Caroline Fourest : "Pour que #MeToo continue d'être pris au sérieux, il ne faut pas le ridiculiser"

  • il y a 3 jours
La journaliste, essayiste et réalisatrice Caroline Fourest est l'invitée du Grand Entretien ce mercredi. Elle publie aujourd'hui même, aux éditions Grasset, "Le Vertige MeToo", un livre qui revient sur la "nouvelle révolution sexuelle" qui a déferlé sur le monde depuis l'affaire Weinstein.

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00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons dans le Grand Entretien, une essayiste, réalisatrice,
00:12journaliste qui publie le vertige MeToo aux éditions Grasset, c'est en librairie aujourd'hui,
00:19débattez avec elle, intervenez au 01 45 24 7000 et sur franceinter.fr.
00:26Caroline Fourest, bonjour, et bienvenue sur l'Inter pour évoquer cet essai qui questionne
00:32le mouvement MeToo, apparu il y a 7 ans, MeToo, sujet inflammable par excellence, qui suscite
00:39depuis son origine des admirations enthousiastes comme des haines viscérales et qui oppose
00:46des camps irréconciliables.
00:48Au milieu de ça, vous tentez de faire, on va dire, un bilan d'étape qui rend hommage
00:56à la libération de la parole des femmes et qui regarde aussi les excès qu'elle peut
01:00engendrer.
01:01Vous dites que c'est l'un des livres les plus difficiles que vous ayez écrits, vous
01:06aviez besoin de vous mettre au clair sur MeToo au risque de relancer des polémiques, Caroline
01:13Fourest ?
01:14Non, j'avais besoin de me mettre au clair parce que j'avais d'abord peur des retours
01:17de bâtons contre MeToo à force de voir parfois des instrumentalisations où des gens mettent
01:23sous ce beau mot de MeToo des choses qui n'y avaient peut-être pas à y ranger.
01:28De même qu'on a tendance à utiliser beaucoup l'expression violente, sexuelle et sexiste
01:32mais à mettre sur le même plan des choses qui pour moi n'ont pas la même gravité
01:36et qui n'appellent pas forcément la même réponse.
01:38Et puis surtout, j'ai vu une bascule dans ma propre vie personnelle, c'est-à-dire
01:42que moi j'ai passé quand même l'essentiel de ma vie, la première longue partie de ma
01:45vie à recueillir les confidences d'amis depuis le collège d'ailleurs et même avant
01:51le collège.
01:52J'avais signalé et aidé une amie à moi à porter plainte ou en tout cas à signaler
01:56le fait que son père abusait d'elle.
01:57Je n'ai depuis cessé d'entendre des femmes me raconter des viols, des agressions sexuelles
02:01et avant MeToo, on était seules.
02:03Je l'ai vécu évidemment dans l'affaire Ramadan aussi qui vient enfin d'avoir un
02:09jugement devant la justice mais pendant ce temps ça a été 15 ans de silence ou de
02:12combat et j'ai vu la bascule fabuleuse de MeToo et même de Balance Ton Port parce
02:16que moi je ne suis même pas entièrement critique de Balance Ton Port.
02:19Je pense qu'il y a le meilleur et le pire.
02:22Le meilleur c'est faire lever l'impunité quand ce mur était là, de menaces, d'intimidation
02:28et puis par contre quand un Éric Brion, c'est-à-dire quelqu'un qui a fait une remarque, une proposition
02:32déplacée à quelqu'un qui n'était ni sa collègue, ni sa salariée, se retrouve
02:37mis au pilori et encore aujourd'hui n'a plus de travail, il est venu assister à une
02:41de mes conférences et il est venu me raconter qu'il n'a toujours pas pu retrouver de
02:43travail.
02:44Pour moi c'est un abus de pouvoir et la féministe que je suis déteste les abus
02:50de pouvoir en réalité.
02:51C'est un essai, Caroline Fourest, que vous voulez nuancer et argumenter, vous revenez
02:55sur quasiment toutes les affaires les plus médiatisées en tout cas, mais c'est aussi
02:59un essai où, et on l'entend ce matin vous parler de vous, où vous expliquez comment
03:03MeToo a changé l'époque, a changé le monde, surtout le monde occidental d'ailleurs,
03:07mais comment MeToo vous a changé vous ? Vous distinguez d'ailleurs deux parties dans
03:12votre vie, avant et après 40 ans en gros.
03:14Oui, ça je crois que dans la vie d'une femme, avant et après 40 ans en soi, c'est
03:18le même incurseur.
03:19Mais en l'occurrence, il se trouve que ça correspond à, il y a 7 ans c'était MeToo
03:23et vous en avez 48.
03:24Ça a coïncidé effectivement dans ma vie avec ce tournant-là et clairement je suis
03:29passée de conversations qui étaient nos conversations entre femmes, on n'arrivait
03:35pas à franchir la barrière de faire comprendre, même à des amis garçons, à quel point
03:39on vivait dans ce silence, dans cette charade silencieuse qui nous reliait les unes les
03:42autres.
03:43Parce que ce mot aussi, on l'entendait tout le temps de la part d'amis, encore une fois,
03:47qui avaient quasiment toujours dans leur parcours quelque chose à confier de l'ordre d'une
03:51agression.
03:52Et quand ce mot aussi est devenu public et si puissant, évidemment c'est un changement
03:57de monde extrêmement enthousiasmant et que j'ai envie de protéger, que j'ai envie
04:00de prolonger.
04:01Et puis ça a permis complètement de voir que des gens qui n'osaient plus parler, qui
04:05étaient intimidés ou qui avaient été menacés, maintenant sont devant la justice.
04:07Et vous faites état, Caroline Fourès, de vos sentiments face à MeToo, je vous cite
04:11« la féministe se réjouit pleinement d'avoir vu la peur changer de camp, la journaliste
04:17cherche désespérément une éthique pour couvrir ses affaires sans commettre d'injustice
04:24et la réalisatrice sait que le monde du cinéma ne se réduit pas à l'image que peuvent
04:28en donner certaines affaires surmédiatisées ». Derrière cette complexité, on sent une
04:35forme de perplexité, vous tâtonnez ? Oui, mais je le revendique, j'ai beaucoup réfléchi
04:40pour écrire ce livre et surtout ces trois casquettes que vous avez mentionnées, Nicolas,
04:43se sont beaucoup disputées ! La féministe que je suis, qui est quand même peut-être
04:47la part la plus importante chez moi, mais quand même avait beaucoup de choses à dire
04:51à la journaliste et la journaliste avait beaucoup de choses à dire à la féministe
04:55et notamment que le respect des faits passe avant toute chose et qu'on doit toujours
05:00enquêter à charge et à décharge avant d'exposer un non sur la place publique.
05:04Et de fait, je me suis retrouvée à me forger une éthique que j'avais eu un peu instinctivement
05:09lorsque des victimes de Tariq Ramadan étaient venues me raconter des choses atroces qui
05:13m'ont hanté pendant 15 ans.
05:16La journaliste que j'étais leur a dit instinctivement « je ne peux pas médiatiser ça, je ne pourrai
05:23pas aller devant un micro porter votre parole si vous ne portez pas plainte parce que je
05:27ne peux pas être juge à la place des juges, moi je suis journaliste, je le critique sur
05:31ses discours, je ne peux pas aller sur ce terrain-là ». Et il a fallu que le mur
05:36de la peur se brise pour qu'elle aille jusqu'à porter plainte et pour que je puisse en parler.
05:39Mais ce titre, le « vertige » au sens strict, c'est la peur pathologique de tomber dans
05:45le vide.
05:46Il y a quelque chose dans le choix de votre titre qui n'est pas franchement positif ?
05:52Non, parce qu'il y a un tourbillon grisant dans lequel quand je dis que la peur a changé
05:56de camp c'est le meilleur, la honte a changé de camp, la peur a changé de camp, mais la
05:59meute aussi a changé de camp.
06:00Ce qui permet aujourd'hui d'avoir cette puissance d'accusation, c'est parce qu'on est enfin
06:06écouté mais même on est cru sur parole et plus que cru sur parole, il n'y a plus personne
06:11qui ose douter parfois et c'est normal parce que c'est un retour de balancier après des
06:15siècles encore une fois d'intimidation où on n'a pas voulu entendre la parole de celles
06:19qui disaient ce qui leur était arrivé.
06:21Donc c'est normal qu'on en passe par là, moi je pense ce vertige tout à fait évident
06:27et logique, mais c'est notre travail en tant que journaliste, éditorialiste de dire
06:31le problème c'est que là on a de plus en plus d'affaires de gens qui ont été effacées
06:34socialement, mises à mort socialement, pour des accusations de plus en plus légères
06:39et de moins en moins établies, ce qui n'était pas le cas avant Me Too, il y avait très
06:42peu d'accusations légères avant Me Too ou portées comme ça à l'emporte-pièce.
06:46Donc il faut bien qu'on réfléchisse ensemble, je vous donne un exemple, quand moi j'ai
06:50au téléphone, alors qu'elle n'a parlé à personne depuis qu'elle vit recluse, effacée,
06:55retirée de tout, Caroline Ré-Salmon, qui est une pédiatre féministe qui s'est battue
07:00toute sa vie contre les violences faites aux femmes et aux enfants, qui accessoirement
07:04est la dame qui m'a examinée quand j'ai été tabassée par Civitas à l'Hôtel-Dieu,
07:09et quand je l'appelle et qu'elle me raconte qu'elle a perdu ses cours à l'école nationale
07:12de magistrature, qu'elle a été rayée de la civise, le comité qui lutte contre les
07:18violences faites aux enfants, en moins de 20 minutes elle a dû se retirer de ses fonctions
07:21tellement la pression, la polémique était forte parce qu'une plainte a été médiatisée
07:25contre elle pour viol, que son nom est associé à celui de violeur, parce qu'elle a examiné
07:31à la demande des tribunaux une jeune Louison de 25 ans, qui a mal vécu cet examen, où
07:37elle cherchait à aller dans le sens de sa version, elle a trouvé un hymène intact que
07:40cette jeune fille portait plainte pour inceste, et en voulant essayer de l'aider à établir
07:46sa version, elle a essayé de mimer, si ce n'était pas, parce que ça arrive souvent
07:50aux jeunes enfants de confondre une pénétration avec une autre forme d'attouchement qui est
07:53tout autour d'une agression sexuelle mais qui ne se manifeste pas de la même manière.
07:56Et bien cette médecin a essayé de l'aider, évidemment son examen n'était pas du tout
08:02une intention sexuelle, c'était une intention médicale et légale, et elle s'est retrouvée
08:06avec une plainte pour viol à être effacée socialement.
08:08C'est très très très violent, la plainte vient juste d'être classée sans suite,
08:12et je me félicite, je suis heureuse, elle vient de récupérer ses cours, mais sa vie
08:16ne sera plus jamais la même.
08:17Je vous cite encore, Caroline Fourès, nous sommes passés d'une société de l'honneur
08:21imposant le baillon, à une société de la pureté maniant le bûcher et la délation.
08:27Dans ce nouveau monde, il suffit d'accuser pour exister.
08:30Vous savez qu'en écrivant cela, on pourra vous rétorquer que vous fragilisez la libération
08:38encore fragile de la parole des femmes après des siècles où on leur a demandé de se
08:43taire.
08:44Et vous imaginez bien que ce n'est absolument pas ce que je fais dans ce livre, et vous
08:47imaginez bien qu'à la source de mon engagement, il n'y a qu'une envie, c'est que MeToo continue
08:55à être prise au sérieux.
08:56Pour ça, il ne faut pas ridiculiser MeToo.
08:58Et qui ridiculise MeToo ?
09:01Par exemple, quand on porte plainte contre une médecin qui vous examine sans intention
09:07sexuelle ni d'agression dans le cadre d'une autre plainte.
09:10Mais donc qui le fait ? C'est qui ?
09:12On a un dialogue à avoir, et j'en ai envie, et je le souhaite, et j'espère qu'il sera
09:16possible, parce que je sais que les gens sont terrorisés à l'idée de l'avoir parfois
09:19avec leurs propres enfants en fait.
09:21Donc moi j'ai de plus en plus de parents qui me disent « mais j'aimerais avoir ce dialogue
09:25avec la jeune génération sur le fait de dire « continuez à être aussi vigilants que vous
09:29l'êtes, soyez intransigeants avec les prédateurs, avec même aussi ceux qui sont des dragueurs
09:37compulsifs et qui sexualisent l'espace de travail, remettez-les en place, mais adoptons
09:41pour une réponse graduée et ayant le sens, encore une fois, d'un féminisme juste.
09:46C'est-à-dire que ce n'est pas parce que maintenant on a le pouvoir, ce que nous n'avions
09:49pas avant.
09:50Le féminisme aujourd'hui a du pouvoir.
09:51Je m'en félicite, je me battrai pour qu'on le garde, mais le pouvoir ça vient avec une
09:55responsabilité.
09:56On ne peut pas utiliser le féminisme pour broyer des innocents.
09:59Mais vous connaissez l'adage Caroline Faurès, on ne fait pas de révolution sans excès,
10:03on ne fait pas de révolution sans casser des oeufs, c'est ce que disait en substance
10:05en avril dernier l'actrice Emmanuelle de Vos, ceux qui ont abusé vont dégager, c'est
10:11comme ça, et bien sûr il y a des têtes qui vont tomber, qui n'auraient peut-être
10:14pas dû tomber, mais c'est ça les révolutions.
10:16Vous lui répondez quoi ?
10:17Oui, mais je le dis aussi, c'est pour ça que j'utilise le mot de vertige, je pense
10:21que cette transition est absolument inévitable, mais encore une fois, puisqu'on est dans
10:26une démocratie et qu'on est entre gens qui cherchent à avoir des relations plus
10:30douces, plus apaisées, plus équitables, on ne peut pas vouloir et souhaiter des abus
10:36de pouvoir ou des accusations à l'emporte-pièce, ou le fait de ne pas contre-enquêter ou
10:40de ne pas écouter simplement la parole aussi des accusés, lorsque les accusations sont
10:46de plus en plus légères, parce qu'on est chaque jour plus loin de l'affaire Weinstein,
10:50malheureusement dans certains articles de presse.
10:51Pas toujours.
10:52Non, pas toujours.
10:53Pas l'affaire Mazan, pas l'affaire Ramadan, pas l'affaire… Non, bien sûr que non,
10:57mais justement moi je trouve ces affaires trop graves pour être mis sur le même pied
11:00qu'une proposition isolée déplacée qui s'est fait rembarrer par exemple.
11:03Mais la question c'est, ne pensez-vous pas que c'est trop tôt votre livre ? En gros,
11:07on est encore dans cette phase de révolution où il y a des excès ? Vous dites, on a
11:14pris le pouvoir les féministes, vous êtes sûre que vous avez le pouvoir déjà ?
11:16Non, mais encore une fois, on a beaucoup plus de pouvoir qu'avant, et tant mieux, mais
11:21le livre, clairement, plaide pour cette parole continue à être entendue, à être écoutée,
11:26à être prise au sérieux, et quand vous dites que c'est trop tôt, j'ai mis beaucoup
11:30de temps à écrire ce livre et effectivement, par exemple, quand on m'a proposé de signer
11:34un jour un manifeste qui s'est retrouvé mal nommé pour la liberté d'importuner
11:41dans le journal Le Monde, moi j'ai refusé de le signer et j'ai été très choqué
11:44par ce texte qui arrivait réellement trop tôt.
11:46Aujourd'hui, encore une fois, je recueille tellement de paroles de gens, mais licenciés
11:52du jour au lendemain.
11:53Quand on est progressiste, on tient un peu aux droits du travail.
11:55Aujourd'hui, on utilise le féministe pour bafouer le droit du travail, pour bafouer
12:00la présomption d'innocence, et encore une fois, pour se comporter parfois dans un dégagisme
12:04un peu règlement de compte, de façon tyrannique.
12:07Je préfère que ce soit du féminisme que vienne le fait de dire « ça, ça n'est
12:11pas du MeToo », donc ne salissez pas MeToo avec ça, plutôt que ça vienne de ceux qui
12:16sont contre MeToo.
12:17On comprend votre objectif, mais vous savez aussi qu'en choisissant les mots que vous
12:19avez choisis dans ce livre-là, ça va faire réagir, vous dites d'ailleurs « je veux
12:22le débat », donc très bien.
12:23Les mots sont forts quand même.
12:25Quand vous écrivez, de nos jours, il suffit d'une seule rumeur devenue publique pour
12:28salir un être à jamais, le risque étant de voir basculer MeToo en un tribunal expéditif
12:33et cette belle révolution versée dans la terreur, elle a déjà commencé, la terreur,
12:38elle a déjà tué, des hommes et des œuvres, elle promet déjà de générer rejet et retour
12:42de bâton, au risque même de flatter la nostalgie pour l'ancien monde et sa culture de l'impunité.
12:47Des gens ont déjà été tués, exécutés ?
12:50Il y a déjà un chef cuisinier qui s'est suicidé après avoir été mis en cause.
12:54Je le dis dans le livre, je reviens dans le détail de chaque affaire, dans le contexte
12:58de chaque affaire.
12:59C'est peut-être sa conception de l'honneur, c'est peut-être ses propres remords et
13:02regrets qui l'ont poussé à commettre cet acte.
13:04Mais on ne peut pas faire comme si lorsque nous, journalistes, nous mettons en cause
13:08un nom d'une personnalité sur la place publique, ça n'avait aucune conséquence.
13:12Les morts sociales, peut-être qu'elles ne sont que de 10 ans ou de 20 ans pour certains,
13:16mais elles existent.
13:17Regardez ce qui est arrivé à Ibrahim Malouf, il a passé 6 ans à s'expliquer sur des
13:20faits et je vois que quand la polémique revient et qu'il est désinvité d'un juré de
13:25festival, je suis frappée mode voir que les journalistes ne rappellent pas les faits et
13:30ne rappellent pas le détail de la cour d'appel que j'ai lu attentivement.
13:33Et moi c'est parce que j'ai lu attentivement la cour d'appel, comme je l'ai fait dans
13:37chaque affaire pour ce livre, où je suis allée regarder chaque élément d'une instruction,
13:41d'un contexte, pour me demander si quelqu'un devait être mis à l'écart socialement
13:46par principe de précaution.
13:47Et je vais vous dire, il y a des inmunisations qui ne me posent pas problème.
13:50Moi je ne suis pas sûre, comme réalisatrice, avoir, si on m'en l'avait proposé, c'est
13:54pas le cas, de travailler avec Gérard Depardieu.
13:55Il y a des précautions selon le degré de gravité et du risque de récidive qui est
14:02un critère qui n'est jamais pris en compte.
14:05C'est-à-dire que dans nos débats, c'est la mise en cause qui compte et pour savoir
14:08si on doit accorder une seconde chance, professionnellement j'entends, on ne parle jamais du risque de
14:13récidive.
14:14Ibrahim Malouf ne présente aucun risque, il n'est pas dangereux dans un jury.
14:18Et quand il a été relaxé, ça n'est pas seulement comme parfois malheureusement la
14:22justice parce qu'elle n'arrive pas à établir les faits.
14:24C'est aussi parce qu'il a réagi.
14:26Il a lui-même reconnu qu'il s'était mis dans une situation, avec une stagiaire de
14:3014 ans, nauséabonde.
14:31Et il a lui-même alerté son équipe pour ne plus jamais se retrouver seul avec cette
14:35jeune fille.
14:36Moi c'est cette réaction, en tant que féministe, pas seulement en tant que journaliste, qui
14:40me donne envie de dire, il a quand même le droit de reprendre sa vie sociale normalement.
14:54Je suis désolée, je suis un peu émue.
14:58Je suis une ancienne victime d'inceste et d'agression, jalonnée tout au long de ma
15:06vie.
15:07Et ce matin, ça m'embête beaucoup d'entendre ça.
15:11Madame Fourest se positionne en tant que féministe, bon, ça désamorce de toute façon toute
15:18critique aussi, comme elle peut le reprocher aux femmes qui parlent.
15:26Moi ça me gêne beaucoup parce que j'ai l'impression que ce matin on discrédite toute la parole
15:31des femmes.
15:32Alors évidemment qu'il faut hiérarchiser, mais ce n'est pas le moment là.
15:38Je suis désolée, mais moi ce que j'observe c'est beaucoup de femmes qui se taisent encore.
15:42Et la nuance vous blesse ?
15:44Non mais la nuance, on n'est pas dans le moment de la nuance.
15:48Et puis il y a une justice, il y a une justice pour établir tout ça, quand les femmes osent
15:55parler, quand on ose aller au-delà de l'omerta qu'on nous met sur la tête et qui est bien
16:04présente encore.
16:06Moi là, ça me gêne beaucoup, je suis désolée, on ne peut pas avoir ce discours-là pour
16:11quelques raisons que je crois.
16:12Madame, est-ce que je peux vous inviter à lire ce livre ?
16:13Alors merci Laurence pour votre intervention, mais Caroline, il faudrait soit dialoguer
16:18avec vous.
16:19Moi je vais vous dire ce que vous venez de dire madame, ça me brise en mille morceaux
16:23en fait.
16:24Parce que le combat, pour essayer de dire, et c'est ce que je dis dans ce livre, qu'il
16:27ne faut pas mettre tout sur le même niveau, c'est certainement pas pour empêcher la parole
16:31des femmes qui ont été agressées sexuellement et victimes d'inceste.
16:34Depuis que j'ai 12 ans madame, dans mon collège, quand j'ai commencé à voir que mes amis
16:39n'avaient pas forcément le même père que moi, c'est la source de mon engagement de
16:42faire que cette parole puisse être entendue.
16:44J'ai accompagné des femmes victimes de viols qui n'ont pas pu porter plainte toute ma vie,
16:49et je continuerai à le faire toute ma vie.
16:52Parce que je ne crois pas moi qu'un hashtag MeToo et que quelques débats sur le cinéma
16:56français suffit justement à purger la conversation que nous devons avoir sur la racine de tous
17:01ces mots.
17:02Et la racine de tous ces mots c'est la pédocriminalité.
17:05Et la racine de tous ces mots c'est les viols qui brisent des êtres dès l'enfance et qui
17:09font qu'ils reproduisent des comportements de mise en danger, d'addiction, de violence.
17:14Et donc madame, s'il vous plaît, je sais qu'on vient dans une société polarisée
17:17où on n'a plus le droit de débattre dans la nuance.
17:20Mais ne croyez pas que quand on dit « ne mettez pas sur le même plan » une proposition
17:24déplacée, et ce que vous, vous avez vécu madame, c'est pour nier ce que vous, vous
17:28avez vécu.
17:29C'est le contraire.
17:30C'est pour dire que ce que vous, vous avez vécu, c'est grave, que ça mérite un débat
17:33approfondi, prolongé, qu'on ait besoin de penser que ça se passe dans toutes les familles,
17:38dans tous les milieux sociaux, dans toutes les classes sociales, qu'on arrête peut-être
17:42de croire que c'est aussi grave, ou que ça mérite le même traitement ou la même réaction
17:47qu'une maladresse, une proposition déplacée que l'on peut remettre à sa place.
17:52Non.
17:53L'inceste et le viol en enfance, c'est pas pareil.
17:54Laurence, vous souhaitez réagir ?
17:56Écoutez, moi je ne peux pas m'exprimer aussi bien que madame Fou, reste surtout dans l'état
18:02émotionnel dans lequel je suis là.
18:05Mais je pense que parler comme ça à une victime qui est en plein psychotrauma, si
18:10vous avez accompagné plein de femmes, je pense que c'est totalement délétère.
18:14Et je pense qu'aujourd'hui, ça commence toujours, toujours par une proposition déplacée.
18:19Et je ne suis pas d'accord avec ce discours, on n'en est pas là, loin de là dans la société.
18:25Alors peut-être dans dix ans, dans vingt ans, dans trente ans, je ne sais pas dans
18:28quelle temporalité, on pourra parler de nuances, et moi dans mon quotidien, je ne rencontre
18:34pas beaucoup de gens qui ne font pas la différence entre un viol, une agression sexuelle ou un
18:39propos déplacé.
18:40Ce n'est pas vrai, ça je ne le vois pas.
18:42Par contre, tenir ce raisonnement-là, pour moi, de toute façon, ça discrédite la parole.
18:50Parce que ça met, de toute façon, ça réembraye sur le doute, sur ce que disent les femmes,
18:59et on ne peut pas dire à quelqu'un qui a subi quelque chose, qu'il a subi quelque chose de grave.
19:07Est-ce que je suis en train de faire là, Madame Fourette, que je ne discute pas ?
19:11Je suis en train de discuter avec vous, ce n'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec vous que je ne discute pas.
19:16Je suis en train de vous expliquer ce que je ressens, moi, par rapport à votre propos en tant que victime.
19:23Voilà, maintenant, je suis désolée si on n'est pas d'accord.
19:26Merci, Laurence, merci à vous d'être intervenue à l'antenne d'Inter.
19:32Encore un mot, Caroline Fourette ?
19:35Vous voyez bien, c'est d'ailleurs là, c'est plus une responsabilité journalistique, honnêtement,
19:38parce que moi, je ne suis pas sûre qu'on ne soit pas d'accord.
19:41Je n'ai pas vu de désaccord dans ce qu'on disait.
19:43J'ai vu juste opposé à un propos intellectuel, un ressenti de victime.
19:48Et ça, c'est tout, ça résume toute nos sociétés.
19:51En fait, c'est qu'on ne peut pas opposer au fait de chercher une règle collective,
19:55une éthique collective pour savoir quel cas on doit médiatiser ou pas.
19:58Un débat qui ne repose que sur l'émotion et sur le fait d'avoir été victime.
20:01Parce que du coup, forcément, le débat, c'est qui est le plus victime ?
20:04Et ça, c'est valable pour tout.
20:05Ce n'est pas que sur ce sujet.
20:06Si le débat, c'est qui est le plus victime ?
20:08Il n'y a pas de débat possible.
20:10Encore une fois, il ne s'agit absolument pas de dire aux victimes d'agressions sexuelles de se taire.
20:15Personne n'a jamais dit ça et certainement pas ce livre.
20:18C'est le contraire.
20:18Et certainement pas à vous, Caroline Fourette, vous ne le dites pas.
20:21Et c'est pour ça, c'était important pour nous de rappeler tous vos combats.
20:24Et notamment, vous avez été la première et la seule à mettre en cause Tariq Ramadan en 2004,
20:29il y a 20 ans, quand personne ne vous croyait.
20:31Donc, il ne s'agit pas.
20:33Il s'agit aussi de revendiquer la nuance.
20:34Mais ce qu'elle dit, Laurence, c'est sans doute ressenti par...
20:38Peut-être qu'on est encore dans le moment du ressenti, en fait, peut-être ça.
20:41Oui, mais même ce ressenti peut continuer.
20:43Ce n'est pas la question.
20:44La question, c'est est-ce que parce qu'on a été victime d'agressions sexuelles ?
20:47Moi, j'ai à mes conférences des gens qui viennent, qui sont victimes d'agressions sexuelles
20:51et qui l'ont été et qui continuent à se battre, mais qui comprennent et qui admettent
20:55que ce n'est pas une raison pour empêcher Caroline Ressalmon, médiâtre, pédiâtre,
20:58légiste, féministe, qui se bat depuis 50 ans pour aider ses femmes, de travailler.
21:02Parce que la jeune génération, et ça, pardon, c'est un débat qui concerne victime, pas victime,
21:07ça concerne tout le monde.
21:08Est-ce qu'un examen gynécologique, même ressenti douloureusement par quelqu'un, est un viol ?
21:14Vous écrivez au slogan « Je te crois », il vaut mieux dire « Je t'écoute ».
21:19Ça aussi, ça peut interroger.
21:22C'est-à-dire que je t'écoute, mais je ne te crois pas automatiquement.
21:26C'est ça que vous voulez dire.
21:27Je t'écoute, et avant de te croire, je suis obligée quand même d'examiner un certain
21:30nombre de faits.
21:31Et j'écoute aussi, peut-être, oui, des fois, la parole de l'accusé.
21:35C'est venu d'une affaire très concrète, l'affaire 50-50.
21:37Un collectif dans le cinéma qui s'est créé pour porter la parité, pour dénoncer les
21:42violences.
21:43J'en étais sympathisante.
21:44Et comme beaucoup, comme d'autres, comme Agnès Jaoui et d'autres, comme les fondatrices
21:47de ce collectif, j'ai assisté à quelque chose d'ahurissant.
21:50C'est qu'une partie de cette association, au nom d'un « Je te crois » absolu qui
21:55ne veut même pas examiner des faits auxquels ils ont assisté, c'est-à-dire une soirée
22:00avec 25 personnes autour d'un buffet où une comédienne a sédit victime d'une agression
22:05sexuelle de la part d'une productrice féministe elle-même, victime de violences il y a des
22:09années, qu'elle a accusée pour un geste furtif que personne autour n'a vu.
22:14Elle est allée déposer plainte et cette productrice a passé 72 heures en garde à vue pour un
22:18geste que personne n'a vu, personne n'a entendu et qui lui a valu d'être là aussi
22:22de traverser l'enfer.
22:23Et pourtant, les gens qui étaient dans la même pièce et qui le soir même, les procédures
22:27bournatestes, ont dit « mais, c'est peut-être, elle t'a peut-être mis la main dans les
22:31cheveux, t'as peut-être posé la main sur la cuisse, mais l'intention était plutôt
22:35d'ailleurs indifférente sur le fait d'aller fumer dans la cour, donc ça n'avait rien
22:37à voir ».
22:38Mais parce que le « Je te crois » ne peut plus même être discuté, on n'a même
22:41plus le droit aux doutes cartésiens, qui est quand même à la base de notre démocratie,
22:44ils sont allés, une partie de l'association, soutenir cette plainte qui a mis à mort socialement
22:48une autre femme.
22:49Je suis désolée, le féminisme c'est lutter contre l'injustice et l'abus de pouvoir.
22:53On ne peut pas se servir de mitou pour être tyrannique, pour refuser le droit du travail,
22:57pour refuser le droit à la seconde chance et même pour refuser de dialoguer entre femmes
23:01du fait que, ou pour faire croire que vouloir éviter de briser des vies et de briser des
23:08êtres, c'est être du côté du refus de l'écoute des victimes.
23:11C'est dégueulasse, pardon de vous le dire, c'est dégueulasse de présenter les choses
23:14comme ça.
23:15Et je suis peut-être la seule à oser dire que je ne me laisserai pas faire si on me
23:18fait ce genre de procès d'intention.
23:19Oui, oui, vous n'êtes peut-être pas la seule, mais il n'y en a pas beaucoup.
23:23Mais moi je vois beaucoup de gens qui viennent me dire « mais on est tous d'accord en fait,
23:25on est d'accord que bien sûr il faut ça », mais personne n'ose le dire.
23:28Même dans le cinéma français, beaucoup de gens pensent qu'il faut continuer à examiner
23:33les comportements tyranniques, abusifs de gens qui pensent que leur autorité, leur
23:37toute puissance leur permet tout et de mélanger les genres et d'en abuser.
23:41Mais il ne faut pas non plus éviter une conversation qui est de dire, encore une fois, on ne peut
23:46pas à la moindre accusation, à la première accusation, au nom d'un, je te crois, dogmatique
23:51et absolutiste, mettre à mort socialement les gens ou mettre à mort le droit du travail.
23:55En tout cas les auditeurs sont très partagés Caroline Fourest sur l'application d'Inter.
24:00Nathalie, vous remercie et merci Caroline Fourest.
24:03Il faut de la nuance, on doit toujours être dans le moment de la nuance.
24:07Et Laurence partage, elle, la parole de notre auditrice avec laquelle vous avez dialogué
24:13et estime que votre livre renvoie la parole des femmes dans l'ombre.
24:16Mais elle l'a lu parce qu'il vient de sortir ce matin.
24:18Il vient de sortir, c'est exactement ce que j'allais dire.
24:19Non mais il faut le lire.
24:20Il faut le lire, exactement.
24:21Parce qu'il y a beaucoup d'autres choses encore dont on n'a pas parlé.
24:24Au moins, on peut dire que vous y allez.
24:29Dans le livre, vous vous mettez à nu, vous prenez le risque de prendre des coups, mais
24:35vous y allez.
24:36Et vous prenez le risque de la nuance aussi.
24:38Et vous prenez le risque de la nuance.
24:39Je ne sais pas si on a le droit aujourd'hui.
24:40Je vais vous dire, on vit dans une époque malheureusement tellement polarisée où encore
24:44une fois l'émotion recouvre toute possibilité de raisonner que peut-être qu'on vit les
24:50dernières années où un livre peut encore permettre d'avoir une conversation plus élaborée
24:53sur des questions délicates qui méritent pourtant, franchement, je le pense, ces nuances.
24:57Le Vertige Me Too, publié aux éditions Grasset en librairie donc aujourd'hui.
25:03Merci Caroline Forrest d'avoir été à notre micro ce matin.

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