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Avec Elisabeth Philippe, journaliste.

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Transcription
00:00 - 9h47, Elisabeth, ce matin, vous rendez hommage à la poétesse Louise Gluck, prix Nobel de littérature, qui vient de nous quitter.
00:08 - Dominique Bernard, l'enseignant poignardé vendredi, dans un lycée d'Arras, s'aimait les écrivains Julien Gracque, Claude Simon, Marcel Proust et Pierre Michon.
00:16 Peut-être ce professeur de lettres aimait-il aussi les poèmes de Louise Gluck.
00:20 Peut-être avait-il découvert, comme beaucoup d'entre nous, cette œuvre dense et dépouillée en 2020,
00:25 l'année où la poétesse américaine reçut le prix Nobel de littérature, récompense qui projeta une lumière soudaine sur une artiste qui, de beaucoup, préférait l'ombre.
00:33 Louise Gluck, elle aussi, est morte vendredi 13 octobre d'un cancer. Elle avait 80 ans.
00:39 Comme Dominique Bernard, elle était professeure et si, à l'origine, elle ne souhaitait pas enseigner, elle prit vite goût à ce métier.
00:44 L'enseignement constituait pour elle une manière de revenir dans le monde, là où l'écriture et ses silences, parfois angoissants, pouvaient l'en éloigner.
00:50 - Et à quoi ressemble la poésie de Louise Gluck ?
00:53 Dans ses poèmes elliptiques, au lyrisme épuré, Louise Gluck mêle le quotidien et l'intemporel.
00:58 Il y est autant question de tâches domestiques que de héros mythologiques.
01:01 Le jeu qui s'y exprime se mue souvent en un « nous » et de son expérience intime, autobiographique,
01:07 Louise Gluck chante d'une voix presque neutre mais profonde le collectif, l'expérience humaine dans ce qu'elle a d'universel,
01:13 en particulier le deuil et la perte, comme dans le poème « L'iris sauvage » dont voici quelques vers.
01:19 « Au bout de ma douleur, il y avait une porte. Écoute-moi bien, ce que tu appelles la mort, je m'en souviens.
01:25 En haut, des bruits, le bruissement des branches de pin, puis plus rien.
01:30 Le soleil pâle vacilla sur la surface sèche.
01:33 C'est une chose terrible de survivre, comme conscience enterrée dans la terre sombre. »
01:38 Nombre des poèmes de Louise Gluck sont inspirés de la mythologie, hantés par Ulysse, Orphée ou Aennée,
01:43 autant de personnages qui sont descendus aux enfers et en sont revenus, c'est ce qu'on appelle la catabase.
01:48 Ces derniers temps, en particulier ces derniers jours, le monde dans lequel nous vivons,
01:52 à feu et à sang, ressemble bel et bien à l'enfer. Et que peut la poésie face à cela ?
01:56 Elle peut sembler dérisoire, mais parfois, un ver, une strophe, parce qu'il résonne étrangement
02:01 avec notre douleur, avec notre présent, viennent l'adoucir, même un instant.
02:05 On se sent soudain moins seul, moins démuni, parce que pourvu de mots.
02:10 Dans le poème « Octobre », sans que jamais cela soit explicite,
02:12 Louise Gluck évoque le traumatisme lié aux attentats du 11 septembre, et je vous en lis un extrait.
02:18 « Il est vrai qu'il n'y a pas assez de beauté dans le monde.
02:21 Il est également vrai que je n'ai pas les compétences pour la restaurer.
02:24 La candeur n'existe pas non plus, et là, peut-être, pourrais-je être d'une certaine utilité.
02:29 Je suis au travail en dépit de mon silence.
02:33 La fade misère du monde nous lie de chaque côté une allée bordée d'arbres.
02:36 Nous sommes ici des compagnons, sans nous parler, chacun avec ses propres pensées.
02:41 Derrière les arbres, les portails en fer des résidences privées, les chambres au volet fermé,
02:45 d'une manière ou d'une autre désertées, à l'abandon.
02:49 Comme s'il incombait à l'artiste de créer de l'espoir.
02:51 Mais à partir de quoi ? De quoi ?
02:54 Le mot lui-même, faux, outil à réfuter la perception.
02:58 À l'intersection, les lumières ornementales de la saison.
03:02 Je fus jeune ici, à prendre le métro avec mon petit livre,
03:06 comme pour me défendre contre ce même monde.
03:08 Tu n'es pas seul, dit le poème, dans le tunnel sombre. »
03:12 Merci Elisabeth Philippe. Les poèmes que vous avez lus sont tirés des recueils.
03:16 « L'Iris sauvage et Avernaud », traduit de l'anglais par Marie-Olivier,
03:20 paru aux éditions Gallimard.

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