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00:00 le jeudi, le moment, en go.
00:02 On connaît tous cette impression de tourner les pages d'un livre, quand il n'en reste
00:07 que quelques-unes, avec un mélange d'impatience, on a hâte de savoir comment ça va finir,
00:14 et en même temps une espèce de tristesse, parce qu'on va le quitter, on vient de vivre
00:18 avec lui en étant à la fois à l'extérieur de soi-même et au plus profond, en lien avec
00:23 un interlocuteur intime, l'auteur, le personnage, on ne sait pas.
00:27 Tout ça pour dire que la sortie d'un livre de Modiano est une fête, que tourner les
00:34 dernières pages est une tristesse et une excitation, on avance depuis le début par
00:39 petites touches, avec des fulgurances, des moments d'extase, sans trop savoir.
00:45 On va d'incertitude en incertitude, comme dans la vie, sans être sûr de rien, en se
00:51 demandant ce que viennent faire les personnages qu'on croise.
00:53 Celui qui sort en ce moment s'appelle « La danseuse ».
00:57 Page 42.
01:00 Elle, la danse lui avait fait tout oublier.
01:03 Le narrateur l'accompagne dans les rues quand elle va à son cours de danse ou quand
01:08 elle rentre chez elle.
01:09 Ça se passe à Paris, entre la porte de Champéret, le boulevard Malzherbe et la gare Saint-Lazare.
01:15 Page 43.
01:16 J'avais rencontré un étrange éditeur.
01:19 On se dit, ça doit être lui, Modiano.
01:22 A ses débuts, quand il n'a encore rien fait et accepte des travaux d'écriture.
01:27 Les personnages ne sont jamais caractérisés par des clichés sociaux.
01:31 Ils le sont par une phrase, comme ça, qu'ils disent et qui les révèlent, ou une carrure,
01:38 une coupe de cheveux, le tissu d'un vêtement.
01:40 Tout est toujours une impression.
01:42 Rien n'est jamais asséné.
01:44 On avance à l'instinct, mot à mot, toujours des mots simples.
01:48 La recherche du mot est cruciale.
01:50 C'est la seule pièce à conviction pour s'assurer que les choses ont bien existé.
01:54 Il faisait pareil à l'oral dans les émissions de Bernard Pivot, quand il cherchait ces mots,
02:00 non par timidité, selon la légende, mais pour trouver le mot exact, la réalité, et
02:06 ne pas se laisser enfermer dans l'idée reçue.
02:08 La danseuse lit un livre de mysticisme.
02:12 Page 65, incandescence, béatitude, ravissement, extase, elle avait fini par penser que l'on
02:22 aurait pu utiliser les mêmes mots pour parler de la danse.
02:26 Un livre de Modiano, c'est pareil.
02:28 On le lit dans une espèce d'incandescence.
02:32 C'est un événement.
02:33 Et puis ça s'évanouit, comme un mirage.
02:37 Ça se dérobe à l'explication, à la description.
02:41 C'est juste quelque chose qu'on ressent.
02:43 C'est la pure sensibilité.
02:46 Comme la musique.
02:47 C'est difficile de parler de la musique.
02:49 On balbutie.
02:51 Il y a un livre de lui qui sort tous les deux ans.
02:54 Ça paraît normal.
02:56 Il n'y a rien de retentissant.
02:57 La danseuse, bon, la danseuse.
03:01 Que dire ? L'incandescence, la grâce, la discipline.
03:06 Modiano ne s'accroche pas au passé plus qu'un autre.
03:11 Il raconte sa vie.
03:13 Comme personne.
03:14 Et il met de l'ordre.
03:16 Comme personne.
03:18 En tenant compte du brouillard qui le sépare d'hier.
03:21 Sans que ce soit jamais un prétexte pour ne pas chercher à retrouver ce qui a existé
03:26 et qui n'existe plus.
03:27 Où sont les choses et les gens d'avant ? Peut-on les retrouver ? Il n'est pas l'auteur
03:33 du passé, il est celui du présent éternel qu'on ressent en nous.
03:38 Il en recherche le vocabulaire, le mot et l'image.
03:41 Page 62 En rêve, je regarde souvent une étoile
03:48 quand le ciel est limpide et j'ai la certitude que sa lumière, discontinue et lointaine,
03:54 s'adresse à moi.
03:55 Une lumière dans laquelle baigne la danseuse, Pierre, Ovin, les habitués du studio Walker,
04:02 l'appartement de la porte Champéret, mes débuts dans la vie.
04:06 J'avais lu une fois dans une interview qu'avant de se lancer dans l'écriture d'un livre,
04:12 il passait des après-midi entiers à rêver allongé sur un canapé.
04:18 - Christine Angot. Wow. Merci.