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Jean-Louis Debré, l'ancien Président de l'Assemblée nationale, et complice éternel de Jacques Chirac, est décédé le 4 mars 2025, à l'âge de 80 ans.
Pour lui rendre hommage et évoquer son parcours, Jean-Pierre Gratien reçoit en plateau : Alain Juppé, ancien Premier ministre et membre du Conseil Constitutionnel, Béatrice Gurrey, grand reporter au quotidien Le Monde et Jean Garrigues, historien président de la commission internationale d'histoire des assemblées.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous dans Débat doc.
00:00:17L'ancien président de l'Assemblée nationale,
00:00:20Jean-Louis Debré, est décédé le 4 mars dernier,
00:00:23à l'âge de 80 ans.
00:00:24Voilà 5 ans. Il coécrivait avec le journaliste Fabrice Pierrot
00:00:28le documentaire qui va suivre et baptiser
00:00:31Mon Chirac, une véritable déclaration d'amitié
00:00:34faite à l'ancien chef de l'Etat,
00:00:36avec en prime, vous allez le voir,
00:00:38quelques succulentes anecdotes
00:00:40sur la complicité qui a lié les deux hommes
00:00:43durant les bons mais aussi les mauvais moments.
00:00:46Je vous laisse le découvrir et je vous retrouverai
00:00:48juste après sur ce plateau,
00:00:50en compagnie de l'ancien Premier ministre Alain Juppé,
00:00:53de l'historien Jean Garrigue et de la journaliste Béatrice Guret.
00:00:57Nous évoquerons le parcours de cette personnalité politique
00:01:01pas tout à fait comme les autres qu'était Jean-Louis Debré.
00:01:04Bon doc.
00:01:05...
00:01:23Mon Chirac, c'est pas un personnage ordinaire.
00:01:28Il n'a pas d'ego, il n'est pas du tout narcissique.
00:01:31L'homme était comme ça, avec un charme extraordinaire.
00:01:34Chirac, petit, s'est chez l'école pour aller au musée Guimet.
00:01:39Je ne sais pas qui est Chirac. Je sais pas vraiment.
00:01:43Un jour, il me dit, qu'est-ce que tu connais aux arts premiers ?
00:01:46Moi, j'ai toujours entendu parler de porter l'idée
00:01:49qu'il n'y avait pas d'hierarchie dans l'art.
00:01:52Je le vois s'enfiler une entrecôte de 800 grammes.
00:01:57Quand il souffre, je souffre.
00:02:01Quand il rit, je ris.
00:02:04C'est ça, l'amitié.
00:02:05...
00:02:2152 ans.
00:02:22En juillet prochain, cela fera précisément 52 ans
00:02:26que mon chemin a croisé celui de Jacques Chirac.
00:02:29C'est superbe.
00:02:30C'était un jour de juillet 1967.
00:02:33J'accompagnais mon père venu accueillir à Orly
00:02:36le général de Gaulle de retour de son voyage au Québec.
00:02:39Un voyage historique, au cours duquel il avait prononcé
00:02:43une phrase qui va précipiter son retour en France.
00:02:46...
00:02:53Je suis là, dans le pavillon d'honneur d'Orly,
00:02:57et mon attention est captée par un détail.
00:03:01Dans la ligne des ministres, ils sont là.
00:03:03Ils ont tous à peu près la même taille.
00:03:05Il y en a un grand, un énorme.
00:03:08Ils sont tous immobiles.
00:03:09Lui est toujours en agitation.
00:03:11...
00:03:14A l'époque, je commençais un peu à m'intéresser à la poétique.
00:03:17On commence à bavarder, on trouve que le temps est long.
00:03:21Il blague.
00:03:22Et à la fin de l'entretien,
00:03:25après avoir fumé quelques cigarettes,
00:03:27il fumait des Paul Mould.
00:03:29Et je lui dis, c'est heureux de parler avec vous.
00:03:33Je serais bien à vous revoir, si c'est possible.
00:03:36Il me note mon numéro de téléphone.
00:03:38Je t'appelle, je t'appelle.
00:03:41Je ne me faisais pas d'illusion.
00:03:43Je rentre dans le pavillon d'honneur, je vois mon père,
00:03:46et je dis, c'était qui, ce grand personnage ?
00:03:50Il dit que c'est Chirac.
00:03:53Il a un grand avenir politique.
00:03:54...
00:03:57Ce sagittaire, bien que né à Paris en 1932,
00:04:00a toutes ses racines en Corrèze.
00:04:02Ce fils unique a deux grands-pères maîtres d'école
00:04:04et un père cadre dans l'aéronautique.
00:04:07Enfant et élève sans histoire,
00:04:08il ne se mettra à bûcher qu'en terminale et à Sciences Po
00:04:11pour préparer l'ENA,
00:04:12qu'il n'intégrera qu'après un séjour de volontaire en Algérie.
00:04:15Je suis parti en réalité sur un bateau comme pilotage.
00:04:18Et quand je suis revenu, j'ai eu l'intention de faire
00:04:20une carrière de lieutenant au long cours en la marine marchande.
00:04:24Il y a des similitudes entre la navigation au long cours
00:04:27et la politique.
00:04:28Oui, c'est vrai, la navigation au long cours,
00:04:30caractéristique d'aller généralement tout droit.
00:04:34Jacques Chirac, 34 ans, jeune et fougueux secrétaire d'Etat
00:04:38du gouvernement Pompidou depuis moins de quatre mois.
00:04:40Moi, je n'ai que 22 ans, un diplôme de droit en poche
00:04:44et une carrière de magistrat pour toute perspective.
00:04:48Je ne peux pas dire que c'est lui qui m'a incité
00:04:51à entrer dans une carrière politique.
00:04:53Simplement, ce qui m'a beaucoup frappé,
00:04:55c'est que, alors que le monde politique qui se termine
00:04:59est souvent résigné, sceptique,
00:05:04lui, au contraire, il n'est pas replié, sceptique.
00:05:08Il a envie d'aller de l'avant, se dégage du personnage,
00:05:11une espèce de volonté.
00:05:13Et l'envie qu'il a, elle est communicative.
00:05:17Musique intrigante
00:05:20Je l'ai rencontré la première fois,
00:05:22il était à la mairie de Paris, mais depuis peu de temps,
00:05:25donc c'était fin des années 17, 18, je ne me rappelle plus.
00:05:28Et je l'ai rencontré parce qu'il y avait une usine
00:05:30à Mémac, en Corrèze, la région dont il était député,
00:05:34qui cessait son activité.
00:05:36Ça lui pose un problème économique local
00:05:39et pour lui, un problème de l'homme politique engagé qu'il était.
00:05:44Il me reçoit dans un immense bureau, beau bureau de la mairie de Paris,
00:05:48c'était l'automne ou l'hiver, je ne me souviens plus,
00:05:50il y avait du feu, il me buge dans la cheminée
00:05:53pour me mettre à l'aise, et il m'explique le problème.
00:05:56Il me dit, c'est pas compliqué, si cette affaire ne repart pas,
00:05:59n'est pas reprise, c'est ma carrière d'homme politique
00:06:02qui est compromise, je ne veux pas m'en remettre.
00:06:05Je sors du bureau avec cette immense responsabilité
00:06:08et le lendemain, le surlendemain, je dis, OK, je reprends l'entreprise
00:06:12donc j'aurai sauvé la carrière politique de Jacques Chirac.
00:06:15L'homme était comme ça, avec un charme extraordinaire
00:06:18et surtout une immense force de conviction.
00:06:20Macron ! Macron ! Macron ! Macron !
00:06:24Et six ans après, alors qu'il est devenu ministre de l'Agriculture,
00:06:29il m'appelle un jour et me dit,
00:06:31toi qui as envie de faire la politique,
00:06:33est-ce que tu rentrerais dans mon cabinet ?
00:06:37Je dis, oui, oui, oui, tout de suite, oui.
00:06:40Et c'est une expérience.
00:06:42Et donc, je suis rentré pour la première fois,
00:06:47en dehors des fois où je vais voir mon père dans un ministère,
00:06:50rue de Varennes, au ministère de l'Agriculture.
00:06:53Pour Chirac, c'est une sorte d'initiation
00:06:56au monde de la politique que je connais déjà un peu,
00:06:59mais qui est en train de transformer.
00:07:02Des petits détails ne trompent pas.
00:07:04Je me souviens, il déjeunait régulièrement avec ses collaborateurs.
00:07:08Et donc, une fois par semaine, on déjeunait avec lui.
00:07:12Et c'est dès lors-là où je me suis aperçu
00:07:14qu'il avait un appétit absolument fantastique.
00:07:16J'ai un peu faim.
00:07:17C'est là, pour la première fois, où, un matin, il m'a dit,
00:07:20tu m'accompagnes à Rungis.
00:07:23Et là, j'ai été fasciné.
00:07:25Car, il est 4 heures du matin,
00:07:28il m'a réveillé à 4 heures du matin, on y va,
00:07:30on passe en revue les bouchées, les artilles, tout,
00:07:36et on finit au petit déjeuner.
00:07:38Il est 8 heures.
00:07:39Et là, je le vois s'enfiler une entrecôte de 800 grammes.
00:07:47J'avais du mal à prendre mon café.
00:07:49Les gens qui étaient autour de lui, de Rungis,
00:07:52sont un peu surpris.
00:07:55Mais lui, très bien, il boit ça, et hop, deux ou trois bières.
00:07:59Il est 8 heures du matin, on s'est levé depuis 4 heures.
00:08:02Lui est en pleine forme.
00:08:03Il est excellent.
00:08:04Tout à fait, en tout cas.
00:08:06On rentre sur Paris vers 10 heures,
00:08:08et puis on arrive au ministère et on dit qu'on déjeune ensemble.
00:08:13Oui, vous avez faim ?
00:08:16Oui, oui, oui.
00:08:17Et à midi ou une heure, on a recommencé à déjeuner.
00:08:20Là, je me suis dit, c'est pas un personnage ordinaire.
00:08:24Un peu de sans serre, voire entillé, du ponche.
00:08:29M. Chirac portera ainsi neuf fois un verre à ses lèvres.
00:08:32Du chirouble, du schnapps, du genièvre, rien ne lui sera épargné.
00:08:36Mais j'ai découvert autre chose.
00:08:37J'ai découvert quelqu'un qui était profondément heureux,
00:08:42qui allait au-devant des gens, et les gens le ressentent.
00:08:45Bonjour, Marcel, comment ça va ?
00:08:46M. Chirac, comment allez-vous ?
00:08:48Ça va, M. Coudère, ça va ?
00:08:50Santé, ça se maintient ?
00:08:51Je me suis dit, pour faire de la politique,
00:08:54il faut aimer les gens.
00:08:56Et Chirac aime les gens.
00:08:58Vous aimez les gens ?
00:09:00J'aime les gens, oui.
00:09:02Plus je le côtoie,
00:09:04et plus je devis dans lui un destin national.
00:09:07Son ascension est fulgurante.
00:09:10A la mort de Pompidou,
00:09:11Chirac fait campagne pour Valéry Giscard d'Estaing
00:09:14et devient son premier ministre.
00:09:16Vous le vouliez plus jeune que vous, M. le président ?
00:09:19Je le voulais compétent et indépendant.
00:09:22Son style tranche avec celui de ses prédécesseurs.
00:09:26Il n'hésite pas à prendre ses distances,
00:09:28avec sa propre majorité,
00:09:29sur des sujets qui lui tiennent à coeur.
00:09:32Au moment où Mme Veil mène le combat
00:09:35pour la légalisation de l'avortement,
00:09:37il est un des rares premiers ministres.
00:09:40Elle était son ministre de la Santé,
00:09:42bien entendu, à la soutenir,
00:09:43mais il va jusqu'à aller à l'Assemblée en pleine nuit,
00:09:46parce qu'il y a tellement de déchaînement,
00:09:49de violence dans l'hémicycle contre elle
00:09:51qu'elle a vraiment besoin d'être physiquement soutenue.
00:09:54Et Jacques Chirac y va, en pleine nuit,
00:09:56pour la soutenir, jusqu'à ce que le texte passe.
00:09:59Pour 284,
00:10:01contre 189,
00:10:04l'Assemblée nationale a adopté.
00:10:10Le duo exécutif a beau dépoussiérer la vie politique,
00:10:13il fait vite le constat de son incompatibilité.
00:10:16Vous n'avez pas le sentiment d'être pris au piège
00:10:19depuis trois ans ?
00:10:21Vous dire que je me sens tout à fait confortable dans la majorité,
00:10:25serait sans aucun doute tout à fait excessif.
00:10:28En 1976, Chirac claque la porte de Matignon
00:10:31et se lance à la conquête de la mairie de Paris.
00:10:34Je viens de remettre la démission
00:10:38de mon gouvernement au président de la République.
00:10:411981 marque sa première course à l'Elysée.
00:10:45Jacques Chirac,
00:10:47maintenant président.
00:10:50C'est la seule fois de ma vie où je ne vais pas le soutenir.
00:10:53Mon père est aussi candidat,
00:10:56Chirac le comprend, tous les deux sont battus
00:10:59et Mitterrand est élu face à Giscard.
00:11:02Une épreuve est toujours quelque chose de bien.
00:11:04Un mois plus tard, il se présente aux élections législatives en Corrèze
00:11:08et son concurrent est à l'époque un illustre inconnu.
00:11:13Monsieur le président.
00:11:14C'était en Corrèze, j'étais candidat aux élections législatives,
00:11:18lui aussi.
00:11:19C'était pour moi la première fois.
00:11:21Pour lui, il avait déjà une certaine expérience
00:11:24et il était maire de Paris et ancien Premier ministre.
00:11:27J'étais envoyé par le Parti socialiste
00:11:30pour essayer de conquérir une circonscription ingagnable.
00:11:33C'est d'ailleurs pour ça qu'on m'y avait envoyé.
00:11:36Jacques Chirac avait eu cette formule,
00:11:38je ne sais pas si elle est juste, si elle a été rapportée ou inventée,
00:11:41mais elle n'était pas tout à fait fausse,
00:11:43que j'étais moins connu que le laboideur de François Mitterrand.
00:11:46Mais après, dans la campagne,
00:11:48j'avais été lui porté contrairement.
00:11:52Ce n'est qu'en 1986,
00:11:54lors des élections législatives remportées par la droite,
00:11:57que nos destins politiques vont se recroiser.
00:12:00Je suis élu pour la première fois député de l'heure
00:12:03et Chirac est rappelé à Matignon.
00:12:05La campagne présidentielle qui suit se solde par un nouvel échec.
00:12:10Dans une démocratie, c'est le peuple qui est le maître
00:12:15et je m'incline devant son choix.
00:12:17Mais nous nous retrouvons sur les bancs de l'Assemblée nationale
00:12:20quelques semaines plus tard.
00:12:22Il est député, je suis député, nous avons une proximité.
00:12:26Je suis assis à côté de lui dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
00:12:30C'est très difficile, avec Chirac à côté de soi,
00:12:33d'être concentré et d'étudier.
00:12:34Il a toujours une histoire à vous raconter.
00:12:37Il sort des papiers avec les origines de l'homme
00:12:40et il me dit, t'as vu ? Regarde, regarde.
00:12:42Je lui dis, oui, l'origine de l'homme était à l'Assemblée nationale.
00:12:45Et il nous emmerde.
00:12:47Mais un jour, il me dit, qu'est-ce que tu connais aux arts premiers ?
00:12:52Pas grand-chose.
00:12:53Mais c'est pas possible.
00:12:55Le lendemain, mercredi, question d'actualité,
00:12:57il revient avec un dossier comme ça.
00:12:58Jusqu'à mardi prochain, tu as à lire tout ça.
00:13:02Je suis terrorisé.
00:13:03Parce que c'est très compliqué,
00:13:05il jongle dedans avec les périodes, etc.
00:13:08Le mardi suivant, il revient
00:13:11et la première chose qu'il me dit, en s'assayant de côté de moi,
00:13:14c'est, tu as tout potassé ?
00:13:16Ouais.
00:13:17Alors, je vais t'interroger.
00:13:19On va écouter les orateurs, quand même.
00:13:21Non, non, toi.
00:13:23Et il commence à poser une question.
00:13:25Je réponds complètement à côté de la plaque,
00:13:27j'y comprends rien, etc.
00:13:28Il me dit, t'as travaillé ou pas ?
00:13:30Je me dis, d'abord, j'ai pas que ça à faire,
00:13:33j'ai mes électeurs,
00:13:34et puis ça me passionne pas, votre truc, ça me passionne pas.
00:13:39Ça passionne pas ?
00:13:42Attends.
00:13:43On s'en va ensemble.
00:13:45La séance se termine.
00:13:47Il y a quelques journalistes qui m'interrogent.
00:13:49Vous avez beaucoup discuté avec Chirac.
00:13:52Qu'est-ce que vous avez raconté ? Quelle stratégie ?
00:13:55Secret.
00:13:57Je sors avec lui, il me fait monter dans sa voiture,
00:14:00et on va directement chez un spécialiste.
00:14:03Le spécialiste et Chirac ne font que parler.
00:14:06Au bout de cinq minutes, il m'avait oublié,
00:14:08et j'ai toujours rien compris.
00:14:10Je me suis appelé, j'étais un peu volumineux.
00:14:13Chirac discutait avec Brunet et Coppens
00:14:17comme un paléontologue lui-même,
00:14:19sur les dates, les trucs,
00:14:22parce qu'il travaillait énormément.
00:14:23Bonjour, professeur.
00:14:25Monsieur le président, bienvenue dans ma grotte.
00:14:27Merci de nous recevoir.
00:14:29Je vous en prie.
00:14:31Il me posait beaucoup de questions sur la manière
00:14:33de découvrir l'âge des fossiles,
00:14:35sur la manière dont les filiations s'enchaînaient,
00:14:39sur le rôle de l'Afrique aussi,
00:14:42qui était surtout mon terrain de chasse, si je puis dire.
00:14:46Donc c'était toujours beaucoup de questions.
00:14:48Beaucoup de questions qui montraient
00:14:50que non seulement ça l'intéressait,
00:14:51mais en plus, il y travaillait lui-même un peu,
00:14:54enfin, il lisait sûrement un peu,
00:14:56ou se documentait, de toute façon, d'une manière ou d'une autre.
00:15:001993, le RPR remporte les élections législatives,
00:15:04Chirac refuse de retourner à Matignon
00:15:06et demande à Mitterrand de choisir Balladur
00:15:08pour diriger le deuxième gouvernement de cohabitation.
00:15:11Le contrat est tacite entre eux.
00:15:13A lui, le rôle de Premier ministre,
00:15:16à Chirac, celui de se préparer à la présidentielle de 1995.
00:15:21Et là, il va s'ouvrir une période
00:15:23qui va véritablement renforcer l'affection
00:15:26que je porte à Jacques Chirac.
00:15:28C'est ce que j'appelle la marche vers l'Elysée,
00:15:30une marche qui ne se passe pas du tout comme prévu.
00:15:36J'ai décidé de présenter ma candidature
00:15:39à la présidence de la République.
00:15:56Bien, merci à vous.
00:15:57Bon, on va par là.
00:16:06Nous sommes ici, dans ce palais de l'Elysée,
00:16:09dans ce salon des ambassadeurs.
00:16:11Et chaque fois que je suis là,
00:16:13c'est vraiment d'émerveillement,
00:16:15parce que la beauté de ces lieux...
00:16:18Mais je me souviens du combat
00:16:21qu'il a fallu à Jacques Chirac pour arriver ici.
00:16:25Vous voyez si les balcons sont beaux, là ?
00:16:30En 1993, Chirac me dit,
00:16:33Edouard Balladur a constitué un petit groupe
00:16:36de réflexion autour de lui.
00:16:39Vas-y.
00:16:40Et à chaque fois, je revenais voir Chirac et je lui demandais,
00:16:45Balladur est en train de préparer sa candidature.
00:16:48Si je suis candidat,
00:16:49c'est afin de préparer la France au prochain siècle.
00:16:52Non, non, non.
00:16:55Et puis, il y avait une atmosphère
00:16:59qui était une atmosphère de trahison.
00:17:02Vous voyez,
00:17:04tous vos camarades qui siègent avec vous à l'Assemblée nationale
00:17:08ne plus vous regarder dans les yeux.
00:17:11Quand vous leur demandez quelque chose, ils sont fuyants.
00:17:14Et là, je sens bien que,
00:17:17dans l'entourage même, dans les proches,
00:17:20le doute s'est installé.
00:17:22Edouard Balladur est toujours celui qui, dans la majorité,
00:17:26est le plus susceptible
00:17:28de rassembler le plus grand nombre de nos compatriotes.
00:17:32Décembre 94,
00:17:33Jacques Chirac va faire tourner à La Réunion.
00:17:38Comment voyez-vous les choses ?
00:17:40Est-ce que c'est bien parti ?
00:17:42Je me dis, pas forcément.
00:17:44Et à ce moment-là, il me dit,
00:17:46si je ne suis pas élu, qu'est-ce que tu feras ?
00:17:50Qu'est-ce que je ferais, moi,
00:17:51avec tout ce que vous m'avez fait balancer contre Balladur ?
00:17:57Si vous n'êtes pas élu, c'est Balladur.
00:18:00Et moi, je prends le maquillage.
00:18:02Je me remets dans mon tribunal et je ne bouge plus.
00:18:05Il me dit, j'ai une autre idée pour toi.
00:18:10On va ouvrir une agence de voyage,
00:18:12tu vas la tenir, et moi, je voyagerai, me dit Chirac.
00:18:16Et on a éclaté de rire.
00:18:17Et c'est une des rares fois
00:18:20où Chirac a imaginé, à l'instant,
00:18:25que peut-être il ne serait pas élu.
00:18:26Quoi qu'il arrive, j'irai jusqu'au bout
00:18:29dans cette campagne présidentielle, M. Chirac.
00:18:31Vous n'avez pas l'intention de renoncer.
00:18:34J'irai bien jusqu'au bout.
00:18:35C'est vrai que certains s'interrogent.
00:18:37Vous parlez sérieusement ou vous faites de l'humour ?
00:18:40Certains demandent, de temps en temps, de l'améliation.
00:18:43Écoutez, soyons sérieux, je vous en prie.
00:18:46M. Chirac, je vous remercie.
00:18:49C'était un lundi, et je trouve Chirac
00:18:53heureux comme je ne l'avais jamais vu,
00:18:56souriant, et me dit...
00:18:59Tu sais.
00:19:00Le dernier sondage BVA montre une baisse brutale
00:19:03des intentions de vote en faveur du Premier ministre.
00:19:06Il a dû redescendre, moi, je monte.
00:19:08Et donc, enfin.
00:19:09Enfin, on va y arriver.
00:19:12Musique rythmée
00:19:13Chirac vient de sortir de l'hôtel de ville.
00:19:16Vous devriez le voir à l'image, actuellement.
00:19:19Une horde de motards l'accompagne.
00:19:21Pourtant, la voiture de Jacques Chirac respecte les feux rouges.
00:19:25Nous passons à la hauteur de la Concorde devant l'Assemblée nationale.
00:19:28M. Chirac ne s'arrête pas.
00:19:30C'est le bain de foule qui attend le héros.
00:19:32Chirac ! Chirac ! Chirac !
00:19:36Nous sommes le soir de la victoire.
00:19:38Chirac va saluer la foule qui est dans la rue
00:19:44d'un balcon en face de son quartier général.
00:19:48Et au moment où nous arrivons là,
00:19:51c'était déjà installé sur le balcon
00:19:55tous les traîtres
00:19:57qui voulaient être là
00:19:59pour être du côté de la victoire.
00:20:03Et à ce moment-là, Chirac prend ma main,
00:20:06il me dit, tu viens,
00:20:08et on va dégager tous les mecs.
00:20:12Et on a dégagé à peu près tous les types
00:20:14qui étaient là, qui attendaient pour être...
00:20:18Car ils savaient que ça serait la photo.
00:20:20Il ne faudrait pas que nos opinions politiques,
00:20:23aussi fraîchement élues, nous fassent une chute du 1er étage.
00:20:27Chirac m'avait dit,
00:20:30si je gagne,
00:20:32je te nommerai ministre de l'Intérieur.
00:20:34L'un des matins, il m'appelle et me dit,
00:20:37je te confirme que tu seras ministre de l'Intérieur.
00:20:40Tu ne dis rien à personne.
00:20:42Il est 15h et Chirac effectue sa première visite privée
00:20:45chez l'un des pères de la Constitution, Michel Debré.
00:20:48Il est allé voir mon père,
00:20:51qui était très malade,
00:20:53et il lui a dit, Jean-Louis va devenir ministre de l'Intérieur.
00:20:57Et à ce moment-là, mon père m'a fait venir,
00:20:59il était mourant, il va mourir quelques mois plus tard,
00:21:02et dans un effort énorme,
00:21:04il m'a dit, je suis très heureux pour toi,
00:21:06mais souviens-toi d'une chose,
00:21:09on n'est plus longtemps ancien ministre qu'au ministre.
00:21:13La promesse est tenue, et quelques jours plus tard...
00:21:16Le nouveau gouvernement au grand complet
00:21:19pour la traditionnelle photo de famille.
00:21:21Premier conseil des ministres, et je rentre,
00:21:26et Chirac vient me voir et veut m'embrasser.
00:21:29Et je lui dis, non, monsieur, on s'embrassera après.
00:21:32Et puis, le conseil se termine,
00:21:35et je monte dans son bureau,
00:21:37et je lui dis, monsieur le président de la République,
00:21:39pour la première fois de ma vie, je vais embrasser un président.
00:21:44Fantastique.
00:21:47Le septennat commence,
00:21:48et je deviens donc un très proche voisin de Chirac.
00:21:53Je venais régulièrement.
00:21:55D'ailleurs, c'est pas anodin
00:21:58que le seul ministère qui se trouve près de l'Elysée,
00:22:01c'est le ministère de l'Intérieur.
00:22:03On disait jadis, mais je n'ai jamais retrouvé,
00:22:06qu'il y avait un souterrain
00:22:08qui reliait cet hôtel au ministère de l'Intérieur.
00:22:13Quand je rentrais dans son bureau,
00:22:15la première chose qu'il me disait,
00:22:17ne me dis pas ce qui va bien.
00:22:19Ils sont tous autour, ils faisaient ce geste-là,
00:22:22comme il fait, tous ses collaborateurs.
00:22:25Ils sont tous à me dire ce qui va bien.
00:22:27Toi, dis-moi ce qui ne va pas.
00:22:33Mais nos rendez-vous sont parfois très, très loin
00:22:37de nos dossiers politiques.
00:22:38Il me faisait venir le dimanche matin.
00:22:41Et quand j'arrivais, très souvent,
00:22:44la télévision était allumée
00:22:46et il y avait des matchs de sumo.
00:22:52Eh bien, on va regarder un match, monsieur.
00:22:55Vous m'avez fait venir, un dimanche matin,
00:22:59pour aller regarder un match de sumo.
00:23:01C'est un énorme tas de graisse.
00:23:03J'ai dit ce qu'il ne fallait pas dire.
00:23:05Et là, pendant une demi-heure,
00:23:08il m'a raconté les règles du sumo,
00:23:11cette lutte extrêmement...
00:23:15Sa passion pour les sumos faisait parfois sourire
00:23:18dans le microcosme politique,
00:23:20qui a souvent considéré Chirac comme un culte.
00:23:23Ses goûts étaient caricaturés,
00:23:25mais il entretenait le mystère.
00:23:30Il a une part de...
00:23:34Sa part intime cachée.
00:23:38Sa passion pour, par exemple, le sumo.
00:23:43J'avais des amis qui m'ont envoyé des photos de sumo.
00:23:47Je lui ai montré, c'était incroyable.
00:23:49Ils connaissaient leur histoire, les matchs qu'il avait faits.
00:23:53Le sumo, c'est plus qu'un sport, c'est pas un sport.
00:23:56Vous avez là l'homme qui est Kyono Fujii,
00:23:58qui est l'un des plus grands de sumotori.
00:24:01Il se bat contre quelqu'un qui fait 240 kg.
00:24:04Lui en fait 130, et il va gagner.
00:24:07Quand vous vous y mettez à regarder avec lui,
00:24:09et qu'il vous raconte,
00:24:11il y a autre chose que deux personnes qui s'affrontent.
00:24:15Il y a quelque chose de l'ordre de rituel.
00:24:18Le rituel, c'est ce qu'il donne toujours du sacré.
00:24:21C'est l'art d'une civilisation.
00:24:25C'est l'expression d'une psychologie.
00:24:29C'est très au-delà d'un sport.
00:24:32Les sumotoris sont des gens considérés au Japon
00:24:34comme des demi-dieux.
00:24:36J'ai le sentiment que même son rituel,
00:24:38de dire ou de ne pas dire, de cacher ou de ne pas cacher,
00:24:41certains aspects de sa personnalité,
00:24:45c'est aussi quelque chose de sacré, qu'on doit respecter.
00:24:48Il n'étalait pas ses cultures, il mettait même un point d'honneur
00:24:52à celui qui ne connaissait rien du tout.
00:24:55Qu'est-ce que vous aimez ? La musique militaire.
00:24:58Derrière tout ça, c'est un homme d'une grande culture.
00:25:01Je me souviens de l'avoir suivi une fois en Chine,
00:25:04on visite le musée national à Pékin,
00:25:07et Chirac se laissait expliquer par ce conservateur
00:25:09les bros archaïques chinois.
00:25:11À un moment, il en prend un, c'est lui, à la fin de l'exposition,
00:25:14c'est lui qui a expliqué au conservateur
00:25:17que le monde était bluffé.
00:25:18Un superbe paravent de la fin du XVIe siècle,
00:25:24l'époque Momoyama, qui est une pièce exceptionnelle.
00:25:27Quand j'allais voir avec lui des expositions,
00:25:30il était capable de me dire sur 200 statuettes
00:25:33toutes les différences d'origine.
00:25:35C'est impressionnant.
00:25:36Un jour, il m'a fait appeler d'Afrique du Sud.
00:25:39Il était en visite chez le président sud-africain,
00:25:42qui lui présente son gouvernement, et il me dit qu'il se moque de moi.
00:25:46Il me dit qu'il a sa ministre, elle est noire,
00:25:48et qu'elle est juive.
00:25:49Je lui dis qu'elle doit être une lamba.
00:25:52Je lui ai envoyé une note sur les lambas.
00:25:54Deux semaines après, il était plus calé que moi sur les lambas.
00:25:57Là où tous les parlementaires vont cacher, lui,
00:26:00ou Playboy, derrière un livre de poésie japonaise,
00:26:03Chirac va cacher le livre de poésie japonaise
00:26:06derrière un Playboy.
00:26:08Je me suis toujours interrogé
00:26:10sur le fait de savoir pourquoi Chirac avait véhiculé
00:26:15de lui, en ce qui concerne la culture,
00:26:19une image totalement négative
00:26:23et totalement voilée par rapport à la réalité.
00:26:25Je crois qu'il y a plusieurs raisons.
00:26:29La première, c'est qu'il s'est construit un personnage.
00:26:33C'est un personnage qui aime le peuple,
00:26:35c'est un personnage que le peuple aime.
00:26:39Il veut être comme tout le monde, la bière.
00:26:41La bière, c'est vrai, les westerns...
00:26:45Mais il y a aussi le fait que c'est son jardin secret.
00:26:49C'est ce qui lui appartient.
00:26:51Et c'est ce qui relie à lui quelques-uns de ses plus proches amis.
00:26:56La bière, plus qu'une habitude, une véritable passion.
00:27:00Il est en voyage officiel en Tunisie.
00:27:05Chez ce grand démocrate qui est Ben Ali.
00:27:08Déjeuner officiel.
00:27:10Devant les verres, il y a un verre où il y a du liquide blanc.
00:27:16Alors Chirac prend le menu et écrit
00:27:19« Ne bois pas ça, ça fout mal au ventre. »
00:27:23Il a un autre terme, mais je passerai.
00:27:26« Tu me trouves une bière ? »
00:27:30La table du président de la République tunisienne,
00:27:33on ne boit pas de bière.
00:27:35Je me penche vers mon homologue tunisien,
00:27:41Mohamed Diam.
00:27:42Je lui dis que j'ai un président.
00:27:44« S'il n'a pas sa bière, je ne suis plus ministre. »
00:27:49C'est comme ça. Il est accro.
00:27:51Il y en a qui sont accro à la drogue. Lui, c'est sa bière.
00:27:55Alors il appelle un maître d'hôtel.
00:27:58Au bout de quelques minutes,
00:28:00on voit un maître d'hôtel arriver avec un verre entouré d'un linge blanc.
00:28:03Alors je griffonne tout de suite sur le papier.
00:28:07Chirac, bien élevé, doucement, ne dit rien.
00:28:13Chirac prend le verre.
00:28:17Elle était excellente, cette bière.
00:28:21Le président de la République tunisienne tire une gueule.
00:28:24Les ministres tunisiens tirent une gueule.
00:28:26Moi, ça m'a fait marrer.
00:28:28Les deux premières années de son mandat sont difficiles.
00:28:31Monsieur Juppé, attention !
00:28:34Les réformes Juppé passent mal.
00:28:36La dissolution de l'Assemblée nationale tourne au fiasco politique.
00:28:39J'ai décidé de dissoudre l'Assemblée nationale.
00:28:44Chirac est contraint à une cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin.
00:28:48Une cohabitation qui aiguise à nouveau les appétits conquérants
00:28:51de ses vrais faux amis.
00:28:54Il y a une fronde terrible contre Chirac.
00:28:57Les gens, à chaque fois, me disent
00:29:00« Ton Chirac, il n'arrête pas de dissoudre.
00:29:02Ton Chirac, il est complètement asbine.
00:29:05Ton Chirac, c'est fini. »
00:29:07Pendant cette période, on va voir réapparaître
00:29:11un certain nombre d'appétits,
00:29:13des gens qui doutent sur Chirac et qui se préparent.
00:29:16Notamment Sarkozy,
00:29:18qui n'arrête pas de dire du mal de Chirac.
00:29:21Et ça, c'est la politique.
00:29:23Vous savez, l'ennemi politique, ce n'est pas l'adversaire.
00:29:26C'est son propre ami.
00:29:27C'est de lui que viennent les attaques les plus dures,
00:29:30les plus déstabilisantes.
00:29:32Il avait beaucoup d'amis dans sa famille politique,
00:29:34mais aussi beaucoup d'ennemis.
00:29:36Parce que c'est souvent auprès des siens
00:29:38que l'on a les défections.
00:29:40Donc, la fidélité, la loyauté, ce n'est pas simplement une amitié.
00:29:43C'est aussi une ligne de conduite.
00:29:45Ça veut dire qu'il faut se méfier de ses propres amis politiques ?
00:29:49Oui, parce que ce ne sont pas toujours des amis.
00:29:52Même s'ils sont dans le même mouvement,
00:29:55dans le même parti.
00:29:56Un ami, c'est celui qui est capable,
00:29:59même quand il n'est pas d'accord,
00:30:01et ça a dû arriver à Jean-Hugo Devray à l'égard de Jacques Chirac,
00:30:04de défendre, de tenir et de rester.
00:30:07L'amitié, elle est importante.
00:30:09C'est plus agréable de mener combat avec des amis
00:30:11que de mener combat avec des gens
00:30:13avec lesquels on ne se rend pas forcément bon.
00:30:16Mais c'est quand même deux choses différentes.
00:30:18Moi, personnellement, je ne les lis pas.
00:30:22La campagne est très dure.
00:30:23Moi, pendant longtemps, j'étais très pessimiste
00:30:27sur l'issue de la deuxième campagne.
00:30:30Et puis, les circonstances ont fait
00:30:32que le candidat du Front national
00:30:36ait passé devant Lionel Jospin.
00:30:40Ça a permis l'élection de Chirac.
00:30:42Voici Jacques Chirac,
00:30:4382,1 % des voix.
00:30:45Selon notre estimation, il saute vis-à-vis.
00:30:49Cette victoire de 2002 n'est pas une victoire comme les autres.
00:30:51Elle donne à Chirac une saturée dite
00:30:54et lui impose un devoir de rassemblement.
00:30:56Ce soir, nous célébrons la République.
00:31:01Acclamations
00:31:03Un rassemblement qui va jusqu'à Nicolas Sarkozy.
00:31:08Sarkozy,
00:31:10sa sujet, on ne parle pas.
00:31:13Il connaît mon aversion pour le personnage.
00:31:17Il sait, de toute façon,
00:31:20que ce qu'il fait, je ne l'approuverai pas.
00:31:24Sarkozy aura des phrases très dures sur Chirac.
00:31:30Chirac sera forcé à la télévision de dire
00:31:33que c'est lui qui décide et l'exécute.
00:31:35Il n'y a pas de différend
00:31:37entre le ministre des Finances et moi.
00:31:40Pour une raison simple,
00:31:42c'est que, notamment s'agissant de la dépense,
00:31:44je décide et il exécute.
00:31:46Auparavant, je suis allé voir Chirac et je lui ai dit
00:31:48« Virez-le. Vous ne pouvez pas accepter
00:31:52qu'un ministre de l'Intérieur critique le président de la République.
00:31:56C'est la preuve que quelqu'un n'a pas le sens de l'État. »
00:32:00Mais Chirac, là, il est...
00:32:02Vous savez, dans Chirac, il y a un peu de radical-socialisme.
00:32:07« Bon, vous voyez, on rassemble, on ne t'énerve pas. »
00:32:12Jean-Pierre Raffarin se rend à l'Élysée
00:32:14pour déposer sa démission, acceptée par Jacques Chirac.
00:32:18Un jour, il était assis sur le canapé et il me dit
00:32:21« Je vais te nommer premier ministre. »
00:32:23Et je lui dis « Mais vous plaisantez. Vous plaisantez.
00:32:26Ce n'est pas un métier fait pour moi. »
00:32:29Et il a souri.
00:32:31Il a souri et on en est restés là.
00:32:34Et j'avais ajouté « Il y en a déjà eu un dans la famille, ça suffit. »
00:32:39Villepin devient son dernier premier ministre.
00:32:41La fin du deuxième mandat s'annonce.
00:32:44Une période difficile que j'ai déjà connue avec mon père.
00:32:48Il n'en parle pas, il ne m'en parle pas,
00:32:51mais moi, je suis préoccupé.
00:32:53Et je suis préoccupé parce que j'ai des souvenirs d'enfance.
00:32:58Un jour, j'arrive à la maison, j'avais 15 ans,
00:33:01plein de bonbons, plein de fleurs, le téléphone sonne,
00:33:04beaucoup de gens, ça s'agit partout, on rentre, on sort.
00:33:08« Maman, qu'est-ce qui se passe ? »
00:33:10« Ton père est premier ministre. »
00:33:12« Ah, ben... »
00:33:13Trois ans plus tard, j'arrive à la maison,
00:33:17plus de bonbons, plus de fleurs, plus personne.
00:33:21Votre père est dans son bureau en train de fumer la pipe.
00:33:24Il s'ennuie mortellement.
00:33:27« Maman, qu'est-ce qui se passe ? »
00:33:29« Ton père n'est plus rien. »
00:33:31Et j'ai raconté cette histoire plusieurs fois à Chirac.
00:33:35Parce que quand vous passez de 400 à l'heure à 2 à l'heure,
00:33:41et la politique est ainsi faite, que le jour où vous partez,
00:33:44tous les bons amis que vous avez autour de vous,
00:33:46tous les courtisans qui sont là,
00:33:48qui vous disent « Monsieur le président, que vous êtes bon... »
00:33:51Mais vous avez été remarquables.
00:33:53Tous ces gens-là, le lendemain,
00:33:57ils sont allés voir le suivant.
00:34:00Il vient à la CES, je suis à la CES,
00:34:03et il me dit « Je vais te nommer président du Conseil constitutionnel. »
00:34:06Non.
00:34:08Pas envie de te nommer président du Conseil constitutionnel.
00:34:10Et chaque fois que je le vois,
00:34:14il me répète « Je veux te nommer. »
00:34:17Je dis « Mais attendez, pourquoi ? Pourquoi voulez-vous me nommer président du Conseil constitutionnel ?
00:34:22Je suis très bien comme président de l'Assemblée nationale. »
00:34:24Il m'a dit « Jean-Louis, ma première nomination importante,
00:34:29c'est toi au ministère de l'Intérieur.
00:34:31La dernière nomination importante que je veux faire
00:34:35avant de quitter le pouvoir, c'est toi. »
00:34:38Et c'est pour ça que j'ai accepté.
00:34:44Demain, je transmettrai les pouvoirs que j'ai exercés en votre nom
00:34:50à Nicolas Sarkozy,
00:34:53notre nouveau président de la République.
00:34:5616 mai 2007, Nicolas Sarkozy est investi président de la République.
00:35:02Chirac quitte l'Élysée avec ce signe de la main
00:35:05qu'il avait déjà au soir de sa victoire 12 ans plus tôt.
00:35:09En tant que président du Conseil constitutionnel,
00:35:12c'est moi qui investis le nouveau président
00:35:15devant une partie de ceux qui doivent toute leur carrière à mon ami.
00:35:21Mon Chirac, que je retrouve quelques jours plus tard ici,
00:35:25dans l'un de ses restaurants préférés, le Récamier.
00:35:28Alors, nous sommes aujourd'hui au Récamier,
00:35:31et là où Jacques Chirac venait régulièrement.
00:35:34Bonjour.
00:35:35Il venait régulièrement le samedi.
00:35:38Il allait voir la cuisine.
00:35:40C'est un peu la bourre ?
00:35:42Sa bière en cuisine, même, il me demandait toujours
00:35:45quand c'est ma tête de veau.
00:35:47Il n'y a pas de tête de veau ?
00:35:49Là, il y a un truc secret.
00:35:50Il y a un truc secret, tu vois.
00:35:52Ça, c'est très, très bon.
00:35:54Et ça, alors là, qu'est-ce qu'il prenait ?
00:35:56Il prenait un chou-flé, il prenait une bonne viande,
00:35:59il prenait une terrine et surtout la bière.
00:36:02Il buvait beaucoup de bière ?
00:36:03Deux ou trois bières.
00:36:04C'est chaud.
00:36:09Merci, au revoir.
00:36:10À ce moment-là, j'ai pris l'habitude d'aller le voir tous les jours.
00:36:13Il ne parlait pas de son passé.
00:36:15D'ailleurs, je ne voulais pas lui en parler,
00:36:17car le temps n'était pas venu.
00:36:19Puis Chirac n'est pas, comme certains présidents,
00:36:22obsédé par l'image qu'il va laisser.
00:36:24Un jour, je lui dis,
00:36:26il faudrait que vous écriviez vos mémoires.
00:36:30Et il me dit,
00:36:32une vache ne retourne jamais deux fois à la brevoire.
00:36:35Alors, on parlait de tout, de rien,
00:36:37et je faisais ça...
00:36:40d'abord pour lui montrer qu'il n'était pas seul
00:36:42et qu'il y avait autour de lui beaucoup de monde.
00:36:45Quand j'avais le sentiment qu'il commençait à s'ennuyer,
00:36:49je lui disais, que pensez-vous de votre successeur ?
00:36:51Et ça avait comme conséquence
00:36:56de lui permettre de me faire quelques phrases bien senties.
00:37:00Alors, il m'est arrivé un jour d'aller en vacances avec lui.
00:37:04Il m'appelle...
00:37:06Et il me dit,
00:37:08tu viens me retrouver à Saint-Tropez.
00:37:12Qu'est-ce que je vais faire, monsieur, à Saint-Tropez ?
00:37:14C'est vraiment pas mon univers...
00:37:18Si, si, viens, viens, viens !
00:37:20Je l'ai appelé, j'avais vu une photo,
00:37:22je crois que c'était en Paris-Maths, gardé par terre.
00:37:26Je l'ai appelé en disant, viens faire un tour à Saint-Tropez,
00:37:30et il est venu.
00:37:31Et là, j'ai le sentiment
00:37:33que ma venue lui procure beaucoup de plaisir.
00:37:37Il me dit, j'ai trouvé un petit restaurant sur la plage,
00:37:41et la cuisine est bonne.
00:37:44Parfait.
00:37:45Au moment où nous arrivons devant le restaurant,
00:37:48Mme Chirac arrive en même temps.
00:37:50Et là, je découvre
00:37:53ce qui va être l'objet de quelques problèmes,
00:37:56les serveuses ont les seins nus.
00:38:00M. Chirac, heureux,
00:38:03contente de son petit coup.
00:38:05D'un côté, la table,
00:38:07très contractée, de l'autre...
00:38:10T'as vu ?
00:38:14On rentre,
00:38:15et le soir, au mois du dîner,
00:38:18Mme Chirac me dit,
00:38:20vous avez quand même des idées curieuses.
00:38:22Emmener Jacques Chirac dans un restaurant
00:38:26où les femmes ont les...
00:38:28Mais ça veut dire quoi ?
00:38:31Tu m'as rejoué le distraire.
00:38:33C'est ça, l'amitié ?
00:38:34C'était pas long fleuve tranquille, la vie avec Jacques Chirac.
00:38:37Tous les matins, il me répète,
00:38:38vous savez que vous avez une chance immense de m'avoir épousée.
00:38:42Et il en est convaincu.
00:38:44Je trouve que ma femme a raison
00:38:46quand elle affirme qu'elle a eu beaucoup de chance de m'épouser.
00:38:49Mais pour dire la vérité,
00:38:51la réciproque est également vraie.
00:38:55C'est aussi une chance pour moi de partager avec lui
00:38:58aussi bien des instants de détente que des moments sérieux.
00:39:02On parlait beaucoup, parce que c'était un thème qu'il aimait beaucoup,
00:39:06sur le dialogue des cultures.
00:39:08À l'époque, c'est le musée Jacques Chirac,
00:39:11c'est changer cette mentalité aujourd'hui
00:39:14où on oppose les cultures, on oppose les croyances,
00:39:18pour, au contraire, arriver à ce dialogue des cultures et des croyances.
00:39:21Moi, j'ai toujours entendu parler de cette préoccupation qui était la sienne
00:39:25de porter l'idée qu'il n'y avait pas de hiérarchie dans les cultures,
00:39:30bien entendu, mais pas plus de hiérarchie dans l'art.
00:39:33Et que tous les arts de toutes les civilisations
00:39:37étaient porteuses de chefs-d'œuvre.
00:39:39Il avait déjà imposé au Musée du Louvre
00:39:42une salle ou des salles d'art premier.
00:39:46Et ça a été un combat
00:39:49entre Jacques Chirac, qui était déjà président de la République,
00:39:51donc on pourrait imaginer que si Jacques Chirac, président de la République,
00:39:54il voudrait quelque chose d'utile à la collectivité,
00:40:00on peut supposer quand même que ça ne doit pas être complètement impossible.
00:40:03Eh bien, ça a été un combat très dur
00:40:06entre lui, président de la République, et le patron du Louvre à l'époque.
00:40:09Les conservateurs, comme il aimait les appeler,
00:40:11ils portent bien leur nom, ceux-là, les conservateurs,
00:40:14ne voulaient pas entendre parler d'art premier au Louvre.
00:40:16Ce n'était pas digne d'un musée comme le Louvre.
00:40:18Et ça a titillé Chirac qui mettait un point d'honneur
00:40:21à mettre au même niveau toutes ses créations artistiques.
00:40:24Et c'est pour ça, en fond, qu'il a voulu imposer au Louvre
00:40:27cette aile d'art premier.
00:40:29Et ensuite, il y a eu la grande bataille pour le Quai Branly,
00:40:32dans laquelle il s'est engagé et qu'il y tenait beaucoup.
00:40:35Le musée des arts premiers des civilisations d'Afrique, d'Asie,
00:40:39d'Océanie et des Amériques, du Quai Branly,
00:40:42est inauguré en 2006.
00:40:44Il sera rebaptisé, dix ans plus tard,
00:40:47Musée Jacques Chirac.
00:40:48Et on lui doit, il ne faut jamais oublier qu'on lui doit
00:40:52cette appellation d'art premier, plutôt qu'art primitif,
00:40:56qui était... Art primitif, c'était un peu subalterne.
00:40:58Les primitifs ne savent pas faire. Nous, on sait faire.
00:41:01Je me rappelle, dans un dîner en Afrique du Sud,
00:41:04Jacques Chirac était juste en biais, on n'était pas loin.
00:41:07Je me demande qui a eu cette idée stupide
00:41:10d'appeler ce musée musée des arts premiers.
00:41:13C'est moi, imaginez, c'est moi.
00:41:15J'ai dit, monsieur le président, c'est trop tard, je l'ai dit.
00:41:17Les arts premiers, c'est quoi ? C'est le premier caillou taillé.
00:41:21Le fait de prendre un caillou, d'en prendre un autre,
00:41:24ça fait une autre forme.
00:41:25On tape sur la première et la deuxième,
00:41:27et on sort une troisième forme, c'est déjà une création.
00:41:30C'est 3 millions d'années, et c'est pas ça.
00:41:33En réalité, dès qu'il est enfant,
00:41:35il est déjà complètement ouvert sur le monde.
00:41:38Moi, qui ai un fils,
00:41:41qui avais aussi des enfants,
00:41:43j'aurais adoré que l'école m'appelle un jour
00:41:45pour m'expliquer que mon fils avait séché l'école
00:41:48pour aller au musée.
00:41:50Bon, Chirac, assez curieusement, petit,
00:41:53séché l'école pour aller, en effet, au musée.
00:41:57Ce côté indiscipliné, Chirac leur a toute sa vie.
00:42:00Indiscipliné et même parfois provocateur.
00:42:05Chirac aime sortir
00:42:08des sentiers battus, aime provoquer.
00:42:11Je me souviens, un jour, un journaliste se dit,
00:42:13M. le Président, vous faites du sport ?
00:42:15Il dit, oui, je fais des barres parallèles.
00:42:17Je regarde les barres parallèles.
00:42:19Oui, un bar est droite, un bar est gauche.
00:42:21Réfléchissez deux minutes.
00:42:23Euh...
00:42:24C'est pas excessif.
00:42:26Euh...
00:42:27Merci.
00:42:28Vous me dites, au fond, que vous n'avez pas...
00:42:30Vous ne surchez pas, hein ?
00:42:32Non.
00:42:33C'est à peu près le temps qu'il m'a pris pour lire votre livre.
00:42:36Oui. Je sais bien, malheureusement,
00:42:38dans celui que je vous ai envoyé,
00:42:40je n'ai pas mis les images à Colorbier, je suis désolé.
00:42:43Désolé.
00:42:44Chirac avait un humour très particulier.
00:42:47C'est un humour politique.
00:42:51C'est-à-dire que la phrase...
00:42:54qui sort,
00:42:55est une phrase qui est destinée à être reprise
00:42:59et à bloquer son adversaire.
00:43:01Je me souviens toujours, M. le Président,
00:43:05on dit que vous êtes de gauche.
00:43:07Il pourrait partir dans un grand discours
00:43:10en oui, non, mais, peut-être, incompréhensible.
00:43:14Bien sûr que je suis de gauche.
00:43:16Je bois de la bière et je mange de la choucroute.
00:43:19Tout est dit.
00:43:21Quand j'étais au Conseil constitutionnel,
00:43:24j'avais Chirac d'un côté, Giscard de l'autre.
00:43:26Je sais pas si je peux vous raconter la première séance.
00:43:30On examine un texte sur la lutte contre l'immigration illégale.
00:43:34Et tout d'un coup, mon voisin de droite...
00:43:38va dire quelque chose.
00:43:40J'ai été président de la République.
00:43:45Le problème de la lutte contre l'immigration
00:43:48se posait déjà à cette époque.
00:43:51Mais mon premier ministre n'était pas très bon sur ces questions.
00:43:57Je regarde à ma gauche.
00:44:00Chirac ne bouge pas.
00:44:02Je me dis, sauvé.
00:44:04Il n'a rien entendu.
00:44:05Dix minutes plus tard, Chirac dit,
00:44:07est-ce que je peux m'exprimer ?
00:44:10Je veux parler.
00:44:12Moi aussi, j'ai été président de la République.
00:44:15Mais moi, j'ai été réélu.
00:44:19J'ai été forcé de suspendre la séance.
00:44:23Les séances du Conseil constitutionnel
00:44:25ne remplissent pas l'agenda de Chirac.
00:44:27Le rythme de ses rendez-vous ralentit.
00:44:31Il se retrouve confronté à ce que tous les présidents découvrent
00:44:34en quittant le pouvoir.
00:44:35La défection des faux amis.
00:44:39Le jour où vous n'êtes plus au pouvoir,
00:44:41où vous ne pouvez plus distribuer les postes
00:44:44ou les bénédictions politiques,
00:44:46alors, progressivement,
00:44:49chaque jour, un peu plus,
00:44:51vous voyez la solitude entourer le personnage.
00:44:55J'ai vécu ça avec Chirac.
00:44:57Moi, je me suis toujours dit,
00:44:59compte tenu de ce que je lui dois,
00:45:00je serai toujours à ses côtés.
00:45:03Il y a incontestablement une dimension personnelle
00:45:06amicale, en effet.
00:45:08Affectueuse, même.
00:45:10Je pense que c'est presque...
00:45:11C'est filial, pour des tas de raisons que je ne connais pas,
00:45:15que je n'ai pas vécues,
00:45:16mais qui sont quand même de l'ordre de l'histoire familiale,
00:45:20qui est forcément une histoire
00:45:22qui se mêle à l'histoire du pays.
00:45:27Filial, je pense que c'est le bon mot,
00:45:29parce qu'au-delà de cette aventure,
00:45:32de ce destin politique,
00:45:34reste la relation entre deux hommes,
00:45:36qui certes ne sont pas de la même génération,
00:45:39car Chirac pourrait être votre père.
00:45:42Au-delà de ça, restent deux hommes
00:45:45et Jean-Louis, qui, parmi les très, très rares,
00:45:49qui ont accompagné,
00:45:50au-delà de la gloire, au-delà de l'histoire,
00:45:53au-delà du destin...
00:45:55Bon, Jean-Louis est là,
00:45:57et Jean-Louis est là comme il aurait été, sans doute,
00:46:00avec quelqu'un de sa famille.
00:46:03Je ne vais pas dire son père, mais quelqu'un de sa famille.
00:46:06Calme. Très, très calme.
00:46:07Il y a une femme qui n'a pas manqué à l'appel de ses vrais amis,
00:46:10après son départ de l'Élysée, Céline Renaud.
00:46:14Depuis leur première rencontre, en 1975,
00:46:17la chanteuse et comédienne avait suivi le parcours
00:46:19de celui qui se révéla, à plusieurs reprises,
00:46:22davantage qu'un ami.
00:46:25L'amitié, c'est aussi quand ça va mal.
00:46:28Le 31 décembre, donc, 1994,
00:46:33Loulou était à une semaine de partir.
00:46:38Et je vois des phares de lumière, des phares de voitures, je veux dire,
00:46:42arriver chez moi.
00:46:44Je pensais que c'étaient les infirmiers.
00:46:48Et d'un seul coup, entre Bernadette et Jacques,
00:46:52puis j'étais venue voir Loulou,
00:46:55pensant que c'était pour la nouvelle année.
00:46:59Alors j'étais parlée à Loulou,
00:47:02et je lui ai dit, tu sais, tu vas avoir une surprise,
00:47:04Jacques et Bernadette sont là,
00:47:06ils sont en train de faire campagne dans le coin, là, à Rueil.
00:47:12Alors, ils ont dit, on va aller dire bonjour à Lyne et Loulou.
00:47:16Mais le plus fort pour moi,
00:47:18c'est l'enterrement de Loulou à l'église.
00:47:22Jacques et Bernadette et Claude
00:47:27sont entrés les derniers.
00:47:30À droite, vous avez la politique, les VIP, tout ça.
00:47:35À gauche, il est écrit famille.
00:47:38Donc, Jacques est dans l'allée centrale,
00:47:40il est tourné à gauche, côté famille.
00:47:44Nous sommes...
00:47:47deux ou trois jours
00:47:49avant le procès sur les emplois de la ville de Paris.
00:47:55Le procès très attendu de Jacques Chirac a donc commencé aujourd'hui.
00:47:58Je vais le chercher à son bureau,
00:48:01il monte dans sa voiture et nous on ici.
00:48:06Il est fatigué.
00:48:09Inquiet.
00:48:11Préoccupé.
00:48:14Et Jacques, il me dit,
00:48:16je comprends pas très bien ce qu'il me cherche.
00:48:19Et puis, tout le dîner,
00:48:21on n'a pas parlé.
00:48:24Mais je savais qu'il avait besoin
00:48:28que des amis comme moi soient là,
00:48:32qui, par sa seule présence, le comprenaient.
00:48:36Ce silence, cette pudeur, c'est toute l'histoire de Chirac.
00:48:40Un homme secret qui a toujours gardé sa part de misère.
00:48:45Je crois qu'il faut avoir des jardins secrets,
00:48:49ne serait-ce que pour éviter que tout le monde vienne les piétiner.
00:48:53Je sais pas qui est Chirac.
00:48:56Je sais pas vraiment. C'est un homme qui ne se livre pas.
00:48:59Quand on veut s'introduire dans son intimité,
00:49:02c'est toujours avec beaucoup de précaution, car il vous répondra pas.
00:49:05Plusieurs fois, je lui dis, monsieur, ça va, soyez pas trop fatigué.
00:49:10Il m'envoie balader, pas ces questions-là.
00:49:13Ca n'intéresse que lui.
00:49:14Chirac a toujours été secret,
00:49:17mais libéré de son obligation de réserve,
00:49:20il a pu paraître parfois surprenant.
00:49:22J'ai un certain caractère.
00:49:24En 2011, quelques mois avant l'élection présidentielle,
00:49:28les micros captent une petite phrase
00:49:31qui ne va pas plaire à tout le monde.
00:49:33Dans cette fameuse scène, qui est bien connue,
00:49:36où nous sommes au busée Jacques Chirac,
00:49:39à Saran,
00:49:40et il dit cette phrase.
00:49:43Est-ce que j'aime bien j'aime bien ?
00:49:45Oui, oui, oui.
00:49:46Oui, oui, oui.
00:49:48Oui, oui, oui.
00:49:49Par contre, c'est le temps qu'on fait pour nous-mêmes.
00:49:53Par respect, je lui dis, attention, il y a une caméra.
00:49:57Il y a une caméra, je vote Hollande.
00:49:59Vous allez vous faire entendre, c'est ça ?
00:50:02Je peux dire que je voterai Hollande.
00:50:06Ensuite, j'ai pensé que c'était une forme d'humour,
00:50:09mais au fond de lui-même, je savais qu'il avait cette estime
00:50:13et je lui en suis très reconnaissant.
00:50:15Deux jours après, je suis avec Chirac et je lui dis,
00:50:17dites-moi,
00:50:19est-ce que c'est un dérapage ?
00:50:23Est-ce que c'est une gouttade ?
00:50:25Est-ce que c'est de l'humour corrélsien ?
00:50:27Pas du tout.
00:50:28C'est mon intention.
00:50:30C'est mon intention.
00:50:33Je ne peux pas voter Sarkozy
00:50:35et je voterai Hollande.
00:50:39Deux ans plus tard, c'est aux côtés de François Hollande,
00:50:42chef de l'Etat,
00:50:43que Chirac fait sa dernière apparition publique.
00:50:46C'est encore au Quai Branly.
00:50:48Les Français découvrent leur ancien président,
00:50:50souriant, mais affaibli.
00:50:53Et puis, la maladie est arrivée.
00:50:55Alors, est-ce qu'il s'en est rendu compte ?
00:50:57Je ne peux pas vous répondre à ça,
00:51:00parce qu'encore, on revient à ça.
00:51:03Il ne parle pas de lui et de ses souffrances.
00:51:07Mais j'ai le sentiment
00:51:10qu'il percevait qu'il n'était pas
00:51:15dans la forme de jadis.
00:51:19La maladie, hélas, a fait que progressivement,
00:51:23un mur s'édifie
00:51:26entre lui et le monde extérieur,
00:51:30et donc, moi, oui, on le voit.
00:51:33Mais pour moi, le mur n'est pas un obstacle
00:51:36pour que je ne vienne pas le voir.
00:51:38L'autre jour, c'était amusant,
00:51:40parce qu'on dit...
00:51:43La conversation, il entend le mot loulou.
00:51:45Claude me parlait par le mot loulou.
00:51:47Et donc, Jacques fait loulou.
00:51:51Alors, Claude lui dit,
00:51:53oui, tu te souviens de loulou ?
00:51:55Et Jacques fait, loulou gasté ?
00:51:58Formidable.
00:52:00Alors que, moi, je le trouve superbe.
00:52:04Pour moi, c'est toujours mon Jacques.
00:52:07Même le jour où il ne me reconnaîtra plus,
00:52:10je continuerai à venir le voir,
00:52:13parce que c'est la façon, pour moi,
00:52:17de témoigner ma reconnaissance et mon affection.
00:52:31Musique douce
00:52:34...
00:52:38Quelle formidable déclaration d'amitié
00:52:41faite là par Jean-Louis Debré à Jacques Chirac
00:52:43à travers ce documentaire qu'il avait coécrit.
00:52:46Voilà cinq ans avec le journaliste Fabrice Pierrot.
00:52:49Jean-Louis Debré est décédé le 4 mars dernier,
00:52:51à l'âge de 80 ans,
00:52:53et pour lui rendre hommage, évoquer son parcours,
00:52:56trois invités sont maintenant présents avec moi
00:52:58sur ce plateau de Débat doc.
00:53:00Alain Juppé, pour commencer.
00:53:02Bienvenue, Alain Juppé.
00:53:03Vous êtes membre du Conseil constitutionnel.
00:53:06Vous avez été le premier Premier ministre de Jacques Chirac
00:53:09entre 1995 et 1997.
00:53:12A l'intérieur, il avait été nommé un certain Jean-Louis Debré.
00:53:16On y reviendra, bien sûr, tout à l'heure.
00:53:18Vous avez aussi été ministre à plusieurs reprises,
00:53:21dont ministre des Affaires étrangères et européennes,
00:53:24député de la Gironde et, pendant 23 ans, maire de Bordeaux.
00:53:29Vous avez aussi écrit un Mont Chirac.
00:53:31C'est un ouvrage qui est disponible chez Talendier.
00:53:35Jean Garrigue est également avec nous.
00:53:37Bienvenue, Jean Garrigue.
00:53:38Vous êtes historien, président de la commission internationale
00:53:42d'Histoire des Assemblées.
00:53:43Vous avez bien connu Jean-Louis Debré.
00:53:46Votre dernier ouvrage s'intitule
00:53:47Les grands discours qui ont marqué la France,
00:53:50disponible, lui, chez Duneau.
00:53:52Béatrice Guret est avec nous.
00:53:53Bienvenue, Béatrice Guret.
00:53:55Vous êtes grand reporter au quotidien Le Monde.
00:53:57Vous avez suivi Jacques Chirac depuis 2002
00:54:00pour Le Quotidien, Le Monde.
00:54:02Vous lui avez même consacré trois ouvrages.
00:54:04J'en ai retenu un,
00:54:06Les Chirac, les secrets du clan,
00:54:08publié chez Robert Laffont,
00:54:09parce qu'il a obtenu le prix du livre politique.
00:54:12C'était en 2015.
00:54:14Alain Juppé, comme nous tous,
00:54:16vous avez appris le décès de Jean-Louis Debré
00:54:19le 4 mars dernier.
00:54:20Dans ces moments-là, on se rappelle forcément
00:54:23un souvenir commun ?
00:54:24Ça a été le cas pour vous ?
00:54:25Ce souvenir vous est revenu rapidement
00:54:27après l'annonce de cette disparition ?
00:54:29Je voudrais exprimer la tristesse,
00:54:31parce que cette disparition est brutale.
00:54:34On ne l'attendait pas.
00:54:35Mon premier souvenir, pour répondre à votre question,
00:54:38est inspiré par le documentaire qu'on vient de voir.
00:54:41J'ai écrit, vous l'avez rappelé, il y a peu de temps,
00:54:44un petit livre qui raconte mon parcours avec Jacques Chirac.
00:54:47Avec mon éditeur, je cherchais un titre.
00:54:50L'éditeur me suggère Mon Chirac.
00:54:51Tout d'un coup, je me dis que Jean-Louis a déjà fait
00:54:54ce qui s'intitule Mon Chirac.
00:54:56Je l'appelle au téléphone en lui disant
00:54:58que je pouvais plagier pour donner ce titre à mon livre.
00:55:01Il m'a dit, vas-y, bien sûr.
00:55:03Un souvenir peut-être plus politique,
00:55:06c'était...
00:55:08Il y a 30 ans ?
00:55:0995 ?
00:55:11Souvenir de grand bonheur.
00:55:13Nous sommes tous les deux, avec beaucoup d'autres,
00:55:16à Venudienna, devant la permanence de campagne de Jacques Chirac.
00:55:19Nous venons d'apprendre à 20h à la télévision
00:55:22qu'il a enfin réalisé son rêve, et notre rêve,
00:55:25c'est-à-dire d'être élu président de la République.
00:55:28C'était un moment de bonheur.
00:55:30On voit des images où on est dans la foule,
00:55:32écrasé autour de Chirac,
00:55:35en exprimant cette joie collective.
00:55:37Jean Garrigue, Jean-Louis Debré, est tombé dans la politique
00:55:41quand il était petit, si on peut l'utiliser.
00:55:44Certains disent même qu'il a un dieu,
00:55:46le général de Gaulle, et deux pères, un père biologique,
00:55:49et pas n'importe qui, Michel Debré,
00:55:51qui a été, lui, le premier premier ministre
00:55:53du général de Gaulle, au début de la Ve République,
00:55:57et puis un père politique, lui, qui serait Jacques Chirac.
00:56:00Est-ce que c'est assez bien définir les choses ?
00:56:03Oui, c'est une évidence, quand on est le fils
00:56:06du père fondateur de la Ve République.
00:56:08Pour oublier les institutions de la Ve République,
00:56:11c'est la rédaction de Michel Debré
00:56:13et d'une équipe de juristes qui étaient avec lui,
00:56:17mais c'est quand même Michel Debré
00:56:19qui avait conçu avant tout nos institutions
00:56:21sur les quelques consignes, d'ailleurs assez vagues,
00:56:24mais bien tranchées, du général de Gaulle.
00:56:28Et Jean-Louis Debré me racontait que, jeune,
00:56:32mais il a dû la raconter à d'autres,
00:56:34cette anecdote, que, jeune, il faisait du patin à roulettes
00:56:37dans les couloirs de l'Assemblée nationale.
00:56:40Je veux dire qu'il a été tout petit,
00:56:42immergé dans le bain politique,
00:56:45et effectivement, à partir de 1973,
00:56:49il est pris sous la tutelle de Jacques Chirac,
00:56:53qui, à l'époque, était ministre de l'Agriculture,
00:56:55si je ne me trompe pas, avant de devenir ministre de l'Intérieur.
00:56:59Et là, à partir de là, évidemment, il a suivi...
00:57:02Son engagement, c'est avant tout
00:57:05un engagement chiracien et gaulliste,
00:57:08mais, je dirais, plus chiracien encore que gaulliste,
00:57:13même s'il faut le rappeler aussi.
00:57:15En tant que juriste, il avait fait une thèse
00:57:17sur les idées constitutionnelles du général de Gaulle.
00:57:20C'est quelqu'un qui connaissait très bien
00:57:23les institutions de la Ve République
00:57:25et qui en était un fervent défenseur.
00:57:27Pour étayer ce que vous avez dit,
00:57:29et évoquer le milieu dans lequel il a évolué,
00:57:32le milieu familial, il a vu tout de même passer
00:57:35dans sa demeure Kennedy, Eidenhower,
00:57:37de Gaulle, bien sûr,
00:57:39et paraît-il que certaines de ses dissertations
00:57:42avaient été redues par un certain André Malraux.
00:57:45Tout le monde ne peut pas évoquer de tels souvenirs.
00:57:48Il avait plaisir, d'ailleurs, à évoquer cette période de sa vie.
00:57:52Il adorait. Il adorait.
00:57:54C'était un réservoir d'anecdotes,
00:57:56notamment sur Jacques Chirac, mais pas seulement.
00:57:59Béatrice Duré, quel regard jetez-vous sur ce personnage
00:58:02que certains d'entre nous ont sans doute découvert
00:58:05avec ce film,
00:58:06cette amitié déclarée pour l'ancien chef de l'Etat,
00:58:10mais il le dit avec ses mots, avec ses anecdotes.
00:58:13C'est un véritable conteur, Jean-Louis Debré.
00:58:16Quel souvenir avez-vous du personnage ?
00:58:18Je pense que ce qui reste, au fond,
00:58:21quand un homme politique s'en va,
00:58:23c'est, bien sûr, qu'on pourra évoquer ses fonctions
00:58:26ministre de l'Intérieur,
00:58:28avec les difficultés qu'il a connues,
00:58:31président de l'Assemblée, très bon,
00:58:33président du Conseil constitutionnel,
00:58:35mais moi, ce qui me frappe surtout,
00:58:37c'est la pâte humaine.
00:58:40C'est la comédie humaine du pouvoir.
00:58:42Et Debré, il a cette pâte-là.
00:58:45C'est-à-dire que, quand il noue une amitié avec Chirac,
00:58:49moi, je n'y vois pas quelque chose de filial,
00:58:52parce qu'au fond, il y a 12 ans d'écart entre eux.
00:58:55C'est assez peu, on ne devient pas père à 12 ans.
00:58:57Donc c'est moins une tutelle politique
00:59:02qu'une amitié et une complicité amicale.
00:59:06Voyez, si on se place du point de vue des Chinois,
00:59:10de l'astrologie chinoise, qui est millénaire,
00:59:13ils sont tous les deux du même signe, le singe.
00:59:16Ca vous paraît un peu futile, ce que je vous dis,
00:59:19mais je pense qu'il y avait, entre ces deux hommes,
00:59:22quelque chose de joyeux, de complice.
00:59:27Je crois qu'ils adoraient rigoler ensemble.
00:59:30Et Chirac savait que celui-là,
00:59:34comme tout bon, comme d'autres,
00:59:37jamais il ne l'abandonnerait.
00:59:40Et dans une vie politique qui est forcément faite de trahison,
00:59:44c'est quelque chose de très important, qui compte.
00:59:47On va regarder un premier extrait du film.
00:59:50Il nous raconte sa nomination au ministère de l'Intérieur
00:59:53dans votre gouvernement à l'INJP. On regarde.
00:59:55Chirac m'avait dit,
00:59:58si je gagne, je te nommerai ministre de l'Intérieur.
01:00:03L'un des matins, il m'appelle et me dit,
01:00:04je te confirme que tu seras ministre de l'Intérieur.
01:00:08Tu ne dis rien à personne.
01:00:10Il est 15h et Jacques Chirac effectue sa première visite privée
01:00:13chez l'un des pères de la Constitution, Michel Debré.
01:00:16Il est allé voir mon père,
01:00:20qui était très malade,
01:00:22et il lui a dit, Jean-Louis va devenir ministre de l'Intérieur.
01:00:25Et à ce moment-là, mon père m'a fait venir et était mourant.
01:00:28Il allait mourir quelques mois plus tard.
01:00:30Et dans un effort énorme,
01:00:32il m'a dit, je suis très heureux pour toi,
01:00:35mais souviens-toi d'une chose,
01:00:37on n'est plus longtemps ancien ministre que ministre.
01:00:40Quel souvenir gardez-vous de la période
01:00:42de Jean-Louis Debré, ministre de l'Intérieur,
01:00:46au sein de votre gouvernement ?
01:00:47Ça n'a pas été la période la plus facile,
01:00:49donc il gardera le meilleur souvenir, d'ailleurs.
01:00:51Ça n'a pas été un long fleuve tranquille.
01:00:54D'abord, il y a la Constitution et le gouvernement.
01:00:56Je me souviens de nos conversations avec Jacques Chirac,
01:01:00avec toujours le même problème.
01:01:02On veut un gouvernement resserré,
01:01:04mais il faut que toutes les sensibilités politiques,
01:01:06toutes les zones géographiques du pays,
01:01:08les hommes et les femmes, tout le monde, soit représenté.
01:01:11Donc ça a été une assez longue discussion,
01:01:13mais entre nous, l'accord s'est fait immédiatement
01:01:16sur le poste de l'Intérieur.
01:01:17Il n'y avait pas de questionnement là-dessus.
01:01:20Il revenait naturellement à Jean-Louis Debré.
01:01:22Ça a commencé d'une façon terrible.
01:01:26Dès le mois de juillet 95,
01:01:28les attentats du GIA algérien à Paris
01:01:32se sont déroulés jusqu'au mois d'octobre.
01:01:35Un de mes souvenirs les plus forts,
01:01:37c'est la descente dans la station du RER de Saint-Michel,
01:01:43après le premier de ces attentats,
01:01:45devant les victimes qui étaient là.
01:01:47Jacques Chirac était là, Jean-Louis Debré était avec moi.
01:01:50J'ai raconté dans un livre que je n'avais jamais vu...
01:01:54Pourtant, j'avais déjà une quarantaine d'années.
01:01:57Je n'avais jamais vu de cadavre devant moi.
01:02:00C'était un choc.
01:02:01Jean-Louis a assumé cette fonction
01:02:03avec beaucoup de sang-froid, de courage et de détermination.
01:02:07Et puis, il y a eu d'autres événements compliqués
01:02:10pendant cette période de deux ans.
01:02:12Il était mon ministre de l'Intérieur. Je pense à la Corse.
01:02:16Il souhaitait ouvrir,
01:02:18avec les différentes forces politiques de la Corse,
01:02:21des discussions pour essayer de faire évoluer
01:02:24ce dossier difficile.
01:02:25Il se prépare à aller en Corse.
01:02:27Quelques jours avant, à Tralounka,
01:02:29les autonomistes ou les indépendantistes
01:02:31organisent une conférence de presse
01:02:33où il y a 600 militants masqués.
01:02:35C'est une espèce de défi à la République.
01:02:39Jean-Louis encaisse ça, là encore,
01:02:41avec courage et beaucoup de sang-froid.
01:02:44Il se fera beaucoup reprocher,
01:02:45cette conférence de presse par l'opposition de l'époque.
01:02:49C'était un dossier difficile.
01:02:51J'ai repris le dossier.
01:02:52J'avais convoqué tous les responsables politiques de la Corse,
01:02:56à l'exception des indépendantistes.
01:02:58Je leur avais dit qu'on allait prendre des mesures fortes
01:03:03pour lutter contre le terrorisme et la violence.
01:03:06Je peux compter sur votre soutien ?
01:03:08Allez-y, monsieur le Premier ministre.
01:03:10On commence avec Jean-Louis, on prend des mesures fortes.
01:03:13Je reçois des coups de téléphone
01:03:15de différents leaders politiques corses.
01:03:18Ah, mon petit-neveu,
01:03:19vous lui cherchez des noix, il n'a rien fait, etc.
01:03:22La Corse, c'était difficile en ce temps-là.
01:03:26J'ai un autre moment difficile, aussi, avec Jean-Louis,
01:03:29qui nous ramène sur des débats actuels,
01:03:32l'immigration...
01:03:33Avec l'évacuation, sans doute, de l'église Saint-Bernard,
01:03:36de ses sans-papiers ?
01:03:37Les sans-papiers qui occupent, dans la circonscription
01:03:40qui était la mienne, dans le 18e arrondissement de Paris,
01:03:44dont j'étais à l'époque l'élu, dans une église,
01:03:46Saint-Bernard-de-la-Chapelle,
01:03:48où une centaine de migrants sans-papiers se retranchent.
01:03:52Je donne l'instruction au ministre de l'Intérieur
01:03:54de faire évacuer l'église,
01:03:57ce que fait Jean-Louis,
01:03:59avec là aussi beaucoup de courage et de loyauté.
01:04:01Il avait simplement omis de vérifier
01:04:04la technique utilisée par la police,
01:04:07qui a utilisé des haches pour fracasser
01:04:10la porte de l'église de Saint-Bernard-de-la-Chapelle,
01:04:13ce qui m'avait mis dans une certaine difficulté.
01:04:16Mais tout au long de cette période,
01:04:18ce qui m'a frappé dans toute la vie politique
01:04:21que j'ai partagée avec Jean-Louis,
01:04:22c'était sa totale loyauté, sa totale fidélité
01:04:25à la fois à Jacques Chirac et, pardon,
01:04:27au Premier ministre que j'étais aussi.
01:04:30C'était vraiment un homme de convictions fortes.
01:04:33Je crois qu'on peut l'appeler gaulliste.
01:04:36Gaulliste chiracien, mais gaulliste.
01:04:38Il n'a jamais dévié de cette ligne-là
01:04:41avec beaucoup de détermination et de courage.
01:04:43Il a été beaucoup caricaturé
01:04:46durant cette période, vilapondé par l'opposition de l'époque,
01:04:49la gauche française.
01:04:52Il en a souffert, de cette période,
01:04:54pour ce qu'il vous en a rapporté, vous.
01:04:56Ca a été une période difficile,
01:04:58à comparer à ce qu'il attendait par la suite.
01:05:00On parle beaucoup de résilience.
01:05:02Je crois qu'il était très résilient par rapport à ça.
01:05:05Comme c'était un homme d'Etat,
01:05:07fondamentalement, enfin, je vais dire,
01:05:09dans sa chaire et par son héritage,
01:05:12à la fois de Michel Debré et du général de Gaulle,
01:05:15je pense qu'il a, comme le disait Alain Juppé,
01:05:18il a assumé cette image.
01:05:21Ce qui est très intéressant, c'est de voir comment
01:05:24cette image, finalement, assez négative,
01:05:26qui est ressortie de sa période au ministère de l'Intérieur,
01:05:30s'est peu à peu transformée en quelque chose d'extrêmement positif,
01:05:34une sorte d'empathie de la plupart des gens
01:05:36pour le personnage qu'il était.
01:05:38Ca a été aussi quelque chose qu'a connu, Jacques Chirac, d'ailleurs.
01:05:42Et cette transformation de son image,
01:05:47de la perception que les gens se faisaient de lui,
01:05:49elle est intéressante, parce que c'est comme si,
01:05:52peu à peu, en fendant l'armure, en se révélant
01:05:55au-delà de ses fonctions, et puis, d'abord,
01:05:57en tant que président de l'Assemblée nationale,
01:06:00où il a été un très bon président de l'Assemblée nationale,
01:06:03on en reparlera peut-être,
01:06:05et un très bon président du Conseil constitutionnel,
01:06:08les gens ont découvert un autre Jean-Louis Debré,
01:06:10et de cette image, c'est vrai, qui était un peu négative,
01:06:14de quelqu'un qui assumait une forme de répression, etc.
01:06:18-"Il se qualifiait, lui-même, de connard utile."
01:06:21Oui, c'est...
01:06:22Quand vous êtes un véritable homme d'Etat,
01:06:25vous assumez cette difficulté,
01:06:28vous assumez ces images négatives.
01:06:30Je sais qu'Alain Juppé en sait quelque chose,
01:06:33c'est pas facile, mais, en tout cas,
01:06:35chez lui, il me semble que c'était totalement assumé.
01:06:38-"Connard utile", c'est des dossiers,
01:06:40enfin, on en parlera sans doute, vous mieux que moi,
01:06:44notre trait de son caractère, son sens de l'humour,
01:06:47qu'on ne percevait pas comme ça, d'emblée,
01:06:49mais qui était extraordinairement chaleureux, jovial,
01:06:52dégagé de sa personnalité,
01:06:55une espèce de joie de vivre incroyable
01:06:58qu'il a manifestée ensuite sur les planches.
01:07:00Je crois qu'il avait aussi
01:07:02l'amour de la République chevillé au corps.
01:07:05C'était...
01:07:06Est-ce que sa présidence de l'Assemblée nationale
01:07:09n'a pas davantage illustré cet amour de la République
01:07:12que la période, justement, où il était à l'intérieur,
01:07:15où les choses étaient quand même plus compliquées pour lui ?
01:07:18La présidence de l'Assemblée nationale,
01:07:20n'a-t-elle pas l'impression que ça a changé le personnage ?
01:07:24Je ne sais pas quel être humain peut se prévaloir
01:07:26à la fin de sa vie de n'avoir fait que des choses grandioses.
01:07:30Donc...
01:07:31Voilà.
01:07:32Donc, je pense que dans la vie de Jean-Louis Debré,
01:07:35il y a eu des épisodes dont il avait soit honte,
01:07:40soit...
01:07:41Enfin, honte...
01:07:42Oui, c'est-à-dire que quand il a écrit ce livre sur sa famille,
01:07:45donc, pardon, j'ai oublié le titre,
01:07:47mais c'était un livre formidable.
01:07:49-"Je ne vais pas pouvoir vous aider."
01:07:52-"Ce livre sur sa famille",
01:07:53où il remontait à son arrière-grand-père,
01:07:56le rabbin, en Alsace, etc.,
01:07:57euh...
01:07:58Une famille juive, donc.
01:08:00Et lui-même a été conseiller au cabinet de Maurice Papon.
01:08:07Et...
01:08:08Si on compare avec ce qu'écrit Philippe Roth dans la tâche...
01:08:13Voilà, ça, c'était la tâche de Jean-Louis Debré.
01:08:16Il était très jeune, ce n'était pas forcément de sa faute,
01:08:19voilà, etc.,
01:08:20mais ça, c'est quelque chose dont il ne voulait jamais parler.
01:08:24Euh...
01:08:25Parce qu'il connaissait son ascendance,
01:08:27parce que...
01:08:28Euh...
01:08:30Il a évidemment approuvé Chirac quand, en 95,
01:08:35voilà, il a dénoncé la faute de l'État français.
01:08:38Euh...
01:08:39Donc, voilà.
01:08:40Je pense que ça, c'est très constitutif
01:08:42de Jean-Louis Debré, c'est l'attachement à la République.
01:08:45-"Il a fait un dictionnaire amoureux de la République."
01:08:48Ca dit tout.
01:08:49Vous parliez de la transformation de son image,
01:08:52je parle sous votre contrôle.
01:08:54Ce qui a beaucoup joué dans cette transformation,
01:08:57c'est la façon dont il a exercé sa fonction
01:08:59de président de l'Assemblée nationale.
01:09:01J'en ai de nombreux témoignages.
01:09:03Une de nos collègues, Corine Luquin,
01:09:05en charge du service de la séance à l'Assemblée nationale
01:09:08lorsque Jean-Louis était président.
01:09:11Et en bon républicain, très attaché à la République,
01:09:14il mettait une attention toute particulière
01:09:17à faire en sorte que l'opposition soit traitée
01:09:20comme elle devait l'être et que ses droits soient respectés.
01:09:24C'est ça qui a changé l'image d'un ministre de l'Intérieur
01:09:27qui, par définition, prend des décisions un peu abruptes.
01:09:30J'en ai évoqué quelques-unes.
01:09:32Alors que là, on a découvert l'aspect ouvert,
01:09:35consensuel, respectueux du personnage.
01:09:37Je crois que ça a beaucoup frappé l'opinion,
01:09:40parce qu'on l'a vu présider des séances,
01:09:42et c'est quelque chose qui s'est diffusé
01:09:44dans l'opinion publique.
01:09:46Vous-même, à l'époque, vous avez vu ce personnage changer,
01:09:49d'une certaine manière, mieux dans sa peau,
01:09:52avec un Jean-Louis Dobré peut-être plus au naturel,
01:09:55on pourrait dire, avec cette présidence de l'Assemblée nationale.
01:09:58C'est cinq ans de présidence.
01:10:00Bien sûr, on gagne de la bouteille en vieillissant.
01:10:03Je le répète, c'est la fonction qui crée l'organe,
01:10:05si je puis dire, parce que quand on est dans ce fauteuil
01:10:09de la présidence, on n'a pas le même comportement
01:10:11que quand on est aux manettes de la police
01:10:14et de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur.
01:10:16Mais il a su le faire avec beaucoup de bonhomie,
01:10:19beaucoup d'autorité, et parfois, le sens de l'humour.
01:10:22Je ne sais plus si on a vu ces images
01:10:24où il l'a fait apporter sur le bureau du président
01:10:27de l'Assemblée nationale.
01:10:29On l'a, cette image.
01:10:30Les milliers d'amendements déposés par des parlementaires
01:10:33pour montrer à quel point aucun parlementaire
01:10:36ne peut arriver à lire les 2 000 ou 3 000 amendements.
01:10:39Donc, c'était un humour un peu incisif, aussi.
01:10:41Alors, je vais rectifier le chiffre que vous m'avez cité,
01:10:45140 000 amendements.
01:10:46Et regardez cette image que vous citez à l'instant.
01:10:51Et c'était à l'occasion de la privatisation de GDF-Suez,
01:10:55ce projet de loi qu'avait fait, à l'époque,
01:10:57c'est vrai, couler beaucoup d'encre.
01:11:00Cette présidence de l'Assemblée nationale,
01:11:03juste avant, il ne faut pas oublier
01:11:04qu'il a été, pendant cinq ans, président du groupe RPR
01:11:07de l'Assemblée nationale,
01:11:09ce qui l'a préparé, aussi, et a gagné en expérience,
01:11:12vous l'évoquiez tout à l'heure, ici, à l'Assemblée nationale,
01:11:16avant d'accéder à la présidence de l'Assemblée nationale.
01:11:19Il y a dirigé son propre groupe politique.
01:11:21Ca prépare moins à l'ouverture d'esprit.
01:11:24C'est moins communique.
01:11:25J'ai été député depuis 1986, si je ne m'abuse.
01:11:28Ca a été très important.
01:11:30Il se trouve que j'ai eu l'occasion de le rencontrer
01:11:33à ce moment-là, parce que, pour la première fois,
01:11:36il y avait eu quelques prédécesseurs
01:11:38qui s'y étaient intéressés,
01:11:39mais l'histoire du Parlement était quelque chose
01:11:42qu'il avait à coeur de faire connaître.
01:11:44Il m'avait proposé de diriger une collection
01:11:48des grands discours parlementaires.
01:11:50Je me souviens très bien qu'en me proposant ce travail,
01:11:55il m'a donné carte blanche, sans aucun contrôle,
01:11:58j'allais dire idéologique, sur ce que serait cette collection,
01:12:02et en me disant qu'il fallait que toutes les sensibilités
01:12:05soient représentées. Ca commençait
01:12:07à la Révolution française, donc là, le spectre était large,
01:12:11mais on allait jusqu'aux années récentes
01:12:13de la Ve République. Il s'est battu
01:12:15pour que cette histoire du Parlement,
01:12:19cette histoire parlementaire, soit connue du plus grand nombre,
01:12:22qu'il y ait cet effort de mémoire.
01:12:25Et il me racontait aussi, là, plus anecdotique,
01:12:28mais ses relations avec certains membres de l'opposition,
01:12:32qui étaient devenus presque ses amis,
01:12:34comme Maxime Gremets, par exemple.
01:12:36C'était un député communiste.
01:12:38C'était un communiste, et ça l'amusait beaucoup.
01:12:42Il avait de très bonnes relations avec des députés
01:12:44de toutes les sensibilités politiques,
01:12:47parce qu'il avait à coeur d'être d'abord le président de l'Assemblée
01:12:51et de tous les députés, les représentants de la nation.
01:12:54C'est peut-être la première fonction publique
01:12:56qu'il a autant épanouie, au fond, Jean-Louis Debré.
01:12:59Je pense de régner à la fois sur la droite et sur la gauche,
01:13:03avec une position œcuménique obligatoire
01:13:07et un devoir d'impartialité et d'équité.
01:13:11Je pense que ça lui a correspondu à ce moment de sa vie, aussi.
01:13:16On va voir un deuxième extrait du film.
01:13:18Cette fois, il s'agit de sa nomination
01:13:21au Conseil constitutionnel en tant que président
01:13:23du Conseil constitutionnel, et c'est Jacques Chirac
01:13:26qui décide de le nommer, juste avant que l'ancien chef de l'État
01:13:30ne quitte lui-même ses fonctions.
01:13:32Il vient à Lassay, je suis à Lassay,
01:13:35et il me dit, je vais te nommer président du Conseil constitutionnel.
01:13:39Je dis non.
01:13:40Pas envie de te nommer président du Conseil constitutionnel.
01:13:43Et chaque fois que je le vois, il me répète,
01:13:47je veux te nommer.
01:13:48Je dis, mais attendez, pourquoi ?
01:13:50Pourquoi voulez-vous me nommer président du Conseil constitutionnel ?
01:13:54Je suis très bien comme président de l'Assemblée nationale.
01:13:57Il m'a dit, Jean-Louis, ma première nomination importante,
01:14:01c'est toi au ministère de l'Intérieur.
01:14:04La dernière nomination importante que je veux faire
01:14:07avant de quitter le pouvoir, c'est toi.
01:14:10Et c'est pour ça que j'ai accepté.
01:14:12Il ne voulait pas vraiment, visiblement,
01:14:14de cette proposition que lui faisait Jacques Chirac,
01:14:17parce qu'on commence toujours par refuser
01:14:19et on finit par accepter.
01:14:21Vous ne l'avez pas croisé,
01:14:22vos conseils constitutionnels.
01:14:24Il a laissé une marque, Jean-Louis Debré,
01:14:27au Conseil constitutionnel.
01:14:28Il a été considéré aussi comme un grand président
01:14:31du Conseil constitutionnel.
01:14:33Il était tout à fait légitime dans cette fonction.
01:14:36Il a été magistrat, il avait une formation juridique,
01:14:39il a été aussi un grand parlementaire.
01:14:41Ca m'amène à dire qu'estimer qu'il ne faudrait nommer
01:14:44au Conseil constitutionnel
01:14:46que des professeurs de droit constitutionnel,
01:14:49ce serait une grave erreur.
01:14:50Quelqu'un qui a eu l'expérience du fonctionnement du Parlement,
01:14:54comment on fait la loi, comment ça se passe,
01:14:57l'expérience du gouvernement, a évidemment
01:14:59une capacité toute particulière à exercer cette fonction.
01:15:03Il l'a fait dans des moments où le Conseil constitutionnel
01:15:06a changé presque de nature,
01:15:08avec notamment la grande réforme constitutionnelle de 2008,
01:15:11qui crée, alors pardon de ce terme un peu barbare,
01:15:14qu'on appelle la QPC, la question prioritaire
01:15:16de constitutionnalité, c'est-à-dire une réforme
01:15:19qui permet à n'importe quel citoyen,
01:15:21dans n'importe quel procès, d'invoquer l'inconstitutionnalité
01:15:25d'une loi, même ancienne, qui va lui être appliquée.
01:15:28C'est une révolution dans le rôle du Conseil.
01:15:30A l'origine, le Conseil, tel que le général de Gaulle l'avait voulu,
01:15:34tel que Michel Debray l'a voulu, on l'appelait
01:15:37le chien de garde de l'exécutif.
01:15:39Il était là pour vérifier que le Parlement n'empiétait pas
01:15:42les règles dérogatives du gouvernement.
01:15:44A partir de 2008-2009, ça change complètement.
01:15:47Le Conseil constitutionnel devient le garant
01:15:50des droits et libertés fondamentales
01:15:52que la Constitution garantit.
01:15:54Et ça, ça se fait sous la présidence de Jean-Louis Debray,
01:15:57qui a fait entrer en application, à partir de 2010,
01:16:01cette QPC, qui représente aujourd'hui
01:16:04les deux tiers de l'activité du Conseil constitutionnel.
01:16:07Donc, il a marqué sa présence par la réussite de cette réforme.
01:16:11Et puis, on évoque aussi beaucoup,
01:16:13quand on parle de son rôle au Conseil constitutionnel,
01:16:16sa fonction, je ne sais pas comment il faut l'appeler,
01:16:20de médiation entre son voisin de gauche et son voisin de droite.
01:16:24A l'époque, les anciens présidents de la République
01:16:27siégeaient au Conseil constitutionnel.
01:16:30D'un côté, je pense que ça devait être Giscard,
01:16:32le plus ancien, à droite,
01:16:34et de l'autre côté, Chirac, à gauche,
01:16:36et entre les deux, Jean-Louis,
01:16:38qui essayait d'apaiser l'électricité
01:16:41qui passait entre ces deux personnages.
01:16:44Et qui s'amusait beaucoup.
01:16:46Il nous a rapporté dans ce film.
01:16:47Et qui s'amusait beaucoup.
01:16:49Parce qu'évidemment, oui, il la rapporte,
01:16:52il nous la racontait, ad libitum,
01:16:54parce que ça le faisait tellement rire.
01:16:57Giscard, alors, il les imitait parfaitement, naturellement.
01:17:00Giscard disant,
01:17:02quand j'étais président de la République,
01:17:04et Chirac, dix minutes après,
01:17:06quand j'ai été réélu, donc...
01:17:09Et il se régalait de ça, Jean-Louis Debré.
01:17:12Il adorait ça, parce qu'au fond,
01:17:14ça lui donnait aussi de l'importance à lui, finalement.
01:17:17Et il était dans un rôle,
01:17:21non pas d'arbitre,
01:17:23parce qu'évidemment, Chirac était son amour politique absolu.
01:17:28C'était pas du tout Giscard, naturellement, donc...
01:17:31Mais cette histoire-là le faisait beaucoup rire
01:17:34et il nous racontait, à nous, les journalistes,
01:17:36toutes les petites chicanes, les querelles de bureaux,
01:17:40je veux un bureau plus grand que Giscard et machin, etc.
01:17:45Donc ça, ça l'amusait beaucoup.
01:17:47Et il n'y avait pas un enjeu fondamental non plus,
01:17:51parce que les anciens présidents,
01:17:54dites-moi si je me trompe,
01:17:57n'ont pas joué un rôle fondamental comme sages,
01:18:00c'est-à-dire comme gardiens de la Constitution
01:18:03et gardiens de la loi.
01:18:04C'est maintenant...
01:18:06D'ailleurs, là, l'autre se neutralisait.
01:18:09Quand il fallait voter, si on votait,
01:18:11je ne sais pas, je n'y étais pas.
01:18:13En revanche, c'est vrai que, comme le disait Alain Juppé,
01:18:16le fait d'avoir été président de l'Assemblée nationale,
01:18:19c'est un plus quand vous êtes président du Conseil constitutionnel.
01:18:23Le droit comme ça, ex abrupto, non,
01:18:25il faut avoir eu cette expérience politique.
01:18:28C'était le cas aussi de Laurent Fabius,
01:18:30qui avait été un ancien président de l'Assemblée nationale.
01:18:33Le droit sous le contrôle d'Alain Juppé,
01:18:35ça donne quelque chose de plus.
01:18:37C'est très important d'avoir cette dimension politique.
01:18:40Il sera président de ce Conseil constitutionnel
01:18:43entre 2007 et 2016.
01:18:46A propos de la manière selon laquelle on peut gérer un hémicycle,
01:18:50et on doit gérer un hémicycle,
01:18:52il avait ces termes, il y a très peu de temps, encore.
01:18:55Il disait, arrêtons l'hypocrisie,
01:18:57il n'y a absolument rien de nouveau.
01:18:59L'histoire de l'Assemblée, pour ceux qui la connaissent,
01:19:02c'est une sorte de débat houleux,
01:19:04où les députés s'affrontent directement
01:19:06avec des invectives et parfois des coups.
01:19:09Le nombre de fois où il a fallu faire descendre les huissiers
01:19:12pour protéger les ministres au premier rang,
01:19:15il jugeait assez normal l'ambiance qui règne à l'Assemblée,
01:19:18et Dieu sait s'il y a de l'ambiance,
01:19:20depuis plusieurs années ici, à l'Assemblée,
01:19:23faute notamment d'une majorité absolue,
01:19:25dans un camp ou dans un autre.
01:19:27Lui, il n'avait pas du tout cette perception-là,
01:19:29c'est-à-dire qu'il considérait que c'était là que ça devait se passer,
01:19:33que la passion devait s'exprimer dans l'hémicycle,
01:19:36et qu'il valait mieux que cette passion, parfois excessive,
01:19:40se passe à l'Assemblée plutôt qu'ailleurs.
01:19:42Voilà ce que disait Jean-Louis Lebrun.
01:19:44Sauf quand certains députés, certains courants,
01:19:47on voit bien à qui je fais allusion aujourd'hui,
01:19:50considèrent précisément l'hémicycle
01:19:52comme le prolongement de la rue, en réalité,
01:19:55de par leur stratégie,
01:19:57qu'une stratégie, en réalité,
01:19:59entre guillemets révolutionnaire, si on se situe sur un plan historique,
01:20:03et considèrent que dans le Parlement,
01:20:08on peut se comporter comme on se comporte dans la rue,
01:20:10ce que je ne crois pas du tout.
01:20:12Le Parlement, précisément, c'est le lieu du dissensus régulé,
01:20:16c'est le lieu des affrontements,
01:20:17mais des affrontements qui sont réglés
01:20:20par un certain nombre de normes, par une forme de courtoisie,
01:20:23parce qu'on doit cette courtoisie
01:20:25aux citoyens étant les représentants
01:20:27de la nation tout entière.
01:20:29Je comprends la position de Jean-Louis Debré,
01:20:32d'ailleurs, on en a discuté ensemble,
01:20:34parce que si on prend un peu de recul d'historien,
01:20:37c'est vrai que, sous la Troisième République,
01:20:39il y a eu des cas où un député est venu gifler
01:20:42le ministre des Armées de l'époque,
01:20:45ça s'appelait ministre de la Guerre à l'époque,
01:20:48dans une fameuse crise en 1904,
01:20:51il y a eu des affrontements, des batailles rangées
01:20:54dans l'hémicycle, mais ça ne doit pas excuser
01:20:57ce qui est en train de se passer aujourd'hui,
01:20:59une sorte de trivialisation, de brutalisation systématique
01:21:03des débats, et je crois que là-dessus,
01:21:06même si on prend un peu de recul,
01:21:08même si on prend de cette distance historique,
01:21:11il faut quand même juger assez sévèrement,
01:21:13comme le font, me semble-t-il, les Français, ce spectacle.
01:21:16Ceux qui nous regardent ne le savent peut-être pas,
01:21:19mais Jean-Louis Debré a écrit des romans policiers,
01:21:22des fraises historiques, des essais sur les institutions,
01:21:25les souvenirs. Jusqu'à un peu de temps
01:21:27avant sa disparition, il était encore sur scène,
01:21:30a joué une pièce qui s'intitulait
01:21:32Ces femmes qui ont réveillé la France,
01:21:34qu'il avait écrite avec Valérie Baucheneck...
01:21:37-...sa compagne, qui est une comédienne.
01:21:39-...qui était comédienne.
01:21:42Cette trajectoire, l'après-politique
01:21:45chez Jean-Louis Debré, c'est quelque chose
01:21:47qui vous inspire quoi ?
01:21:48De l'envie.
01:21:49De l'envie de monter sur les planches,
01:21:52mais je pense que je serais beaucoup moins doué que lui.
01:21:55C'est le signe de sa curiosité,
01:21:58de sa vitalité, aussi.
01:22:01J'ai lu un de ses romans policiers,
01:22:03qui était de qualité, donc, voilà, c'est un genre
01:22:05qu'on ne pratique pas forcément dans le monde politique.
01:22:09C'est la richesse de sa personnalité.
01:22:11Une personnalité politique à part,
01:22:13aujourd'hui, à vos yeux ?
01:22:14Un peu à part, en même temps,
01:22:16il est très formaté dans le moule politique,
01:22:18du fait de ses origines, de son parcours politique.
01:22:21Il a été quand même secrétaire général adjoint du RPR
01:22:24quand j'étais secrétaire général, ministre, vous l'avez dit.
01:22:28Il était très attaché, d'ailleurs, aux partis,
01:22:30et quand j'ai essayé de créer l'UMP
01:22:33en rapprochant les gaullistes, les centristes et les libéraux,
01:22:36il n'a pas fait preuve de l'enthousiasme extraordinaire.
01:22:39C'était la partie un peu orthodoxe de son personnage.
01:22:42Donc, voilà, c'est un personnage très complexe,
01:22:45mais c'est cette complexité
01:22:47qui le rend attirant et sympathique et chaleureux
01:22:51et un peu exceptionnel, peut-être,
01:22:53dans une classe politique souvent un peu austère.
01:22:57Je reviens à ce que disait le professeur Garrigue
01:22:59à propos de la violence des débats à l'Assemblée.
01:23:02C'est vrai que les noms d'oiseaux volaient
01:23:05sous la Troisième République de façon très violente.
01:23:08Avec une différence, il n'y avait pas de réseaux sociaux
01:23:11et il n'y avait même pas de LCP.
01:23:12Aujourd'hui, tout ça est immédiatement mis
01:23:15sur la place publique, au vu et au su des électrices et électeurs,
01:23:18ce qui devrait conduire les parlementaires
01:23:21à une exigence supplémentaire,
01:23:23je ne veux pas utiliser de mots trop forts,
01:23:25sinon de dignité et du moins de retenue.
01:23:27Bien sûr.
01:23:28Sur l'après-politique chez Jean-Louis Debré,
01:23:31ça en fait un personnage atypique, finalement ?
01:23:34Oui. Je ne suis pas très étonnée
01:23:35de ce qui s'est passé après la politique.
01:23:38Jean-Louis Debré est trouvé,
01:23:40est prouvé même, d'ailleurs,
01:23:42qu'il y avait une vie, après...
01:23:45de hautes fonctions administratives et politiques.
01:23:51Il avait sans lui les romans policiers auxquels vous faisiez allusion.
01:23:55Il date de l'époque où il a été juge d'instruction,
01:23:58donc où il a été en contact avec la police,
01:24:02les malfrats, etc.
01:24:04Il a aussi, il ne faut pas oublier,
01:24:06été maire d'Evreux pendant assez longtemps.
01:24:08Je me rappelle, il me racontait,
01:24:10je ne veux pas qu'il y ait de jaloux,
01:24:12je vais à chaque fois chez un coiffeur différent.
01:24:15Il avait fait tous les coiffeurs d'Evreux
01:24:18pour discuter avec les commerçants,
01:24:20pour être proche de ses administrés.
01:24:23Et donc, cette empathie humaine,
01:24:26je crois qu'il l'a toujours eue, au fond.
01:24:29C'est pas si étonnant
01:24:31qu'il se lance à la fois dans le théâtre,
01:24:34dans l'écriture...
01:24:37Voilà, et dans une forme de contact avec un public.
01:24:40Ca sera le mot de la fin.
01:24:41Vous évoquiez Evreux, dont il a été maire.
01:24:44Il était également député, évidemment, sur place.
01:24:47Sa circonscription, il l'a donnée,
01:24:49si on peut dire les choses comme ça,
01:24:51à un certain Bruno Le Maire.
01:24:53Il a été candidat dans le 18e arrondissement de Paris,
01:24:57en 1995, lorsque je me suis présenté à Bordeaux.
01:25:00Il est venu se présenter, il a été élu au conseil de Paris
01:25:03pendant un certain temps, avant de partir à Evreux.
01:25:06Un grand merci à vous trois d'avoir rendu cet hommage
01:25:09à Jean-Louis Dobré dans ce Débat d'octobre.
01:25:12Une pensée pour les proches, les amis de Jean-Louis Dobré
01:25:15à l'occasion de cette émission.
01:25:17Merci à Félicité Gavalda, Yasmine Benayessa,
01:25:21qui m'ont aidée, comme à l'accoutumée,
01:25:23à préparer cette émission.
01:25:25Je vous donne rendez-vous pour un prochain Débat d'octobre,
01:25:28avec son documentaire et son débat.
01:25:30A très bientôt.
01:25:33SOUS-TITRAGE ST' 501

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