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00:00 C'est pathétique.
00:01 Des auteurs français qui ont pour porte-drapeau le Goncourt 2018 Nicolas Mathieu s'inquiètent
00:08 de la présence du roman de Kevin Lambert, que Notre Joie demeure, sur la liste du Goncourt
00:13 de cette année.
00:14 Parce qu'il a été relu avant publication par un sensitive reader, un lecteur sensible.
00:23 Pour eux, c'est l'agent d'un contrôle social sur l'écriture.
00:27 Ils utilisent le mot anglais pour faire « menace étrangère ».
00:31 C'est marrant.
00:33 Parce que, en revanche, quand il est question de faire relire à des membres de la famille
00:38 qui pourraient être heurtés dans leur sensibilité un roman où ils risqueraient de se reconnaître
00:43 sous les traits d'un personnage, alors là tout le monde trouve ça délicat et formidable.
00:48 Humain, respectueux de la vie privée et de la famille au sens strict.
00:52 Et celui qui ne le fait pas a vite fait de passer à leurs yeux pour un monstre froid.
00:57 La plupart des écrivains préfèrent attendre que leurs parents meurent pour écrire ce
01:02 qu'est le cercle familial, tellement ils sont délicats.
01:05 A l'égard de la sensibilité de la famille.
01:08 La famille au sens strict.
01:10 Pas l'humanité au sens général.
01:13 Les sensitive readers, nous, en France, on ne pratique pas.
01:18 On fait relire par un avocat.
01:20 Que ce soit exactement la même chose n'effleure pas ceux qui déplorent la présence de Kevin
01:26 Lambert sur la liste du Goncourt.
01:28 Il est canadien, il a 30 ans, il dit que lui-même est homosexuel et qu'il aimerait bien renseigner
01:35 un auteur sur un personnage qui le serait dans un roman.
01:37 Le but n'est pas de suivre des conseils, mais de créer des phrases.
01:43 Celles de Kevin Lambert sont celles d'un écrivain.
01:47 Et la sensibilité est le sujet du livre.
01:50 Le personnage principal est une femme, architecte, richissime, mondialement reconnue, du niveau
01:59 de Jean Nouvel.
02:00 Des femmes architectes de niveau international, il y en a aussi dans la réalité.
02:04 Lina Bobardi, René Gayouste, Zaha Hadid, je me suis renseignée.
02:10 Elle est au sommet.
02:13 C'est une gloire internationale.
02:16 Mais la presse qui tombe dessus, c'est la chute.
02:19 Après la révélation d'une construction à Montréal, sur des terres autochtones.
02:23 Le livre décrit avant, pendant la chute et après.
02:28 Quand l'extrême richesse, l'extrême célébrité se fracasse sur une inattention à la sensibilité,
02:35 ça oui, c'est sûr, c'est nouveau.
02:38 Est-ce que la France doit rester le pays de la liberté d'importuner ? Pendant longtemps
02:45 ?
02:46 D'importuner ce qu'on appelle les personnes stigmatisées comme si ce n'était pas des
02:50 personnes mais des cas d'école ?
02:51 Au XIXe siècle, un roman qui caractérisait le personnage des Juifs par une allusion à
03:00 la rapacité en matière d'argent ne choquait personne.
03:02 Non seulement ça passait, mais c'était même pas visible, même pas noté.
03:08 Il a fallu la Shoah pour que ça s'arrête.
03:10 Un peu, un temps, avant de reprendre en sourdine.
03:14 Faire relire un manuscrit, ce n'est pas se soumettre à un contrôle, c'est essayer
03:20 d'entendre ce qu'on a écrit d'une autre oreille.
03:23 La littérature se fait dans un temps donné, contemporain, parcouru par tout un réseau
03:30 de sensibilités, les siennes, celles des autres, l'air et les mots du temps.
03:36 On ne peut pas écrire si on ne ressent pas tout ça en même temps et qu'on a peur d'être
03:41 contrôlé.
03:42 Il faut juste le ressentir, en être conscient et décider.
03:46 La langue n'est pas un bien personnel, c'est un bien commun.
03:50 On n'écrit pas seul.
03:52 La littérature nous appartient à tous.
03:54 Il ne s'agit pas d'être naïf, de plier sous un groupe de pression, il s'agit d'entendre.
04:01 Autrement dit, la littérature c'est tout un art.