• il y a 11 mois
C'est le radeau de la Méduse qui constitue le cœur - saignant - de cet édito culture.

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Transcription
00:00 L'édito-culture Elisabeth Philippe aujourd'hui, bien qu'il soit peut-être encore un peu tôt pour cela, vous nous parlez de cannibalisme !
00:07 Non ce n'était pas le radeau de la méduse, ce bateau qu'on se le dise au fond des ports, qu'on se le dise au fond des ports
00:19 Eh bien en l'occurrence, désolé Georges, mais c'est bien le radeau de la méduse qui constitue le cœur saignant de cette édito-culture.
00:26 On commémore en ce mois de janvier les 200 ans de la mort de Théodore Géricault, le peintre qui a rendu fameuse cette embarcation de fortune
00:33 dans son tableau accroché au Louvre, somme mob de romantisme macabre avec son empilement de corps cadavériques
00:38 désespérément accrochés les uns aux autres au milieu des flots et de lécumes bouillonnantes.
00:42 De façon assez étonnante, Clarisse Griffon du Bel-et n'évoque pas une seule fois la toile célébrissime de Géricault dans Reussac,
00:49 son premier livre, un objet rare qu'on dirait tout droit sorti d'un cabinet de curiosité et qui paraît le 19 janvier, vendredi donc, aux éditions Maurice Nadeau.
00:58 Pourtant, elle aussi s'intéresse au radeau de la méduse et ce sujet, elle ne l'a pas choisi, elle le porte dans sa chair.
01:04 Sculptrice d'une petite quarantaine d'années, Clarisse Griffon du Bel-et est en effet la descendante d'un des rares rescapés du naufrage de la méduse.
01:11 Son ancêtre, Joseph Jean-Baptiste Griffon du Bel-et, a 28 ans lorsque, en juin 1816, il monte à bord du navire pour cette expédition funeste.
01:20 Noble désargenté, il y embarque comme secrétaire du futur gouverneur du Sénégal.
01:24 Après l'échouement de la frégate sur un banc de sable au large de l'actuelle Mauritanie, le jeune Joseph se retrouve donc sur le radeau fait de rondins avec une centaine d'hommes environ.
01:33 Au terme de 15 jours horrifiques, il ne reste que 15 survivants.
01:37 Et si ces hommes, dont Joseph, ont pu échapper à la mort, c'est parce qu'ils ont mangé d'autres hommes.
01:43 Bien sûr, l'histoire du naufrage, avec ses privilèges de classe qui persistent dans les conditions les plus extrêmes, avec ses luttes et ses massacres, est en elle-même passionnante.
01:50 Elle rappelle d'ailleurs un autre livre génial, « Les Naufragés du Wager » de David Graham, paru à l'automne et que vous aviez adoré Nicolas.
01:56 Mais Clarisse Griffon du Bel-et ne s'attarde pas vraiment sur le naufrage lui-même.
02:00 Alors, de quoi parle-t-elle ?
02:01 Son vrai sujet, c'est la transmission de cette mémoire.
02:04 Que faire de cet héritage cannibale ? Comment vivre avec ces « viandes sacrilèges » comme elle les nomme, et qui passent dans son sang ?
02:10 Elle écrit, dans sa prose dépouillée, d'une blancheur d'os, « Vertige de sentir qu'on tire son sang de là, qu'on est fait de ça, qu'on l'aurait fait aussi ».
02:19 Cette histoire, celle de son « ancêtre qui avait mangé de l'homme », comme elle l'appelle, Clarisse Griffon du Bel-et dit l'avoir toujours su.
02:25 Mais longtemps, ça n'a rien représenté de particulier pour elle.
02:28 A tel point qu'elle n'a pas tout de suite fait le lien entre ses cauchemars violents, son attrait obsessionnel pour la viande dans ses sculptures magnifiques d'ailleurs, et le cannibalisme de son aïeul.
02:37 De même, elle a toujours su qu'un livre secret circulait dans sa famille, se transmettant uniquement du père au fils aîné.
02:43 Mais pareil, elle ne s'y intéressait pas plus que cela.
02:45 Ce livre interdit, c'était en fait le récit fait par deux survivants de la méduse, annoté par son ancêtre rescapé, qui corrigea en marge l'histoire officielle et rétablit la sordide vérité.
02:55 Et puis un jour, Clarisse finit par lire ses lignes et découvre ce que ses proches ont tant souhaité cacher.
03:00 Elle comprend pourquoi l'histoire de son aïeul est aussi taboue, trouée de honte et de non-dit.
03:05 Aujourd'hui, elle, une fille, une femme qui n'aurait même pas dû avoir accès au livre secret, brise le silence et les traditions en publiant son propre livre.
03:13 Elle rend littéralement publique cette mémoire, et dans un geste littéral et cathartique d'une beauté viscérale, la chair, enfin, se fait verbe.
03:21 « Reçaque » de Clarisse Griffon du Bel-et paraît donc le 19 janvier aux éditions Maurice Nadeau-Elisabeth Philippe.

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