Elle a grandi avec un père violent, mais sa détermination a fini par forcer le destin. Cheffe d'entreprise et militante associative, Amelia Lakrafi est députée depuis 2017. Elle siège au sein du groupe Ensemble pour la république à l'Assemblée.
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Mon invitée est une hyperactive dont la détermination
00:03a fini par forcer le destin.
00:04Elle a créé deux entreprises avant d'être élue députée.
00:08Elle siège aujourd'hui au sein du groupe
00:10Ensemble pour la République à l'Assemblée.
00:12Musique intrigante
00:15...
00:25Bonjour, Amélia Lacrafie.
00:26Les députés qui sont élus par les Français installés à l'étranger
00:30passent une bonne partie de leur temps à résoudre
00:33les problèmes administratifs des expatriés,
00:35mais il y a d'autres problématiques
00:37auxquelles on ne pense pas tout de suite.
00:40On va revoir une de vos interventions
00:42sur un de ces sujets-là.
00:44C'était devant la délégation aux droits des femmes.
00:47-"La violence conjugale ne connaît pas les frontières.
00:50Il y a bien aussi des victimes parmi nos 2 millions de Françaises
00:53qui vivent à l'étranger.
00:55Nombre d'entre elles sont ce qu'on appelle des conjoints suiveurs,
00:58c'est-à-dire qu'elles suivent l'autre
01:01dans son projet d'expatriation avec d'importantes conséquences
01:04sur leur dépendance financière, sociale et affective.
01:07Ce contexte est aggravant.
01:09Pour les victimes, l'isolement et donc la détresse sont absolus."
01:13C'est pas forcément le premier sujet auquel on pense
01:16quand on parle des Français de l'étranger,
01:18mais c'est une réalité concrète sur laquelle vous travaillez
01:21depuis 2019, c'est ça ?
01:23En cinq ans, vous avez réussi à mettre en place
01:25des dispositifs concrets pour aider ces femmes
01:28victimes de violences conjugales alors qu'elles sont expatriées ?
01:31On a réussi des choses. Pas suffisamment, à mon goût,
01:34mais on a réussi à faire évoluer le sujet,
01:37ne serait-ce que de le mettre dans le scope de nos ministres.
01:40Dès 2019, pour le Grenelle des violences conjugales,
01:43quand je dis que je veux m'occuper des Français étrangers,
01:47on me dit qu'ils vont bien. Non.
01:49La ministre à l'époque, Marlène Schiappa, me dit
01:51que c'était pas assez dans mon angle mort,
01:54on savait pas, donc on fait, on reçoit 70 femmes
01:58qui expliquent la même méthode
02:02où on tombe et on tombe dans la violence.
02:04OK, avec des recommandations, 30,
02:06il n'y en a qu'une qui a été prise en compte, bon, très bien.
02:09Deuxième ministre qui me redit
02:11que c'est l'angle mort de mon ministère.
02:14Troisième ministre, c'est l'angle mort.
02:16Au bout d'un moment, j'ai craqué et j'ai avancé toute seule.
02:19On a une direction des Français étrangers efficace
02:22et des associations comme celle que vous avez montrée à l'époque.
02:25Très efficace.
02:27Ce sujet des violences conjugales
02:29et, plus globalement, des violences intrafamiliales,
02:32c'est un sujet que vous connaissez personnellement.
02:34Vous y avez été confrontée, vous, enfant.
02:37Absolument. C'est un sujet que je connais trop bien.
02:40J'aurais préféré pas le connaître.
02:42Vous en avez parlé assez récemment,
02:44dans ce qu'on appelle une conférence TEDx.
02:47Tout à fait.
02:48Je n'en ai jamais parlé,
02:50parce que je suis contre tous ceux qui se plaignent
02:53et qui tombent dans le...
02:54C'est pas de ma faute, j'ai pas de chance,
02:57je suis mal née, aidez-moi, et non.
02:59Et la victimisation, c'est pas du tout mon truc,
03:02donc je n'en ai jamais parlé.
03:03Et quand on m'a proposé de faire le TEDx,
03:07et le thème du TEDx était le succès.
03:09Qu'est-ce que le succès ou la réussite ?
03:12Je me suis dit que ça pouvait être intéressant.
03:14Si je pouvais changer la vie, ne serait-ce que d'un enfant,
03:17victime de violences, en l'occurrence, moi, c'était de mon père,
03:21ou qui a eu une enfance très difficile,
03:23qu'il se dise qu'en fait, quoi qu'il m'ait arrivé jeune,
03:26je peux m'en sortir.
03:28Racontez, pour que nos téléspectateurs
03:30comprennent un peu ce par quoi vous êtes passée, vous, enfant.
03:34Mon père était violent.
03:36Très violent, alcoolique.
03:38Il y a un lien entre l'alcool et la violence,
03:41en tout cas dans son cas.
03:42Et sur six enfants, j'étais la seule à être battue,
03:45j'ai jamais su pourquoi,
03:47mais dans mon malheur, j'ai une chance,
03:49j'ai un blackout total de tout ce qui s'est passé
03:52avant de m'être 12 ans.
03:53Je l'ai su parce que c'est des tantes et des oncles
03:56qui m'ont dit, mon Dieu, ma pauvre, ce que t'as vécu,
03:59ou ma mère, ou des fois, mes grandes sœurs.
04:02Et comme je m'en souviens pas,
04:04j'ai l'impression que ça me touche pas.
04:06Mais j'ai de temps en temps des petits flashs,
04:09et puis voilà, mon père voulait même pas
04:11que ma mère avorte, il l'a frappée, elle a saigné,
04:14il a tout essayé, et je suis née quand même.
04:17A la naissance, il lui a dit,
04:18tu peux mourir, je t'emmènerai pas à l'hôpital.
04:21Je suis la seule à être née à la maison,
04:23et puis j'ai quand même grandi.
04:25J'avais pas le droit de manger,
04:27donc ma mère me donnait à manger en cachette,
04:30mais tout ça, on me l'a raconté,
04:32et j'ai l'impression que c'est pas moi.
04:34Quand vous étiez enfant,
04:35votre mère vous avait surnommée la muette,
04:38vous vous cachiez en permanence dans l'appartement familial.
04:41De la petite fille muette à la députée
04:43qui s'exprime facilement, avec son franc-parler,
04:46et à qui tout semble un peu réussir ?
04:50Alors, tout réussir, je pense pas,
04:52et après, qu'est-ce que la réussite ?
04:54Muette, oui, parce qu'à la maison,
04:56je me suis habituée à pas parler,
04:58je restais très discrète, cachée, comme mon père était là,
05:02mais très bizarrement, en fait, à l'extérieur de la maison,
05:05j'étais tout l'inverse de ce que j'étais à la maison.
05:08Donc, à la maison, ma mère m'appelait Zaïzona,
05:10c'est la muette, mais en classe, j'ai toujours été déléguée de classe,
05:14j'ai toujours voulu protéger mes camarades.
05:17Vous avez eu une autre vie avant la politique,
05:19une vie d'entrepreneur, vous avez créé deux entreprises,
05:23une dans le milieu des start-up et une dans la cybersécurité,
05:26tout ça en ayant commencé votre carrière comme comptable.
05:29C'est un parcours assez étonnant
05:31quand on connaît les différents obstacles
05:33que vous avez dû franchir.
05:35Ca donne l'impression que pour vous, il n'y a pas de limite dans la vie ?
05:39Vous concevez les choses ?
05:40Je pense qu'on n'a personne de limite.
05:42Peut-être que j'exagère quand je dis ça,
05:45mais j'ai commencé en contrôleur de gestion,
05:47mais j'ai eu beaucoup de chance et j'ai l'impression
05:50que quand on croit en soi et qu'on se dit qu'on va y arriver
05:53de toute façon, je pense qu'on interprète différemment
05:57les événements qui se produisent ou les gens qu'on rencontre,
06:01les propositions, et du coup, j'ai eu la chance
06:03de travailler très rapidement avec les parents
06:06qui ont été les gens chez qui j'ai fait du babysitting.
06:09Quand j'étais en terminale, je bossais le matin dans le ménage,
06:12le soir dans le babysitting et le week-end en gardiennage.
06:15Une fois que j'ai été diplômée, ils m'ont recrutée
06:18comme contrôleur de gestion et j'ai créé ma boîte assez rapidement.
06:22Financement de l'innovation de la recherche,
06:24dépôt de brevets, cybersécurité et trois associations en Afrique.
06:28C'est ce que j'allais dire, c'est qu'en parallèle de ça,
06:31vous avez eu des premiers engagements,
06:33mais pas politiques, c'était plus dans l'humanitaire.
06:36Comment ça a répondu ?
06:37Je l'ai su très tard, en fait.
06:39J'ai fini par aller voir un psychologue
06:41parce que je me rendais compte que j'étais très sensible
06:44aux pleurs d'enfants et je me mettais à pleurer.
06:47Je me suis dit qu'il fallait voir ce que c'était.
06:50Chaque 20 mars, chaque jour de mon anniversaire,
06:52je suis pas bien, je déprime,
06:54et je me suis demandé pourquoi c'est le jour de la mort de mon père,
06:58le jour de mes 18 ans.
06:59J'ai discuté avec ce psychologue qui m'a dit que je donne trop,
07:02j'aide trop, et on me le dit souvent,
07:05et lui l'a traduit en
07:07comme avec mon enfant, j'étais pas censée vivre,
07:10donc pourquoi d'autres ne sont pas vivants et moi, je le suis,
07:13donc j'ai une dette envers les autres.
07:16C'est comme ça que vous l'interprétez.
07:18Le déclic de la politique s'est fait pour vous en 2017,
07:21avec Emmanuel Macron,
07:22pourtant, vous étiez pas du tout attirée par ça,
07:25vous aviez un regard assez négatif sur la politique.
07:28Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?
07:30Je me suis toujours dit que c'est pas bien,
07:32que les hommes politiques sont soit des voleurs, soit des menteurs.
07:36Pas très original.
07:37Je me suis dit que c'était un monde de clientélistes
07:40et que de toute façon, ils sont entre eux et restent entre eux.
07:43Et quand on me téléphone six mois avant l'élection présidentielle
07:47pour me dire que le candidat Macron a apprécié mon profil
07:50parce que je suis passée sur BFM Business
07:52et que je défendais les PME avec la CGPME à l'époque
07:55et que j'étais commandante de réserve à la réserve cyberdéfense,
07:59que j'avais un combo intéressant d'origine marocaine,
08:02femme, tout était assez intéressant,
08:04je me suis dit, il me connaît pas, je suis pas son amie,
08:07je connais personne autour de lui, comment c'est possible
08:10qu'on vienne me chercher pour un CV ?
08:13Et je me suis dit, OK, intéressant.
08:15Vous êtes partie et vous avez été élue dès 2017.
08:17J'ai lu que dans la foulée, Edouard Philippe
08:20vous a proposé d'être ministre dans son premier gouvernement.
08:23Vous, qui avez toujours foncé, toujours cru en votre destin,
08:27vous lui avez dit non. Pourquoi ?
08:29D'abord, je m'en sentais pas capable.
08:31C'est la première fois de ma vie que je me suis dit,
08:34ça va trop vite.
08:35Ca vous donne pas des regrets ?
08:37Pas du tout. Non, pas du tout.
08:39Non, parce que j'ai aussi préféré, privilégié,
08:41aller voir les gens dans ma circonscription
08:44parce que je suis aussi, à ce moment-là,
08:46en deux jours, j'ai rencontré 15 personnes
08:49autour du président Macron, que j'étais censée perdre
08:52et qu'ils avaient prévu que je perde et que je prépare
08:55pour 2022. Dans toutes les réunions publiques,
08:58j'ai eu des gens incroyables qui m'ont dit d'abord gentiment,
09:01en gros, ma petite dame, vous êtes bien gentille,
09:04mais nous, on votera à droite.
09:05Je leur ai dit, pas de problème, votez qui vous voulez,
09:08je m'en fiche. On discute.
09:10A la fin, tous ces gens m'ont dit,
09:12vous avez l'air sincère, on va essayer avec vous.
09:15Je me suis dit, si je suis ministre,
09:17je pourrai pas aller les voir.
09:19Vous faites de la diplomatie en tant que députée.
09:21Vous êtes sur une circonscription très vaste,
09:24qui couvre le Moyen-Orient et une bonne partie de l'Afrique.
09:27Quelle est votre valeur ajoutée par rapport
09:30aux diplomates du quai d'Orsay ?
09:31Est-ce que vous avez d'autres leviers pour agir ?
09:34La chance qu'on a, et ce que je rappelle souvent,
09:37c'est qu'on a la parole très libre,
09:39et je ne représente ni le président de la République
09:42ni le gouvernement, et je me représente moi-même.
09:45On voit ce que représente votre circonscription.
09:4849 pays, du Ghana au Sultanat d'Oman
09:50et de l'Afrique du Sud au Liban.
09:51Vous accompagnez parfois le chef de l'Etat, Emmanuel Macron,
09:55dans ses déplacements dans votre zone,
09:57dans votre circonscription.
09:59Vous remontez des infos en direct à l'Elysée
10:01à travers cette activité de diplomate-députée ?
10:04Il y a plein de choses que certains chefs d'Etat
10:06ne disent pas aux diplomates, n'osent pas,
10:09ou ça peut créer un sujet s'ils le disent,
10:11ou des choses pour lesquelles on n'est pas totalement sûrs,
10:15c'est pas totalement recoupé, donc ils vont éviter de le remonter.
10:18Moi, je peux le remonter, donc je remonte.
10:21J'essaie de prendre certaines décisions plus vite.
10:23Vous siégez à la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée.
10:27J'ai été marqué par une phrase, un long propos
10:30de son ancien président, Jean-Louis Bourlange,
10:33qui dit de vous,
10:34j'ai rarement vu chez un élu national
10:36un tel mélange de pétulance, d'énergie, de mobilité,
10:39et je dirais d'alacrité que chez cette formidable collègue
10:42aux côtés de laquelle j'ai siégé.
10:44Quand on connaît Jean-Louis Bourlange,
10:46on sait que c'est pas quelqu'un qui a le compliment facile.
10:49Ils disent ça de vous comme ça ?
10:51J'en sais rien. J'ai été moi-même,
10:53j'ai fait plusieurs déplacements avec lui,
10:56il me manque beaucoup, c'est un homme formidable,
10:58je l'ai rappelé.
10:59Il a décidé de ne pas se représenter.
11:02Il nous manque beaucoup, je sais pas.
11:04Je l'ai trouvé très touchant.
11:05Vous avez une personnalité qui n'a rien à voir avec la sienne.
11:09Mais c'est ça qui est intéressant,
11:11parce que c'est vrai que je pense que je peux étonner
11:15et peut-être décoincer, je crois,
11:18certaines personnalités.
11:20On va passer à notre quiz pour conclure l'émission.
11:23Vous allez devoir compléter les phrases que je vais vous proposer.
11:26Ce que j'ai de plus marocain en moi...
11:28Manger avec les mains.
11:30Ca reste.
11:32Une fois élue députée, j'ai vendu mon entreprise car...
11:36Je voulais laver plus blanc que blanc,
11:39je voulais légiférer sur la cybersécurité
11:42et je voulais paquiller le moindre doute de conflit d'intérêt.
11:46Est-ce qu'aujourd'hui, vous le regrettez ?
11:49Totalement.
11:50Pourquoi ?
11:51Parce que j'ai jamais pu imposer mes textes cybersécurité.
11:54Ca n'a intéressé personne, malheureusement,
11:57alors que je pense que c'est un sujet
11:59qui est encore beaucoup trop sous-représenté,
12:04sous-utilisé, sous-traité, sous tout ce qu'on veut.
12:06Et qu'on me demande beaucoup, beaucoup de services cyber
12:11et je leur dis que j'ai plus de boîte cyber.
12:13Si vous n'êtes pas réélue aux prochaines élections...
12:16Je créerai une boîte.
12:17Vous repartirez de zéro, vous avez des projets.
12:20Avoir fait de la boxe taille permet de...
12:22Se défouler.
12:23Pendant cinq ans, c'était un défouloir.
12:26C'était plus pour se défouler que pour se défendre.
12:29C'est un antistress que je conseille à tout le monde.
12:31Merci beaucoup, Amélia Lacrafie, d'être venue dans La Politique.
12:35Merci beaucoup. Merci vraiment.