Le film met en lumière le rôle central de l'enfance entre 1940 et 1944. Les témoignages de ceux qui étaient enfants à l'époque et les archives racontent l'emprise du régime de Vichy sur la jeunesse et l'héritage qui en a été diffusé jusqu'à nos jours : la croyance en l'homme providentiel sauveur de la Nation, la verticalité du pouvoir, la fougue nataliste, la très très lente avancée du droit des femmes... Année de Production :
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00:30…
00:40« Maréchal, nous voilà !
00:43Devant toi, le sauveur de la France.
00:47Nous t'égales, nous voilà !
00:51Maréchal, maréchal, nous voilà ! »
00:55Je chante faux, mais c'est comme ça.
00:58« Maréchal, nous voilà !
01:02Figure de la France. »
01:04Oh là là, là là là !
01:07C'est tout. J'ai un peu oublié.
01:09Je saurais chanter les premières paroles, mais je le ferais pas.
01:13« Tu as lutté sans cesse pour le salut commun.
01:16On parle avec tendresse du héros de Verdun.
01:20On a appris ça par cœur.
01:22Malgré moi, c'est resté dans ma mémoire.
01:25J'en suis pas très fier. »
01:28« Une flamme sacrée
01:31monte du sol natal.
01:34Et la France enivrée
01:37te salue, Maréchal.
01:40Tous tes enfants qui t'aiment
01:44et vénèrent tes ans.
01:47À ton appel suprême,
01:50on répond du présent. »
01:53Mais alors attendez-moi, je vous chante.
01:55Ça me revient.
01:57Et alors, vous allez faire de...
02:00Vous allez en faire quoi, là ?
02:03C'est pas bon, ce souvenir, là.
02:10Qu'est-ce que c'est, un souvenir d'enfance ?
02:12Une chanson qu'on n'oublie pas ?
02:14Une image persistante ?
02:16L'empreinte idéale d'un monde perdu ?
02:20Ils avaient entre 5 et 12 ans en 1940.
02:23La guerre et l'occupation marquaient à jamais leur vie
02:26plus qu'aucune autre génération.
02:29Pendant 4 ans, chaque jour, à l'école surtout,
02:32chez eux parfois,
02:35les enfants ont été embrigadés dans le culte
02:38de la personnalité du Maréchal Pétain,
02:41sauveur autoproclamé d'une patrie désemparée.
02:49Le Maréchal Pétain
02:51Le Maréchal Pétain
02:54Le Maréchal Pétain
03:00Fin juin 1940, après la guerre éclair de l'armée allemande,
03:04le héros de Verdin, un vieillard de 84 ans,
03:07précipite la signature de l'armistice
03:10et fait des Français un peuple de vaincus.
03:131,8 million de soldats partent comme prisonniers vers l'Allemagne.
03:18Étrange défaite après une drôle de guerre.
03:23La progression irrésistible de la Wehrmacht
03:27jette sur les routes un hallucinant cortège
03:30de militaires et de réfugiés en déroute.
03:34La première image,
03:36c'était d'abord l'exode en 1940,
03:39où il a fallu partir.
03:42Ensuite, la deuxième image,
03:45c'est quand il a fallu franchir la ligne de démarcation
03:49parce que mon père s'était évadé,
03:52donc il était en zone libre.
03:54Et à ce moment-là, on l'a rejoint.
03:57A Solignac, il y avait déjà beaucoup de monde.
04:01Je me suis retrouvée entre des Alsaciens qui parlaient alsacien,
04:05des Limousins qui parlaient patois,
04:08et moi, je parlais français,
04:11et je connaissais aucune de ses langues.
04:15Ce qui fait que je me suis trouvée à l'étranger.
04:18C'est vraiment la perception que j'ai eue.
04:22J'ai le souvenir, en 1940, de l'arrivée des premiers réfugiés.
04:27On accueillait un rabbin qui avait une longue barbe.
04:30Je me rappelle que mon père lui disait,
04:34vous n'avez pas trop chaud avec cette barbe.
04:37Après, je me rappelle beaucoup de choses.
04:40La mémoire enregistre très bien cet âge-là.
04:45Dans une nation en train de sombrer,
04:48Pétain annonce le 17 juin faire don de sa personne à la France
04:53et se présente en dernier rempart.
04:56Le maréchal arrache aux députés les pleins pouvoirs le 10 juillet
05:00et déclenche sa révolution nationale.
05:03Il commence par accuser les Français d'être responsables de leur malheur.
05:07L'esprit de jouissance, dit-il, a détruit
05:11ce que l'esprit de sacrifice a édifié.
05:15Les plus jeunes, garçons et filles, deviennent les instruments
05:18de ce tour de passe-passe orchestré par le maréchal
05:21qui transforme la catastrophe nationale
05:24en une chance inespérée de régénérer le pays.
05:31On utilise leur insouciance, leur naïveté, leur image aussi.
05:39C'est par eux et pour eux que se bâtira la France nouvelle.
05:43Dit maréchal, qu'est-ce que c'est un enfant dans la France de Vichy ?
05:48J'étais dans la période heureuse d'un pays heureux.
05:53Ça va paraître paradoxal, parlant des choses épouvantables
05:57qui se déroulaient ici et là,
06:00mais je n'en avais pas conscience.
06:13C'est à vous, jeunes Français, que je m'adresse aujourd'hui.
06:18Vous qui représentez l'avenir de la France,
06:22vous payez des fautes qui ne sont pas les vôtres.
06:26Le présent est sombre, en effet, mais l'avenir sera clair
06:30si vous savez vous montrer dignes de votre destin.
06:34Puisse le printemps de votre jeunesse s'épanouir bientôt
06:39dans le printemps de la France ressuscitée.
06:43C'est cette voix chaleureuse, fatiguée.
06:47Mais pour des jeunes, c'était...
06:51C'était positif que cette voix soit fatiguée.
06:55Ils s'étaient tellement dévoués pour nous.
06:58Il a parlé, on ne comprenait pas ce qu'il disait.
07:03Je m'en souviens très bien. Il avait une voix chevretante.
07:07Je crois qu'on lui avait pris le fourrir.
07:10Voilà.
07:12C'était très adroit, parce que les gens à qui il s'adressait
07:16n'avaient pas l'habitude qu'un adulte,
07:20même un peu vieux, s'adresse à eux.
07:23À l'époque, il était porté en vogue.
07:32Je vais peut-être en rajouter.
07:34Il me semble qu'on n'en voyait que par lui, par le maréchal.
07:41À l'école, on le ressentait comme ça.
07:45Nous regardions le maréchal comme le sauveur de la France
07:49dans cette France occupée.
07:53Xavier, un petit Parisien de 8 ans, lui écrit.
07:56M. le maréchal, je n'ai rien d'autre à vous donner
08:00que ma confiance et mon affection pour vous remercier
08:03de tout ce que vous faites pour la France et tous les Français.
08:08Je ne suis pas un homme qui a des culottes longues.
08:11Comment t'appelles-tu ?
08:13Parle plus fort.
08:15Quel âge as-tu ?
08:18Tu es content d'être venu voir le maréchal ?
08:21Parle plus fort. Tu as l'air tout émotionné.
08:24Dis vite, je suis content d'être venu voir le maréchal.
08:28Allez, crie-le fort.
08:30Parle plus fort !
08:33Je suis content d'être venu voir le maréchal.
08:36Parle plus fort !
08:38Je suis content d'être venu voir le maréchal.
08:41Vive le maréchal !
08:43Allez, on a assez ?
08:45On va devoir faire le montage.
08:52A partir d'octobre 1940,
08:54les voyages du maréchal dépêchent Pétain au chevet de la nation.
08:58Les films, les photographies,
09:00multiplient à l'infini les images de dévotion de la population,
09:04et d'abord des plus jeunes.
09:06L'une après l'autre,
09:09toutes les grandes villes de zones non occupées
09:12ont droit à leur jour béni par le protecteur des Français.
09:16A chaque fois, ces déplacements mettent en scène les enfants
09:20au premier plan, figurants et spectateurs de la procession.
09:24Partout se rejoue le même rituel scénarisé.
09:28Une mère offre son enfant
09:30comme un sacrifice à la nouvelle idole.
09:34Pour faire croire à l'adhésion de toute la population,
09:38il faut fabriquer une image qui s'impose à chacun.
09:45Derrière la petite fille,
09:47présentée au maréchal attendri,
09:50c'est l'enfant de Pétain,
09:52qui s'adapte à la situation.
09:54C'est l'enfant de Pétain,
09:56qui s'adapte à la situation.
09:58C'est l'enfant de Pétain,
10:00qui s'adapte à la situation.
10:03C'est l'enfant de Pétain,
10:05qui s'adapte à la situation.
10:07La petite fille présentée au maréchal attendri,
10:10c'est la France qui se donne entièrement au vieux chef.
10:18La liturgie maréchaliste affirme sa domination sur la jeunesse
10:23et à travers elle,
10:25c'est tout le pays que Vichy infantilise.
10:28Et le beau rêve s'est réalisé.
10:31Vous êtes là, M. le maréchal, et nous voyons enfin celui dont le nom, depuis si longtemps,
10:39fait vibrer nos cœurs d'admiration et de gratitude.
10:43Merci, M. le maréchal.
10:45Vive la France éternelle, vive le sauveur de la France.
10:52À Limoges, le 20 juin 1941,
10:55toutes les organisations d'enfance et de jeunesse affluent de la zone non occupée
11:00pour participer au Tour de France de Pétain, en forme d'apothéose.
11:04La rencontre du vieux maréchal avec la jeunesse doit incarner la France régénérée
11:09autour de son miraculeux bienfaiteur.
11:13Du monde, de la foule.
11:17Je sais qu'on était avec toute ma classe devant un mur
11:22et que j'avais une jolie robe bleu-blanc-rouge et un drapeau.
11:26Et qu'il fallait l'agiter. Et c'est ce que j'ai fait.
11:33Mais j'étais quand même très fière de la robe. C'est surtout ça qui me reste.
11:37Bleu-blanc-rouge. Oui, oui. Ça, alors là, elle est là, la robe.
11:47Alors, je ne me souviens pas si on était...
11:50On faisait partie du groupe d'élèves qui était pour accueillir Pétain.
11:55Mais je me souviens que ma mère a eu des problèmes.
11:58Elle a été convoquée à la police parce qu'elle avait fermé son magasin
12:01et elle n'avait pas mis la photo de Pétain dans le magasin, dans la vitrine.
12:09On n'avait pas l'habitude de voir passer des gens, des jeunes,
12:14On n'avait pas l'habitude de voir passer des convois comme ça
12:17et puis qu'on nous amène devant avec la maîtresse, avec les autres élèves.
12:22On n'avait pas l'habitude.
12:24Alors, pour moi, c'était quelque chose de fantastique.
12:27Donc, loin Charles Pétain, pouh !
12:29On ne savait pas trop ce que c'était.
12:31Je dis, c'est un vieux monsieur qui a fait ça.
12:34Puis voilà.
12:37J'étais peut-être, parce que tous les élèves étaient convoqués
12:41et je pense que mes parents ne voulaient pas faire de vagues.
12:48Donc, on se sentait exactement comme les autres
12:51puisque, en juif, on ne savait même pas ce que c'était.
13:06Aux grèves et aux grèves, aux grèves et aux grèves,
13:10C'est un jour, c'est un jour, c'est un jour.
13:17Monsieur le maréchal, vous avez devant vous,
13:20réunis, sans distinction d'opinion ou de milieu,
13:24toute la jeunesse de France
13:26qui actuellement se trouve devant le chef de l'État
13:29pour lui affirmer sa confiance inébranlable dans les destinées de la patrie
13:33et pour lui jurer qu'elle consacrerait toutes ses forces au relèvement de cette patrie.
13:38Les jeunes, apprez-moi, vive la France !
13:41Vive la France !
13:43Et vive le maréchal !
13:45Vive le maréchal !
13:50Sous la tribune, les écleureurs israélites participent à la communion maréchaliste.
13:55Savent-ils que le statut des juifs d'octobre 1940
13:59vient d'être durci il y a tout juste deux semaines ?
14:04Ils ne peuvent en tout cas pas imaginer que dans cinq mois,
14:07leur organisation sera interdite
14:09et que Pétain ne lèvera pas le petit doigt pour les protéger.
14:15Souvent, il y a des images qu'on n'aime pas conserver.
14:19Et je n'ai pas tellement envie de me rappeler non plus
14:24l'arrivée de Pétain à Limoges parce que
14:27au front de moi-même, je me sens une espèce de culpabilité
14:32alors que je n'étais pas responsable
14:34d'avoir participé à ce mouvement de liesse générale
14:41qui nous a fait tant de mal par la suite.
14:53L'embrigadement massif de l'enfance
14:55est assuré par toutes les organisations de jeunesse,
14:58en particulier le scoutisme chrétien,
15:00dont on relaie de la propagande.
15:06A Vichy, le secrétariat d'État à la jeunesse
15:08échafaude la stratégie.
15:11Il serait naïf de penser que cette conversion des populations
15:14aux idées de l'ordre nouveau
15:16pourra être obtenue des adultes,
15:18expose un rapport de la fin 1940.
15:23C'est sur la jeunesse qu'il faut tabler,
15:25parce qu'elle n'est pas encore sclérosée dans ses habitudes,
15:28parce qu'elle est une puissance
15:30et non pas un être organisé.
15:41Un cœur vaillant, rien n'est possible.
15:44Un cœur vaillant, rien n'est possible.
15:46Et puis là, c'est ma signature, J.C.
15:52On sollicitait souvent les élèves
15:55pour soutenir la Révolution nationale,
15:58qui était le mouvement politique du maréchal Pétain.
16:02Mais on ne parlait pas de politique,
16:04parce que ça suscite tout de suite une opposition.
16:07Il y a une espèce de stabilisation politique,
16:11malgré la présence des Allemands,
16:15qui parfois n'étaient pas désagréables du tout, d'ailleurs.
16:19On arrivait à vivre assez convenablement,
16:22les trains fonctionnaient,
16:24il n'y avait pas de raison d'être contre.
16:27Comme beaucoup d'enfants,
16:29je n'avais connu que le maréchal Pétain,
16:32et pour moi, c'était un personnage permanent.
16:37Le maréchal Pétain était partout.
16:40Il était sur les timbres des lettres,
16:43il était sur les buveaux de l'eau,
16:46il était sur les buvards de l'école,
16:49il était sur les couvertures des cahiers de l'école,
16:52sur les affiches,
16:54sur des portraits qui étaient dans la classe.
16:58Pour moi, c'était une présence bienveillante.
17:02Je ne voyais aucun mal à ce vieillard avec son képi,
17:06dont l'histoire nous était contée de diverses manières,
17:11sur des petits livres, sur des images d'épinales.
17:17Le maréchal Pétain
17:20Dis-donc, mon garçon, te voilà bien occupé.
17:22Qu'est-ce que tu as dit?
17:24Il était une fois maréchal de France.
17:26Tu es content, tu as un large sourire.
17:30Il y a beaucoup de Français qui disent m'aimer,
17:33mais qui ne m'obéissent jamais.
17:35Le goût de l'obéissance est perdu en France.
17:38Il faudra le faire revivre.
17:40Nous ne pouvons pas redresser la France
17:42si les Français ne me suivent pas,
17:44ne m'obéissent pas, dans toutes circonstances.
17:47Je vous dis, aimer, c'est obéir.
17:50Le maréchal Pétain
17:54Dans ma famille, on n'était pas pro-maréchal,
17:57et nous, autant vous le dire.
17:59Mon grand-père avait fait la guerre de 1914.
18:01Il détestait Pétain.
18:03Quand il entendait les paroles « le héros de Verdun »,
18:06il en était malade.
18:08Il disait « le héros de Verdun avec la peau des autres »,
18:11ça, mon petit, tu ne peux jamais croire.
18:15Dans toutes ces familles bourgeoises que je fréquentais,
18:18bourgeoise n'est pas péjoratif,
18:20il y avait des appartements cossus dans cette partie du XVIIe,
18:24et dans le salon ou dans la salle à manger,
18:27trônait un portrait assez grand, en général, du maréchal.
18:32Alors, il n'y en avait pas à la maison.
18:34J'étais un peu frustré,
18:36parce que, pour moi, c'était synonyme de la bourgeoisie.
18:40On avait le portrait du maréchal chez soi.
18:43On avait des bûches dans le foyer,
18:45et à défaut, tu ouvres la centrale,
18:47et le portrait du maréchal.
18:49Moi, j'aurais bien voulu que mes parents
18:51rejoignent ces gens bien, qui avaient un portrait.
18:54Alors, ma mère m'a dit « Non, je n'achèterai pas le portrait du maréchal,
18:58c'est parce que ton père et moi,
19:00nous ne sommes pas du tout partisans du maréchal.
19:03Chez moi, exception, il n'y avait pas de portrait du maréchal. »
19:34L'œil de Vichy rentre jusque dans les salles de classe.
19:40Dès Noël 1940,
19:42l'école devient une fabrique du consentement au maréchalisme.
19:46Dans tous les rectorats, y compris en zone occupée,
19:49on impose la mobilisation générale.
19:52Les écoliers sont sollicités pour devenir aussi
19:55les acteurs du culte de la personnalité.
19:58Le coup d'envoi est donné à l'école.
20:01Le coup d'envoi est donné avec la surprise au maréchal.
20:05Un concours de dessin envoyé directement au chef, à Vichy,
20:09par les écoliers âgés de 8 à 16 ans.
20:12Ils recueillent plus d'un million de réponses.
20:24Monsieur le maréchal, voici une petite fille âgée de 9 ans et demi
20:28née le 23 juin 1931.
20:31La France est vaincue, mais par votre bonne volonté,
20:34mon cher maréchal, je pense qu'elle se relèvera.
20:37Je tâcherai de travailler de mon mieux pour son relèvement.
20:41Papa et maman pensent comme vous.
20:44Recevez, monsieur le maréchal, mes salutations les plus respectueuses.
20:48Vive la France, les Français et les Françaises qui vous restent fidèles.
20:53Signée Simone Marty.
20:59Ce n'est pas moi.
21:01Mais c'est une fille qui a le même âge à peu près, à deux mois près.
21:04Je me souviens, je pensais que c'était plutôt des cartes qu'on avait envoyées,
21:08mais je me souviens, on a écrit.
21:10En classe, on nous faisait écrire, c'est sûr.
21:13Mais ça, ça ne se discutait pas.
21:15C'était le service obligatoire de la classe.
21:18Et tout le monde écrivait la lettre au maréchal.
21:22Par grâce spéciale, une écolière de France, peut-être la plus jeune,
21:27peut-être la plus adorable, a été admise à apporter elle-même au chef de l'État
21:32sa lettre patiemment, tendrement composée.
21:41Dans le cadre national, on nous a proposé de l'écrire.
21:45Et donc, on a écrit chacune une lettre,
21:49et puis c'est la mienne qui a été choisie.
21:52Je pense que ça n'a pas fait très plaisir à mon père,
21:55ça voulait dire aussi que j'écrivais assez bien.
21:58Donc, il a répondu.
22:02Il a répondu, mon cher Claude.
22:05Et il m'a parlé comme si j'étais un garçon.
22:07Donc, du coup, il ne m'a pas plu du tout.
22:10Et c'est dommage que je n'ai pas gardé la lettre,
22:14parce que c'était bien dans le sens du travail famille-patrie,
22:18et tous les enfants de France qui devaient s'engager et servir.
22:23A Vichy, à l'auberge de la Jeunesse de Belle-Rive,
22:26le maréchal Pétain est venu rendre visite aux jeunes des chantiers
22:29qui trient les quelques 2 millions de lettres
22:32adressées au chef de l'État par les écoliers de France.
22:35Exactement à l'heure prévue, le maréchal, plus alerte, plus droit,
22:39plus jeune que jamais, entre dans le réfectoire de l'auberge.
22:45Monsieur le maréchal, comme vous l'avez demandé,
22:47il sera répondu à tout le monde.
22:49Chaque enfant aura sa réponse.
22:51Ça fera combien de réponses ?
22:532 millions.
22:552 millions de réponses.
22:57Je ne sais pas si on pourra recommencer cette expérience.
23:01Monsieur le maréchal, vous l'avez promis aux enfants,
23:03alors il faut leur répondre à tous.
23:05Oui, cette fois-ci, mais après.
23:07On tiendra vos promesses, monsieur.
23:10Le maréchal Pétain est là, il nous protège.
23:15Nous, les gamins, c'est normal que nous soyons associés
23:21à le soutenir.
23:26C'est normal que nous soyons des militants.
23:29On n'employait pas ce mot, militants, du maréchal Pétain,
23:34mais nous étions, oui.
23:37Il n'y a pas d'autre choix, d'ailleurs.
23:39Il a sauvé la France, donc nous sommes de son côté.
23:51Vichy proclame logiquement Pétain premier instituteur de France.
23:55Le 13 octobre 1941, il se produit dans ce rôle
23:59à l'école du village de Périgny, dans l'Allier.
24:03Les préparatifs de son célèbre discours,
24:06diffusés en direct à tous les écoliers de France,
24:09ont été eux aussi enregistrés par les techniciens de la radio.
24:14Alors, qui veut me répondre ?
24:15Qu'est-ce que vous allez faire quand le maréchal va entrer ?
24:18Tu peux me le dire.
24:19Ben, toi, dis-le-moi très fort.
24:21Quand le maréchal va entrer, on se lève.
24:24On se lève.
24:25Eh bien, c'est très bien.
24:26Eh bien, je crois qu'il va falloir vous lever bientôt, vous savez,
24:29parce que le maréchal va arriver d'une minute à l'autre.
24:32Il aime beaucoup les enfants disciplinés.
24:38À qui allez-vous répondre ?
24:41À qui a les fleurs pour le maréchal ?
24:43C'est toi qui vas donner les fleurs au maréchal ?
24:45Ben, t'en as de la chance.
24:46Tu vois, quand tu seras grande, quand tu auras des enfants après,
24:49et quand tu seras une toute vieille dame, toute cassée, toute ratatinée,
24:52que tu auras des petits-enfants, tu leur diras,
24:54un jour, j'ai donné des fleurs au maréchal.
24:58Mes enfants, attention.
25:01Voici le maréchal.
25:04Jeunes élèves des écoles de France,
25:07il faut que vous sachiez que je compte absolument sur vous
25:12pour m'aider à reconstruire la France,
25:16à faire des Français un grand peuple,
25:19un royaume et honnête.
25:22Plus de deux millions d'entre vous m'ont dit
25:25qu'ils m'aimaient de tout leur cœur,
25:27et ils m'ont envoyé de magnifiques cadeaux.
25:30D'ailleurs, je les ai remerciés par une petite photo.
25:35C'est très bien, mais puisque vous voulez être avec moi,
25:39il ne suffit pas de me le dire.
25:41Il faut le montrer à tout le monde.
25:53Pendant quatre ans, au fil des concours nationaux,
25:56dessins, lettres, rédactions doivent affluer de tout le pays
26:00en signe d'adoration et d'allégeance.
26:06On invente de toutes pièces une communication directe et intime
26:10entre ce peuple en modèle réduit
26:12et le grand-père, sans doute sévère,
26:14mais si juste et si humain.
26:20Dans ce flot d'informations,
26:23dans ce flot d'adhésions patriotiques aux allures naïves,
26:26transpire le rejet de ceux qui forment l'anti-France
26:29et qu'il faut exclure à tout prix.
26:33Le groupe alpin écoute ses chefs.
26:35Le groupe alpin est contre les Juifs, les francs-maçons,
26:38les boches léviques et tous les traites,
26:40et les pays étrangers.
26:44Les professeurs devaient toujours avoir sous leur pupitre
26:47une lettre maréchalle pour être prêts à la lire
26:50si l'inspecteur est arrivé au lycée de Châteauroux.
26:53Un inspecteur est arrivé,
26:55a demandé à ce qu'on lise des lettres maréchalles.
26:58Le professeur n'avait rien prévu du tout,
27:01mais il en avait parce qu'il fallait toujours en avoir.
27:04Et il a lu une lettre.
27:06Alors, est-ce que c'est la légende, est-ce que c'est la réalité ?
27:09Mais ça aurait été vénérable vieillard à la barbe fleurie.
27:14L'unanimité de façade cache un méticuleux travail
27:17de tri et de surveillance des courriers.
27:20Chaque fausse note est rapportée dans les préfectures et les ministères.
27:24Début 1941, une lettre de la jeune Simone Nathan
27:27fait l'objet d'un rapport de police.
27:32Nathan Simone, juive,
27:34est né le 16 mai 1924 à Limoges.
27:37C'est là qu'il s'est rendu compte
27:39Simone, juive, est née le 16 mai 1924 à Limoges.
27:44Vers le 17 décembre dernier,
27:46Simone Nathan sollicita de la directrice de son lycée
27:49l'autorisation d'écrire au maréchal,
27:52mais sur un thème différent de celui imposé, la loyauté.
27:57Elle lui a déclaré ce qui suit.
28:00Depuis 48 heures, mes parents, qui sont commerçants,
28:03ont eu la visite d'un administrateur provisoire
28:05chargé par le service d'organisation économique
28:08de reprendre leur commerce.
28:10Je voudrais écrire au maréchal pour lui demander
28:13si cette façon de procéder est bien la justice de la France nouvelle.
28:19Madame la directrice a refusé cette autorisation
28:22et lui a conseillé fortement de ne pas le faire,
28:25même individuellement.
28:27Le personnel enseignant ne peut donc être blâmé dans cette affaire.
28:33Il est intéressant de savoir que le lycée de Limoges
28:36a un effectif de jeunes filles juives importants
28:39et que les professeurs se plaignent de la mentalité
28:42de cette catégorie d'élèves.
28:46Simone est ma cousine germaine,
28:50que je considérais pratiquement comme ma sœur,
28:53mais ça correspond tout à fait à son caractère.
28:58Un caractère qui ne supportait pas l'injustice,
29:01donc déjà à l'âge de 17 ans.
29:07Question posée aux écoliers de France.
29:10Cet album contient les 99 réponses les plus touchantes.
29:16Mon papa est mort au bombardement et ma maman de chagrin.
29:20J'aime le maréchal, je ne le connais pas,
29:23mais ça me fait du bien de l'aimer.
29:26Parce que ma maman a acheté un petit frère pour l'appeler Philippe.
29:30Parce qu'il fait confiance aux jeunes,
29:33je suis prête à être avec lui pour relever la France
29:36de tous ses malheurs.
29:38Sa petite collaboratrice.
29:40J'ai essayé de faire des verres au maréchal,
29:43mais je n'ai pas pu trouver des rimes avec Vichy,
29:46alors ça m'a découragée.
29:48Parce qu'il nous donne des gâteaux vitaminés,
29:51du pain, des haricots, des carottes, de la viande,
29:54des pommes de terre, du sucre, du café, du chocolat.
29:57Je ne pourrais pas répondre.
29:59Je ne crois pas que j'aurais pu répondre à pourquoi je l'aime.
30:02Je pense que je ne l'aimais pas.
30:05J'aime le maréchal parce qu'il offre toute sa souffrance
30:08pour nous sauver.
30:10Il n'avait pas sauvé mon père.
30:18Oui, mon père, c'est héros.
30:21C'est terrible.
30:23Il est suspect.
30:25Il apparaît dans la liste des institutoires
30:28qui sont francs-maçons, communistes,
30:31parce qu'il ne l'était pas encore.
30:34Enfin, laïcs, de toute façon.
30:37Donc, il a été déplacé d'office.
30:44Il faut savoir qu'il y a des instituteurs,
30:47à cette époque-là, comme ça, comme des pions.
30:50On les a déplacés parce qu'ils ne pensaient pas
30:53dans la bonne direction.
30:55Et ça, ça a été une épreuve
30:58très dure pour moi.
31:03Et ça, c'est grâce à Pétain.
31:29Une délégation du corps académique
31:31présentée par M. Bourget, inspecteur d'académie.
31:34Eh bien, avez-vous des observations à faire ?
31:37Je m'occupe beaucoup du corps enseignant.
31:40J'ai très mauvais renseignements sur Paris.
31:43Dans des lycées, de grands lycées, par exemple,
31:46il y a des élèves qui se conduisent très mal.
31:49Ils ont des problèmes d'esprit.
31:52Ils ont des problèmes d'esprit.
31:55Dans des lycées, par exemple,
31:58il y a des élèves qui se conduisent très mal.
32:01Mais là, où ça se passe, je frappe à la tête.
32:04Je frapperai à la tête.
32:07Et chez les instituteurs ?
32:10Est-ce qu'il y a une amélioration chez les instituteurs ?
32:13Il y a présentement un excellent état d'esprit
32:16dans le personnel universitaire.
32:19Est-ce que vous avez mes messages ?
32:23Il y avait, pour apprendre l'alphabet,
32:26la lettre N, la lettre O,
32:29avec le drapeau français.
32:32Je pense que c'était un moyen de nous inculquer
32:35un certain patriotisme,
32:38le patriotisme du maréchal.
32:41Pas le patriotisme qu'on peut comprendre,
32:44qui consiste à défendre son pays ou sa nation,
32:47mais un patriotisme orienté.
32:52...
33:13La fable de la France de Vichy
33:16passe par toutes les lettres de l'alphabet.
33:20De la maternelle à l'université,
33:23les réformes imposées en 1941 sont les plus considérables
33:26que le système éducatif français ait connu.
33:30L'éducation nouvelle s'inspire de la vision
33:33élitiste et ségrégationniste de Maurras,
33:36qui commande d'en finir avec la manie égalitaire
33:39et l'école unique.
33:42Pour les idéologues de Vichy, l'école doit sélectionner
33:45l'élite appelée à transformer la démocratie défaillante
33:48et préparer tous les autres aux tâches d'exécution
33:51qui les attendent.
33:55L'école républicaine est morte,
33:58vive l'école du maréchal.
34:04Bon, ben, tout m'intéressait.
34:08Tu sais, je vais vous dire,
34:11j'aurais voulu être journaliste.
34:14Ça, c'était mon rêve.
34:17Mais ce n'était pas possible.
34:20Quand on était fauchés,
34:23il y avait deux écoles, deux lycées.
34:26Il y avait un lycée et un collège.
34:29Toutes les filles qui avaient de l'argent allaient au lycée.
34:32Et les filles qui étaient fauchées, les parents étaient fauchés,
34:35elles allaient au collège pour apprendre un métier.
34:38Et moi, automatiquement, l'institutrice a dit,
34:41eh ben, tu vas aller au collège.
34:44Il n'y avait rien à y faire.
34:47C'est pour ça que je trouve que le destin est complètement idiot.
34:50Parce que j'étais bonne élève en dernière année.
34:53Mon éducation a été très contradictoire,
34:56des parents plutôt libertaires.
34:59Et en même temps, j'étais dans un collège de jeunes filles,
35:02tenues par des religieuses.
35:05On nous projetait des films au cours bossuet.
35:08Mais les films du cours bossuet,
35:11c'était toujours, je ne sais pas, Pasteur
35:14ou des films sur les héros français.
35:20Oui, c'est ça, les héros français.
35:23Il y avait l'idée des grands hommes qui ont fait la France.
35:26Ça, c'était important.
35:29Il fallait nous redonner la gloire de cette pauvre France
35:32qui était quand même dans un état épouvantable.
35:35On nous parlait plus des grands hommes que des grandes femmes.
35:38C'est vrai qu'on n'avait pas beaucoup de modèles de grandes femmes.
35:41C'était viril, finalement.
35:59C'est vrai qu'il y avait la France,
36:02et ses grandes figures, effectivement.
36:05Ce dont je me souviens très bien,
36:08c'est qu'en 10e,
36:11il devait y avoir une carte qui était au mur
36:14où figuraient en rose nos colonies.
36:17On assistait beaucoup et on apprenait tout dans le détail.
36:20L'histoire coloniale,
36:23on en était fiers.
36:26Moi, je me rappelle, le 1er mois,
36:29où on nous montrait Savognan de Brasat
36:32qui donnait la bonne parole aux gens,
36:35on nous montrait les bienfaits du colonialisme.
36:38En même temps, comme on dit maintenant,
36:41j'étais aussi imprégné de ça.
36:44Mais il a fallu après que je me désintoxique.
37:00À quelle classe êtes-vous?
37:03Dans la classe de 6e.
37:06Qu'est-ce que vous vous proposez de faire?
37:09Je voudrais être officier aux colonies.
37:12Pourquoi les colonies?
37:15Je ne sais pas, parce que ça me donne beaucoup.
37:18Parce qu'il fait très chaud?
37:21Parce qu'il faut prendre des bateaux pour y aller?
37:24Ou bien des avions? Parce qu'il y a des nègres?
37:28Non.
37:30Ça vous changera.
37:36M. Le Marchal, voici Mlle Germain
37:39qui vous mène des enfants comme récompense
37:42du travail qu'ils ont fourni
37:45et d'une collecte qu'ils ont faite pour les prisonniers.
37:48Est-ce que vous leur apprenez la vertu aussi?
37:51J'essaie, M. Le Marchal.
37:54Tous les matins, d'ailleurs, ils font réponse aux prisonniers,
37:57ils se tournent du côté des prisonniers
38:00et tous les soirs, le salut à la France en se tournant vers Bichy.
38:06On faisait des fêtes.
38:09Donc on a été en zone pas trop occupée,
38:12pas tout à fait libre quand même.
38:15Mon père a organisé avec les enfants
38:18et avec les chantiers de jeunesse une fête pour les prisonniers.
38:22Les gens ont donné tout l'argent qu'il fallait
38:25et on a envoyé des colis aux prisonniers.
38:28Et ça, c'est un merveilleux souvenir.
38:31On parlait beaucoup des prisonniers, beaucoup, beaucoup.
38:34Ça, c'était un thème constant, je dirais presque quotidien.
38:37Il fallait penser aux prisonniers,
38:40il fallait se priver pour eux.
38:43Si on pouvait apporter quelque chose pour faire des colis
38:46et leur envoyer des colis,
38:49alors là, ça, c'était vraiment très, très bien.
38:52Et du coup, on s'est sentis même coupables de manger.
38:58Moi, à ce moment-là, je suis carrément devenue anorexique
39:01parce que j'avais l'impression
39:04que manger, c'était mal.
39:07Donc je ne mangeais plus,
39:10je n'osais plus manger.
39:13J'essayais de dissimuler les aliments.
39:16C'était complètement idiot
39:19parce que ce n'était justement pas des choses
39:22que je pouvais arriver à donner pour les prisonniers,
39:25mais je préférais presque les détruire
39:28plutôt que de les manger.
39:46Pour m'accompagner le beau jour de ma communion.
39:49Mon papa est fait prisonnier le 8 ou 9 juin 1940,
39:52mais nous avons rarement de ses nouvelles.
39:55Maman pleure souvent en voyant que mon papa demande
39:58beaucoup de colis et qu'elle n'a rien à y mettre.
40:01J'espère, mon cher maréchal, que grâce à vous,
40:04notre France retrouvera la grandeur et la liberté
40:07que nous vous demandons.
40:10J'éprouve très fortement la différence
40:13entre ce langage béni-oui-oui
40:16et en effet très pondéré,
40:19tout ce que vous voudrez, fleuri,
40:22et la noirceur de la guerre.
40:43Les queues, les cartes d'alimentation
40:46qui font la réalité quotidienne des petits Français
40:49ne figurent que dans de rares dessins d'enfants
40:52qui échappent à l'imagerie mensongère de Vichy
40:55où tout se repeint en rose.
40:58À partir de juin 1942,
41:01des milliers d'autres enfants voient partir
41:04leur père en Allemagne
41:07où l'industrie de guerre exigeait de lui
41:10des ouvriers pour remplacer les hommes
41:13mobilisés sur le front russe.
41:16C'est la relève.
41:19Basé sur le volontariat, son échec conduira
41:22un an plus tard à l'instauration du STO,
41:25le service du travail obligatoire.
41:28En attendant, pour trois départs de volontaires français,
41:31le pouvoir hitlérien concède soi-disant
41:34le retour d'un prisonnier en France.
41:37Des millions d'affiches et de tracts inondent le pays
41:40pour faire croire au miracle.
41:43Les plus jeunes travailleurs, ciblés en priorité,
41:46partent munis des recommandations du maréchal.
41:49Les consignes, c'est d'obéir.
41:52Il n'y en a pas d'autre.
41:55Vous faites preuve d'obéissance déjà en partant
41:58et au lieu de rechigner sur le travail,
42:01de faire de bon cœur.
42:05Quant aux enfants, ils sont aussi embarqués
42:08dans la collaboration qui s'emballe avec l'occupant,
42:11sommés pour la circonstance de ne pas se plaindre
42:14de l'absence de leur père.
42:17Je trouve émouvant que vers la fin de l'année,
42:20quand Noël va ramener le fantôme
42:23des jours heureux parmi les jours sombres,
42:26ce soient les enfants de France
42:29qui interviennent pour faire sentir
42:32à leurs parents éloignés
42:35que leur famille les aime plus encore
42:38que s'ils étaient là.
42:41Comment de loin pouvez-vous leur faire sentir
42:44que votre pensée est près d'eux?
42:47En lui écrivant, monsieur.
42:50Bien. Mais que leur dites-vous dans ces lettres?
42:53Que je voudrais bien leur voir.
42:56Que je serais sage à la maison pour qu'ils soient prudents.
42:59Que je n'oublie pas que j'oublie à maman et que je l'aide.
43:02Racontez-leur toutes ces choses, si simples,
43:05telles que vous les vivez, et c'est vous, j'en suis sûr,
43:08qui ferez la plus belle lettre. Prenez-vous.
43:19Ce matin, je suis seul.
43:22Je suis tout près de toi, mon cher papa,
43:25par la pensée et par le cœur.
43:28Quand tu viendras, tu la liras avec une attention particulière.
43:31Assis dans un coin de l'usine, tu m'écouteras...
43:34Mon petit papa chéri, je veux te dire que nous t'attendons bientôt.
43:37Je suis un grand garçon, et maintenant je suis sage,
43:40car maman a beaucoup de chagrin depuis que notre petit Christian est mort.
43:43Quand tu viendras en permission, nous dirons au bon Dieu
43:46qu'il nous en apporte un autre. Et surtout pas de fille, ça pleure toujours.
43:49Tu sais, le Père Noël n'a rien apporté pour moi cette année.
43:52Maman a dit qu'il était pauvre.
43:55Seulement une belle couronne pour la tombe de notre petit ange.
43:58Je termine et souhaite que tu viennes vite pour acheter un autre petit frère.
44:01Ton grand, qui t'embrasse de tout son petit cœur.
44:04Musique joyeuse
44:07...
44:24Père parti en Allemagne, père mort, père prisonnier, père disparu.
44:27Il n'y a plus d'hommes à la maison, ne restent que les grands-pères.
44:30Les grands-pères ne sont pas les seuls.
44:33Pétain est le père de substitution.
44:36Vichy est la mère de famille.
44:39La natalité doit être le pilier du redressement national.
44:47On nous faisait la morale.
44:50Si la France avait perdu la guerre,
44:55c'était à cause de nos parents.
44:59J'étais fille unique pour ma part, mais je n'étais pas la seule.
45:04On était très nombreuses à être filles uniques dans la classe.
45:08Et tout d'un coup, on était coupables...
45:12Peut-être pas nous, mais nos parents étaient coupables
45:16que nous soyons filles uniques. C'est devenu un problème.
45:23Partout, la propagande agite la menace mortelle de la dépopulation.
45:29La famille modèle du maréchal, c'est la famille nombreuse.
45:33Malgré la conjoncture difficile, il faut produire des Français.
45:37Comme si la conception des enfants
45:39relevait de l'activité économique et industrielle.
45:45Sous l'inévitable parrainage de Pétain,
45:48l'Etat français organise des concours du plus beau bébé.
45:53Voici le petit Michel,
45:55lauréat du concours d'octobre 1941.
45:59Des compagnies privées participent à cette politique.
46:03Dans une publicité, apparaît un gamin blond avec la légende
46:08« Présent M. le maréchal, présent pour vous aider à refaire la France. »
46:13Famille, c'est fondamental.
46:16Nous sommes des jeunes filles.
46:19Nous sommes destinées au mariage.
46:22Dès qu'il y avait une ancienne, comme on disait,
46:25dès qu'elle se mariait,
46:27les jeunes femmes venaient avec leur mari
46:30déposer leur couronne de mariée dans la chapelle.
46:34Et nous étions les premières.
46:36Nous étions les premières.
46:38Ils déposaient leur couronne de mariée dans la chapelle.
46:42Et nous étions conviés à cette espèce de cérémonie
46:46de reconnaissance, en quelque sorte.
46:49Donc, on cherchait à nous donner l'image enviable
46:53du jeune couple, qui serait notre destinée.
46:58Mais ça pouvait provoquer un sentiment de révolte aussi,
47:02ce qui a été mon cas.
47:05À Tourcoing, dans les locaux clairs et spacieux
47:08de cette école de formation féminine,
47:11200 jeunes filles reçoivent une éducation professionnelle
47:15et ménagère qui leur permet de s'initier
47:18aux métiers régionaux et de se préparer
47:22à leurs futures tâches de mère de famille
47:25et de femme d'intérieur.
47:27L'éducation physique n'est pas oubliée.
47:30Une heure est consacrée au sport.
47:34Oui, et il n'est pas important de travailler.
47:37Il est important de rester à la maison,
47:40d'avoir des enfants, de tenir son ménage.
47:44C'était le refrain.
47:51La loi du 11 octobre 1940 interdit l'accès des femmes mariées
47:55à l'emploi dans l'administration sous prétexte de lutter
47:59contre le chômage.
48:04Et pour cantonner les femmes à la sphère domestique,
48:08l'Etat instaure une allocation dite de la mère au foyer.
48:12Les veuves, les femmes de prisonniers,
48:16les mères qui viennent d'accoucher de leur deuxième enfant,
48:20bénéficient de l'extension des allocations familiales.
48:23Il ne faut pas oublier aussi le silence sur le corps.
48:26Le silence sur le corps fait
48:28qu'il y a toutes sortes de choses qu'on n'aborde pas.
48:31Par exemple, quand on dit
48:33que vos parents n'ont pas eu assez d'enfants,
48:36qu'est-ce que ça veut dire ?
48:39Qu'est-ce que ça veut dire, de faire des enfants ?
48:42On ne savait pas trop. Et personne ne nous en parlait.
48:45Donc il y avait ce thème qui était évoqué
48:48dans un silence sexuel absolument effarant,
48:51quand on y repense.
48:53Effarant.
48:56L'avortement, c'est quelque chose dont on ne parle absolument pas.
49:02Au courbe au suet, il n'est pas question d'avortement.
49:06Il peut être parfois question de femmes qui ont fauté.
49:11L'idée de la faute des femmes...
49:14On ne sait pas très bien ce que ça veut dire, la faute des femmes.
49:18On imagine bien que c'est quelque chose de sexuel.
49:21Qu'est-ce que ça veut dire exactement ?
49:25On ne peut pas imaginer
49:27à quel point il y avait des édredons de silence de ce point de vue-là.
49:34Cette poussée nataliste et pro-famille a commencé à prendre effet dès 1942,
49:39où la natalité fait un bond de 8 %.
49:42Qui se souvient que c'est au coeur des années sombres de l'occupation
49:47que le baby-boom français prend son essor ?
49:55Point d'orgue de la révolution nationale, familiale et nataliste,
50:00la journée des mères est consacrée par le gouvernement de Vichy.
50:04Bien qu'elle existe officiellement depuis 1926,
50:07elle est désormais inscrite au calendrier des fêtes nationales,
50:10associée à la liturgie des fêtes chrétiennes du mois de mai.
50:13Pour l'occasion, tous les enfants de France sont mobilisés,
50:17cette fois pour célébrer les mamans de la France nouvelle.
50:25Moi, je vous demande une fois l'an
50:27d'offrir des fleurs de printemps à toutes les héroïnes vivantes.
50:31Vous les rencontrez chaque jour, ces héroïnes.
50:34Elles n'ont ni auréoles ni cuirasse d'or.
50:37Et leur héroïsme est modeste. Il est effacé.
50:40Ce sont les héroïnes de l'ombre quotidienne.
50:43Ce sont les Notre-Dame du sourire.
50:46Ce sont les créatrices du pays.
50:49Ce sont les mamans.
50:52Je suis séparé de ma mère très tôt.
50:57Ma mère, qui était une Polonaise,
51:01a essayé de se cacher après la rafle du 16 juillet 1942,
51:08où elle a été arrêtée et a réussi miraculeusement
51:12à sortir des griffes de la police parisienne.
51:17Ma nourrice a voulu que je réponde à ce qui a été demandé à l'école,
51:23c'est-à-dire une belle lettre à ma maman.
51:28Ma maman, je ne la voyais pas.
51:30Ma nourrice a voulu me faire écrire un modèle de lettre à ma mère.
51:35Prise dans le modèle, elle m'a fait « Vous voyez ma mère » dans la lettre.
51:40J'ai rejambé, parce que les dernières fois que je l'avais vue,
51:44je la tutoyais, je ne voyais pas pourquoi.
51:47Il fallait mettre ce « Vous ».
51:49Ça faisait partie de la stratégie de Vichy,
51:53d'amadouer un peu la petite enfance autour de certaines valeurs.
51:58On ne l'a pas ressenti comme un instrument de propagande violent.
52:03C'était une reconnaissance, finalement.
52:06Après tout, aimer sa mère, ce n'est pas interdit.
52:15Musique douce
52:18...
52:25Les films de famille montrent toujours les moments heureux.
52:29Le sourire des enfants, les mamans avec leurs petits.
52:34Derrière les images d'innocence et de joie
52:37apparaissent ici les visages de ceux que la France de Vichy ne veut plus voir.
52:42Les indésirables, les étrangers, les juifs.
52:45...
52:55Au début de l'été 1943,
52:58Jeanne Billard, une assistante sociale et infirmière,
53:02filme la vie des internés du camp de Douadic
53:05comme dans un film de famille.
53:07Il s'agit d'un centre de regroupement pour les juifs raflés dans l'Indre
53:11avant leur éventuelle déportation vers les centres de mise à mort du 3e Reich.
53:16...
53:33Au moment où la caméra capte ces images,
53:36les grandes rafles sont terminées
53:38et le camp de Douadic ne connaît plus de triage.
53:42Les familles sont assignées à résidence
53:45et les hommes en âge de travailler sont absents,
53:48envoyés dans des groupes de travailleurs étrangers.
53:51Uniques en leur genre,
53:53les images réalisées en amateurs par Jeanne Billard
53:56sont les seules connues à ce jour à lever le voile
54:00sur le vaste archipel des 200 camps de transit,
54:03d'hébergement, d'internement ou de déportation
54:06qui dessinent une toute autre carte de la France.
54:09...
54:23Le petit film conserve la trace de ses enfants et de ses femmes,
54:27invisibles dans la mise en scène de la Révolution nationale.
54:31Reléguée hors champ par la politique xénophobe et antisémite de Vichy,
54:35...
54:40ils en sont la face cachée.
54:42...
54:51Dit Maréchal, c'est quoi être un enfant indésirable
54:54dans la France de Vichy ?
54:57On a eu la chance d'être accueillis dans des écoles
55:01qui connaissaient le problème et qui nous protégeaient.
55:04On n'était pas les seuls gosses qui étaient cachés là.
55:08Il y avait une petite de Paris.
55:11Donc, on passait notre temps à surveiller
55:14qu'on ne fasse pas de faux pas,
55:16pour ne pas dire des choses qui pouvaient être compromettantes,
55:19de ranger nos affaires dans un coin
55:21et de ne rien avoir de papier à des noms, à notre nom.
55:25Donc, j'ai appris... J'ai appris à me taire.
55:28...
55:32une vie tranquille, protégée,
55:34et en même temps, une angoisse de ne pas savoir
55:37ce qu'étaient devenus les parents.
55:39On nous avait dit qu'ils étaient partis travailler
55:42en Allemagne, dans un camp de travail,
55:45et qu'ils rentreraient quand ça serait fini.
55:50Donc, encore une fois, on n'osait pas trop poser de questions.
55:54On n'avait aucune information,
55:56mais personne n'avait une information à ce moment-là.
55:59Et au moment de la libération, on nous a amenés...
56:02Il y avait le bal, le soir, au Vernet-la-Varenne,
56:06et tout le monde dansait.
56:08Et moi, je pensais surtout à mes parents, en me disant...
56:11Qu'est-ce qu'ils sont dans tout ça ?
56:13Pourquoi ils ne sont pas rentrés ? Pourquoi ils ne sont pas là ?
56:19Donc...
56:21On ne savait pas ce que c'était. C'était une question de concentration.
56:26On n'en parlait pas. Ils étaient loin.
56:30J'ai rêvé très, très longtemps de mon père qui revenait.
56:40J'ai l'impression
56:43que je suis brutalement sorti
56:48d'une sorte de rêve,
56:51et le renversement a été brutal,
56:54à partir du moment où je me suis trouvée mêlée
56:59à des enfants du même âge que moi,
57:02mais qui avaient vécu des choses terribles,
57:06des arrachements, des violences.
57:09C'est la fin d'une légende,
57:12parce qu'il y avait pour moi
57:15le vieillard qui avait présidé à mon enfance.
57:19Et d'un autre côté, les choses horribles
57:22que j'entendais, que je lisais.
57:26Ça a été véritablement, pour moi, une révolution.
57:31J'ai eu l'impression
57:33que je sortais d'une sorte de sommeil
57:38et que, d'un seul coup,
57:41mes yeux s'ouvraient
57:43sur une réalité terrible.
57:48L'emprise a été la culpabilité, ça quand même.
57:53Le sentiment de culpabilité
57:56de nos parents, de nous-mêmes,
57:58et se vivre dans la culpabilité,
58:01c'est quelque chose d'important
58:03et qui a eu des conséquences à long terme.
58:06C'est la morale de la culpabilité,
58:09la culpabilité de la morale, comme vous voudrez.
58:13Oui, ça, oui.
58:26Sous-titrage MFP.
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