Le réalisateur David Teboul a réuni les quatre dernières survivantes d'Auschwitz en France.
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00:00Là, il y a quelque chose qu'il faut vraiment voir, vraiment.
00:04Ça s'appelle « Les filles de Birkenau ». Alors je sais, on en a marre, les producteurs
00:11aussi, les festivals, les salles de cinéma, tout le monde en a marre, je sais.
00:16Personne n'a envie de programmer ça, tout le monde a l'impression de savoir.
00:19Le film passe dimanche sur France 5 à 23h40.
00:26C'est vous dire la confiance que les gens qui le programment ont en sa capacité à
00:29attirer les spectateurs.
00:31Moi-même, je pensais avoir vu et revu.
00:34On sait, mais on ne sait pas.
00:36Parce que c'est la déshumanisation.
00:41On ne sait pas être déshumanisé, l'avoir été.
00:47Il y a des gens qui connaissent.
00:50Le réalisateur David Teboul a réuni les 4 dernières survivantes d'Auschwitz en France.
00:58Je sais, des vieilles femmes ridées en train de parler, je sais.
01:02On a vu les 9h de Shoah, mais on ne sait pas.
01:05On ne sait pas ce que c'est la déshumanisation.
01:08On n'a pas compris.
01:11Ça ne rentre pas, ça ne peut pas rentrer dans la tête.
01:15C'est pourquoi les gens se taisent en rentrant.
01:19Mais là, il y a 4 femmes, 4 vraies femmes encore vivantes, plus pour très longtemps,
01:27la plus jeune à 92 ans, la plus âgée 97.
01:31Il les a réunies autour d'une table pour déjeuner.
01:34Genre déjeuner sur l'herbe noire.
01:37Puis dans une salle à manger.
01:39Et elles parlent.
01:40Ils demandent à quoi elles pensaient dans le camp.
01:43L'une dit qu'elle pensait qu'elle avait des poux.
01:46Mais bon, 6 millions de juifs morts, je ne vais pas raconter mes poux.
01:49Je ne vais pas compter mes poux.
01:52Qu'elle pensait à ce qu'elle allait manger au retour.
01:55Il y a des tensions entre elles, au début.
01:58Des menaces de quitter la table.
02:00Elles se disputent, presque.
02:02L'une qui dit tout le temps, vous ne m'écoutez pas.
02:06La question de ne pas couper la parole.
02:08La question des classes sociales différentes entre elles.
02:12La rivalité entre les étrangères du ghetto, les françaises pauvres,
02:16celles qui viennent d'un taudit de Belleville
02:18qui ne supportent pas qu'on lui coupe la parole.
02:21Les filles de milieux aisés qui viennent de l'Est.
02:24L'une d'elles, à Auschwitz, on nous traitait d'élite.
02:27L'impression que ça recommence entre elles.
02:30La question de partager sa ration avec sa mère.
02:34La question d'aller aux toilettes.
02:36Des trous, 500 trous.
02:38Celle de se moucher, de se torcher.
02:41Les odeurs.
02:43Elle rit toute en disant qu'elle ne sentait rien.
02:46La question du sexe dans le camp.
02:49D'avoir été choquée au début qu'on leur propose de se prostituer
02:53et puis après avoir regretté, elles auraient eu une portion en plus.
02:57La tante de l'une d'elles se suicide au poison.
03:01Elle dit, j'ai pas versé une larme, j'étais insensible.
03:06Une autre.
03:08Vous arrivez, vous êtes normale.
03:10En 2-3 heures, vous êtes nue, les cheveux rasés.
03:12Vous devenez quelqu'un d'inhumain.
03:14Aujourd'hui c'est la vie, demain c'est la mort.
03:16David Teboul.
03:18On est égoïste au camp.
03:20L'une.
03:21On ne pense qu'à soi.
03:22Votre copine à côté, elle meurt.
03:24Tant mieux, c'est pas vous.
03:26L'une.
03:27On ne réfléchissait pas.
03:29Sa sœur en train de mourir qui lui dit, tu raconteras ce qui nous est arrivé.
03:32Qu'on ne soit pas les oubliés de l'histoire.
03:36Elle rentre de déportation.
03:39Elle ne parle pas.
03:42L'une.
03:43Ça ne me vient même pas à l'idée.
03:46Personne ne voulait nous écouter.
03:49Une autre.
03:50À partir de ce moment-là, je ne suis plus quelqu'un.
03:54Ce film, c'est la lucidité.
03:59La déshumanisation lucide.
04:03Personne ne pleure.
04:05Aucune d'elle.
04:07C'est savoir que la déshumanisation, ça veut dire être inhumain pour soi-même.
04:15Christine Angot.
04:17Merci.