Une "mise en situation" a lieu jeudi 28 mars dans le hameau du Haut-Vernet dans le cadre de l'enquête autour de la disparition du petit Émile, deux ans et demi. François Daoust, ancien directeur de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, répond aux questions de Amandine Bégot.
Regardez L'invité de RTL du 29 mars 2024 avec Amandine Bégot.
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00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h44, 17 personnes donc convoquées au Auvergnet pour tenter de percer le mystère de la disparition
00:13 de la disparition du petit Emile au lendemain de cette mise en situation.
00:17 Amandine Maigault, vous recevez François Daoust, ancien directeur de l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie Nationale.
00:23 François Daoust, c'est je le disais cet institut qui a participé hier à cette opération, à cette mise en situation
00:29 et on a besoin de vous pour comprendre à la fois ce qui s'est passé hier et ce qui peut se passer dans les prochains jours,
00:34 les prochains mois, d'autant que tout ça s'est bien sûr passé à l'abri des caméras et des micros,
00:40 vous allez être un peu nos yeux et nos oreilles, même si vous n'êtes pas sur cette affaire.
00:44 Tout à fait.
00:45 Et donc voilà, mais vous connaissez parfaitement ces procédures.
00:48 Justement, cette procédure d'abord, cette mise en situation, c'est rare ?
00:51 Alors c'est assez rare, la façon dont on s'est médiatisé en plus, on a l'impression de découvrir quelque chose.
00:57 Il faut savoir que les mises en situation ou les reconstitutions, juridiquement, ça n'existe pas.
01:02 Ce n'est pas dans le code de procédure pénale.
01:04 La seule chose qui y est, c'est le transport du ou des juges d'instruction avec leur greffier sur une scène,
01:11 quelle qu'elle soit, et tout va se dérouler selon les directives du ou des juges d'instruction,
01:17 parce que je rappelle que ce sont eux qui ont la direction de l'enquête, qu'ils délèguent certes aux enquêteurs,
01:22 mais dès qu'ils arrivent sur le terrain, c'est eux qui reprennent la main.
01:26 Cette mise en situation, vous me disiez souvent on fait ça quand on a une mise en examen.
01:30 Là, la spécificité, c'est qu'on n'a personne.
01:33 Voilà. La reconstitution, c'est avec la mise en examen.
01:37 On essaye de comprendre qu'est-ce qu'il a fait sur place,
01:41 est-ce que ses déclarations sont concordantes avec ce qui a pu être trouvé,
01:45 et avec la configuration des lieux, notamment pourquoi il est passé à l'acte,
01:48 est-ce que ça nécessitait une préparation ou autre.
01:50 En l'espèce, il n'y a pas de mise en examen.
01:52 Donc, ce sont les protagonistes, que ce soit les témoins,
01:56 17 personnes, des membres de la famille, des voisins,
02:00 la parentèle, les voisins, qui ne sont pas forcément des témoins directs,
02:04 mais qui sont tout aussi intéressants parce qu'eux, ils ont peut-être vu les témoins directs
02:09 à un endroit qui n'est pas celui où le ou les témoins pensaient être lorsqu'ils ont vu, par exemple, le petit Émile.
02:16 Donc, très concrètement, ces 17 personnes, on les a réunies,
02:19 on les a chacune mises là où elles se trouvaient quelques minutes avant la disparition d'Émile,
02:25 et on leur a fait faire ce qu'elles faisaient, posé plein de questions.
02:28 Quel type de questions, par exemple ?
02:29 - Alors déjà, les juges ont le choix entre, soit on essaye de faire un déroulé chronologique,
02:37 mais chaque fois, avec l'autorisation des juges,
02:41 un témoin peut intervenir en disant "non, moi je ne l'ai pas vu comme ça", etc.
02:45 Et ça manque de continuité.
02:47 Soit on va jouer la version des protagonistes principaux,
02:51 la version de grand-père, la version de grand-mère, la version du témoin numéro 1, la version du témoin numéro 2.
02:56 Et là, on fait un déroulé complet, et on va voir,
02:59 est-ce que ça correspond aux déclarations, aux premières déclarations qui avaient été faites pendant les secours,
03:05 qui n'étaient pas des auditions judiciaires, mais des auditions immédiates pour essayer de guider.
03:10 Confrontation avec les auditions lors de l'affaire judiciaire,
03:15 là on rentre dans les détails, et c'est beaucoup plus long.
03:18 Et est-ce que ça correspond à ce qu'ils ont dit ?
03:21 Est-ce qu'on avait la même visibilité ?
03:23 Est-ce qu'ils pouvaient voir quelque chose ou pas ?
03:26 Est-ce que la temporalité était respectée ?
03:28 Pour eux, il y avait un laps de temps très court ou très long.
03:31 Est-ce qu'en réalité, cette temporalité était la même ?
03:35 On va prendre un exemple. Quelqu'un qui a dit avoir vu le petit Émile sur ce chemin,
03:40 à ce moment-là, on voit si d'autres personnes auraient pu le voir, par exemple.
03:44 Exactement. D'autres personnes, est-ce qu'elles pouvaient le voir ?
03:46 Est-ce que des voisins qui étaient chez eux pouvaient voir le témoin qui affirme
03:51 "je le voyais, j'étais à telle place" ?
03:54 Et là, on s'aperçoit que non, il n'était pas forcément à telle place.
03:57 On a vu des témoins qui parfois se trompaient, même de jour,
04:00 et ils étaient sincères dans leurs déclarations,
04:03 mais ils se sont trompés de 24 heures.
04:06 L'idée c'est quoi ? De pointer des incohérences ?
04:08 Exactement.
04:09 On l'a bien compris. De rafraîchir aussi peut-être la mémoire,
04:11 parce que sur le moment, quand on est interrogé, on oublie peut-être ce qui nous semble un détail
04:15 qui n'en est pas forcément un pour les enquêteurs.
04:17 C'est tout à fait ça. L'avantage d'une remise en situation,
04:20 on prend quelques minutes avant que commence l'événement,
04:25 et en fait, qu'est-ce qui se passe en réalité ?
04:28 Lorsqu'il y a un événement qui se passe, nous avons une situation d'ancrage.
04:32 C'est-à-dire que cet événement est marqué avec ce que nous faisions en ce moment-là,
04:37 et où nous étions.
04:39 Notre cerveau, qui est en roue libre en permanence,
04:41 et c'est lui qui nous commande et qui nous fait croire à beaucoup de choses,
04:44 nous dit simplement "je ne vais garder comme souvenir que cette action, que cette action, ou que cet acte".
04:51 Refoulant les autres, et le fait de remettre en situation,
04:56 on revient pratiquement à l'ancrage initial,
04:59 et ça peut faire ressurgir des souvenirs que le cerveau avait négligés,
05:03 mais qui pourtant, dans les témoignages, peuvent être très importants.
05:06 Même 9 mois après, là on est presque 9 mois après, ça paraît très long ?
05:11 Ça paraît très long, mais même 9 mois après,
05:14 notre cerveau qui a encore une capacité mémorielle, la mémoire à long terme marche bien,
05:18 et bien il peut ressentir quelque chose, parce qu'il a eu un déclencheur,
05:21 qui a été justement cette mise en situation.
05:24 On nous a aussi beaucoup dit depuis hier qu'on scrutait le comportement et l'attitude de chacun,
05:30 que tout ça d'ailleurs avait été filmé.
05:32 Il y a des gendarmes spécialisés pour ça, qui vont re-regarder ces images ?
05:36 Alors il y a le département des sciences du comportement,
05:39 au service central de renseignement criminel,
05:41 qui est juste en face de l'IRCGN, le laboratoire,
05:44 et il peut y avoir justement des psychologues criminels qui sont là.
05:49 Mais au-delà de ça, il regarde un ensemble,
05:54 qu'est-ce que c'est qui peut rendre mal à l'aise une personne ?
05:56 C'est peut-être qu'elle s'est souvenue de quelque chose,
05:58 sans forcément être coupable de quoi que ce soit.
06:01 Mais cette situation mal à l'aise, il faut vraiment l'exprimer,
06:06 pour qu'elle soit écartée du champ des possibles,
06:09 et en tout cas du champ de la suspicion.
06:11 François Davous, est-ce qu'on peut imaginer que parmi les 17 personnes
06:14 qui étaient convoquées hier, il y a celui ou celle qui sait ce qui s'est passé ?
06:19 Alors là, je ne sais pas, mais je pense que les juges d'instruction
06:23 essayent aussi de savoir, si nous sommes dans l'hypothèse d'un accident,
06:28 si quelqu'un sait ce qui s'est réellement passé.
06:32 Et c'est à ça que servent ces mises en situation,
06:37 c'est voir à un moment si quelqu'un ne joue pas un scénario appris, répété,
06:42 qui, il l'espère, l'exonérera de toute responsabilité.
06:46 Et est-ce qu'on peut, est-ce qu'on doit s'attendre à des gardes à vue
06:49 dans les prochains jours, les prochaines semaines ?
06:52 Alors on peut tous l'espérer, mais je vais vous décevoir, je ne sais pas.
06:56 Et puis même si vous le saviez, vous ne nous le diriez pas,
06:59 en tout cas ce matin, et on comprend bien pourquoi.
07:03 Ça paraît fou quand même, qu'un petit garçon de 2 ans et demi
07:06 ait pu se volatiliser comme ça, ça va faire 9 mois,
07:10 et il n'y a rien, rien.
07:12 Alors rien qui ressort au point de vue médiatique.
07:16 Maintenant il y a les deux hypothèses privilégiées,
07:19 c'est le petit garçon s'est réellement perdu,
07:21 et nous avions une végétation luxuriante,
07:23 et malgré les drones, malgré les caméras thermiques,
07:26 s'il se foutait, il y a une petite faille,
07:28 et bien ce petit garçon, il est tombé, il est au fond.
07:31 Et comme l'affaire Lucas Tron, ce jeune homme de 14 ans,
07:36 on l'a retrouvé plusieurs années après,
07:38 on avait fouillé le bas de la falaise, tout autour, etc.
07:42 Donc peut-être qu'il y a ça, et on voit qu'on est dans un drame,
07:47 c'est un petit garçon qui s'est perdu et qui a fait une chute,
07:49 ou alors, il y a autre chose,
07:52 et il manque les traces, les traces matérielles sur place,
07:56 et ce petit flux conducteur qui nous amènerait à la personne,
07:59 si jamais on est dans un accident, et on l'a maquillé derrière.
08:03 - On est en 2024, on sait aujourd'hui parfaitement dire
08:07 qui se trouvait à un endroit précis, à un instant,
08:10 et grâce notamment au téléphone portable,
08:12 c'est ce qu'on appelle le bornage téléphonique, j'imagine,
08:14 que ce bornage a été fait, qu'aujourd'hui,
08:17 les enquêteurs savent parfaitement qui était là, à ce moment-là ?
08:20 - Alors, le bornage va vous dire où était le téléphone.
08:24 Pas forcément le propriétaire.
08:27 Il y a ça aussi, ça nous arrive d'oublier naturellement notre téléphone,
08:31 et bien parfois, dans certaines affaires,
08:34 le fait d'oublier son téléphone a créé des alibis
08:37 là où il n'y en avait pas, réellement.
08:39 Donc, il faut aussi se méfier de ça.
08:42 On a des éléments techniques et des traces numériques liées au téléphone,
08:47 voire liées aux véhicules qui peuvent être géolocalisés,
08:51 mais ça doit être corroboré, vérifié,
08:54 et c'est pour ça en partie qu'il y avait aussi les experts de l'IRCGN en la matière.
08:59 - Dernière question, est-ce qu'on peut imaginer qu'Emile soit toujours vivant ?
09:02 On peut l'espérer ?
09:04 - On peut l'espérer, mais là-dessus, on est tous à se demander,
09:08 à ce moment-là, quelle pourrait être l'hypothèse du petit Emile,
09:12 vivant, quelque part, chez qui, où et pourquoi ?
09:15 - Merci beaucoup François Daoust,
09:17 et je rappelle le titre de votre dernier livre,
09:19 "Coécrit avec Jacques Pradel, la police scientifique et technique, le choc du futur".
09:23 On a bien compris que tous ces progrès étaient très utiles dans une enquête,
09:27 mais hélas, ils ne peuvent pas être utiles seuls.
09:30 - Exactement.
09:31 [SILENCE]