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Christine Angot revient la libération de la parole dans le cinéma en France, et ce qu'elle a de différent des Etats-Unis.

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Transcription
00:00 Le Me Too américain, déclenché par l'affaire Weinstein, concernait des actrices à différents
00:05 stades de leur notoriété et de leur carrière, jeunes mais pas mineurs.
00:10 Il ne s'agissait ni de les créer ni de les inventer, pour reprendre la terminologie de
00:16 Jaco dans le documentaire de Miller, mais de les aider à faire décoller leur carrière
00:22 en leur donnant accès à des rôles, à des productions de dimension internationale, en
00:27 leur faisant miroiter une sorte de promotion canapé, selon l'idée que les femmes doivent
00:33 coucher pour réussir.
00:34 L'argument n'était ni l'amour ni vivre ensemble, mais l'accès à un pouvoir social, financier,
00:44 assorti de la menace tacite qu'elles avaient intérêt à céder, c'était ça ou leur
00:50 carrière brisée.
00:51 La logique de prédation était assumée, claire, chiffrable, calculable, bien que sans
01:00 obligation de résultat.
01:01 Le Me Too à la française n'a rien à voir avec ça.
01:06 Il concerne des adolescentes, mineures, en deçà de l'âge du consentement, qui deviennent
01:14 l'objet sexuel d'hommes qui ont l'âge de leur père et qui pourraient être des amis
01:18 ou des amants de leur mère.
01:20 Ça ressemble à l'inceste, sans en être.
01:24 La fille n'est pas leur fille.
01:26 Mais c'est la même logique, adaptée.
01:30 Celui qui a l'âge d'être leur père peut en jouir sans avoir à se cacher.
01:36 L'argument n'est pas financier, c'est « je t'aime », comme dans l'inceste,
01:46 comme en famille, c'est la même logique.
01:49 Et ça porte un nom, le viol sur mineur.
01:52 Le Me Too à la française a été déclenché par le viol sur mineur.
01:57 Mais le mot que tout le monde utilise depuis le début de cette affaire, c'est « emprise
02:03 ». Emprise, un mot abstrait, psychologique, moins net, difficile à décrire, flou, un
02:14 mot d'adulte.
02:15 Les enfants ne sont pas sous l'emprise de leurs parents.
02:19 Ils sont les enfants.
02:21 Dans le viol sur mineur, les enfants ne sont pas sous l'emprise de l'homme qui a l'âge
02:26 de leur père.
02:27 Ils sont violés par un homme qui pourrait être un ami de leur mère.
02:33 Ils organisent une rivalité mère-fille en les mettant sur le même plan.
02:38 Humiliation garantie de celle qui a son âge.
02:41 Lui, l'homme, au milieu.
02:45 Ils couchent alternativement avec les deux.
02:47 Par la magie du cinéma, la femme, comme c'est arrivé à Jane Birkin, script sur le tournage
02:57 de La fille de 15 ans peut assister à une scène de sexe entre son compagnon et l'actrice
03:02 mineure.
03:03 Notre Me Too, en France, a été déclenché par le viol sur mineur, qui n'est pas l'inceste
03:15 mais dont le prédateur reprend le scénario pour le jouer et en jouir.
03:20 La victime est un accessoire du jeu, un jeu qui infériorise les femmes de son âge et
03:30 un trophée qui le valorise aux yeux des autres hommes.
03:34 La victime est un jouet, à qui on ne demande pas de consentir mais d'apprendre à faire
03:41 une fellation.
03:42 Elle est mise en rivalité avec la puissance de femmes adultes.
03:47 Elle a honte.
03:49 Elle sait que ces années-là ne se rattraperont pas.
03:53 Ici même, agacée qu'on lui pose des questions trop politiques sur Me Too aux Etats-Unis
04:02 et en France, Jodie Foster a dit « Vous êtes en retard, dépêchez-vous ».
04:08 On pourrait bien être en avance.
04:11 Parce qu'on s'attaque à la racine qui n'est pas l'argent, celle qui joue sur
04:18 les sentiments, la culpabilité, la rivalité avec la mère, la détresse, la honte.
04:25 La honte, pas la pudeur.
04:29 La honte toxique, celle dont on ne se débarrasse jamais.

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