SMART IMPACT - La révolution verte du médicament

  • l’année dernière
Le système de santé français actuel est très polluant mais en s'attaquant à chaque branche du secteur, une révolution verte est possible. La mesure et l'évaluation des émissions de carbone des médicaments donnent ainsi plus de visibilité et facilitent la recherche de solutions adaptées. Des changements s'opèrent mais beaucoup reste à faire pour que notre santé ne soit plus un facteur de pollution.

Category

🗞
News
Transcript
00:00 [Musique]
00:05 Le débat de ce Smart Impact Pondon porte donc sur le secteur de la santé, du médicament.
00:11 Je vous présente mes invités avec nous ici sur ce plateau, Sébastien Taïmid.
00:14 Bonjour, bienvenue.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous êtes le président d'Ecovamed et puis avec nous en duplex, Laurie Marot,
00:21 chef de projet santé au Shift Project.
00:23 Bonjour et bienvenue à vous, le Shift Project, Think Tank,
00:27 un cercle de réflexion président par Jean-Marc Janfoukovici
00:31 qui œuvre en faveur d'une économie libérée, de la contrainte carbone.
00:35 Et donc, vous travaillez sur des secteurs entiers,
00:37 c'est ça ce qui est intéressant dans le travail du Shift Project,
00:40 notamment sur la santé.
00:42 Expliquez-nous, quelle étude vous avez lancée, avec quel objectif ?
00:46 Oui, en effet, le travail sur la santé fait partie d'un plan plus large,
00:50 le plan de transformation de l'économie française,
00:52 où on a regardé comment on pouvait faire une photographie de l'empreinte carbone.
00:56 C'est d'à peu près une quinzaine de secteurs économiques, dont la santé.
01:00 Et donc, ce travail a été mené depuis, en réalité,
01:03 depuis un petit peu avant la crise Covid,
01:05 mais il a quand même été franchement lancé au milieu de 2020.
01:10 Et l'idée, c'était d'avoir une représentation assez exhaustive
01:14 de l'empreinte carbone du secteur de santé français,
01:17 avec une feuille de route de décarbonation associée
01:20 qui nous permette d'atteindre les objectifs des accords de Paris d'ici à 2050.
01:25 Donc, cette feuille de route, elle montre notamment
01:28 qu'aujourd'hui, c'est à peu près 8% de l'empreinte nationale
01:31 qui est due au secteur de la santé française.
01:33 Oui, effectivement, on va revoir ce chiffre, 8% de l'empreinte carbone de la France
01:37 qui est liée au secteur de la santé.
01:40 Comment expliquer ce chiffre ?
01:42 Laurie Marot, qu'est-ce qui pèse le plus ?
01:44 C'est peut-être la fabrication des médicaments ?
01:46 Moi, qui n'ai pas participé à cette étude, je dirais ça un peu spontanément.
01:50 Est-ce que c'est ça ?
01:52 Alors absolument, et c'est d'ailleurs étonnant que vous le disiez spontanément
01:55 parce que ce n'est pas forcément ce qui vient en premier à l'esprit des personnes à qui on parle.
02:00 Donc, on a un secteur qui représente environ 50 millions de tonnes équivalent CO2.
02:04 C'est vrai que dit comme ça, ça ne parle pas forcément beaucoup.
02:06 Donc, c'est à peu près 8% de l'empreinte nationale.
02:09 Et la moitié de cette empreinte environ, c'est les dispositifs médicaux,
02:13 les seringues, les compresses, tout ce que vous utilisez au quotidien dans l'hôpital,
02:19 et puis aussi les médicaments.
02:22 Ces médicaments représentent à peu près 30% de l'empreinte totale.
02:26 Et en effet, en fonction du médicament dont on parle,
02:32 ça va être différentes phases de cette production qui vont être plus ou moins polluantes.
02:36 Alors effectivement, Sébastien Taimit, vous vous proposez avec ECOVamed
02:40 d'étudier le cycle de vie des médicaments ou des dispositifs médicaux.
02:45 Pourquoi ? Pour évaluer leur bilan carbone, c'est ça ?
02:47 Alors tout à fait, parce que si jamais on veut décarboner les systèmes de santé,
02:51 on veut pouvoir décarboner chaque composante de ces émissions du système de santé.
02:55 Et comme précisé auparavant, les médicaments comptent pour à peu près 30% en fonction des pays.
03:01 Ça peut varier un peu. Mais donc si on veut pouvoir décarboner le système de santé,
03:04 il faut d'abord savoir médicament par médicament, quelles sont les émissions générées par ces produits.
03:10 Et donc on a mis en place des méthodes de calcul que l'on applique avec les fabricants de médicaments
03:16 et puis toute leur chaîne d'approvisionnement.
03:18 Parce qu'un médicament, ça prend on va dire 10, 20, 30, 40 étapes parfois de fabrication
03:23 dans différents pays, par différents acteurs.
03:26 Donc il faut arriver à mesurer précisément ces émissions.
03:28 Et puis une fois qu'on les mesure, les professionnels de santé peuvent faire des choix éclairés.
03:33 Les fabricants peuvent également identifier des voies pour réduire ces émissions
03:38 dans leurs procédés de fabrication, chez leurs fournisseurs, dans leurs usines,
03:43 dans le transport, dans la gestion des déchets.
03:45 Et donc c'est vraiment la mesure qui est à la base de l'amélioration de ces émissions carbone.
03:50 - Oui, donc c'est une espèce d'audite carbone du médicament, si j'emploie d'autres mots.
03:55 Est-ce que c'est une question que le secteur de la santé ne se posait pas et commence enfin à se poser ?
04:02 - Alors c'est très variable en fonction des acteurs.
04:05 Vous avez des grands acteurs, des grands laboratoires,
04:09 des fabricants de dispositifs médicaux de très grande taille
04:11 qui ont commencé à se poser la question il y a déjà un certain temps.
04:15 - Ça veut dire quoi un certain temps ? Une demi-douzaine d'années ?
04:17 - 10 ans, 15 ans, où ça a été initié.
04:21 Mais pas forcément à grande échelle sur tous les produits, sur tous les sites.
04:25 Alors on a aujourd'hui une dizaine d'acteurs dans l'industrie pharmaceutique,
04:28 mais qui en comptent des milliers, qui ont quand même bien avancé,
04:32 qui font des analyses de cycles de vie de plus en plus systématiques sur leurs produits.
04:36 Mais quand on a des portefeuilles avec des centaines de produits, voire des milliers de produits,
04:39 parce qu'il faut imaginer une usine, par exemple une usine qui fait des produits injectables pour l'hôpital,
04:44 il n'est pas rare qu'elle fasse 200, 300 produits différents.
04:48 Donc on imagine, c'est autant d'études qu'il faut mener.
04:51 Néanmoins, effectivement, il y a ces acteurs qui ont commencé,
04:54 et puis on voit maintenant de plus en plus de nouveaux acteurs qui s'y mettent,
04:57 parce que grâce aux études du Chief Project et des études qui ont été faites dans d'autres pays également,
05:02 en Australie, au Japon, aux Etats-Unis, en Angleterre,
05:05 et qui confirment la part importante des produits de santé dans les émissions du secteur,
05:10 eh bien ça fait tic dans la tête d'un certain nombre d'acteurs industriels,
05:15 et pas seulement, parce que les médecins et les pharmaciens s'y mettent aussi.
05:18 Il y a aussi une prise de conscience très très forte au niveau des professionnels de santé.
05:23 Et donc cette prise de conscience collective fait qu'aujourd'hui, de plus en plus de gens y travaillent,
05:29 de plus en plus d'industriels y travaillent, et donc le momentum est lancé.
05:34 – C'est lancé. Lory Marot, à la suite de votre étude,
05:38 qu'est-ce que vous avez identifié comme peut-être le levier les plus efficaces,
05:42 justement pour accélérer cette décarbonation du secteur de la santé ?
05:47 – Alors pour le secteur de la santé dans son ensemble, il va y avoir plusieurs types de leviers,
05:50 parce qu'en fait une partie des émissions carbone du secteur de la santé,
05:54 c'est quand même commun à d'autres secteurs.
05:56 Ça va être le fait de chauffer les bâtiments ou de les refroidir,
06:00 ça va être chauffer les bâtiments ou les refroidir, se déplacer,
06:04 aller jusqu'à l'hôpital ou aller voir son médecin, donc les transports.
06:07 Ça va être aussi l'alimentation qui va être servie dans ces établissements.
06:10 Donc pour tout ça, on a fait un ensemble de recommandations et de mesures
06:14 qui sont assez similaires à ce que vous pouvez trouver dans d'autres secteurs économiques finalement.
06:18 Et puis vous avez des choses plus spécifiques sur le retraitement des déchets,
06:21 par exemple des déchets à risque infectieux quand vous êtes à l'hôpital.
06:24 Et évidemment, on a fait des mesures qui vont concerner plus spécifiquement
06:29 le secteur du dispositif médical et le secteur de l'industrie pharmaceutique.
06:34 Dans ce type de secteur d'activité, l'idée c'est de partir aussi d'une information de base,
06:40 comme l'a dit Sébastien, pour l'instant on a besoin d'aller encore chercher ces informations dans le détail
06:44 parce qu'on ne les a pas forcément, et de pouvoir agir sur les procédés de production.
06:47 Par exemple, pour réduire ce qu'on appelle les facteurs d'émission des médicaments,
06:51 c'est-à-dire combien une unité de médicaments va produire de CO2.
06:55 Et puis après, pour la suite, vous avez aussi l'enjeu qui est un peu aussi caché derrière tout ça,
07:02 c'est comment on pense ce secteur de la santé qui aujourd'hui est très axé sur du curatif
07:07 et peut-être pas assez sur du préventif.
07:10 Et là, il y a tout l'enjeu de la prévention, de la promotion de la santé,
07:13 pour penser non pas uniquement en termes de technologie ou de production,
07:18 mais aussi en termes d'usage, notamment d'usage des soins et d'usage des médicaments en amont de la chaîne.
07:23 Effectivement, Sébastien Taimid, comment on peut réduire,
07:26 parce que le défi c'est réduire les émissions de gaz à effet de serre d'un secteur,
07:30 enfin là du médicament, tout en gardant évidemment leur efficacité ?
07:34 Donc est-ce que c'est si facile à faire ?
07:37 Alors ce n'est pas si facile.
07:38 Donc évidemment, le premier facteur, c'est de mesurer.
07:41 Une fois qu'on mesure, on identifie ce qu'on va appeler les "hotspots", les grands contributeurs.
07:46 On va retrouver, comme le disait Laurier auparavant, l'énergie qui arrive souvent,
07:51 la consommation de solvants, le traitement des déchets.
07:53 Une fois qu'on a identifié tout ça, il va falloir essayer de trouver des moyens de le diminuer.
07:58 Et bien entendu, à iso qualité de soin pour le patient.
08:02 Néanmoins, c'est l'ensemble de la chaîne qui peut réussir à diminuer l'impact des médicaments.
08:09 C'est tout d'abord les industriels.
08:11 Donc ça peut être sur la localisation des usines, le type d'énergie.
08:14 On a montré qu'il y a un certain nombre de principes actifs.
08:17 Par exemple, les produits en Europe de l'Ouest faisaient qu'ils émettaient 30 à 40 %,
08:22 voire deux fois moins de gaz à effet de serre que s'ils étaient produits dans des pays
08:25 où on utilise le charbon, comme la Chine ou l'Inde.
08:28 Ça paraît trivial, mais c'est quand même le cas.
08:30 C'est basique. On peut aussi, puisque vous parlez de cette question de localisation,
08:36 il y a peut-être un petit mouvement de démondialisation.
08:39 C'est-à-dire, si on ne fait pas faire trois fois le tour de la planète à un médicament en 40 étapes,
08:43 comme vous nous disiez, peut-être seulement en 20, on gagne aussi beaucoup en bilan carbone.
08:47 Ça me semble assez évident, ça.
08:49 Alors le transport va avoir un impact positif, mais pas énorme.
08:52 Ce n'est pas le plus important.
08:53 On a toujours l'impression que le transport joue beaucoup.
08:55 Et en fait, sur la fabrication d'un médicament, le transport va compter entre 0,5 et 3 %.
09:00 Ok, j'ai appris quelque chose. Super.
09:02 En revanche, ne pas faire un médicament dans un pays où l'énergie est très carbonée,
09:07 ça, c'est un gain énorme.
09:09 Faire dans une usine où on a été un peu innovant parce qu'on a réussi à réduire l'utilisation des solvants,
09:15 où on recycle certains déchets, où on fait une synthèse plus courte ou avec un meilleur rendement,
09:19 ce qui est plus le cas en Europe, parce qu'en Europe, les coûts de production sont plus élevés.
09:23 Donc si on veut être compétitif, il faut être innovant.
09:25 Et donc, généralement, quand on est innovant sur les coûts, on est innovant sur l'environnement aussi.
09:29 Et puis après, il y a l'utilisation.
09:32 On voit, par exemple, parfois que certains médicaments, on va en jeter la moitié parce qu'on les coupe en deux.
09:37 Ce n'est pas le bon dosage.
09:39 Dans les hôpitaux, ce n'est pas évident de garder une moitié de médicaments, ce que vous pouvez faire chez vous.
09:44 Donc il y a aussi, sur l'ensemble du cycle de vie, et pas simplement sa production,
09:48 mais aussi son utilisation, où on peut avoir des gains.
09:51 Et ça, ça nécessite que les professionnels de santé soient en lien avec les industriels
09:55 pour bien comprendre quel dosage, quelle utilisation, quelle optimisation on peut faire.
10:00 – Est-ce que le système français, où finalement on vend des médicaments en boîte,
10:03 on va vendre une boîte de 40, même si on n'en a besoin que de 28,
10:06 qui n'est pas forcément le système qu'on utilise partout, notamment aux États-Unis,
10:11 est-ce que c'est forcément plus producteur de carbone, ce système-là,
10:13 avec plus de gâchis de médicaments ?
10:15 – Alors il y a un grand débat.
10:16 – Oui, c'est pour ça que je vous posais la question.
10:17 – Tout le monde n'est pas d'accord.
10:18 – Mais effectivement, quand on a un traitement antibiotique,
10:21 on voit généralement qu'on prescrit un traitement pour 5 jours par exemple,
10:25 et dans la boîte, il y a un traitement pour 7 jours.
10:27 Il est certain que les 2/7, donc 15%, un peu plus de 20% des médicaments seront jetés,
10:35 et si on jette 20% des médicaments, on augmente de 20% l'empreinte carbone de la boîte.
10:39 Alors après, il y a des complexités réglementaires,
10:42 c'est-à-dire qu'aujourd'hui c'est interdit de le faire,
10:45 et les complexités viennent au fait qu'il faut une notice, et ainsi de suite,
10:50 donc il y a une traçabilité, et puis les médicaments, il faut aussi les mettre quelque part,
10:53 si on crée des petites boîtes en plastique et qu'on les jette, ce n'est pas forcément mieux.
10:56 – Ok.
10:57 – Néanmoins, il semble quand même assez évident dans un certain nombre d'études
11:03 que la dispensation à l'unité dans un certain nombre de cas
11:06 peut permettre de réduire la facture, parce que c'est aussi un coût,
11:09 chaque médicament jeté a coûté à la société,
11:12 mais également l'empreinte environnementale.
11:14 – Un dernier mot, Loré Maroui, il nous reste un peu plus d'une minute,
11:17 parce qu'on a évoqué l'état d'avancée en l'occurrence de cette Révolution verte,
11:22 il y a très peu d'acteurs, trop peu d'acteurs,
11:25 comment vous les embarquez en ce moment pour accélérer ?
11:29 – En fait, il faut avoir nécessairement adossé à cet objectif de long terme de décarbonation,
11:36 des objectifs de court et moyen terme pour tous les acteurs,
11:39 parce que même si aujourd'hui on se rend bien compte qu'il y a un sujet climat
11:42 qui devient extrêmement prégnant, d'ailleurs je crois qu'on ne peut plus l'éviter,
11:46 il y a quand même d'autres enjeux de plus court et moyen terme
11:49 qu'il faut pouvoir mettre devant les yeux des acteurs.
11:53 Donc pour les soignants et les soignantes,
11:54 finalement quand on leur parle de développement durable,
11:57 souvent la première chose qui vient à leur esprit, c'est les déchets,
11:59 les déchets qu'on va retrouver, les déchets plastiques dans les établissements, etc.
12:03 Alors que ça représente 2% de l'empreinte, donc c'est très important,
12:06 mais comparativement au reste, ce n'est pas forcément le plus important,
12:08 mais ça peut être une porte d'entrée très mobilisatrice à l'intérieur des établissements.
12:12 Après, vous allez avoir les directeurs d'établissements,
12:16 que je connais bien en étant enseignante à l'EHUSP,
12:19 eux c'est plutôt des affaires de suivi, de comptabilité,
12:23 et aussi de soutenabilité de leurs établissements.
12:25 Donc peut-être qu'on peut aussi les approcher avec ces enjeux de comptabilité environnementale
12:30 qui commencent à s'intégrer progressivement dans les outils de gestion des organisations.
12:35 – Merci beaucoup, je vous interromps malheureusement parce que l'interview est terminée,
12:39 c'était passionnant, merci à tous les deux d'avoir participé à ce débat.
12:42 Je vous dis à bientôt sur Bsmart, on passe à notre rubrique Smart Ideas,
12:46 l'électrification des bateaux au programme.

Recommandée