Dans la matinale de ce samedi, à 8h20, c'est à un débat sur les institutions que nous vous convions, alors que le président a redit son intention de "rénover la vie démocratique". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end/l-invite-du-week-end-du-samedi-22-avril-2023-1690100
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00:00 Il s'agit d'aller réformer les institutions, c'est l'ambition d'Emmanuel Macron pour
00:05 changer de séquence.
00:06 Et aussi redonner du souffle à son mandat.
00:08 Réformer mais avec quel périmètre ? On en parle ce matin avec nos deux invités, l'historien
00:13 Jean Garrigue, bonjour.
00:14 Bonjour.
00:15 Président du comité d'histoire parlementaire et politique et à vos côtés Frédéric
00:18 Potier, bonjour.
00:19 Bonjour.
00:20 Expert associé à la Fondation Jean Jaurès et co-directeur de l'Observatoire des Radicalités
00:25 Politiques.
00:26 Jean Garrigue, qu'est-ce qui à vos yeux illustre le mieux en ce moment une rupture
00:31 entre les Français et leurs institutions ?
00:34 Écoutez, on pourrait parler des casseroles, vieille tradition médiévale utilisée au
00:41 19ème siècle, précisément par des gens du peuple, des citoyens.
00:47 On n'appelait pas encore comme ça des citoyens, c'était la monarchie de Juillet.
00:50 Pour exprimer un désaccord par les moyens qui étaient les leurs.
00:55 Il n'y avait pas de moyens véritablement politiques pour exprimer ce désaccord.
00:59 Désaccord radical vis-à-vis du souverain.
01:02 Et cette idée de rupture, de déconnexion entre le monarque républicain et les citoyens,
01:10 c'est quelque chose qu'on retrouve dans cette crise des retraites, du fait notamment
01:15 de la verticalité avec laquelle Emmanuel Macron a utilisé les institutions de la
01:20 Vème République.
01:21 Il y a moins d'une demi-heure, à ce même micro, Marine Tondelier, la secrétaire nationale
01:25 du parti Europe Écologie-Les Verts, disait qu'Emmanuel Macron avait perdu sa légitimité.
01:30 Alors, je n'irai pas jusque-là.
01:32 Et Marine Tondelier est, comme d'autres, une des contributrices à ce fossé qui s'est
01:39 créé, me semble-t-il, entre les politiques et les citoyens.
01:43 Mais il est vrai que si Emmanuel Macron peut se prévaloir d'une légitimité institutionnelle,
01:50 y compris dans le déroulé de la crise des retraites, y compris même dans l'usage
01:55 du 49-3, sa légitimité vis-à-vis du peuple, la légitimité de la souveraineté populaire,
02:02 qui historiquement est quand même le fil conducteur de notre vie démocratique, cette
02:07 légitimité, pour l'instant, en tout cas, elle est perdue.
02:10 - Mais juste une parenthèse, vous dites que la gauche a poussé à la fracture entre
02:13 aujourd'hui les citoyens et le président de la République ?
02:16 - Si on prend l'histoire récente de la gauche, ce qui s'est passé, d'abord c'est une déconnexion
02:22 au moment de la présidence de François Hollande, on l'a bien vu.
02:26 Et puis, dans ce qu'est devenue la gauche aujourd'hui, il y a une manière, là aussi,
02:32 de s'inscrire dans les processus démocratiques et notamment parlementaires qui ne plaident
02:39 pas forcément en faveur de ce qu'est le dissensus régulier de l'Assemblée Nationale.
02:45 Je veux dire par là que la conflictualité systématique n'a pas non plus servi, beaucoup,
02:50 me semble-t-il, à légitimer nos institutions.
02:53 - Frédéric Potier, Emmanuel Macron met donc en avant en ce moment sa légitimité institutionnelle.
02:58 Qu'est-ce qui fait aujourd'hui que la légitimité ne suffit plus à convaincre et donc à gouverner ?
03:03 - Je crois que c'est un mouvement sociétal.
03:05 Aujourd'hui, l'autorité ne se présume plus.
03:08 Elle se mérite.
03:09 Et donc la démocratie, c'est à l'évidence, ça va bien au-delà du fait de mettre un
03:15 bulletin de vote dans une urne tous les cinq ans.
03:17 La démocratie, pour paraphraser Pierre Mendès France, c'est un code moral, c'est un état
03:21 d'esprit, c'est le respect de l'adversaire, c'est la capacité à avoir un débat pacifié
03:25 comme vient de le dire Jean Garry.
03:27 Et puis il y a aussi la perspective de l'alternance.
03:29 Et je crois qu'à tort ou à raison, les Français ont l'impression que ces conditions démocratiques
03:36 ne sont pas réunies.
03:37 Alors peut-être que les fautes et les responsabilités en sont partagées, mais il est maintenant
03:42 du devoir du pouvoir, de la majorité présidentielle, de renouer avec cet esprit démocratique.
03:47 - Mais du coup, ça veut dire que les Français aujourd'hui sont en colère contre la Constitution,
03:51 notre Constitution, ou ils sont en colère contre l'usage qui est fait de notre Constitution ?
03:54 - Les deux.
03:55 Je pense que la Constitution aujourd'hui, elle contient des articles qui ne sont plus
04:00 compris, qui ne sont plus tolérés.
04:02 Je crois que le 49-3 a l'évidence, lorsqu'il a été utilisé par la gauche ou par la droite
04:06 aujourd'hui par le pouvoir, c'est quelque chose qui n'est plus accepté.
04:10 C'est considéré comme un coup de force antidémocratique et ça, il faut en tenir compte.
04:14 Donc il y a à la fois des articles de la Constitution qui font sûrement réviser et
04:18 puis il y a cette pratique des institutions dont le président de la République, le gouvernement,
04:22 est directement responsable.
04:23 - Et donc Jean Garry, vous confirmez qu'il y aurait urgence à réformer les institutions.
04:29 Cette réforme est utile et urgente ?
04:31 - Oui, il me semble qu'à la faveur de cette crise des retraites, on est arrivé à l'acmé
04:35 de cette déconnexion.
04:36 Ce n'est pas nouveau.
04:38 Ça fait maintenant presque des décennies qu'on voit se creuser le fossé entre les
04:43 citoyens d'un côté, les institutions et les acteurs institutionnels de l'autre.
04:48 Et je pense qu'on en est aujourd'hui à peu près à deux tiers de défiance envers tous
04:53 les acteurs institutionnels.
04:54 Il est évident qu'Emmanuel Macron, je le répète, dans sa manière d'exercer cette
04:59 verticalité qu'on arrive difficilement à comprendre, parce que ce n'est même pas ce
05:05 que faisait le général de Gaulle en son temps, qui revenait toujours au peuple, il a creusé
05:11 ce fossé.
05:12 Et donc aujourd'hui, il me semble-t-il, il est urgent, mais tous les signaux nous le
05:15 montrent.
05:16 De manière presque spontanée, le mouvement social qui s'était cristallisé sur les 64
05:21 ans, à partir du moment où le 49-3 a été utilisé, s'est transporté sur ce terrain
05:28 de la réforme et en tout cas, comme moi, je pense, comme Frédéric, d'une nécessaire
05:33 révision de la manière dont on fait fonctionner nos institutions.
05:36 Je parle à l'historien, deux tiers de Français qui sont en défiance vis-à-vis du pouvoir
05:43 et des institutions.
05:44 Dans l'histoire, ça s'est rencontré souvent à ce niveau-là ?
05:46 Non, ça n'a jamais existé sous la République, je dirais, que ce soit sous la troisième
05:51 ou la quatrième République.
05:53 Et vous savez, il y a un paradoxe, c'est que les présidents de la troisième et de la
05:57 quatrième République, qui n'étaient pas élus au suffrage universel, qui avaient beaucoup
06:01 moins de pouvoir que les présidents d'aujourd'hui, incarnaient beaucoup mieux l'unité nationale,
06:07 le rassemblement national, les valeurs de la République, que ne le font en tout cas
06:11 nos derniers présidents du XXIe siècle.
06:14 Alors, il y a un facteur dont on n'a pas encore parlé, et je me tourne vers vous Frédéric
06:17 Pottier, c'est la majorité relative qu'on a aujourd'hui à l'Assemblée nationale.
06:22 Est-ce que cette majorité relative est compatible avec notre cinquième République ? On a le
06:27 socialiste Boris Vallaud, qui a une assez jolie formule, je trouve, il nous dit qu'en
06:31 ce moment, on a le cerveau de la quatrième République dans le corps de la cinquième,
06:36 et que donc, c'est dysfonctionnel.
06:38 C'est là le principal problème finalement qu'on a en ce moment ?
06:41 Je crois qu'on mériterait justement, tous collectivement, de relire les historiens de
06:46 la quatrième République et de voir le bilan de cette quatrième République, qui était
06:49 tout sauf complètement mauvaise.
06:51 La quatrième République, il n'y avait pas de majorité absolue, il y avait une majorité
06:54 relative, c'était la troisième force, coincée entre les communistes et légalistes.
06:59 Eh bien, cette quatrième République, elle a fait l'Europe, elle a fait un début d'amorce
07:03 de décolonisation, elle a reconstruit la France.
07:06 Donc elle n'était pas instable, comme on l'a toujours raconté ?
07:09 Non, je pense qu'on n'a pas l'habitude en France d'avoir une majorité relative,
07:13 on n'a pas l'habitude d'avoir des coalitions, on n'a pas l'habitude d'avoir un débat
07:16 apaisé, et ça, on le paye aujourd'hui de manière structurelle, avec une très forte
07:21 défiance à l'égard des institutions.
07:23 Vous dites qu'il faut réhabiliter la quatrième République, c'est ça ?
07:26 Oui, alors moi je pense qu'il faut réhabiliter la quatrième République, réhabiliter des
07:29 hommes comme Pierre Mendès-France, Edgar Ford, Maurice Ford, c'était tout, sauf des
07:33 gens médiocres, et on gagnerait vraiment beaucoup à les relire.
07:35 Il faut regarder le passé pour s'en sortir.
07:36 Ah mais les historiens, en tout cas, les historiens d'aujourd'hui, nous avons réhabilité
07:42 la quatrième République, et je partage la même admiration que Frédéric pour Pierre
07:46 Mendès-France, par exemple, dont il faut se souvenir qu'il était hostile aux institutions
07:50 de la cinquième.
07:51 Avec le rôle du président également, Frédéric Potier, un président dont les pouvoirs ont
07:56 été accrus depuis les années 2000, depuis l'année 2000 même, est-ce qu'il faudrait
08:01 réduire ce pouvoir aujourd'hui, selon vous ?
08:03 Alors avec l'année 2000, c'est le quinquennat qui renforce effectivement le pouvoir présidentiel.
08:09 Alors moi j'ai une position très personnelle, qui n'engage que moi, qui est qu'il faut
08:12 supprimer carrément l'élection présidentielle.
08:14 L'élection présidentielle au suffrage universel direct, elle a permis de solidifier le régime
08:19 en 62, à un moment où on sortait de la guerre d'Algérie, mais aujourd'hui, je considère
08:25 que cette élection présidentielle, finalement, elle a complètement remplacé le débat politique
08:29 et démocratique par une course de chevaux.
08:31 Et donc on a des personnels politiques qui montent des écuries, qui ne rêvent que de
08:36 ça, qui sont obsédés par cette élection présidentielle et on perd complètement le
08:39 sens du collectif.
08:40 Et moi je pense qu'il faut remettre du collectif dans notre vie politique française.
08:44 Et pour combler cette lacune, certains prônent le retour du septennat, ça laisserait au
08:48 moins deux années de plus pour travailler.
08:49 Alors, moi il me semble, mais après je vous dirai mon avis sur ce que propose Frédéric.
08:56 Frédéric Potier.
08:57 Frédéric Potier, nous sommes amis.
09:00 Et donc oui, moi je pense que ce serait déjà une bonne chose de redécoupler ces deux élections,
09:07 en tout cas de ne pas faire suivre les élections législatives juste après l'élection présidentielle.
09:14 On en a vu les ravages avec cette surmajorité du premier quinquennat Macron.
09:19 Heureusement, les citoyens, de manière très spontanée, ont finalement en 2022 rétabli
09:26 une sorte d'équilibre en votant contre Macron aux élections législatives et en lui donnant
09:33 une majorité relative.
09:35 Alors effectivement, c'est un petit peu, comme vous dites, l'esprit de la quatrième
09:39 dans le corps de la cinquième, mais c'est une demande légitime, une demande populaire.
09:43 Quant à l'élection du président de la République...
09:46 Voilà, est-ce qu'il faut enlever le président ?
09:47 Alors moi je pense qu'il ne faut pas l'enlever, mais on a tout autour de nous, en Allemagne,
09:52 en Italie, des présidents...
09:54 Honorifiques.
09:55 Honorifiques.
09:56 Moins honorifiques qu'on ne le croit, qui ont des pouvoirs de nomination et qui surtout
10:01 arrivent à incarner l'unité nationale.
10:04 Je pense qu'un président italien, par exemple, si vous regardez, le président italien, c'est
10:08 quelqu'un qui a une vraie autorité symbolique, mais aussi politique d'ailleurs, en tant
10:13 que garant de l'unité nationale.
10:14 Emmanuel Macron aujourd'hui, c'est un chef de majorité.
10:17 Il est soutenu par 28% des Français, ceux qui ont voté pour lui au premier tour de
10:21 l'élection présidentielle.
10:23 Mais on est en train, dans notre discussion, de dire voilà, il faut limiter les pouvoirs
10:27 éventuellement du président dans cette Ve République, voir Frédéric Pottier supprimer
10:33 le président ou l'organiser différemment.
10:35 C'est quand même en ce moment l'interprétation, l'exercice du pouvoir en s'appuyant sur la
10:41 Ve République par Emmanuel Macron.
10:43 Si on avait, politique-fiction, un autre président, sans doute que les choses ne se passeraient
10:46 pas comme ça.
10:47 On serait donc tout gommé dans cette Ve République par le fait d'un exercice de pouvoir ?
10:53 Non, je ne le pense pas.
10:55 On va très loin.
10:56 Je me pose la question, comme Frédéric Pottier de l'élection suffrage universelle, qui
11:01 effectivement, de plus en plus, apparaît en décalage avec les aspirations populaires.
11:07 Moi, j'ai publié des livres sur la tentation de l'homme providentiel, qui au fond, est
11:12 presque aux origines des institutions de la Ve République.
11:16 Il faut trouver un équilibre entre ces deux tensions de notre histoire, entre d'un côté
11:21 la verticalité, on a cette tradition bonapartiste, on a besoin de quelqu'un qui…
11:26 C'est un homme fort.
11:27 Un chef sachant cheffer, comme disait Chirac.
11:30 Et en même temps, de l'horizontalité, du contre-pouvoir démocratique.
11:35 Et de plus en plus, c'est cette pulsion du contre-pouvoir qui s'impose.
11:39 On l'a vu dans toutes les crises.
11:41 Donc, on peut vraiment réfléchir à ce mode d'élection.
11:44 N'oublions pas qu'au début de la Ve République, c'était un collège électoral, et il n'avait
11:51 pas la légitimité du suffrage universel, le président de la République.
11:54 Et comme le dit Frédéric Pottier, c'est parce que le général de Gaulle avait peur
12:00 que ses successeurs manquent de légitimité, qu'il a instauré le suffrage universel.
12:05 Mais cette légitimité, ils ne l'ont pas, de toute manière, ils l'ont perdue.
12:08 Frédéric Pottier, vous souhaitez supprimer la fonction présidentielle.
12:12 François Hollande voulait supprimer le poste de Premier ministre.
12:16 Est-ce que dans ce débat, ce sera encore d'actualité ?
12:19 Il y a un vrai débat à gauche, et singulièrement au Parti Socialiste, entre ceux qui considèrent
12:24 qu'on pourrait avoir un régime présidentiel en supprimant le poste de Premier ministre,
12:28 mais en augmentant les contre-pouvoirs.
12:30 Il y a une note d'Emeric Brié, par exemple, qui a été publiée à la Fondation Jean Jaurès
12:35 avant-hier.
12:36 Et d'autres qui considèrent que finalement, avoir un président de la République qui
12:39 est très rassembleur, l'exemple d'Israël n'a pas été cité, mais là on a un vrai
12:42 président de la République qui a un rôle de modération, de régulation et de rassemblement
12:46 de la nation.
12:47 Qu'on est en train de découvrir, à la faveur de la crise en ce moment.
12:48 Qu'on est en train de découvrir, mais qui existait déjà avant, avec le précédent
12:51 président de la République, et un Premier ministre qui, lui, puise directement sa légitimité
12:58 des élections législatives.
12:59 Et donc ce modèle parlementariste, on l'a parfois déconsidéré en disant qu'il serait
13:03 faible, et Pierre Mendès France répondait souvent que ça n'a pas empêché Winston
13:07 Churchill de gagner la Seconde Guerre mondiale, avec un régime très parlementariste britannique.
13:11 - En France, Jean Garrix, ce rôle de Premier ministre, il est souvent réduit, pour reprendre
13:15 l'expression de Nicolas Sarkozy, à celui de collaborateur.
13:17 Est-ce que c'est comme ça que ça avait été conçu ?
13:19 - Absolument pas.
13:21 Michel Dobré, qui est le concepteur des institutions de la Ve République, conçoit le rôle du
13:26 Premier ministre comme un véritable chef de gouvernement.
13:29 Et les discussions, je viens de publier un livre sur les relations entre les présidents
13:33 de la République et les Premiers ministres, et il disait qu'entre Matignon, et ça m'a
13:37 plongé dans les discussions entre Dobré et De Gaulle, qui sont des discussions souvent
13:42 extrêmement tendues, et les deux hommes ne sont pas d'accord.
13:45 Et Dobré impose souvent ses positions au président de la République.
13:49 Donc, De Gaulle lui-même accepte d'avoir un Premier ministre qui soit véritablement
13:55 le chef du gouvernement.
13:56 - Alors, en attendant une possible, probable, ou peut-être pas réforme des institutions,
14:02 est-ce qu'il faut réintroduire une dose d'horizontalité ?
14:05 Parce qu'Emmanuel Macron, jusque-là, pour sortir des crises systématiquement, nous
14:10 avait sorti des nouveaux outils.
14:12 Je pense évidemment au Grand Débat National, je pense aussi aux conventions citoyennes.
14:15 Il y a eu également le Conseil National de la Refondation, peut-être avec un petit peu
14:20 moins de succès en septembre dernier.
14:22 Là, cette fois-ci, quand il a pris la parole cette semaine, dans son allocution, il n'a
14:27 pas du tout parlé, il n'a pas du tout proposé un nouvel outil d'horizontalité.
14:31 Est-ce que malgré tout, c'est la bonne voie à suivre, Jean Garrigue ? Ou est-ce que finalement,
14:35 on est arrivé au bout ?
14:36 - Ah non, moi, je suis persuadé qu'il existe d'ailleurs une foule d'expérimentations
14:42 un peu partout, que ce soit en Belgique, vous avez une sorte d'assemblée citoyenne permanente
14:49 pour générer un agenda précisément de conventions citoyennes qui vont réfléchir
14:54 sur tel ou tel sujet.
14:55 Vous avez des expériences en Oregon, dans l'état d'Oregon aux Etats-Unis, où des
15:01 assemblées citoyennes comme ça préparent, eux, des projets de référendum.
15:04 C'est-à-dire qu'on relie la démocratie délibérante ou délibérative avec la démocratie
15:11 référendaire.
15:12 Vous avez des exemples en Islande, où on a refait des institutions à travers des conventions
15:21 citoyennes.
15:22 Donc, remettre les citoyens dans la coproduction de la loi, y compris avec des assemblées
15:26 mixtes, où on pourrait avoir des citoyens tirés au sort et des élus, avec les problèmes
15:31 que ça peut susciter, d'expertise, etc.
15:33 Moi, je pense qu'il faut vraiment montrer des signes comme ça de l'interpénétration
15:40 entre la démocratie représentative, qu'il faut défendre, qu'il faut renforcer, et la
15:45 démocratie participative, les citoyens dans la fabrication et dans le contrôle de l'application
15:51 des lois.
15:52 - D'ailleurs, Frédéric Potier, quand le chef de l'État, Emmanuel Macron, aimerait
15:55 voir émerger ce qu'il appelle les contre-pouvoirs, ce serait qui, quoi, ces contre-pouvoirs ?
15:59 Ces nouveaux contre-pouvoirs à venir ?
16:01 - Les contre-pouvoirs, dans une démocratie, ils sont évidents, ils sont sous nos yeux.
16:05 C'est la presse, c'est le système judiciaire, ce sont les syndicats, ce sont les corps intermédiaires,
16:12 les élus locaux, on n'en a pas parlé, mais qui ont un rôle extrêmement important.
16:15 Donc, tous ces contre-pouvoirs-là, ils existent, il faut simplement les respecter, les écouter
16:19 et leur donner les moyens de faire entendre leur position.
16:22 - Mais alors, du coup, vu tout ce qu'on se dit là, et parce que le temps file, il faut
16:26 passer à une 6ème République ou pas ? Est-ce que la question se pose comme ça ?
16:28 - Moi, je pense qu'on peut se passer d'une 6ème République avec tous les problèmes
16:34 de transition que ça pourrait poser, les débats sans fin qui pourraient...
16:38 - Pourtant, vous voulez sérieusement la nettoyer, la 5ème ?
16:40 - Oui, je pense qu'il faut sérieusement la nettoyer pour, symboliquement, avant tout,
16:46 donner le sentiment aux Français qui ne sont pas gouvernés par un monarque républicain
16:50 qu'il existe véritablement des contre-pouvoirs.
16:53 Mais vous savez, je le répète, revenir à l'esprit initial de la 5ème République, avoir
16:58 un vrai chef de gouvernement responsable, un président qui prend un peu de hauteur,
17:03 qui est un rassembleur de l'unité nationale, introduire les citoyens dans le dispositif
17:08 législatif, tout ça, vous n'avez pas besoin de changer de constitution.
17:12 - Frédéric Potier, les Français en auraient envie de changer de constitution ou c'est
17:15 quelque chose qui les effraie plutôt ?
17:16 - Alors, je crois qu'il y a un intérêt pour les questions politiques et constitutionnelles,
17:19 il y a 75% des Français qui étaient pour une révision de la constitution, puis il
17:23 y a des choses qui vont arriver, il y a le statut de la Nouvelle-Calédonie, il y a l'inscription
17:26 dans la constitution du droit à l'IVG par exemple, donc il y a des vrais sujets auxquels
17:31 les Français tiennent.
17:32 Après, il ne faudrait pas que ces réflexions-là, elles soient perçues comme des diversions
17:35 ou des contrefeux.
17:36 Et ces réflexions démocratiques, cette confiance qu'il faut retrouver dans notre système
17:41 politique, ça demande du temps.
17:42 Je ne suis pas sûr que ce soit compatible avec une réforme qui serait menée à la
17:46 va-vite en son jour.
17:47 - Jean Garrigue, dans cette hypothétique réforme des institutions, est-ce qu'il
17:51 faudrait revenir sur ce débat des 13 grandes régions apparues en 2015 ? Est-ce qu'il
17:57 est envisageable aujourd'hui de les redécouper pour redevenir à taille plus humaine ?
18:00 - En tout cas, ce qui est certain, c'est que cette verticalité démocratique, elle
18:07 doit être repensée et incontestablement.
18:11 Pour nous rapprocher aussi des autres modèles européens, donner plus de pouvoir aux régions,
18:18 rapprocher les citoyens de leurs élus, ça me paraît quelque chose de très important.
18:23 - Donc on laisse les grandes régions pour prendre du poids, c'est ça que vous dites ?
18:26 - C'est vraiment un problème compliqué à résoudre.
18:30 Il semblerait aujourd'hui que ces grandes régions soient un peu des usines à gaz qui
18:35 aient un peu de mal à fonctionner.
18:36 - Si on se résume, malgré tout, vous avez plutôt tendance à nous encourager à rester
18:42 dans cette 5e, à la toiletter sérieusement et à revenir finalement à l'essence de celle
18:46 qu'on a connue en 1958.
18:47 58, c'est loin, c'était il y a 65 ans.
18:50 Est-ce qu'elle correspond toujours à notre époque, cette 5e République Frédéric Poitier ?
18:55 - Contrairement à ce qu'on pense, la force de la 5e République, ce n'est pas sa verticalité,
18:58 c'est sa souplesse.
18:59 La 5e République de 58, c'est la souplesse de ses interprétations et de ce qu'elle permet
19:04 de faire.
19:05 Et moi je crois qu'une révision constitutionnelle dans laquelle on aborderait tous ces points
19:09 liés au contre-pouvoir, aux libertés fondamentales, au respect des pouvoirs locaux, elle aurait
19:12 toute sa place et elle permettrait encore de faire évoluer le texte constitutionnel
19:15 dans un sens beaucoup plus démocratique.
19:18 - Merci à tous les deux d'être venus en parler ce matin sur France Inter.
19:20 Jean Garrigue, je rappelle votre dernier livre, l'Élysée contre Matignon, vous y faisiez
19:24 allusion.
19:25 L'Élysée contre Matignon, le couple infernal, c'est paru chez Talandier.
19:28 Et puis pour vous Frédéric Poitier, votre dernier livre, Pierre Mades France, la foi
19:34 démocratique paru chez Bouquin.
19:37 Merci d'être venu.
19:38 - Merci à vous.