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Journaliste, essayiste et réalisatrice, Caroline Fourest publie "Le Vertige MeToo" aux éditions Grasset, un livre qui revient sur la "nouvelle révolution sexuelle" qui a déferlé sur le monde depuis l'affaire Weinstein. Elle est l'invitée de Amandine Bégot.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot avec Amandine Bégot du 17 septembre 2024.

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Transcription
00:00RTL Matin, avec Amandine Bégaud et Thomas Otto.
00:05Il est 8h19, l'interview d'Amandine Bégaud. Dans la vie, il y a les personnes qui vont toujours dans le sens du vent
00:09et celles qui assument, qui ont des convictions et qui les défendent quoi qu'il en coûte.
00:13C'est le cas de Caroline Fourest et c'est ce qui vous a donné envie, Amandine, de l'inviter ce matin.
00:17Caroline Fourest qui publie Le Vertige Me Too chez Grasset. Bonjour et bienvenue.
00:21Bonjour Caroline Fourest. Je vous le dis tout de suite, effectivement, ce livre il est passionnant,
00:26vraiment, et je ne dis pas ça parce que vous êtes ici face à moi, mais parce qu'il fait réfléchir.
00:30Cinq ans après les débuts du mouvement Me Too, vous faites un premier bilan de cette révolution
00:34qui clairement a changé nos vies. Il y a les bons côtés, les moins bons aussi, on va y revenir longuement.
00:40Mais je précise d'emblée que ce n'est pas un livre contre Me Too, du tout.
00:43Pas du tout. C'est le contraire, c'est pour défendre Me Too contre ceux qui parlent en son nom.
00:47On a un certain nombre de ventriloques, d'opportunistes, de dégagistes qui ont tendance à faire parler Me Too.
00:53Et comme moi, j'aime anticiper aussi, je vois venir les retours de bâtons contre Me Too dont je n'en ai pas du tout envie.
00:58Parce que moi, j'adore vivre après Me Too. Je l'ai détesté l'avant, pour tout vous le dire.
01:02Quand vous voyez la députée écologiste Sandrine Rousseau, par exemple, qui vous accuse, je la cite,
01:06de mener une résistance discrète non assumée à Me Too et à la liberté des femmes à disposer de leur corps,
01:11elle se trompe de combat. Elle fait partie des ventriloques en question.
01:14Il se trouve que Sandrine Rousseau ne peut pas aimer ce livre, c'est normal, parce qu'effectivement,
01:18elle est dedans, si vous voulez. Elle est dans les gens qui, sans doute, font du féminisme un fond de commerce politique,
01:24mais au détriment, parfois, de la finesse, du respect des autres.
01:28Et typiquement, moi j'en ai marre d'entendre Sandrine Rousseau parler au nom du féministe toute la journée,
01:33dire des énormités. Quand il y a eu l'affaire de cette secrétaire d'État à la Francophonie,
01:38qui était accusée de viol, d'agression sexuelle, parce qu'en fait,
01:41Les gynécologues.
01:42Les gynécologues, elle a examiné des malades de l'endométriose,
01:45et que donc, deux jeunes filles qui confondent un peu tout, l'ont accusée de viol pour un examen gynécologique
01:51qu'elles ont vécu, qu'elles ont trouvé douloureux, et pas très respectueux.
01:55Sandrine Rousseau a dit, toute pénétration sans consentement, c'est un viol, point, barre.
02:00Et bien ce point barre, ce refus de la complexité et de la réflexion, c'est ce qui peut mettre en danger la gynécologie,
02:06la médecine, et honnêtement, l'intelligence publique.
02:09Et c'est ce qui est bien, j'allais dire, dans votre livre, il nous fait réfléchir.
02:13Vous posez toutes ces questions, la confusion parfois, effectivement, entre viol, agression sexuelle,
02:18et puis un comportement inapproprié, le comportement du gros lourd, comme on disait à une époque.
02:24Il y a aussi ces personnalités qui ont été accusées à tort, qui voient leur nom comme ça, jeté en pâture sur la place publique.
02:29Une ère, dites-vous, où une parole de trop peut broyer un innocent.
02:33On a tendance à tout mettre dans le même sac, on a tout mis sur MeToo.
02:36Oui, et encore une fois, moi je suis, pour qu'on parle aussi de tout, je suis pour qu'on parle des offenses sexuelles,
02:42et pas que des violences sexuelles, parce que je pense que les offenses sexuelles, c'est quand même quelque chose qui pourrit la vie,
02:46au travail, et que donc, il ne faut pas que les...
02:48Par exemple, j'ai souvent des conversations avec des gens qui ont été mis en cause dans la presse,
02:52comme des prédateurs, alors qu'ils ne le sont pas.
02:55Mais pour des actes avec qui, moi, je leur dis, et ne crois pas que c'est anodin, ils me disent
02:59mais quoi, j'ai juste fait un compliment, j'ai juste dit de quelqu'un qu'elle avait de beaux seins.
03:02Oui, enfin, sauf que si c'est ton... si c'est ta salariée,
03:05et mets-toi à la place, dis-toi si toi t'avais été un jeune garçon de 20 ans, que t'avais un rêve,
03:10et que t'avais une femme supérieure hiérarchique qui, en te voyant le matin, te dit
03:14ah bah ton jean, il te moule vraiment bien, est-ce que tu te serais sentie respectée dans ton travail ?
03:18Est-ce que tu te serais sentie dans un climat agréable pour travailler ?
03:21Et comprends aussi que les femmes, c'est pas une fois dans leur vie qu'elles se prennent ce genre de remarques,
03:26c'est toute la journée qu'elles se battent pour être écoutées avant d'être regardées comme un bout de viande.
03:31Donc moi j'ai envie que les hommes se mettent à la place des femmes,
03:34pour ça il faut continuer à maintenir honnêtement la pression grâce à l'intimidation,
03:38parce que malheureusement on sort de siècles.
03:40Ça a fait changer des comportements, ça il faut le reconnaître.
03:42Moi j'y renonce pas, je pense qu'il faut qu'ils aient un peu peur, je l'assume,
03:46mais je veux avant tout qu'on passe aussi à la conviction,
03:48que les uns se mettent à la place des autres, sinon on n'avancera pas, regardez le procès Mazan.
03:52C'est pour des actes qui datent d'il y a quelques années, ça fait 7 ans qu'on débat de Me Too.
03:57Si on en est à vouloir juste aligner des noms dans le cinéma français,
04:00non plus pour des systèmes de prédation, mais parfois pour des propos déplacés,
04:05parce que ça fait vendre quelques journaux.
04:07Je suis pas sûre que ça permette la pédagogie nécessaire pour que des gens
04:12à qui un mari propose d'abuser d'un corps qui dort, d'un corps inconscient, comprennent le rapport.
04:18Or moi j'ai envie que tout le monde comprenne que ces agressions peuvent arriver
04:23à partir du moment où on n'est pas assez fin pour détecter le consentement d'autrui.
04:26Vous avez envie que tout le monde comprenne, que tout le monde débatte, réfléchisse aussi.
04:30Il y a ces questions que vous posez. Faut-il croire sans preuve ?
04:33Faut-il nommer, condamner sans attendre une décision de justice ?
04:36Faut-il interdire un film par exemple parce qu'un acteur ou un réalisateur est mis en cause ?
04:40Ou s'arrête la présomption d'innocence ?
04:42Caroline Fourez, dans ce contexte, je voulais avoir votre point de vue sur un sujet que vous n'évoquez pas,
04:47et pour cause, c'est tout récent, les dernières révélations autour de l'abbé Pierre.
04:51Quel regard portez-vous sur cette affaire ?
04:54Quand vous voyez par exemple qu'Emmaüs veut retirer le nom de l'abbé Pierre partout,
04:57vous qui dites qu'il faut séparer l'œuf de l'homme ?
05:00Alors justement, là il y a le débat sur nommer et il y a le débat sur l'œuf de l'homme.
05:04Sur nommer, moi je suis très heureuse qu'enfin cette prise de conscience existe,
05:07même si c'est a posteriori, je veux dire même si c'est quelque part trop tard.
05:11C'est une pédagogie publique importante quand même de comprendre
05:14qu'un homme a pu commettre autant d'agressions sexuelles sur une durée aussi longue,
05:18avec des évêques qui savaient, une hiérarchie qui quand même en avait entendu parler,
05:23et qu'il a été protégé si longtemps.
05:25Mais effectivement c'est intéressant dans le débat sur l'œuvre et l'homme,
05:28moi je ne suis pas pour distinguer l'homme de l'artiste et pas plus l'homme de celui qui fait du bien.
05:34Je veux dire, un homme assume, c'est pas parce qu'il fait du bien dans sa vie sociale
05:37qu'on doit lui pardonner d'être un bourreau avec les femmes ou avec les autres, sur un autre plan.
05:42Donc pour moi je comprends très bien qu'Emmaüs aujourd'hui se dise
05:45c'est plus important de mettre en avant le nom Emmaüs que le nom de l'abbé Pierre,
05:49en regard de ce qu'on vient d'apprendre,
05:51mais évidemment vous comprenez bien que ça n'a aucun sens d'arrêter Emmaüs pour autant,
05:56qui est une organisation qui a des milliers, des centaines de bénévoles,
05:59qui font du bien autour d'eux, qui viennent en aide à des gens qui ont des problèmes de logement,
06:03qui ont des problèmes sociaux.
06:04Et effectivement c'est une pédagogie pour le cinéma,
06:06pour expliquer à la jeune génération qui ne comprend pas
06:09qu'on peut ne plus vouloir distinguer l'homme de l'artiste,
06:12ne plus pardonner un homme parce qu'il est artiste,
06:15et ça c'est le bon de ce qu'on vit.
06:17Sauf que là, quelle est la différence quand on retire le nom de l'abbé Pierre
06:22et quand on interdit un film d'être diffusé presque ?
06:25Eh bien sinon c'est pas pareil, par exemple,
06:26moi je trouverais stupide qu'on retire le nom de l'historique d'Emmaüs,
06:30parce que là on ferait une œuvre d'amnésie,
06:33on irait contre le sens de l'histoire,
06:35et c'est comme ça qu'on réécrit des réalités.
06:37Qu'on mette en avant plutôt le nom d'Emmaüs que le nom de l'abbé Pierre,
06:40vu à quoi il est associé aujourd'hui, je le comprends.
06:43Mais qu'on annule Emmaüs et cette association à cause des fautes de son fondateur,
06:48là ça n'a aucun sens.
06:49Un film c'est pareil.
06:50Qu'on n'ait pas envie de rendre hommage à un homme réalisateur,
06:53parce qu'il a commis des agressions sexuelles,
06:56je le comprends comme féministe,
06:57et moi-même j'irais pas assister à une remise, je sais pas,
07:00à un hommage sur tel ou tel réalisateur dont on sait qu'il a commis ces actes.
07:04En revanche, qu'on veuille interdire ces films qui sont fabriqués avec 120 personnes,
07:09et qui sont des œuvres qui ont une âme propre,
07:12qui ont le droit de vivre par elles-mêmes,
07:14non, ça c'est plus du féminisme,
07:16c'est un réflexe puritain, iconoclaste, intégriste.
07:20Cette affaire et ses révélations suscitent énormément de réactions
07:23et on est tous un peu troublés, on s'interroge.
07:26J'ai entendu beaucoup d'auditeurs aussi nous dire,
07:30certes ces femmes parlent, ces témoignages arrivent aujourd'hui,
07:33le problème c'est qu'il n'y a pas de justice.
07:35Il ne pourra pas y avoir de justice puisqu'il est mort.
07:38Oui, sur l'abbé Pierre, non.
07:40C'est pour ça aussi que la presse a quand même un rôle,
07:43dans les cas notamment qui sont prescrits ou lorsqu'il est trop tard.
07:46Et c'est là où il faut rentrer dans le détail.
07:48Moi, par exemple, je ne pense pas qu'il ne faille pas nommer dans la presse.
07:51Je dis juste qu'il faut nommer quand c'est réellement nécessaire.
07:54Nommer, ça n'entache pas la présomption d'innocence ?
07:57Non, pas toujours.
07:58Il y a des fois, il faut briser le mur de l'impunité.
08:00Quand vous avez 30 femmes, l'affaire PPDA,
08:0230 femmes qui vous racontent des faits précis, graves,
08:04dont malheureusement beaucoup sont prescrits,
08:06parce que l'impunité l'a protégé trop longtemps
08:08et donc elles ne peuvent pas aller en justice.
08:10Je pense qu'il est du rôle des médias de dire
08:12on a beaucoup tué ces comportements,
08:15il est temps de les raconter pour protéger,
08:17pour faire œuvre de pédagogie.
08:19Je dis simplement, quand vous êtes dans un parole contre parole,
08:21une seule accusation, sans sérialité, sans plainte,
08:25c'est-à-dire sans prendre le risque d'être examiné à décharge par la justice,
08:29le travail du journaliste, c'est de se poser la question
08:31s'il n'est pas en train de crucifier sur la place publique
08:33un nom d'une personnalité
08:35pour quelque chose qui n'est pas encore assez vraisemblable ou établi.
08:39C'est du cas par cas.
08:41La seule chose que je demande dans mon livre,
08:43c'est qu'on continue à écouter les victimes,
08:45je souhaite évidemment qu'elles continuent à parler,
08:47je pense qu'il faut une vigilance collective
08:49pour se protéger les uns les autres,
08:51mais on ne doit pas devenir non plus
08:53des jurés expéditifs et arbitraires.
08:55Parce qu'on a ce pouvoir entre nos mains,
08:57et tant mieux, c'est ce qu'on voulait avec le féminisme et avec MeToo,
08:59si on ne veut pas tomber dans l'abus de pouvoir,
09:01il faut réfléchir à ce pouvoir.
09:03Et c'est à chacun de nous, citoyens,
09:05de réfléchir.

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