Avec Elisabeth Philippe, journaliste.
Retrouvez les éditos culture sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-culture
Retrouvez les éditos culture sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-culture
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Elisabeth, on passe à la culture, ce matin vous avez choisi de parler du dernier roman
00:04 de l'écrivaine israélienne Zerouia Chalev.
00:08 « Stupeur », c'est le titre de ce roman sorti fin août en France.
00:12 « Stupeur », c'est aussi le mot qui dit certainement le mieux ce que le monde a pu
00:15 éprouver ce week-end devant les images sanglantes et glaçantes de l'attaque du Hamas contre
00:19 Israël.
00:20 Longtemps, l'écrivaine Zerouia Chalev, 64 ans, l'une des plus grandes voix de la littérature
00:24 israélienne, a refusé de faire entrer la politique dans ses livres.
00:27 Elle, ce qu'elle voulait, c'était raconter des histoires d'amour, des histoires de famille,
00:31 se faire la sismographe des moindres secousses psychologiques de ses personnages.
00:35 Et puis en 2004, le conflit qu'elle tenait à distance de son espace d'écriture s'est
00:39 invité dans sa vie, dans sa chair.
00:41 Le 29 janvier de cette année-là, Zerouia Chalev a été victime d'un attentat suicide
00:45 dans un bus à Jérusalem.
00:47 Dix personnes sont mortes, elle en a réchappé grièvement blessée.
00:50 Dès lors, l'histoire de son pays, sa violence, se sont mêlées aux histoires intimes qu'elle
00:55 écrivait, ce fut notamment le cas dans "Douleur", paru en 2017, dont la protagoniste était
01:00 comme Chalev, rescapée d'un attentat.
01:01 Et c'est à nouveau le cas dans "Stupeur".
01:03 Et de quoi parle ce roman ?
01:04 C'est l'histoire de deux femmes.
01:06 La première se prénomme Rachel.
01:08 Quand le livre commence, elle a plus de 90 ans.
01:10 Dans sa jeunesse, Rachel a combattu dans les rangs du Léhi, un groupe sioniste, extrémiste
01:15 et terroriste, qui s'est battu de 1940 à 1948 pour libérer la Palestine du mandat
01:19 britannique.
01:20 Au sein de ce groupe, Rachel a fait la connaissance de Mano, un autre combattant persuadé qu'une
01:25 fois débarrassé des Anglais, il pourrait vivre en paix avec les Arabes.
01:28 Rachel et Mano tombent follement amoureux, se marient, puis brusquement, pour des raisons
01:31 que l'on comprendra au fil du roman, Mano quitte Rachel et la lutte armée.
01:35 Il refait sa vie, se remarie à des enfants, dont une fille, Atara.
01:38 Atara, c'est l'autre héroïne de "Stupeur".
01:40 Elle cherche désespérément à retrouver Rachel, pour tenter de comprendre son père,
01:44 cet homme qui s'est toujours montré si dur avec elle.
01:46 Et en tressant en alternance les vies des deux femmes, en passant sans cesse du passé
01:50 au présent, Zerouya Chalev raconte l'histoire d'Israël depuis sa fondation jusqu'à
01:54 nos jours.
01:55 Elle raconte les divisions de ce pays, les déchirements qui fracturent chacune de ses
01:58 familles, de ses habitants, et qui s'inscrivent aussi dans le paysage lui-même, accidenté,
02:02 défiguré par les colonies qui sortent de terre et balafré par le mur de séparation.
02:06 Ces stigmates, Atara y est particulièrement sensible, elle qui exerce le métier d'architecte,
02:11 spécialiste de la conservation du patrimoine.
02:13 Comme lui fait remarquer cyniquement un entrepreneur avec lequel elle est contrainte de travailler,
02:17 à quoi bon préserver le patrimoine d'un pays qui n'a aucune chance d'exister dans
02:20 deux ou trois générations ? Il faut construire vite, simple et fonctionnel, sans s'occuper
02:24 du passé, puisqu'à chaque instant un volcan peut entrer en éruption et nous dégager
02:28 d'ici.
02:29 Lui, cet homme, s'est spécialisé dans la construction d'appartements avec des pièces
02:32 sécurisées.
02:33 Et ce qui m'a surtout frappée à la lecture de ce roman d'une profondeur psychologique
02:37 sidérante, c'est justement l'impression d'enfermement.
02:39 Une image revient sans cesse, celle d'une porte close, une porte qui se referme tour
02:44 à tour sur Rachel et sur Atara, comme si tout tissu était impossible.
02:47 (...)
02:53 Elisabeth Philippe.