26:54 ils vont nous massacrer, ce n'est pas possible.
26:56 Et les Occidentaux, comme maintenant pour le Haut-Karabagh,
26:59 ne vous inquiétez pas, on vous protégera, nous serons là.
27:03 Moyennant quoi, l'Arménie actuelle,
27:05 c'est la partie reconquise par les Russes.
27:07 Et tout le reste, le mont Ararat en tête, c'est la partie turque.
27:12 Et donc les Arméniens ont supplié les Russes de ne pas accepter
27:16 et pour des raisons difficiles à comprendre,
27:18 peut-être parce qu'ils ont perdu la guerre de Crimée,
27:19 qu'on n'est finalement que 20 ans après,
27:22 et bien les Russes finissent par accepter.
27:24 Et donc les Turcs récupèrent, pour eux, miraculeusement,
27:28 ils ne s'attendaient pas quand même à une telle naïveté,
27:30 les deux tiers de l'Arménie qui se trouve donc aujourd'hui en Turquie.
27:34 Et donc finalement, malheureusement, l'histoire va donner raison aux Arméniens,
27:38 nous allons arriver à la période la plus sombre pour le peuple arménien,
27:43 fin 19ème, il y a des mouvements islamo-nationalistes en Turquie.
27:48 Exactement, les jeunes Turcs commencent à faire leur apparition
27:52 et donc ils veulent redonner à la Turquie ses lettres de noblesse
27:56 et ils vont lancer le mouvement islamo-nationaliste
27:58 qui ne va plus cesser jusqu'à nos jours.
28:00 Et donc c'est eux qui finiront par renverser,
28:03 et dès par la guerre de 1914, par renverser le pouvoir des sultans
28:07 et par mettre fin à l'Empire ottoman et le remplacer par une république turque.
28:12 Mais il faut bien noter que les premiers massacres commencent dans ces années-là.
28:17 Dans les années 1890…
28:18 C'est-à-dire qu'on prend les Arméniens pour bouc émissaire, pour cible, histoire de cristalliser le…
28:23 C'est ça, alors bouc émissaire, ils n'ont rien à leur reprocher en réalité,
28:27 sauf d'être plus vieux.
28:29 J'allais dire tête de Turc mais ça me paraissait mal voyagé.
28:31 Tout à fait, et en tout cas, ils suscitaient beaucoup d'envie
28:35 de la part des Turcs comme des Kurdes,
28:37 parce que les Arméniens sont des travailleurs, des commerçants hors pair,
28:41 et donc au bout d'un moment ils deviennent riches.
28:44 Et donc ça rend fou les autres qui travaillent moins, qui sont peut-être moins doués.
28:48 Alors les grands massacres vont commencer dès les années 1880-1990.
28:52 On estime qu'en cette fin du 19e siècle,
28:54 à travers la Turquie actuelle, 300 000 Arméniens seront massacrés.
28:58 Donc ce n'est pas encore le grand génocide qui va venir,
29:01 tout de même, 300 000, c'est beaucoup.
29:03 Là on n'est pas en Arménie même, on n'est pas dans la zone arménienne,
29:07 on est dans toute la Turquie.
29:08 Un peu partout, parce que les Arméniens forcément,
29:10 un peu comme les Grecs, se sont répandus évidemment dans toute la Turquie,
29:13 le long de la côte ouest, la côte égéenne, l'ouest de l'Asie mineure,
29:18 vous avez des centaines de milliers d'Arméniens qui vivent là
29:20 et qui commercent depuis notamment, avec les Grecs,
29:23 depuis notamment le grand port de Smyrne, qui est devenu Izmir aujourd'hui.
29:27 Et donc on sent déjà les prémices en cette fin du 19e siècle.
29:32 Et donc les jeunes Turcs finissent par prendre le pouvoir,
29:37 la guerre de 1914 arrive et là, profitant de la guerre de 1914,
29:40 les Turcs vont mettre à exécution le plan qu'ils ont depuis longtemps,
29:44 ce mouvement des jeunes Turcs, dont faisait partie d'ailleurs Mustafa Kemal,
29:49 et bien, mais ce n'est pas lui qui a organisé le génocide,
29:52 c'est essentiellement un homme nommé Enver Pacha,
29:54 et bien ils vont organiser ce génocide.
29:57 Pourquoi veut-il supprimer les Turcs, comme ensuite ils chasseront les Grecs ?
30:02 Parce qu'ils estiment que pour régénérer la Turquie,
30:04 sur un fondement islamo-nationaliste,
30:07 il ne faut qu'il n'y ait que des musulmans, que des Turcs.
30:10 Et donc les Arméniens, comme les Grecs, sont un corps étranger qu'il faut éliminer.
30:15 Et les Arméniens sont plus nombreux que les Grecs,
30:18 ils sont fort riches, comme Louis dit,
30:22 et les Turcs vont procéder d'une façon quand même,
30:26 avec une accumulation de mensonges absolument incroyable.
30:30 Il y a la guerre contre la Russie, la Russie est dans le camp de la France,
30:34 de l'Angleterre, et la Turquie est dans le camp de l'Allemagne.
30:37 Donc les Russes vont attaquer, comme d'habitude, par l'Est,
30:41 et à ce moment-là, les Turcs vont dire "ah non,
30:43 mais les Arméniens qui sont citoyens turcs, à qui on a donné des fusils,
30:46 ils vont se ranger du côté des Russes".
30:48 Le raisonnement pouvait être défendu d'ailleurs,
30:51 puisque certains Arméniens vont le faire, mais pas tous,
30:53 il y en a d'autres qui vont faire le coup de feu contre les Russes.
30:56 Mais on va prendre ce prétexte-là pour désarmer tous les Arméniens,
30:59 qu'il n'y ait plus un homme Arménien d'armée.
31:02 Et ça c'est le début du génocide.
31:03 Et ensuite, en 1915, le gros, alors que, évidemment,
31:07 toutes les puissances occidentales sont occupées ailleurs,
31:10 et bien commence le grand génocide, c'est-à-dire que dans toutes les villes,
31:14 tous les villages arméniens, et bien on va sortir des maisons,
31:18 tous les Arméniens.
31:19 Les Kurdes vont s'occuper de ce sale travail,
31:22 sous le contrôle des policiers et des gendarmes turcs,
31:26 et on va déporter les gens en leur faisant croire
31:28 qu'on se contente de les déplacer vers l'Est,
31:31 vers l'Arménie où ils vont retrouver leurs frères.
31:33 – Et là on les lance dans le désert.
31:34 – Tout est faux, on les envoie vers la Syrie,
31:37 et ceux qui n'ont pas été massacrés en route,
31:39 une grande majorité sera massacrée en cours de route,
31:41 de toutes les façons qui soient, y compris des crucifixions,
31:44 – Oui, des choses abominables.
31:45 – Des choses abominables, et bien les derniers survivants
31:49 finiront dans le désert de Derezor,
31:52 où ils mourront de soif dans ce désert.
31:56 – On estime à combien le nombre de…
31:58 – Alors on a longtemps dit un million,
32:00 je ne parle pas les Turcs qui disent qu'il n'y en a pas,
32:04 les Austriens ont longtemps dit un million,
32:06 mais les derniers travaux des historiens, notamment Arméniens,
32:09 qui sont des historiens très sérieux,
32:10 estiment que c'est un million cinq, finalement.
32:12 Alors il y en a quelques centaines de milliers
32:14 qui ont réussi à s'enfuir, ceux qui étaient le plus à l'Est,
32:16 qui ont rejoint l'Arménie actuelle, là ils y sont arrivés,
32:19 et puis quelques dizaines de milliers,
32:22 presque centaines de milliers,
32:23 qui ont réussi à rejoindre le Liban et la Syrie,
32:24 alors non pas malheureusement au désert de Derezor, évidemment,
32:27 mais des villes comme notamment Alep, et Tripoli, et Beyrouth.
32:31 – Et à aucun moment de tentative de révolte ?
32:34 – Une seule, parce que d'abord ils avaient quand même très peu d'armes,
32:38 pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure,
32:39 et puis en plus, ils ne pensaient pas qu'ils se feraient massacrer,
32:42 vous savez c'est souvent la ruse des génocidaires,
32:45 faire croire à l'autre qu'il ne se passera rien de grave.
32:47 Et donc il y a eu une révolte, la révolte du Musaddag,
32:50 comme on l'appelait, c'est un franco-arménien qui va lancer ça,
32:53 et il y aura les 40 jours du Musaddag, 40 jours d'une révolte,
32:56 qui va l'emporter grâce à un bateau français,
32:59 qui pourra évacuer les révoltés,
33:01 qui auront tenu tête aux turcs pendant ces 40 jours,
33:04 et on peut lire le très beau roman de Franz Werfel
33:06 sur le sujet, "les 40 jours du Musaddag".
33:09 – Alors est-ce que la révolution bolchévique va changer la donne pour l'Arménie ?
33:13 – Pas totalement, totalement.
33:15 La révolution bolchévique arrive,
33:17 la guerre civile éclate entre russes, rouges et blancs,
33:20 et évidemment les armées russes qui étaient là se disloquent,
33:24 elles ne reçoivent même pas l'ordre, elles se disloquent,
33:27 il y a des blancs, des rouges, ils se battent d'ailleurs entre eux,
33:30 et finalement tout ça s'en va et participe à la grande guerre civile russe.
33:34 Et donc les Arméniens se retrouvent seuls.
33:36 Les turcs à ce moment-là vont essayer d'enfoncer le clou,
33:39 et en 1919 ils envahissent leur propre province,
33:43 en quelque sorte l'Arménie actuelle, et ils sont aux portes des Révanes.
33:46 Et là, à vue humaine, raisonnablement, les Arméniens n'ont plus aucune chance.
33:51 Ils sont quelques dizaines de milliers de combattants
33:54 qui ont récupéré des armes des russes,
33:57 et beaucoup de ces combattants sont arrivés épuisés
34:00 depuis le génocide en s'enfuyant, d'autres étaient déjà sur place,
34:03 et donc on ne donnait pas cher de leur chance aux Arméniens.
34:06 Et puis, il va y avoir une ou deux brillantes manœuvres militaires,
34:10 les turcs ont été imprudents, pensant que l'affaire était dans le sac,
34:13 ils se sont laissés encercler, leur avant-garde s'est fait décimer,
34:17 et les Arméniens se sont lancés dans des charges de cavalerie improbables,
34:22 et l'armée turque a fui en déroute.
34:24 Ça a été la grande bataille de Sarda Napal en 1919 ou 1918,
34:28 et ça a été le miracle arménien.
34:31 Et à ce moment-là, dans la foulée de cette guerre, en 1920,
34:34 l'Arménie proclame enfin son indépendance,
34:37 qui va durer un an à peine, parce que l'URSS est constituée,
34:42 et les soviétiques, à ce moment-là, disent "ah mais non, non, non,
34:45 il ne va pas y avoir d'État arménien indépendant,
34:48 vous allez rejoindre la grande union des républiques socialistes soviétiques,
34:51 et vous serez une république socialiste soviétique".
34:54 Et finalement, qu'est-ce que ça a donné toute la période soviétique pour l'Arménie ?
34:58 Eh bien, dans un premier temps...
35:00 On a tendance à penser que ce n'était pas si mal que ça.
35:02 Alors, ce n'est pas si mal que ça.
35:04 Dans un premier temps, il y a tout de même deux mauvaises nouvelles,
35:07 c'est que Staline décide de donner le haut carabar sur le territoire,
35:12 à l'Azerbaïdjan, et donc on pouvait très bien faire un petit trait
35:16 pour élargir l'Arménie, parce que de toute façon,
35:19 tout ça a été soumis à Moscou, et on en paye les conséquences aujourd'hui,
35:22 donc on donne, contre toute logique,
35:24 parce que le haut carabar est peuplé quasiment à 100% d'Arméniens,
35:26 on le donne à l'Azerbaïdjan, donc ça devait faire partie,
35:29 chez Staline, de sa vieille haine du christianisme,
35:31 en disant "on ne va pas quand même faire un État composé de chrétiens".
35:34 Et d'autre part, le Nakhichevan, au sud de l'Arménie,
35:39 qui est une province peuplée à 50% de musulmans et 50% d'arméniens,
35:44 et bien pareil, alors là, contre toute logique géographique,
35:46 puisqu'elle est complètement enclavée côté arménien,
35:49 elle n'a pas de lien terrestre avec l'Azerbaïdjan,
35:51 - Elle est entre la Turquie et l'Arménie. - Exactement.
35:54 Entre la Turquie et l'Arménie, et on va la donner à l'Azerbaïdjan,
35:56 sous prétexte qu'il y a quasiment une majorité de musulmans,
35:59 le réservoir du haut carabar ne tient pas.
36:02 Et il faut reconnaître que les arméniens acceptent ça,
36:05 ils n'ont pas le choix d'une part,
36:07 mais aussi, surprenant que ça puisse paraître pour un vieux pays chrétien,
36:11 il y a un mouvement d'adhésion au parti communiste assez important en Arménie.
36:16 Et vous allez avoir beaucoup d'arméniens qui vont devenir marxistes,
36:19 qui vont devenir communistes, y compris en France d'ailleurs,
36:22 les résistants arméniens communistes, Manoukian et autres.
36:25 Et il y a toujours eu un parti communiste arménien assez puissant.
36:31 Et donc ces chrétiens et ces communistes arméniens vont se faire face à face,
36:35 il y aura quelques drames, comme les chrétiens s'agitent trop un jour,
36:38 la Tchéca va assassiner le catholico-arménien pour dire aux arméniens,
36:42 "Attention, si vous bougez trop, il va se passer des choses".
36:45 Mais en dehors de ça, surtout à l'après-guerre,
36:47 parce que les arméniens se sont battus courageusement contre les allemands,
36:51 ils ont eu 150 000 morts.
36:53 Et comme toujours, les arméniens sont d'excellents fantasains,
36:55 ils se sont battus vraiment avec beaucoup de courage.
36:58 Donc on les laisse tranquilles,
37:00 et de 1945 jusqu'à l'effondrement de l'Union soviétique en 1991,
37:05 ils vont jouir pour peu, un peu comme l'empire ottoman,
37:08 ils vont jouir d'une certaine tranquillité,
37:10 pour peu effectivement qu'ils ne se révoltent pas.
37:12 Alors justement, jusqu'en 1991, effondrement de l'URSS,
37:17 et là l'Arménie va en profiter pour récupérer ce que Staline a donné aux azerbaïdjanais,
37:22 le fameux Haut-Karabakh.
37:24 Exactement. Les arméniens du Haut-Karabakh proclament leur indépendance, directement.
37:28 Et comme prévu, les azerbaïdjanais attaquent le Haut-Karabakh,
37:33 et l'armée arménienne se précipite au secours, contrairement à maintenant.
37:36 Alors l'Azerbaïdjan attaque le Haut-Karabakh parce qu'elle sait qu'il s'affronte.
37:39 Parce que le Haut-Karabakh vient de proclamer son indépendance.
37:41 Ah c'est le Haut-Karabakh, donc il y a l'Arménie qui déclare son indépendance.
37:43 C'est ça, le Haut-Karabakh proclame son indépendance.
37:45 Et son rattachement à l'Arménie.
37:46 En liaison évidemment avec l'Arménie.
37:48 Et l'Azerbaïdjan dit "c'est une provocation, on va attaquer".
37:52 Tant pis, on le fait quand même.
37:53 Et l'armée arménienne fait mouvement vers le Haut-Karabakh,
37:56 et une grande guerre commence entre l'Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh.
37:59 Donc là c'est en 1991.
38:00 92, 13, 14, ça va durer plusieurs années, 30 000 morts.
38:04 30 000 morts, mais là les deux pays ont des armements très faibles, l'un comme l'autre.
38:10 Donc ils sont à égalité de technologie en quelque sorte.
38:13 Et le fantasme arménien est bien meilleur que le fantasme azérien.
38:16 Plus courageux, plus aguerri, plus naturellement courageux, plus patriote aussi.
38:21 Et donc les Arméniens vont finalement l'emporter assez largement.
38:24 Et dans ce Haut-Karabakh, ils proclament donc son indépendance,
38:29 qui n'est reconnue par personne.
38:31 Mais l'armée arménienne est présente sur place.
38:35 Les forces d'autodéfense du Haut-Karabakh sont faibles,
38:37 mais peu importe, les Azerbaïdjans ont subi une telle défaite
38:42 qu'on pense qu'ils vont être tranquilles pendant un petit moment.
38:46 Et c'est le moment des relations au beau fixe entre l'Arménie et la Russie.
38:50 Et donc la Russie se porte garant de la sécurité de l'Arménie.
38:55 La Russie à ce moment-là a des relations convenables,
38:57 mais sans plus avec l'Azerbaïdjan comme avec la Turquie.
39:00 Et donc il semblerait qu'à ce moment-là, le Haut-Karabakh n'ait plus rien à craindre.
39:06 Mais voilà, en 2020, poussé par Erdogan,
39:11 qui veut absolument, absolument se ménager un accès vers l'Asie centrale,
39:15 eh bien l'Azerbaïdjan va attaquer le Haut-Karabakh.
39:20 Ils ont beaucoup d'argent grâce au pétrole.
39:22 Le pétrole et le gaz de Bakou, c'est quand même très important.
39:26 Originellement, c'est vraiment un des premiers lieux d'exploitation du pétrole,
39:29 juste après les États-Unis.
39:31 C'est là que la British Petroleum, la Shell vont faire leur fortune,
39:36 avec des Arméniens qui commercent beaucoup,
39:38 bien qu'on soit à Bakou, la famille Gulbekian, très connue, fera fortune à ce moment-là.
39:44 Donc tout ce pétrole et ce gaz de Bakou, qui est loin d'être épuisé encore comme filon,
39:48 va donner beaucoup d'argent à Alief, le dictateur azeri,
39:52 ce qui va permettre aux Azerbaïdjanais d'acheter, en 2020,
39:58 d'acheter au préalable, pendant longtemps ils ont fait ça,
40:01 ils ont acheté beaucoup, beaucoup de drones turcs.
40:03 Et ce sont, quand l'armée arménienne va se porter contre l'Azerbaïdjan,
40:08 contre l'armée azeri, eh bien ce sont ces drones qui vont faire la différence.
40:12 Et vous allez avoir tous les chars arméniens décimés par les drones Berakbar,
40:16 fournis par Erdogan et payés avec l'argent du gaz et du pétrole.
40:20 – Également une aide d'Israël.
40:22 – Et une aide conséquente d'Israël, on n'en parle pas beaucoup de ça.
40:25 – C'est Israël qui aide les chiites face à l'Iran chiite, ou également.
40:29 – Oui, ça paraît très compliqué, mais en réalité,
40:32 même si les Azeris sont chiites, ils sont beaucoup plus proches des sunnites turcs.
40:37 Mais, comme vous le savez, l'ennemi numéro un d'Israël, c'est l'Iran.
40:41 Et donc, il y a une frontière commune, assez longue, entre l'Azerbaïdjan et l'Iran.
40:45 – Et l'Iran et l'Azerbaïdjan.
40:47 Et donc, là, les Azeris ont autorisé les Israéliens
40:51 à installer de multiples systèmes d'écoute de radar
40:55 pour surveiller tout l'Iran depuis l'Azerbaïdjan.
40:58 Et en échange, évidemment, les Israéliens ont fourni le dernier cri des drones,
41:02 encore meilleurs que les drones turcs.
41:05 Et là, ces drones ont été utilisés dans les 48 heures de combat qui ont eu lieu.
41:10 Mais déjà à l'époque, les Israéliens avaient fourni une aide technologique
41:13 très conséquente aux Azeris.
41:15 Il y avait des conseillers sur le terrain, il y avait des drones israéliens,
41:19 il y avait de l'armement très sophistiqué, des radars très sophistiqués,
41:22 enfin, ce que les Israéliens savent faire.
41:24 – Donc, finalement, la dernière agression qu'il y a eu,
41:26 il y a quelques jours, dans le Haut-Karabagh, c'est la suite logique.
41:30 – C'est la suite logique.
41:31 Les Russes étaient intervenus pour mettre fin au carnage.
41:34 Voilà, et au bout de 45 jours de combat et 4000 morts arméniens,
41:39 on imagine l'équivalent des Azeris.
41:42 Erdogan, pour aider, avait envoyé des islamistes syriens
41:46 pour donner un coup de main à ses amis azeris.
41:49 Et donc, finalement, au bout de 45 jours, les Russes sont intervenus
41:52 pour sauver, on va dire, les deux tiers du Haut-Karabagh.
41:56 Mais là, comme vous dites, ils sont occupés ailleurs.
41:59 Et puis, il y a eu l'évolution du régime arménien.
42:02 Il y a eu la révolution de velours de 2018, financée par Georges Soros,
42:06 le Premier ministre arménien actuel de Pachinian,
42:09 c'est affiché avec Soros, poussé évidemment par les Américains, la CIA,
42:14 toujours les grandes pommesses, on ne vous laissera jamais tomber,
42:16 on vous aidera.
42:17 Et donc, à partir de 2018, il y a un tournant stratégique
42:21 dont la rupture finale se produit l'année dernière,
42:26 quand la Cour pénale internationale inculpe Poutine
42:29 de crimes contre l'humanité en Ukraine,
42:32 et que les Arméniens, membres de cette Cour,
42:35 adhérents de cette Cour, avalisent cela.
42:38 Et donc, à ce moment-là, les Russes disent "ah bon,
42:39 alors Poutine ne peut plus aller en Arménie, il risque de se faire arrêter".
42:42 Eh bien, les juristes arméniens ont dit "oui, il court le risque de se faire arrêter".
42:47 Alors, se couper de son principal mentor,
42:51 du seul qui pouvait empêcher ce qui vient de se passer,
42:54 c'est quand même fou.
42:55 Donc, Pachinian s'est tourné résolument vers l'Amérique,
43:00 et il s'est passé ce qui s'est passé.
43:02 Les Azéries ont senti que les Russes, cette fois, ne bougeraient pas.
43:06 Et que l'Occident, évidemment, s'est gravé dans le marbre,
43:09 s'est écrit "on ne bouge que pour les Ukrainiens, sinon on ne fait rien".
43:12 Et donc, ils ont laissé faire.
43:14 Et donc, le Karabakh, maintenant, je le crains, est définitivement perdu.
43:17 Et maintenant d'ailleurs, vous pensez que ce n'est pas totalement terminé,
43:19 parce qu'il y a le fameux Nakhichevan qui est au sud de l'Arménie.
43:24 Vous expliquez tout à l'heure que c'était le passage vers la Cassioëne pour les Turcs.
43:28 Eh oui, les Azéries ne s'arrêteront pas.
43:30 Comme les Turcs ne voulaient pas s'arrêter contre les Arméniens,
43:33 le rêve des Azéries comme des Turcs, c'est de détruire l'Arménie.
43:37 Et là, ils ont un premier vecteur, enfin un deuxième après le Haut-Karabakh,
43:40 c'est en effet ce Nakhichevan.
43:42 Le Nakhichevan, c'est donc cette province
43:44 où il y avait 50% de musulmans, 50% d'arméniens, comme je l'ai dit,
43:48 depuis le nettoyage ethnique sous l'Union soviétique
43:50 a été effectué par les Azéries en toute impunité,
43:52 il n'y a plus un seul arménien.
43:54 Donc, il y a 100% d'Azéries, musulmans, dans cette province.
43:59 Elle touche la Turquie, elle s'étend le long de la frontière iranienne
44:03 et au bout d'un moment, elle est bloquée par le sud de l'Arménie.
44:07 Et c'est le point commun entre l'Arménie et l'Iran.
44:10 Et ensuite, vous sautez quelques dizaines de kilomètres
44:13 et vous vous retrouvez en Azerbaïdjan
44:15 et au-delà, évidemment, la Caspienne et l'Asie centrale.
44:19 Il est évident que ce petit corridor entre le Nakhichevan et l'Azerbaïdjan
44:26 est destiné à être forcé un jour.
44:29 Alors le seul obstacle, ce ne sera plus ni la Russie,
44:32 encore moins l'Amérique et la France,
44:34 dans lesquelles on ne fait que bavasser et ne rien faire d'autre,
44:37 ce sera l'Iran.
44:38 Parce que l'Iran, qui n'a pas de très bonne relation avec l'Azerbaïdjan,
44:42 qui a de mauvaise relation avec la Turquie,
44:44 veut garder sa frontière commune avec l'Arménie.
44:47 Elle ne veut pas d'une seule frontière avec l'Azerbaïdjan.
44:50 Donc, elle peut intervenir éventuellement.
44:53 Ce sont évidemment des sublutations, peut-être qu'elle ne fera rien,
44:56 mais elle verrait d'un très mauvais œil une intervention turco-azérie,
44:59 parce que c'est comme ça que ça va se passer in fine,
45:01 turco-azérie pour forcer ça et l'empêcher,
45:03 lui faisant perdre sa frontière avec l'Arménie.
45:07 Et donc c'est tout l'enjeu des années à venir,
45:10 mais l'affaire n'en restera pas là, c'est évident.
45:12 – Certainement.
45:13 Antoine de Lecauste, merci infiniment pour toutes ces explications
45:17 passionnantes de géopolitique et d'histoire.
45:20 Donc je rappelle votre blog…
45:22 – Geocronique.fr
45:23 – Et je crois que vous êtes aussi féru de littérature
45:25 et vous avez un blog de littérature qui s'appelle "Les livres d'Antoine".
45:28 – Les livres d'Antoine.com
45:30 – Vous trouverez.
45:32 Vous allez maintenant retrouver Christopher Lanne et la petite histoire.
45:36 Avant, n'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
45:39 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
45:42 Merci et à bientôt.
45:44 [Musique]
46:01 Si vous pensez que la justice d'aujourd'hui, c'est n'importe quoi,
46:04 écoutez plutôt ça.
46:05 Dans l'Antiquité, certains naturalistes, et en particulier Pline l'Ancien,
46:08 prêtaient des qualités aux animaux.
46:10 Par exemple, le lion avait de la clémence pour les suppliants
46:13 et l'éléphant, il avait un amour de l'honnêteté, de la justice
46:16 et même un sentiment religieux.
46:18 Bon, pourquoi pas ?
46:19 On pourrait même citer des pères de l'Église et des saints,
46:21 comme Saint François d'Assise, par exemple,
46:23 qui communiaient et communiquaient avec les animaux,
46:26 en l'occurrence les oiseaux.
46:28 Donc jusque-là, ça va.
46:29 Dans l'Ancien Temps, les animaux étaient l'objet de plusieurs superstitions et croyances,
46:34 donc bon, ça passe.
46:35 Mais saviez-vous qu'au Moyen-Âge et même après,
46:37 du XIe jusqu'à la fin du XVIIe siècle,
46:40 les animaux étaient l'objet de procès civils et criminels ?
46:43 Pour diverses raisons, avoir tué un humain, détruit des cultures ou autres,
46:47 ont condamné des porcs, des chiens, des chats, des chevaux, des taureaux, des bœufs,
46:52 et même des taupes, des mulots, des harançons, des sauterelles, des criquets,
46:57 enfin tout un tas d'insectes.
46:58 Mais tout se passait normalement, on arrêtait le délinquant,
47:01 on le mettait en prison, on dressait un procès verbal,
47:03 qu'on lui lisait d'ailleurs, parce qu'on pensait qu'il pouvait entendre raison.
47:07 Ensuite, le juge réunissait des témoins,
47:09 on entendait les témoins, on menait une enquête très approfondie
47:12 et il rendait sa sentence,
47:14 une sentence qui était d'ailleurs signifiée à l'accusé dans sa cellule.
47:17 Une fois condamné, bien sûr, on exécutait le criminel,
47:27 par pendaison, par étranglement ou par le feu.
47:30 Les exécutions étaient publiques,
47:32 et parfois on mettait même des habits d'hommes aux animaux.
47:35 Vous imaginez un porc en smoking ?
47:37 Oui.
47:37 À titre d'exemple, en 1268, à Paris,
47:40 on exécutait un porc pour avoir tué un enfant.
47:42 Faut préciser qu'à cette époque,
47:43 les cochons et les truies circulaient en toute liberté dans les rues des villages
47:47 et que parfois, à l'heure de l'apéro, il arrivait que...
47:50 Quoi, vous mangez bien du saucisson, vous, non ?
47:52 En 1368, à Falaise, une truie est condamnée pour avoir tué un enfant
47:57 après l'avoir mordu au visage et au bras,
48:00 à être pendue en habit d'homme après avoir été mutilée au bras et au visage.
48:06 Voilà. La loi du talion, c'est net et sans bavure.
48:09 En 1474, un coq est condamné au bûcher pour avoir pondu un œuf.
48:14 L'œuf fut brûlé aussi.
48:16 Quoi ?
48:19 Ce n'est que bien plus tard que ces pratiques ont été abolies
48:22 et remplacées par la condamnation du propriétaire de l'animal.
48:25 D'ailleurs, à l'époque, le propriétaire de l'animal devait payer les frais d'exécution
48:29 et assister lui-même aux supplices de sa bête,
48:31 ce qui était perçu comme une punition.
48:33 [Musique]
48:40 Alors à première vue, et même à seconde vue d'ailleurs,
48:43 on pourrait se dire qu'ils sont...
48:45 Mais si on a un petit côté romantique,
48:47 on pourrait se dire que c'est une stricte application de la loi universelle
48:51 qui veut que toutes les créatures de Dieu soient égales devant la justice.
48:55 Pourquoi pas ?
48:56 D'ailleurs, c'est un débat qui a eu lieu à l'époque
48:58 entre ceux qui personnifiaient les animaux
49:00 au point de croire qu'ils avaient une âme ou qu'ils avaient des qualités du discernement,
49:04 et ceux qui jugeaient qu'un animal ne pouvait percevoir ni le bien ni le mal,
49:08 et donc que ce genre de procès était à la fois une perte de temps et une ineptie.
49:11 Et j'insiste sur le fait que le phénomène ne concernait pas uniquement le Moyen-Âge,
49:16 une époque qu'on a trop tendance à considérer comme arriérée,
49:19 mais c'est au contraire étendu jusqu'au XVIIe siècle,
49:22 même à la fin du XVIIe siècle.
49:24 D'ailleurs, c'est à partir du XVIe siècle que le phénomène s'intensifie.
49:27 Je peux même vous citer un petit exemple amusant
49:30 qui reste assez dans le thème même si on s'éloigne un peu.
49:32 Le 23 avril 1794, le tribunal révolutionnaire condamne à la guillotine
49:38 la famille du duc Armand de Béthune
49:41 pour avoir détenu un perroquet qui avait la fâcheuse tendance de crier "Vive le roi".
49:46 Le perroquet, lui, ne sera pas tué, mais sera confié à la citoyenne Lebon
49:50 qui aura pour mission de lui apprendre à crier "Vive la nation".
49:55 [Musique]
50:05 Bon, là, mis à part cette petite parenthèse,
50:07 on a surtout parlé des procès criminels,
50:09 mais on peut aussi citer les procès civils.
50:11 Et là, croyez-moi qu'il y a du dossier aussi.
50:13 Ces procès concernaient surtout des insectes des champs
50:16 qui détruisaient les cultures ou même des petits animaux,
50:19 les sauterelles, les criquets, les harançons, les mulots, les taupes.
50:23 Et vous savez quoi ? On leur donnait un avocat.
50:26 Oui !
50:27 Barthélémy Charencé, qui est un jurisconsulte respectable du XVIe siècle,
50:32 aurait même établi le début de sa fortune après avoir plaidé pour des rats.
50:36 Après tout, aujourd'hui, il y a bien des gens qui défendent Balkany, quoi.
50:39 Enfin...
50:40 Les temps évoluent, quoi.
50:42 Mais il y a pire.
50:43 Oui.
50:44 Quand des insectes ravageaient des cultures,
50:46 un huissier se rendait sur place pour les assigner à comparaître devant le juge
50:51 à telle heure, telle date.
50:53 C'est-à-dire que le mec, il se déplaçait personnellement
50:56 pour aller donner rendez-vous à des criquets.
50:58 Et pour l'anecdote, c'est d'ailleurs à partir de cette période
51:00 que quand on fait un bide, on entend ça.
51:02 Ouais.
51:05 Ça marche aussi pour les blagues nulles.
51:08 Bon, ça va.
51:10 L'Église prononçait aussi parfois des sentences d'excommunication
51:13 pour des petits animaux ou des insectes,
51:15 comme par exemple la chenille ou la sangsue.
51:17 Bien sûr, parfois, il s'avérait que les bestioles quittent les lieux après la sentence,
51:21 et là, on y voyait un signe de leur capacité à entendre raison.
51:24 Des auteurs sérieux comme Chassanet ou Charié donnent d'ailleurs des exemples
51:28 où, en effet, après la sentence, les bestioles sont parties.
51:31 Bon, pour conclure, on a vu les procès criminels,
51:42 on a vu les procès civils.
51:44 Maintenant, il reste un point...
51:45 Une situation dont je suis un peu obligé d'en parler.
51:50 Vous savez, quand...
51:51 Quand Marcel a une petite envie et puis...
51:54 Qu'il se rend derrière la grange pour...
51:58 Pour trousser une chèvre, voilà.
52:00 Eh bien, dans ce cas précis, les deux petits coquins sont brûlés tous les deux.
52:04 Voilà, ça fait un bon point final pour cet épisode.
52:07 Voilà, je vous dis à la semaine prochaine pour un nouvel épisode de La Petite Histoire
52:11 sur TV Liberté.
52:12 Sous-titrage ST' 501
52:14 #Sous-titres : El Micà
52:17 #Relecture : El Micà
52:19 #Réalisé par Leo, La Petite Histoire #Relecture : El Micà
52:21 #Réalisé par Leo, La Petite Histoire #Relecture : El Micà
52:23 #Sous-titres : El Micà
52:25 #Relecture : El Micà
52:27 #Sous-titres : El Micà
52:29 #Relecture : El Micà
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