Agathe Lemaïtre publie "Le livre de Liane", prénom de sa sœur qui s'est suicidée en 2016 à l'âge de 21 ans, aux éditions Harper Collins.
Regardez L'invité de RTL du 10 mars 2023 avec Amandine Bégot.
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00:02 RTL matin
00:06 RTL il est 7h45, excellente journée à vous tous qui nous écoutez.
00:10 Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin Agathe Lemaitre.
00:13 Agathe Lemaitre, vous publiez, je le disais, le livre de Liane. Le roman est sorti cette semaine, c'est aux éditions Harper Collins.
00:19 Cette histoire c'est la vôtre, celle de votre petite sœur Diane, Liane dans le livre,
00:25 qui a donc mis fin à ses jours le 4 mai 2016. Elle avait 21 ans.
00:29 C'est le harcèlement scolaire qui l'a tuée, c'est ça ?
00:32 Tout à fait, mais il faut savoir que quand elle est décédée,
00:35 personne dans la famille ne savait qu'elle avait vécu un harcèlement scolaire.
00:37 Jamais elle ne vous en a parlé ?
00:39 Elle n'en a jamais parlé et elle n'a jamais montré de signes, puisque moi je pensais qu'un élève harcelé
00:43 était un petit peu déprimé ou renfermé, ou en tout cas montrait quelque chose.
00:47 Et en fait ce qui s'est passé c'est qu'elle était très joyeuse.
00:50 Elle faisait du patinage artistique toutes les semaines, elle sortait avec ses amis, elle mettait des jolis rhumes, elle avait l'air heureuse.
00:55 Et donc personne ne s'est posé la question.
00:57 Elle n'en a jamais parlé ni à vos parents, ni à vous. Vous étiez pourtant très proches ?
01:01 On était très proches. On a eu une enfance magnifique.
01:04 Donc on a grandi vraiment très proches et on partageait tout, je le pensais.
01:08 Et puis ce qu'il faut savoir c'est qu'après que le harcèlement scolaire se soit arrêté,
01:12 elle a continué à étudier, à se remettre, et à voir des psychologues.
01:17 Et en fait elle ne montrait pas. Elle était en train de se battre pour remonter la pente.
01:21 Et personne ne s'est jamais douté de ce qui se passait.
01:24 Elle a été victime de harcèlement scolaire dès l'âge de 11 ans, à son entrée en sixième,
01:30 et ça va donc durer jusqu'à quasiment la terminale.
01:32 Tout ça vous le découvrez en fouillant dans ses affaires après son décès, en tombant notamment sur son journal intime ?
01:39 Exactement. Alors j'en suis pas très fière puisqu'on sait que fouiller dans les affaires de son frère ou de sa soeur,
01:44 c'est pas forcément très élégant.
01:45 Surtout lire un journal intime, bon c'est pas vraiment à la classe. Partager un journal intime,
01:49 bon ça c'est limite. Et donc publier un journal intime c'est éthiquement discutable.
01:54 Mais quand je vois l'impact que ça a sur les gens qui le lisent,
01:58 l'ouverture de la parole que ça permet,
02:01 vraiment ça me montre que le positif l'emporte sur le négatif et que ça va lui aller à peine en fait de faire ça.
02:06 Mais découvrir ça, j'imagine que ça ajoute de la douleur à la douleur.
02:10 Enfin perdre sa soeur déjà qui se suicide à l'âge de 21 ans c'est extrêmement douloureux forcément.
02:17 Et quand en plus vous découvrez qu'elle a vécu un cauchemar pendant tant d'années,
02:21 c'est dur.
02:24 C'est dur et en même temps, dans le cas d'un suicide, rester sans réponse je pense que c'est encore plus difficile.
02:29 C'est ce que m'ont dit les policiers quand en comité rien ils m'ont remis la lettre d'adieu. Ils m'ont dit
02:34 "vous avez de la chance dans votre malheur parce que la plupart des familles on n'a pas de lettre à leur remettre". Ils restent sans
02:39 réponse du tout. Et donc moi
02:41 en plus, d'accord j'ai fouillé dans les affaires de ma soeur, mais j'ai pu retrouver donc
02:45 comme elle voulait être écrivaine, écrivez tout, j'ai pu retrouver la trace de tout en fait. De comment le harcèlement scolaire a commencé,
02:52 comment il a évolué, tout ce qu'elle a fait pour se remettre. Et ça commence par des toutes petites choses.
02:56 En sixième, je le disais, avec des remarques d'abord sur le physique. "Tu devrais te coiffer différemment, t'es moche". Moi aussi je mettais des
03:03 pantalons élastiques quand j'étais grosse comme toi et puis ça va devenir comme ça de pire en pire et dans sa lettre d'adieu que
03:08 vous publiez d'ailleurs.
03:10 Diane écrit "je n'ai jamais voulu mourir, jamais. J'ai cherché à arrêter de souffrir justement parce que j'avais tellement envie de vivre.
03:17 Sauf que je suis arrivée à un point de rupture. On a tous un seuil de douleur supportable. J'ai dépassé le mien il y a longtemps déjà.
03:23 Cette fille m'a détruite. Je ne suis que ruine". Ça a commencé par une fille de sa classe donc qui lui faisait des remarques.
03:30 Une harceleuse qui a commencé à faire des remarques. En fait ce qui se passe c'est que ma soeur elle était un peu timide.
03:36 Elle a préféré ne pas répondre en se disant que ça allait passer.
03:38 Et
03:40 c'était, je sais pas si on peut dire que c'était une erreur,
03:43 mais en tout cas le harcèlement scolaire il a commencé comme ça. Parce qu'en fait sans répondre à ses positionnés, un victime.
03:48 Et donc toute la classe a pris le relais assez rapidement.
03:51 Et vous dites aujourd'hui "je n'en veux pas aux harceleurs".
03:54 Non parce qu'on le voit le harcèlement scolaire c'est systémique. C'est pour ça que je suis là aujourd'hui aussi. C'est parce que je vois que
04:00 ça arrive dans beaucoup d'autres familles.
04:01 Et que malheureusement le drame qui a touché ma famille c'est un drame qui se répète, qui va se répéter encore cette année. On le sait,
04:07 on a les statistiques, on le voit c'est
04:09 c'est continu et ça augmente. En fait le harcèlement scolaire qui finit par des suicides ça augmente.
04:13 Et à chaque fois les gens sont démunis et s'attendaient pas en fait à vivre ça.
04:17 Et donc ma démarche c'est de me dire "je vais faire en sorte que ça n'arrive pas aux autres en fait".
04:22 J'ai envie de dire aux gens "faites en sorte que ce ne soit pas vous,
04:24 parlez à vos familles parce qu'en fait ce qui va se passer c'est que vous n'allez pas le voir.
04:28 Si vous ne posez pas la question à vos enfants, à vos amis,
04:31 vous n'allez pas voir en fait qu'il y avait un harcèlement scolaire parce qu'il n'y a pas de signe.
04:34 Et donc ça vaut vraiment la peine de poser la question, de dire "est-ce que tu as vécu en fait un harcèlement scolaire ?"
04:39 Vous dites que ce livre doit servir de support à un début de discussion.
04:42 Et j'imagine que tous les parents qui nous écoutent doivent se dire "oh là là, mais moi mon enfant a l'air d'aller bien".
04:46 Si ça se trouve il est victime de harcèlement. On rappelle les chiffres, un élève sur dix c'est énorme, ça fait 700 000 élèves.
04:52 Et un sur quatre déclare avoir pensé au suicide. On a traité la semaine dernière l'affaire du petit Maël qui est un enfant
04:59 de dix ans.
05:01 Son père a combattu tout ce qu'il a pu pour
05:04 qu'il puisse retourner dans son école. Et en fait tout commence parce que Maël un jour en classe il n'en peut plus
05:10 et il dit "je veux mourir pour que ça s'arrête". Et c'est pas
05:13 l'équipe éducative à l'époque qui prévient les parents de Maël, c'est un autre parent à qui un enfant
05:18 a raconté ce qu'avait dit Maël.
05:20 Tous les mots doivent être pris au sérieux et en fait tout le monde doit agir. C'est ce que vous nous dites aujourd'hui Agathe.
05:26 Tout le monde doit au moins essayer de comprendre.
05:28 Parce que vous votre sœur, pardon Diane, elle avait parlé à l'infirmière scolaire.
05:31 Oui au professeur, à l'infirmière scolaire, elle avait écrit au rectorat.
05:34 J'ai retrouvé les emails après, c'est incroyable.
05:38 Et ces gens-là n'ont jamais prévenu vos parents ?
05:40 Non.
05:41 Non parce que ça s'est pas fait en fait. Et on voit que c'est un problème systémique.
05:45 Quand on voit que c'est pas la seule en fait, j'ai un compte Instagram qui s'appelle "Agathe en parle" et il y a des jeunes qui
05:51 m'écrivent pour me dire qu'ils ont vécu la même chose.
05:53 Et il y a des adultes, j'ai énormément d'adultes qui me disent "quand j'étais jeune j'ai vécu ça".
05:58 C'était très dur.
05:59 Et pourquoi on n'arrive pas à en parler ?
06:01 Parce qu'il y a un tabou autour de ce sujet.
06:03 J'ai des témoignages de gens qui me disent "on s'est moqué de mes cheveux".
06:06 J'avais 14 ans, aujourd'hui j'en ai 24.
06:08 J'ose pas en fait dire que j'ai encore mal.
06:10 Je me sens pas légitime.
06:12 Diane écrit toujours dans cette lettre d'adieu ce qui nous a fait défaut à vos parents.
06:18 C'est ce qu'elle écrit à vos parents, c'est la communication.
06:20 C'est ça, il faut parler.
06:22 C'est ce que vous dites à tous ceux qui ont vécu ça et même parler même si c'est passé.
06:26 C'est à dire qu'à 20 ans, à 30 ans ça peut ressurgir.
06:30 Bien sûr, et je vais te confier une anecdote.
06:33 Hier j'ai fait un podcast avec une journaliste.
06:36 A la fin du podcast elle éteint, donc l'enregistreur.
06:39 Et elle me dit "moi en fait j'avais jamais parlé avec ma soeur de ce sujet là".
06:43 Après avoir lu ce livre je l'ai appelée.
06:46 Parce qu'elle a vécu un harcèlement scolaire quand elle était petite.
06:48 Je lui ai dit "ben maintenant je me rends compte de ce que t'as pu vivre".
06:50 Et elle m'a pas dit "ben c'était il y a longtemps, c'est pas grave".
06:53 Elle m'a dit "merci pour ce que tu fais, j'apprécie, ça me touche énormément".
06:56 C'est beau quand même.
06:58 C'est beau. Merci beaucoup en tout cas Agathe Lemaitre.
07:00 Le livre de Diane, c'est le nom de son roman.
07:04 Dans lequel vous publiez plein d'extraits de ce qu'a écrit Diane.
07:08 C'est aux éditions Harper Collins.
07:10 Le roman est sorti cette semaine en librairie le 8 mars.
07:12 Et franchement, lisez-le, que vous soyez prof, parent, élève.
07:16 Effectivement c'est un bon support, un bon début de discussion.
07:19 Merci beaucoup.
07:20 Merci.
07:21 On retrouve cette interview sur le site et sur l'application.
07:22 l'appli.
07:22 [SILENCE]