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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 24 février 2025 : la joueuse de tennis, Isabelle Demongeot. Elle republie en version augmentée son livre "Service volé – Du silence brisé à la réhabilitation, 17 ans après" aux éditions Les Sportives.

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Transcription
00:00Bonjour Isabelle de Mongeau, joueuse de tennis française entre 83 et 96.
00:05Vous avez marqué l'histoire du tennis français de par votre jeu, que je précise
00:08que vous avez été numéro 2 française en 88 et de par votre histoire.
00:12Vous avez remporté en 91 un titre en simple.
00:15Je parle évidemment de la Westchester Cup et vous avez marqué le double avec
00:19Nathalie Tosia. Alors là, c'est vraiment les plus belles années avec pas moins de
00:23neuf titres. En 86, votre match face à Martina Navratilova est resté en mémoire.
00:28Je pense que c'est pareil pour vous.
00:30En 2007, vous êtes revenue sur le devant de la scène, pas du tout pour parler
00:34de sport finalement, de performance, mais pour dénoncer ce qui a fait l'effet
00:40d'une bombe, d'un tsunami dans le monde du tennis.
00:43Les viols que vous aviez subis par votre entraîneur, je vais le citer, Régis de
00:46Camaret, et dont vous avez été la principale victime de vos 12 ans à 21 ans.
00:52De cet ouvrage, une enquête judiciaire a été déclenchée.
00:5525 victimes identifiées grâce à vous.
00:58Régis de Camaret a été condamné à 10 ans de prison pour les viols de deux
01:02pensionnaires mineurs de son club de Saint-Tropez.
01:05Le drame de cette histoire, c'est que vos faits à vous sont prescrits et que
01:09donc, vous n'avez jamais pu le confronter à ça.
01:13Le livre a été adapté en 2021 sur TF1 en téléfilm et aujourd'hui, vous le
01:17republiez en version augmentée avec toute une partie sur la réhabilitation par
01:22la Fédération française de tennis, qui vous a offert un contrat jusqu'en
01:262027. Cette réhabilitation, Isabelle de Mongeau, finalement, vous ne
01:31l'attendiez plus.
01:33Elle a mis du temps à venir.
01:34Il a fallu un certain nombre d'étapes difficiles.
01:38C'est un long combat et je pense que c'est nécessaire d'accepter ces années,
01:42en fait, parce que petit à petit, il faut se relier à l'humain.
01:50Il faut se dire qu'un jour, ça peut tourner et on peut rencontrer les bonnes
01:53personnes aussi. On se fait soigner et forcément, je pense que j'ai toujours
01:59eu l'âme de sportive de haut niveau qui m'a permis de toujours aller de
02:04l'avant et essayer de trouver des solutions assez violentes.
02:09C'est comme ça que...
02:10Et puis, des rencontres qui sont arrivées au bon moment où je me suis rendu
02:13compte que je n'étais pas la seule.
02:15Et de là, tout est parti avec cette enquête que j'ai menée et j'avoue quand
02:22on se sent quand même épaulé de toutes ces victimes ensemble, on le vit
02:26encore différemment.
02:28Il peut y avoir aussi des tensions, il peut y avoir des va-et-vient où on n'a
02:31plus envie de se confronter au réel.
02:34Mais tout ça, c'est très long.
02:35Ça a mis du temps. Mais la suite, aujourd'hui, est plus heureuse.
02:39Au moment de la sortie du livre, effectivement, de ces dénonciations,
02:43Isabelle, vous avez été bannie par la Fédération française de tennis.
02:47Vous racontez les viols à l'intérieur de cet ouvrage qu'on a découvert
02:50effectivement pour la première fois en 2007.
02:52C'est insoutenable.
02:53Réellement, c'est insoutenable.
02:54De tristesse, de désespoir, ça se passait avant les matchs, avant les
02:58entraînements. Après, tout était prétexte A, même sur les aires d'autoroutes.
03:04Oui, c'est difficile.
03:06Parfois, il y en a une que je n'oublierai jamais.
03:08Parfois, je passe, je me dis je ne me suis pas rappelée que c'était là.
03:12Mais c'est très rare.
03:13Ça m'est arrivé quelques fois.
03:14Donc, c'est là où on sent qu'on peut se guérir aussi.
03:17Mais forcément, pour moi, la relation amoureuse n'a pas pu exister
03:22puisque c'était un acte barbare qui était court.
03:24Et je m'évadais et en fait, je partais dans un autre monde
03:29pour moi souffrir, certainement.
03:33Vous expliquez d'ailleurs que c'est pour ça que vous êtes tournée vers les
03:35femmes, pour aller chercher de la douceur, parce que le contact avec un homme
03:39était impossible.
03:40J'ai tenté l'expérience peu de temps après.
03:43D'ailleurs, ce oui me le donne ou j'arrête tout.
03:47Et c'est vrai que malheureusement, je ne me voyais pas construire une vie avec
03:50un homme si je ne pouvais pas sexuellement avoir des rapports.
03:53Donc derrière, c'est vrai que j'ai découvert ce que c'était avec une femme.
03:59Mais ce que j'ai malheureusement, c'est que j'ai de cette emprise que j'ai
04:04connu avec cet entraîneur, ça s'est reporté beaucoup aussi sur la suite
04:08parce que j'avais perdu énormément confiance en moi.
04:10Et j'ai toujours été avec des gens qui avaient une forme d'emprise sur moi,
04:14que je sentais plus fort que moi, que je sentais plus solide, qui avaient
04:18envie de m'aider, qui me donnaient de la douceur, mais qui en même temps
04:21avaient toujours une forme de tu sais pas, je vais répondre à ta place, je
04:25vais faire ça. Il y avait toujours une notion de contrôle.
04:29J'ai réussi, beaucoup d'années après, à passer ce cap là et
04:35j'ai réussi à avoir une relation.
04:37On a eu un enfant qui est une petite fille qui s'appelle Chloé.
04:42Et je n'ai jamais pensé que ça arriverait un jour.
04:45Donc ça, c'est mon grand bonheur de ma vie.
04:51Pour comprendre à quel point ça a été vraiment un scandale quand vous
04:54écoute pas, pour ceux qui détournent le regard, je vais juste lire un
04:57extrait pour vous éviter d'avoir à relater ce qu'il y a dans ces écrits.
05:02C'est mes parents disaient que Régis de Camaret faisait des efforts en
05:06nous accordant des heures pour nous entraîner.
05:09Alors, il n'y avait qu'une seule chambre d'hôtel louée pour lui, notre
05:12joueuse et moi. Et je me suis retrouvée toute seule dans la chambre avec
05:16lui. Je dors profondément.
05:17Je suis réveillée par une main qui se glisse dans ma culotte.
05:19Je suis incapable de réagir.
05:21Je ne comprends pas ce qui se passe.
05:23Un corps d'enfant face à un corps d'adulte.
05:24Il a 38 ou 40 ans.
05:27Je ne dors pas beaucoup et le lendemain, je gagne.
05:30Pour la première fois ensuite, il me viole.
05:32Vous racontez votre premier viol.
05:34Une main, une tête, une langue, une moustache, c'est répugnant.
05:37Mais je me tais. Je gagnais tellement.
05:39Je me disais que sans lui, je ne serais rien.
05:42Il s'était rendu indispensable à ma vie.
05:45Le départ, vous avez 14 ans.
05:49Personne n'a compris qu'à 14 ans, on n'avait pas les armes et le
05:54courage de dire non et de se défendre et de parler.
05:57Oui, c'est une évidence.
05:59C'est un corps d'enfant.
06:01C'est quelque chose à un moment où, malheureusement, cette joueuse,
06:04sa maman arrive et me dit je ne vais pas prendre ma fille avec moi.
06:09Moi, je ne prends pas conscience de toutes ces étapes-là.
06:12Et finalement, je suis face à la violence tout de suite, à la
06:16violence qui est cachée, qui est dans le silence.
06:19Puisqu'il n'y avait pas un mot, c'était terrible.
06:25C'est vrai que ce qui a été très marquant, c'est qu'en fait, les
06:30victoires faisaient qu'il se rendait indispensable.
06:33Il se rendait, c'était le dieu, à Saint-Tropez.
06:37Il était invité de partout.
06:38Tout le monde était fier.
06:39Et j'avoue que cette époque-là, elle était belle.
06:42On était les deux meilleures Françaises.
06:44On habitait dans le village.
06:45Tout le monde profitait de nos matchs, nos matchs par équipe.
06:50On nous regardait à la télé.
06:52Et puis moi, j'avais mes parents qui étaient fiers.
06:55C'était incroyable.
06:56On peut pardonner ?
06:58Je ne suis pas loin, oui, j'y suis, j'y suis.
07:02C'est pour ça que tous ces gens à qui je reprochais de ne pas m'avoir
07:09aidée ou accompagnée ou soutenue, j'ai envie de leur dire
07:16que je ne vous en veux plus, en fait, aujourd'hui, je suis loin.
07:22Et lui, j'ai essayé de comprendre beaucoup.
07:28Il a toujours dit, d'ailleurs, que vous étiez consentante à 14 ans,
07:33lui à 40, pas mal.
07:35Oui, en fait, non, parce que là, je suis sûre de moi et moi,
07:39je n'ai jamais, à un moment donné, une relation amoureuse avec cet homme.
07:43Donc, c'est une évidence.
07:45Lui, le pardonner, en fait, j'ai essayé de comprendre d'où il vient.
07:48Il a eu une enfance chez les jésuites et j'ai essayé, moi,
07:54j'aime bien comprendre d'où on vient et le parcours qu'on a pu avoir
07:56et par où on est passé.
07:58Et c'est vrai que peut-être qu'il a peut-être aussi subi ce genre de choses
08:03quand il était enfant et qu'il y a certainement des répercussions.
08:06Donc, aujourd'hui, ça me touche plus, en fait, il ne me touche plus.
08:13Je sais qu'il est dehors, je pense qu'il est encore en vie,
08:16mais je ne suis pas sûre.
08:18Mais en tout cas, je dirais que c'est après, c'est plus ma compagne de route
08:24qui était Nathalie Tosia, où j'attendais un jour que peut-être
08:28elle fasse son mea culpa à un moment donné.
08:32Donc, c'est un peu ce que j'attends.
08:34Mais sinon, sur deux camarades, pour moi, ses excuses à aux assises,
08:39son pardon des assises, il fait du bien.

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