Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, était l'invitée du Grand entretien de France Inter ce jeudi. Elle publie "Journal de la fin de vie", aux éditions Fayard. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-20-mars-2025-1183661
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons donc un médecin en soins palliatifs qui exerce
00:05à Narbonne et qui préside la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs.
00:11Elle publie « Journal de la fin de vie, l'état, la mort et le tragique » aux éditions
00:17Fayard.
00:18Vous pourrez dialoguer avec elle dans quelques instants au 01 45 24 7000 et sur l'application
00:25de Radio France.
00:26Claire Fourcade, bonjour !
00:27Bonjour !
00:28Et bienvenue sur Inter, alors que le débat sur la fin de vie revient bientôt à l'Assemblée
00:33Nationale.
00:34Avec finalement deux textes, le premier relatif aux soins palliatifs et le second portant
00:40sur l'aide à mourir, nous voulions donner la parole à celle qui incarne les soins
00:46palliatifs en France.
00:47Claire Fourcade, vous retracez dans ce journal de la fin de vie le long débat, l'évolution
00:52législative sur cette question qui a commencé en 2021 avec la proposition de loi Falorni.
00:59Dites-nous pour commencer, pourquoi vous avez tenu à garder une trace écrite de ce combat
01:06et du cheminement de vos réflexions pendant ces quelques années de bataille politique,
01:12éthique, médicale ?
01:13Alors d'abord c'est parce que je partage ma vie avec un historien et qui dès le début
01:17m'a dit « il faut garder une trace, c'est un débat important, c'est un débat de société
01:21et qui m'a dit tu dois garder une trace ». Parce qu'en fait je mène depuis 5 ans
01:23une double vie, entre le service où je travaille, l'équipe où je travaille à Narbonne,
01:28dans l'eau, d'un département rural, un département très pauvre et où je travaille
01:31depuis 25 ans.
01:32Et puis depuis 5 ans, c'est cette position de président de l'ASFAP qui dans le contexte
01:36du débat m'a mis au contact d'un monde dont j'ignorais tout.
01:40Et donc voilà, c'est parfois ce contraste et parfois tellement saisissant que j'ai
01:45voulu garder cette trace.
01:46Vous racontez que c'est un peu voyage en terre inconnue.
01:49Comment effectivement vous êtes reçue dans les cabinets ministériels, vous êtes sur
01:53tous les plateaux télé, vous débattez, vous réfléchissez, vous ferraillez.
01:56Vous vous décrivez vous-même comme, vous l'écrivez, Bécassine à la capitale, n'ayant
02:02pas les codes médiatiques et politiques pour ça.
02:04En fait, on a l'impression que vous avez découvert en 5 ans, bon gré, mal gré, la
02:10vie de femme politique.
02:11Plutôt mal gré et pas de femme politique, je ne dirais pas ça, mais en tout cas ce
02:14monde-là.
02:15La nécessité aussi, je crois que pour les soignants, ce débat, progressivement, on
02:20a pris conscience du fait que si on voulait que le réel soit présent dans ce débat,
02:24dans cette discussion, si on voulait que les Français ou les députés, quand ils débattent
02:27de ces sujets, puissent savoir ce qui se passe réellement près des personnes en fin de
02:32vie, près de leurs proches, quand on les accompagne, on se dit que c'est important
02:35qu'on prenne la parole.
02:36Nos patients le font peu ou pas, forcément, et on ne peut pas parler pour eux, mais par
02:40contre, on peut témoigner en tout cas de ce qu'on entend, de ce qu'on vit, de ce
02:43qu'on écoute.
02:44Et vous écrivez dans le livre, ce qui vous agace parfois, quand, dans un plateau télé,
02:48vous entendez certains parler, vous écrivez, notamment à un plateau télévisé de France
02:52Info, vous y êtes au milieu de plusieurs partisans de l'évolution de la loi, Marina
02:56Carrière-Dancos, Jean-Luc Romero, et vous écrivez, vous parlez, vous parlez, mais sur
02:59ce plateau, je suis la seule qui regarde la mort en face au quotidien.
03:02Donc, vous aviez envie de dire, de témoigner, de dire « moi je le vois tous les jours »,
03:09c'est ça ?
03:10Ce compagnonnage avec la maladie grave et avec la mort, il transforme.
03:13Il nous transforme tous de l'intérieur, il nous convoque, c'est vraiment un engagement
03:17fort.
03:18Et c'est important, il n'est pas seulement question d'idées, même s'il est aussi
03:23question d'idées, mais ce n'est pas seulement des idées, ce n'est pas seulement des concepts,
03:26ce n'est pas seulement des grands mots, c'est aussi le réel, la réalité, puisque
03:29si la loi change, qu'est-ce que ça change dans le réel aussi ? Qu'est-ce que ça change
03:32pour les patients, pour les soignants, pour la relation entre nous ?
03:35Et trouvez-vous de manière générale, depuis 4 ans, que le débat sur la fin de vie a été
03:41de bonne tenue ? Vous parlez dans l'avant-propos d'un débat dense, riche, donnant leur place
03:47aux 50 nuances de gris qui font la complexité des questions qui entourent la fin de vie,
03:54mais aussi un débat difficile, long et parfois tendu.
03:58Il y a eu un avis du comité d'éthique, une convention citoyenne, de longs débats
04:03parlementaires, qu'on soit partisans ou opposants.
04:06Diriez-vous au moins qu'on a pris le temps de la réflexion approfondie ?
04:10Absolument.
04:11Je pense que les Français qui souhaitent être informés sur ce sujet ont eu l'occasion
04:16d'entendre.
04:17C'est toujours difficile et ce n'est pas un débat simple, mais en tout cas, oui, je
04:21crois qu'on a eu le temps et c'était vraiment le 8 avril 2021, il y a eu un débat parlementaire
04:27très court, très violent, très dense et très difficile où on s'est dit « ce débat-là
04:31ne doit pas se reproduire dans les mêmes conditions ». Et je crois que là, on a eu
04:34le temps et la possibilité de se faire entendre.
04:37Lors de la convention citoyenne, qui a réuni des gens venant de partout, avec des idées,
04:44avec des parcours, venant d'âges, de classes sociales différentes, de la ville, de la campagne,
04:51ils ont voulu rassembler un échantillon très large et certains n'étaient pas favorables
04:56à l'évolution de la loi.
04:57Ils ont changé d'avis au fil de la convention citoyenne.
05:00Vous, Claire Fourcade, on vous présente souvent dans les médias comme la première des opposantes
05:04à l'évolution de la loi, au suicide assisté, à l'euthanasie.
05:08À vous lire dans ce livre, on a l'impression que vous n'avez pas évolué.
05:12En revanche, ou alors qu'au contraire, ça a confirmé vos convictions ?
05:17Ces mois de débat ?
05:19Je ne crois pas que ce soit des convictions, c'est plutôt la place du réel.
05:25Effectivement, je pense que je continue d'avoir des craintes sur la façon dont on pourra
05:33continuer d'accompagner ces patients, de les écouter, la liberté avec laquelle on pourra les écouter,
05:38l'impact sur la relation de soins.
05:40Je travaille depuis 25 ans à essayer de construire une relation de soins équilibrée avec les patients,
05:45qui a diminué le pouvoir du médecin.
05:49Et moi, je vois venir un projet de loi, en tout cas dans le volet sur l'euthanasie et le suicide assisté,
05:55qui donne énormément de pouvoir au médecin.
05:57Je pense que tout le travail qu'on fait, c'est de rééquilibrer cette relation-là pour pouvoir accompagner chaque patient.
06:03On va y venir à cette proposition de loi, vous y êtes opposés à l'évolution de la loi.
06:07Vous pensez que la loi Claes Leonetti suffit.
06:10Mais juste, on voulait aussi parler de ce qui est l'autre pan de votre vie,
06:14parce que tous les jours, vous êtes en prise avec la mort, comme vous dites, c'est les soins palliatifs.
06:18Votre combat a toujours été de faire connaître et de développer les soins palliatifs.
06:21Et de ce point de vue-là, cette partie du texte, presque tout le monde est d'accord.
06:24Il va y avoir un milliard de plus qui va être dépensé pour les soins palliatifs.
06:28Vous parlez des soins palliatifs comme de soins subversifs avec une dimension utopique.
06:33Les soins palliatifs sont nés dans une contestation du système de soins d'une médecine extrêmement technique
06:39qui oublie parfois les personnes qui soignent des maladies, qui est de plus en plus performante,
06:44mais qui parfois oublie qu'on ne soigne pas seulement un foie ou un pancréas,
06:47mais qu'on soigne une personne dans sa globalité.
06:49Et que la maladie, ça ne fait pas seulement souffrir physiquement,
06:51mais ça fait aussi souffrir psychiquement, socialement.
06:54Et les soins palliatifs sont venus d'abord questionner le système de santé,
06:57la façon dont on soigne, et dire, est-ce qu'on peut aller dans cette médecine qui oublie
07:01qu'elle soigne des gens ? Et du coup, on reste, je pense, dans la médecine,
07:06un petit aiguillon qui vient redit régulièrement, il faut prendre soin globalement des personnes.
07:11Claire Fourcade, vous écrivez aussi, dans une société qui valorise le contrôle, le pouvoir et la force,
07:16les soins palliatifs sont un éloge de la lenteur et un aveu de faiblesse.
07:22Et ils en sont fiers. Expliquez-nous là aussi.
07:25Quand on choisit de travailler en soins palliatifs, contrairement à peut-être tout le reste de la médecine,
07:30à aucun moment on ne peut promettre à nos patients la guérison, ou même l'espoir de la guérison.
07:34Ce qu'on peut leur promettre, c'est qu'on va être avec eux jusqu'au bout, quoi qu'il arrive.
07:37Qu'on ne les laissera pas tomber et qu'on fera tout pour les soulager.
07:40C'est ce qui est écrit dans la loi, je pense que trop peu de gens le savent.
07:43On a l'obligation, par la loi, de tout mettre en œuvre pour soulager, même si ça doit raccourcir la vie.
07:48On ne doit renoncer à rien pour soulager.
07:51Et pour soulager physiquement, pour soulager psychiquement, pour soulager aussi les proches,
07:55on ne doit renoncer à rien, même si ça doit raccourcir la vie.
07:57Et ça, c'est très important, c'est une promesse qu'on fait aux patients et c'est une promesse qui rassure.
08:02Ce sont aussi des services durs, où on est confronté à la mort au quotidien,
08:06d'où des difficultés de recrutement persistantes.
08:09Aujourd'hui, la médecine palliatif continue à faire peur.
08:12Peu de soignants, au fond, s'engagent dans cette voie-là.
08:15Alors, ce n'est pas tout à fait ça.
08:17En fait, le système de santé a du mal à recruter, mais pas spécialement les soins palliatifs.
08:21Et au contraire, des équipes qui sont plus stables, qui sont moins malades, où il y a moins d'absentéisme.
08:25C'est des équipes qui sont extrêmement soudées.
08:27Alors, c'est vrai que ce qui est difficile, ce n'est pas la mort, c'est la répétition de la mort.
08:31C'est des services où on est confronté à la mort de façon répétée,
08:35mais où aussi, on a pensé le travail en équipe.
08:37C'est un métier qui est impossible de faire sans une équipe.
08:40On ne peut pas être un médecin seul ou une infirmière seule.
08:42On a besoin du regard.
08:43On croise nos regards pour comprendre toutes ces dimensions de la souffrance.
08:46On travaille en équipe.
08:47On prend soin des équipes, des groupes de parole, de supervision, d'écriture.
08:50Dans l'équipe où je travaille, il y a un groupe d'écriture, les soignants écrivent.
08:53On écrit ensemble et ça construit des équipes extrêmement solides
08:57et où plus souvent les soignants restent, au contraire.
08:59En ce moment, on a deux jeunes internes dans notre équipe, incroyables,
09:03et qui sont passionnés par cette médecine-là.
09:05Donc non, c'est une médecine qui peut attirer aussi,
09:07même si on entend bien que c'est particulier comme choix.
09:10Oui, c'est particulier.
09:11C'est particulier d'affronter la mort tous les jours,
09:14de surmonter les peurs de l'inconnu et de tout le reste.
09:17Est-ce qu'on apprend ça ?
09:18Au-delà des études de médecine et de savoir ce qui soulage ou pas physiquement ?
09:23On ne l'apprend pas du tout dans les études de médecine, malheureusement, pas du tout.
09:26C'est en moyenne 7 heures de formation sur 10 ans pour la douleur et les soins palliatifs.
09:30On l'apprend au contact des patients, les patients sont nos maîtres,
09:33c'est eux qui nous apprennent.
09:34On apprend beaucoup sur la vie, on apprend beaucoup sur soi
09:36et puis on continue d'avoir peur de la mort.
09:39Vous avez peur de la mort, vous ?
09:41Bien sûr, bien sûr.
09:43Parce qu'en plus, je crois qu'on a la difficulté de savoir ce qu'elle peut faire.
09:48Peut-être, je vais vous dire, mon mari est atteint depuis plusieurs années d'un cancer du poumon
09:53et donc je suis aussi dans cette position d'accompagnant, pas seulement de soignant
09:57parce qu'être médecin, ça ne protège pas ni soi ni ses proches.
10:00Et on voit bien comme ça fait peur aussi.
10:03Et puis comme on est confronté à la médecine dans sa difficulté, parfois sa violence.
10:06Et donc voilà, c'est cette confrontation qui est compliquée
10:10et qu'on essaye d'adoucir pour les patients.
10:11Et je crois que cette expérience a fait de moi un médecin qui écoute davantage
10:15et qui essaye de prendre encore davantage soin.
10:17Claire Fourcade, au cœur de votre engagement, il y a aussi votre foi.
10:20Vous en parlez ouvertement dans le livre « Je suis croyante et alors ? ».
10:25D'abord, contrairement à une opinion largement répandue, cela ne me dispense pas de penser.
10:31Écrivez-vous, mais dites-nous plus précisément, quel rôle joue votre foi
10:36dans ce choix professionnel de l'accompagnement à la mort
10:40et dans votre positionnement aussi contre l'aide active à mourir ?
10:45Peut-être au risque de vous surprendre, je serais tentée de dire presque rien.
10:49Je pense que ma foi m'a construite comme je suis, comme personne.
10:55Mais par contre, ce qui a conduit mes choix, c'est la rencontre avec des patients.
10:58C'est des services où je suis passée quand j'étais étudiante.
11:00Et c'était surtout de voir comment la médecine avait parfois abandonné
11:05les personnes atteintes de maladies graves.
11:07Et l'idée qu'on doit pouvoir faire mieux.
11:09Quand on voit des gens qui souffrent, des gens qui sont seuls,
11:11on peut se dire qu'ils voudraient mieux mourir que de vivre ça.
11:14Mais on peut aussi se dire qu'on doit pouvoir faire autrement.
11:16C'est pour ça qu'il y a cette dimension utopique des soins palliatifs.
11:18C'est l'idée qu'on peut transformer, qu'on peut accompagner, qu'on peut être là
11:21et qu'on peut être dans une société qui prend soin aussi.
11:24Alors, sur la fameuse proposition de loi pour l'aide à mourir,
11:31je mets de côté le volet désormais, le texte sur les soins palliatifs,
11:35puisqu'il a été scindé en deux.
11:37C'est François Bayrou qui a imposé que cette loi soit scindée en deux,
11:40contrairement à ce qui était prévu à l'origine.
11:42Pour les partisans de l'aide à mourir et du suicide assisté, c'est une trahison.
11:47Parce qu'ils disent que tout le monde va voter sans problème le texte soins palliatifs.
11:51Mais sur l'aide à mourir, c'est loin d'être gagné.
11:53En fait, ils disent que vous avez gagné le combat idéologique. C'est bon.
11:58Alors, en tout cas, sur la partie sur les soins palliatifs,
12:00je suis d'accord avec vous sur le fait que...
12:03J'espère peut-être qu'un vote à l'unanimité,
12:05je trouve que dans la situation même globale où on est,
12:08ça serait un beau message.
12:10Ça a changé complètement la façon dont on travaille avec le gouvernement.
12:13Ça, je tiens à le dire.
12:14C'est-à-dire qu'on est au travail pour voir qu'est-ce qu'on peut faire évoluer,
12:18comment on peut faire pour que ce soit le plus efficace.
12:20Ça a changé de façon très importante.
12:22Je ne m'y attendais pas.
12:23Mais voilà, on travaille dans des conditions...
12:24François Bayrou partage vos convictions.
12:26Alors, on travaille avec le ministère de la Santé.
12:28Mais en tout cas, ça a changé la façon de travailler.
12:30Ça, c'est sûr.
12:32Il me semble que reconnaître qu'effectivement,
12:34sur la partie qu'on appelle l'aide active à mourir,
12:36moi, je n'aime pas trop ce terme parce que moi, je fais aussi de l'aide active à mourir.
12:39En tout cas, sur cette partie-là, ce qui est sûr, c'est que c'est plus clivant.
12:43Et ça me paraît important que les députés puissent exprimer aussi des différences.
12:47On n'est pas obligés d'être du même avis sur les deux sujets.
12:49C'est plus clivant, certes, sauf quand on regarde les sondages.
12:5180% des Français sont favorables au suicide assisté, à l'aide active à mourir.
12:57Comment vous réagissez quand vous voyez les sondages ?
12:58Ça ne vous interroge pas ?
12:59Alors, bien sûr, à la fois, ça m'interroge et en même temps, je le comprends.
13:03C'est-à-dire qu'en France, actuellement, 50% des patients qui en auraient besoin
13:07n'ont pas accès aux soins palliatifs.
13:09Ça veut dire que tous les jours en France, il meurt 500 personnes qui auraient dû être
13:12soulagées, accompagnées, leurs proches auraient dû être soulagées, accompagnées et qui
13:15ne l'ont pas été.
13:16Et donc les Français, ils ont une crainte légitime de la façon dont ils envisagent
13:20leur fin de vie.
13:21Ce qui me questionne, moi, c'est l'écart qu'il y a entre ce que disent les Français
13:24quand on les interroge, les Français en bonne santé, et ce que disent nos patients.
13:26Parce que moi, depuis 25 ans, dans l'équipe où je travaille, on a accompagné 15 000
13:31patients et on a eu trois demandes persistantes d'euthanasie.
13:35Ça veut dire que le fait d'être accompagné, ça veut dire aussi que sur ces demandes-là,
13:39il y a une immense ambivalence.
13:41C'est compliqué.
13:42Peut-être, sans doute, il y a de l'ambivalence, mais c'est vrai aussi que, par exemple,
13:45la Belgique dit que chaque année, il y a de plus en plus de demandes, de dossiers déposés,
13:49notamment de dossiers qui viennent de la France, ce n'est pas trois personnes.
13:52Les chiffres sont sortis hier de la Belgique, les chiffres récents, c'est 110 patients
13:56pour l'année dernière.
13:57Pour les Français, il y a 4000 dossiers de manière générale en Belgique, c'est ça
14:02le chiffre.
14:03Passons aux standards d'intérêt, il y a énormément de questions aujourd'hui.
14:08Sylvie, bonjour.
14:09Bonjour.
14:10Vous nous appelez de Montpellier et on vous écoute.
14:13Est-ce que le fait que la loi sur l'euthanasie active soit bloquée ne ressemble-t-il pas
14:22à la loi sur l'avortement et ne contraint-il pas les gens qui veulent mettre fin à leur
14:27jour à se suicider de façon, je dirais, artisanale ou sauvage et dramatique ? J'ai
14:33plusieurs exemples autour de moi et je pense que tout le monde n'a pas accès aux soins
14:38palliatifs et que cette impossibilité contraint les gens à se suicider de façon difficile.
14:46Merci Sylvie pour cette question, Claire Fourcade vous répond.
14:51Je pense madame que vous avez pointé exactement une des difficultés, c'est-à-dire que
14:55moi je trouve scandaleux qu'en 2025, des gens n'aient pas accès aux soins dont ils
14:58ont besoin et soient du coup contraints d'envisager de mettre fin à leur jour.
15:02Ce qui est important quand même de rappeler, c'est que dans les pays qui ont légalisé
15:04l'euthanasie de suicidacité, le suicide augmente, donc ça n'enlève pas.
15:09Mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est que l'absence d'accès aux soins ne devrait
15:12jamais être une raison de demander à mourir.
15:14François, au Standard Inter, bienvenue, bonjour.
15:18Oui, bonjour, je suis médecin généraliste et je voulais demander à Claire Fourcade
15:25si elle pense que son opinion sur le rôle du médecin sur l'aide aux patients en fin
15:29de vie est vraiment partagé par l'ensemble de la communauté médicale, et notamment
15:36par les médecins de terrain qui travaillent en dehors des services de soins palliatifs
15:40et pour beaucoup d'entre eux ne sont pas vraiment d'accord avec la visée de certains
15:47des représentants des médias.
15:49On vous demande l'aide active à mourir, vous l'entendez chez vos patients ?
15:54On le demande bien sûr, on le demande souvent, oui, on le demande souvent, ça c'est, moi
16:01je suis un peu de la vieille génération et tous les médecins le savent bien, ça s'est
16:09toujours fait beaucoup en soins de ville.
16:11Ça s'est fait en soins de ville ?
16:15Ça s'est fait sans le dire quoi.
16:16Pardon ?
16:17Il ne faut pas le dire mais ça se fait, c'est ça que vous dites.
16:21Oui, oui, il ne faut plus le dire, ni en parler, ni le faire maintenant, mais ça s'est toujours
16:26beaucoup fait, oui.
16:28On était avant dans une médecine beaucoup plus humaine, oui bien sûr parce que ce que
16:32disait la dame, il ne faut pas rêver et les soins palliatifs pour tout le monde, ça n'arrivera
16:36jamais parce qu'on n'aura jamais les moyens et que la plupart des gens meurent dans leur
16:41lit et il y a aussi des gens qui aimeraient mourir entourés, aidés, dans leur lit.
16:47Merci François pour cette question, Claire Fourcade vous répond.
16:52Il y avait deux choses dans la question, d'abord les gens souhaitent mourir, aidés, entourés
16:55et dans leur lit, je pense que c'est vrai et puis c'est ce qu'on essaye de faire.
16:58Sur la question de la représentativité de l'ensemble des médecins, moi je représente
17:02les acteurs de soins palliatifs, je ne prétends absolument pas parler au nom de l'ensemble
17:05des médecins, on a interrogé ces acteurs de soins palliatifs et c'est ça que je porte
17:10dans le débat public et ils sont d'une façon très, très, très majoritaire, ils disent
17:15que pour eux c'est une pratique qui va à l'encontre de leur choix.
17:19Mais Claire Fourcade, les conditions posées dans la proposition de loi pour bénéficier
17:23d'une adhérente qui va mourir sont très restrictives, est-ce que ça ne vous rassure
17:27pas ? Il faut être majeur, avoir un discernement plein et entier, avoir une maladie incurable
17:32et un pronostic vital engagé à court et moyen terme et avoir des souffrances physiques,
17:37psychologiques réfractaires.
17:39Toutes ces restrictions qui ont été écrites dans ce projet de loi, ce n'est pas un projet
17:44de loi, c'est une proposition de loi et c'est important.
17:46Ça ne vous rassure pas, vous ne vous dites pas, c'est quand même très, très encadré.
17:51Par exemple, même un malade de charcot, puisqu'on parle beaucoup des malades de charcot, où
17:56en gros ça va concerner très peu de gens, cette proposition de loi, il faut être, les
18:01Alzheimer ne sont pas dedans, il faut que ce soit un charcot mais en fin de vie, c'est-à-dire
18:07qu'un charcot qui ne pourrait pas demander cette aide active à mourir, c'est très,
18:13très encadré.
18:14Alors, ces conditions, elles sont dites strictes, mais en fait, quand on les reprend sur un
18:17plan médical, la question du discernement, c'est une question extrêmement complexe.
18:21Qui c'est qui décide qu'un patient est en capacité ? Le discernement, ce n'est
18:24pas on l'a ou on ne l'a pas, il est souvent altéré, on a souvent une capacité à consentir
18:28qui est variable selon les moments, le pronostic en moyen terme, personne n'est capable de
18:33définir ce que c'est.
18:34La HAS, il travaille depuis un an et n'arrive pas à définir ce que c'est.
18:37Donc en fait, ces conditions, elles sont dites strictes, mais pour nous qui sommes au quotidien,
18:41on sait que la médecine est incapable de faire des pronostics, toutes les études le
18:44montrent, on est très mauvais en pronostic et il faut avoir l'humilité de le reconnaître.
18:48Et donc tout ça est extrêmement complexe.
18:50Et puis peut-être, si vous me permettez, un petit mot sur les maladies de charcot.
18:52Je crois que c'est très important, parce qu'effectivement, dans le débat, elles ont
18:55été très présentes, cette maladie tellement difficile qu'il enferme dans son corps.
18:58Alors, il se trouve que je travaille dans la zone du monde où l'incidence de maladie
19:02de charcot est la plus élevée avec une zone du Japon, sans qu'on sache pourquoi.
19:05Et donc, on accompagne régulièrement.
19:09Voilà, la zone Perpignan-Narbonne est une zone où on accompagne ces patients-là.
19:14Et en fait, la loi actuelle pour ces patients-là, spécifiquement, elle est particulièrement
19:18adaptée.
19:19Parce qu'à chaque fois que des patients font des choix, et c'est notre travail de les accompagner
19:22dans ces choix.
19:23Est-ce que je veux être alimenté de façon artificielle, ventilé de façon artificielle ?
19:26On peut arrêter, la loi le permet.
19:28Ce qui est important de dire, c'est qu'actuellement, en France, c'est seulement 9% des patients
19:32atteints de maladies de charcot qui sont accompagnés par une équipe de soins palliatifs.
19:35Et ça, c'est scandaleux.
19:36Oui, mais vous dites, ils sont très bien accompagnés par la loi actuelle.
19:40Ce n'est pas ce que pense Charles Biettri.
19:42Charles Biettri, qui est atteint de la maladie de charcot, le journaliste sportif qui a écrit
19:46un livre il y a quelques semaines, et qui écrit, Nicolas, vous lisez mieux que moi
19:50« Moi, je ne demande qu'une chose, la liberté de choisir, la liberté qu'on abrège ma douleur
19:55et surtout qu'on n'oblige pas ma femme et mes enfants à assister à une longue agonie.
20:00Tout le monde aurait dû être d'accord.
20:02Malheureusement, les parlementaires se trouvaient toujours autre chose à faire.
20:06Et si la loi sur la fin de vie aura du mal à se faufiler, obligeant beaucoup d'entre
20:11nous à programmer des suicides assistés en Suisse ou en Belgique ? Quel gâchis ! Je
20:16ne demandais que liberté et dignité.
20:19» Suisse, Belgique, liberté, dignité.
20:25Je ne connais pas la situation médicale précise de Charles Biettri, mais je crois, de ce que
20:29je comprends et de ce que je vois quand je l'entends parler, que la loi actuelle en
20:33France permettrait de lui répondre.
20:34Je crois absolument que la loi permettrait de lui répondre.
20:37« Il a pris ses dispositions pour aller en Suisse. »
20:40C'est ça, mais ça arrive que des patients ne sachent pas.
20:42Quand on a des dispositifs artificiels de maintien en vie, on peut demander à n'importe
20:48quel moment de les arrêter.
20:49Notre travail à nous, c'est de mettre en place une anesthésie générale avant l'arrêt
20:52de ces dispositifs.
20:53Et les patients décèdent quand ils ont un appareil de ventilation par exemple.
20:56C'est notre travail, c'est ce qu'on fait chaque fois que les patients nous le demandent.
21:00Ça s'accompagne, ça se parle, on le leur dit avant.
21:02J'ai rencontré la semaine dernière une patiente qui vient d'être diagnostiquée
21:05d'une maladie de charcot.
21:06On a évoqué ensemble tout ce qui était possible.
21:08Elle va vivre probablement plusieurs années.
21:10On va l'accompagner si elle le souhaite pendant toutes ces années-là.
21:12On a pu parler de ce qui lui faisait peur, de ce qu'elle craignait, de ses appréhensions.
21:16Lui dire ce qui était possible.
21:17Et en tout cas, dans ma pratique à moi, je n'ai jamais eu de patients dans ceux qu'on
21:23a accompagnés qui se sont sentis obligés de partir.
21:26Je crois vraiment qu'on a les moyens de les accompagner quand la loi est connue et
21:29appliquée.
21:30Et souvent, ce n'est pas le cas.
21:32Réda, médecin hospitalier sur l'application Radio France, veut vous signaler que la loi
21:37Claes-Leonetti est bien, surtout en fin de vie gériatrique et en oncologie.
21:45Mais le neurodégénératif n'est pas couvert.
21:48Exemple maladie de charcot et maladie apparentée.
21:51Absolument si, bien sûr.
21:53Bien sûr.
21:54La loi nous dit si un patient… Il a tort, Réda.
21:56En tout cas, la loi nous dit qu'un patient a le droit d'arrêter un traitement à n'importe
22:00quel moment.
22:02Il peut dire « je ne veux plus de dispositif qui maintient en vie, je veux arrêter ».
22:05Et à ce moment-là, nous avons l'obligation de le soulager et que ça n'entraîne aucune
22:10souffrance.
22:11Et c'est ce qu'on fait.
22:12Oui.
22:13Ça interroge quand même que quelqu'un comme Charles Biettrich, qui est très bien
22:18suivi et très entouré…
22:19C'est pour ça que je vous dis que je ne connais pas sa situation médicale personnelle.
22:23Oui, mais pour le coup, il est éclairé.
22:26Il dit « j'ai pris mes dispositions pour partir en Suisse ».
22:30Et si la loi suffisait, si ça suffisait pour qu'il puisse mourir auprès de ses
22:35proches chez lui, dans son lit, à côté de ses vagues en Bretagne, il le ferait.
22:40Et donc, c'est là où on ne comprend pas bien.
22:43Vous dites « non, avec la loi actuelle Classe Léonetti, c'est suffisant et il peut « mourir
22:48sans souffrance » au moment où il le souhaite chez lui.
22:52Il lui dit « non, je suis obligé de partir en Suisse ».
22:55Voilà, peut-être, j'aimerais beaucoup le rencontrer et pouvoir échanger.
23:00Je ne connais pas sa situation médicale, donc c'est vraiment difficile de vous répondre.
23:04En tout cas, je peux seulement vous partager mon expérience et ma pratique quotidienne.
23:08Mais pourquoi refuser le choix, dès lors qu'il ne s'agit pas d'imposer à tout
23:13le monde le suicide assisté ? Pourquoi ne pas laisser simplement le choix ?
23:18Alors, l'année dernière, Agnès Firmin-Lebaudot est venue dans notre service, elle avait souhaité
23:23rencontrer des patients.
23:24Je suis allée voir une dame et je lui ai demandé si elle souhaitait la rencontrer.
23:26Et cette dame me dit « non, docteur, aujourd'hui, je suis trop fatiguée, dites-lui simplement
23:30que je ne veux pas avoir à me demander si ce serait mieux que je sois morte ».
23:32En fait, si vous voulez, ce qui est difficile, c'est que la liberté que ça donne, que
23:37je comprends tout à fait, de pouvoir se dire « si à un moment c'est trop difficile,
23:41je pourrais arrêter ». Elle prive tous les patients qui sont en fin de vie de la liberté
23:45de ne pas se poser la question.
23:46C'est-à-dire qu'à partir du moment où vous rentrez dans les critères fixés par
23:49la loi, tous les matins, vous devez décider que vous continuez à vivre parce que la société
23:53vous dit « vous pourriez choisir de mourir ». Or, la loi est d'abord un message collectif.
23:57Elle n'est pas une réponse à des souffrances individuelles, ça c'est notre boulot.
23:59Mais la loi, c'est d'abord un message collectif, ce qui dit ce que la société pense de ces
24:04situations-là.
24:05Et aujourd'hui, on a une loi qui dit à tous les patients « vous comptez pour nous,
24:09vous êtes importants et on va tout faire pour vous soulager ». Alors, on a eu un peu
24:12de mal à tout faire, mais ce message-là, pour nous soignants, il est hyper important
24:16à transmettre.
24:17Vous comptez pour nous.
24:18Merci Claire Fourcade d'avoir été au micro d'Inter ce matin, merci également aux très
24:23nombreux auditeurs.