Les débatteurs du jour sont : Ayyam Sureau Philosophe, fondatrice et directrice de l'Association Pierre Claver et Frédéric Lauze, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-22-avril-2024-8455471
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00:00 Débat ce matin sur les déclarations de Gabriel Attal, jeudi dernier, lors d'un déplacement
00:05 à Viry-Châtillon consacré à l'ultra-violence chez les jeunes.
00:09 On rappelle qu'en l'espace d'une semaine, trois adolescents ont été violemment agressés
00:14 aux abords de leur collège, dont l'un, Shem Sedin, a succombé à ses blessures après
00:18 avoir été lynché à la sortie des cours.
00:21 Les mineurs sont-ils devenus plus violents ? Et les pistes du gouvernement qui veulent
00:26 responsabiliser les parents, sont-elles les bonnes ?
00:29 On va poser ces questions à Ayam Suro, philosophe, fondatrice, directrice de l'association Pierre
00:35 Clavert et Frédéric Lose, commissaire de police, secrétaire général du syndicat
00:39 des commissaires de la police nationale, le SCPN qui est le syndicat majoritaire.
00:45 Bonjour à tous les deux.
00:46 Et merci d'être à ce micro.
00:49 Parmi les mesures annoncées jeudi par Gabriel Attal, un certain nombre visent donc à sanctionner
00:55 les parents en cas de violence des enfants, amende s'il ne se rende pas à la convocation
01:01 du juge pour enfants, travaux d'intérêt général en cas de défaillance de l'autorité
01:05 parentale, solidarité de la réparation financière des deux parents lorsqu'un enfant a causé
01:11 des dégâts.
01:12 Il y a également des mesures visant par exemple la signature d'un contrat d'engagement
01:19 entre l'élève, les parents et l'établissement scolaire avec des sanctions possibles en cas
01:23 d'absentéisme répété de l'enfant.
01:26 J'ai donné le paysage en quelque sorte.
01:30 Première question à tous les deux.
01:32 Comment avez-vous reçu ces annonces ?
01:34 Aïem Suro, vous nous avez dit en préparant ce débat que c'est une preuve de la faillite
01:38 de notre société.
01:40 Pourquoi ?
01:41 C'est une preuve de faillite de la société, de faire peser le fardeau du contrôle de
01:49 la violence sur la famille.
01:50 Je pense qu'il faut appréhender ce sujet avec gravité parce que c'est, comme dit
02:00 le préambule de l'ordonnance de 45, la question de l'enfance coupable.
02:03 Et je crois que c'est une des questions les plus graves puisque c'est celle de notre
02:08 avenir, celle de notre jeunesse.
02:10 Et donc il faut l'adresser avec un certain sérieux.
02:14 Et on n'en a pas fait preuve jusqu'ici.
02:20 Non.
02:21 Déjà là nous sommes en train de débattre d'une ambiance générale.
02:26 Mais jusqu'à maintenant les mesures ont été orales, dites dans un moment de grande
02:30 émotion à Viry-Châtillon après ces meurtres épouvantables dont vous venez de parler.
02:35 Ce sont des propos oraux.
02:38 Ils ont été ensuite corrigés sur différentes émissions radio, différents journaux.
02:43 Mais nous ne tenons pas à une proposition de loi.
02:45 Donc nous sommes en train de débattre de l'affaire générale.
02:50 Il faut dire que cette idée de sanction des parents pour les violences de leurs enfants
02:55 est un très vieux débat qui a surtout eu cours aux Etats-Unis.
03:00 Et pour finir, on peut dire qu'aujourd'hui la plupart des experts, que je ne suis pas,
03:06 en ont conclu que c'était une réaction simpliste.
03:09 D'ailleurs c'est une réaction, n'est-ce pas ?
03:13 Impraticable, pour plein de raisons, inefficace et surtout contre-productive.
03:19 En aucun cas elle ne peut restaurer l'autorité des parents puisque l'autorité des parents
03:24 ne peut pas prendre sa source dans la peur de perdre les allocations ou des sanctions.
03:29 Donc pour finir, un Etat impuissant fait porter à des personnes plus impuissantes encore
03:34 que lui le contrôle de la violence.
03:37 Frédéric Lose, sur les mots, ce sont des mots disait à l'instant Ayah Amsuro, sur
03:41 les mots de Gabriel Attah, les mots de son discours, est-ce qu'il dessine selon vous
03:47 un diagnostic clair, lucide sur l'autorité parentale ?
03:52 Je dirais dans l'ensemble oui.
03:55 C'est une première partie.
03:58 Il a évoqué le mot d'autorité.
04:01 Il faut partir aussi d'un constat, sortir du court terme, de l'instant.
04:07 Sur le long terme, la dégradation sur le front sécuritaire est une réalité.
04:13 C'est une réalité, ça a explosé, il n'y a pas de fatalisme, la délinquance a explosé.
04:18 On ne trouve pas de solution, même si je suis absolument d'accord qu'il faut maintenir
04:23 le primat de l'éducatif et qu'il ne faut pas tout faire reposer sur les parents.
04:29 Mais néanmoins, il y a un sursaut, et là le terme de sursaut qui est indispensable
04:35 parce que cette délinquance des mineurs empoisonne nos vies.
04:38 Elle a un impact sur la qualité de vie dans les quartiers, elle a un impact sur les victimes,
04:44 parce que l'enfant délinquant est un enfant coupable, c'est aussi un enfant victime,
04:51 c'est aussi le sens de l'ordonnance de 45.
04:53 Et bien évidemment, ça a aussi un impact politique, ça a aussi un impact sur l'attractivité
04:58 économique, ça a un impact sur les CV, ça a un impact sur beaucoup de choses.
05:02 Cette explosion de délinquance est une réalité.
05:04 Vous dites explosion, on entendait Sarah Guibaudot dans le journal de 8h nous donner les chiffres
05:13 qui sont ceux du ministère de l'Intérieur pour 2022, ce sont les données les plus récentes.
05:18 119 homicides commis par des 13-17 ans, 5 homicides commis par des moins de 13 ans,
05:25 les chiffres sont à la hausse, +12% sur 5 ans, mais dans la même proportion que la
05:31 hausse générale des homicides en France.
05:33 Voilà pour le tableau chiffré avec justement les éléments qui sont ceux du ministère.
05:40 Vous les contestez ?
05:42 Je ne les conteste pas, moi je pars sur du temps long.
05:44 Sur du temps long, on s'est habitué à se pallier, d'avoir à peu près 220 000 mineurs
05:51 délinquants, que 20% de la délinquance soit commise par des mineurs.
05:55 Et dans la mesure où on met en place le primat de l'éducatif à partir de l'ordonnance
06:00 de 45, va falloir se poser la question.
06:02 On ne s'auto-éduque pas soi-même.
06:04 Donc à ce moment-là, ça veut aussi dire que les institutions ont un rôle à jouer,
06:09 les parents ont un rôle à jouer, et je dirais, ce n'est pas que les parents, c'est tous
06:15 les boulons qu'il va falloir resserrer.
06:17 Et le mot d'autorité qui est employé est un mot très important.
06:21 Pour moi l'autorité c'est indispensable, c'est un prérequis, ce n'est pas une finalité.
06:25 La finalité c'est la culture, c'est la qualité de l'éducation, c'est les libertés.
06:31 Et jusqu'à présent, s'il n'y a pas d'autorité, qui est un prérequis, il ne peut pas y avoir
06:37 de travail éducatif.
06:38 C'est ce que j'ai constaté moi dans ma carrière.
06:40 La crise de l'autorité, elle vient d'où ? Des familles, de l'école, des deux, de
06:43 la société ?
06:44 La crise de l'autorité en général, notons quand même qu'il s'agit d'un sursaut
06:49 d'autorité et que le sursaut est assez contradictoire avec l'autorité.
06:53 Le sursaut c'est un réflexe immédiat, irréfléchi, causé par l'émotion.
06:59 Et donc c'est assez, je trouve, étonnant d'avoir dit un sursaut d'autorité.
07:06 Ce qu'on a l'air d'oublier là, en confondant tout, c'est-à-dire les émeutes de l'année
07:11 dernière et les derniers crimes qui ont eu lieu ces dernières semaines, on oublie plein
07:17 de choses.
07:18 On oublie d'abord que les jeunes sont une proie idéale de tous les ismes, de tous
07:26 les fascismes, les idéologies les plus violentes.
07:29 Ils ont été la proie du communisme, du maoïsme, du national-socialisme, du franquisme, aujourd'hui
07:35 de l'islamisme.
07:36 Et je suis étonné que l'on n'en parle pas parce qu'en fait les crimes, et le Premier
07:41 ministre est allé à Viry-Châtillon et pas ailleurs, les crimes qui nous ont les plus
07:45 choqués sont ceux qui ont été commis avec cette barbarie étonnante et que l'on confond
07:51 maintenant avec la totalité de la violence de la jeunesse.
07:54 Alors que là, il s'agit d'une violence particulière.
07:57 Les jeunes ont toujours été, et c'est pour ça qu'ils sont effrayants, l'adolescence
08:02 est effrayante, c'est un moment de transformation, et les jeunes ont été, tous ceux qui ont
08:06 des adolescents à la maison le savent, d'effroyables donneurs de leçons.
08:10 Dans le meilleur des cas, ça va vous donner Greta Thunberg, dans le pire des cas, ça
08:15 va vous donner ces justiciers sanguinaires que l'idéologie islamiste a fait ses enfants-soldats.
08:23 C'est-à-dire qu'elle a donné à chaque enfant, et c'est ce dont ils rêvent, le
08:28 pouvoir de surveiller et punir.
08:30 Il ne faut pas oublier que les victimes de ces justiciers sont des enfants eux-mêmes.
08:34 Donc c'est absolument incomparable avec la destruction de biens publics, des abribus
08:40 et des bibliothèques dans les émeutes.
08:42 Ça c'est une chose absolument épouvantable, et c'est ce sujet-là qui doit nous intéresser,
08:48 c'est-à-dire non pas la violence de la jeunesse, qui est absolument ordinaire, sa
08:52 brutalité idéaliste est ordinaire, nous avons reçu le cointre juste avant, ce qui
08:59 est violent c'est l'idéologie islamiste qui est en train de pénétrer les consciences
09:05 de extrêmement jeunes, immatures de notre jeunesse, ça c'est un ennemi à la hauteur
09:11 de la République.
09:12 Ça vous le voyez Frédéric Lose ?
09:13 Oui, alors je suis d'accord, j'amènerai mes propres tempéraments, la France n'est
09:21 pas confrontée au péril jeune.
09:23 On a des problèmes avec des jeunes et pas avec les jeunes.
09:26 De la même façon, si je l'ai dit tout à l'heure, il y a une montée sur le temps
09:31 long de la violence des jeunes et derrière il y a des victimes aussi, il faut y penser
09:35 à ces victimes.
09:36 Il y a des conséquences politiques, ce n'est pas pour rien que l'opinion publique s'est
09:40 radicalisée, on va bientôt voir le résultat des courses au niveau des élections, c'est
09:45 très en lien avec ce qui se passe.
09:46 Maintenant, je pense également que les jeunes en question, la première chose aussi que
09:53 l'on ne met pas en avant, c'est qu'on sait à peu près comment on rentre dans la délinquance.
09:58 Il n'y a en France aucune étude sur la désistance, la sortie de la délinquance.
10:02 Et c'est très important.
10:03 Pourquoi ? Parce que si on avait des études, comme dans les pays anglo-saxons, sur la sortie
10:08 de la délinquance, on sait que 90% des gens rentrent dans la délinquance.
10:11 90% des jeunes qui rentrent dans la délinquance en sortent à l'âge de 25 ans.
10:19 Ça c'est intéressant.
10:20 C'est très peu documenté en France et c'est une erreur.
10:24 Donc, si on avait de véritables études sur la sortie de la délinquance, on pourrait
10:29 avoir une politique de prévention de la délinquance mieux ciblée.
10:31 Après, vous avez plusieurs catégories de délinquance des mineurs.
10:35 Il y a le parcours de délinquant classique, la délinquance occasionnelle, qui malheureusement
10:40 augmente et qui est très importante.
10:42 C'est un problème pour les victimes, pour la société, pour les jeunes eux-mêmes,
10:45 bien évidemment.
10:46 Après, vous avez ceux qui tirent un profit de la délinquance, c'est bien plus compliqué,
10:51 qui rentrent dans les trafics de stupéfiants.
10:52 Et puis, vous avez effectivement ceux qui commettent des actes de délinquance, apologie
10:57 du terrorisme, pression, une forme de raquette, ou qui veulent consciemment ou inconsciemment
11:04 contribuer à ce que Gilles Kepel appelait le djihadisme d'atmosphère, etc.
11:08 Ça, je suis absolument d'accord.
11:10 Pour ces jeunes-là, il faut se dire une chose, c'est un avis personnel.
11:14 On a besoin de sens et on a besoin d'identité.
11:17 On n'a pas besoin d'une identité qui soit figée.
11:19 L'identité, pour moi, elle est plurielle, elle est évolutive.
11:22 À partir du moment où on a perdu ses repères parce que les digues ont sauté, alors un
11:27 certain nombre de digues sur l'autorité, le sens, l'identité.
11:31 Malheureusement, certains jeunes sont vulnérables et vont être facilement fascinés par l'identité,
11:38 celle de l'appartenance à la Ouma Islamia, celle de l'appartenance à des groupes djihadistes,
11:44 etc.
11:45 Et je pense qu'il faut réfléchir parce que si on ne réfléchit pas également au
11:49 sens, à l'identité, la nature a horreur du vide.
11:53 Et puis, je le redis, l'autorité, pour moi, qui est un prérequis, pas une finalité,
11:58 mais qui est indispensable, y compris pour faire un travail.
12:00 Quand vous entendez Ayem Syro, le président, parler d'ensauvagement, le président de la
12:05 République, d'ensauvagement de la société française, comment recevez-vous le mot ?
12:08 Est-ce que vous pensez, aujourd'hui, en 2024, que la société est plus violente,
12:14 plus sauvagée qu'avant ou c'est une affaire de ressenti ?
12:17 Je pense que c'est largement une affaire de ressenti.
12:20 Je pense que notre seuil de tolérance au mal, à la douleur, à la violence est considérable.
12:27 Tant mieux d'ailleurs, peut-être, nous y sommes plus sensibles.
12:30 Les médias en grossissent aussi l'image.
12:34 Je crois que M.
12:35 Lose a raison de dire qu'il ne s'agit pas de toute la jeunesse.
12:38 Ce qui me frappe, c'est que, moi, je suis d'accord avec vous.
12:43 Je pense qu'en effet, les jeunes ont besoin de sens et d'identité.
12:46 Mais nous n'avons pas trouvé quelque chose qui puisse rivaliser avec le déferlement
12:56 des réseaux sociaux qui sont spécialement conçus pour la jeunesse et qui matraquent,
13:01 pilonnent les cerveaux des enfants avec ce mûrissoir de la haine.
13:07 C'est justement ces espèces de communautés qui sont réelles, qui reforment une identité
13:13 et de dérision.
13:14 Ce qui est vraiment propre aux réseaux sociaux, c'est cette dérision, c'est-à-dire ce
13:20 qui rend la vie, tout ce qui est beau, tout ce qui est juste et les lois dérisoires.
13:24 Et je crois que nous n'avons pas trouvé, et nous devons trouver, parce que c'est
13:30 notre puissance en effet qui est en jeu, une réponse à la mesure de l'efficacité diabolique
13:36 des réseaux sociaux.
13:37 Ce sera le mot de la fin.
13:38 Merci Aïem Suro, merci Frédéric Lose.
13:41 Merci à tous les deux d'avoir été à notre micro.