“L’Evénement”, c’est d’abord un livre d’Annie Ernaux paru en 2000. L’écrivaine y raconte l’avortement clandestin qu’elle a subi en 1964, qui faillit lui coûter la vie. Elle était alors une étudiante de 23 ans.
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00:00 de l'édito-culture. Elisabeth Philippe, ce matin, vous nous parlez d'un livre qui,
00:05 plus de 20 ans après sa sortie, fait toujours événement.
00:08 Oui, l'événement, c'est d'abord un livre d'Annie Ernaux, paru en 2000. L'écrivaine
00:12 y raconte l'avortement clandestin qu'elle a subi en 1964 et qui faillit lui coûter
00:17 la vie. Elle était alors une étudiante de 23 ans. En une centaine de pages serrées,
00:21 celle qui a été sacrée prix Nobel de littérature en 2022, raconte une course contre la montre
00:25 silencieuse, solitaire et angoissée. Où trouver de l'aide, à qui s'adresser, elle écrit.
00:30 Le temps a cessé d'être une suite insensible de jours à remplir de cours et d'exposés,
00:35 de stations dans les cafés et à la bibliothèque, menant aux examens et aux vacances d'été
00:39 à l'avenir. Il est devenu une chose informe qui avançait à l'intérieur de moi et qu'il
00:43 fallait détruire à tout prix. En 2021, l'événement est devenu un film,
00:48 adapté au cinéma par Audrey Diwan et récompensé du Lion d'Or à la Mostra de Venise. La réalisatrice
00:52 suivait au plus près son personnage, magistralement interprété par Anna Maria Wartolomeï. Des
00:57 cartons indiquant depuis combien de semaines l'héroïne est enceinte, rendaient sensible
01:01 le compte à rebours tragique. Et depuis le 13 février, l'événement se
01:04 joue au théâtre de l'Atelier, mise en scène et interprétée par Marianne Bassler. Et bien
01:09 qu'on ait déjà lu ou vu le texte, on le reçoit une nouvelle fois en plein vente.
01:12 Et à quoi ressemble cette nouvelle adaptation du livre d'Agnès Ernaud ?
01:16 La mise en scène est sobre. Au centre de la scène, une table. On peut y voir la table
01:20 de cuisine, de l'avortement clandestin, mais aussi la table de travail de l'écrivaine,
01:24 car chez Ernaud, tout est lié. Au fond, une chaise sur laquelle est assise Marianne Bassler,
01:29 chemise et pantalon noir. On ne peut s'embêcher de noter la ressemblance de la comédienne
01:33 avec Annie Ernaud. Même cheveux blonds, même visage fin, on peut mettre saillante.
01:37 Chaque mot du texte se détache avec une extrême netteté. Marianne Bassler fait parfaitement
01:41 entendre le rythme des phrases d'Ernaud, leur précision tranchante. Elle donne même
01:46 d'étonnantes inflexions à la fameuse écriteur plate de l'autrice. Par d'infimes modulations,
01:51 elle parvient à certains moments à faire passer une forme d'ironie et d'humour. Un
01:55 humour noir, certes. En une heure, la comédienne fait éprouver les trois mois de supplice
01:59 du personnage qu'elle interprète. Cela passe par son corps, son visage, tour à tour juvénile
02:03 et exsangue, frondeur et inquiet. On sent la peur monter, jusqu'aux cris, jusqu'aux
02:08 larmes. De tous les livres d'Annie Ernaud, on peut se demander pourquoi c'est justement
02:11 celui-ci, l'événement, qui donne lieu à autant d'adaptations et de reprises. Dans
02:15 le livre, il y a cette phrase, dite sur scène par Marianne Bassler « que la forme sous
02:19 laquelle j'ai vécu cette expérience de l'avortement, la clandestinité et relève d'une histoire
02:23 révolue ne me semble pas un motif valable pour la laisser renfouie ». C'est d'autant
02:27 moins un motif valable que l'histoire n'est pas révolue partout, que les résistances
02:31 n'ont pas disparu. Il n'est qu'à voir les débats actuels, notamment au Sénat, autour
02:34 de l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Et puis l'événement est peut-être le texte
02:38 qui dit le mieux le projet littéraire d'Annie Ernaud. Il se trouve résumé avec une clarté
02:42 totale dans les dernières lignes du livre. « Le véritable but de ma vie est peut-être
02:47 seulement celui-ci. Que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l'écriture,
02:52 c'est-à-dire quelque chose d'intelligible et de général, mon existence complètement
02:56 dissoute dans la tête et la vie des autres. On a toutes et tous en nous quelque chose
03:01 d'ami. »
03:02 Merci Elisabeth Philippe. On peut voir l'événement avec Marianne Bassler jusqu'au 27 mars au
03:08 Théâtre de l'Atelier à Paris.