Nos débatteurs du jour sont Thibault de Montbrial, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure et avocat pénaliste, et Me Arié Alimi, avocat, membre du comité central de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-20-mars-2025-4501914
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00:00Débat ce matin sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
00:08Votée à l'unanimité au Sénat, elle fait l'objet de débats plus vifs à l'Assemblée
00:13depuis lundi.
00:14Deux mesures particulièrement font polémique.
00:17Le dossier coffre qui permet de cacher à la défense une partie des éléments entre
00:22les mains des magistrats et de la police et l'accès au téléphone et aux messageries
00:26cryptées des suspects.
00:28L'équilibre entre la répression et les libertés publiques est-il respecté dans
00:33ce texte ? On pose la question à Thibaud de Montbréal, président du Centre de réflexion
00:40sur la sécurité intérieure et avocat pénaliste.
00:44Arie Halimi est avec nous, avocat au barreau de Paris et vice-président de la Ligue des
00:51Droits de l'Homme.
00:52Merci d'être au micro d'Inter ce matin.
00:54Un mot peut-être de consensus entre vous deux avant d'entrer dans le débat ? La création
01:00d'un parquet national anti-criminalité organisé, ça va dans le bon sens Arie Halimi ?
01:06S'agissant d'un fléau social qui est le trafic de stupéfiants, toute organisation
01:11supplémentaire va dans le bon sens.
01:13La question c'est de savoir si on n'en a pas déjà trop.
01:15On a la Junalco, on a la Girs et un nouveau parquet.
01:19La vraie question, ça va être les moyens qui vont être accordés à ce parquet.
01:24La question c'est aussi l'articulation entre les différentes tracts qui existent déjà.
01:27Le problème c'est de savoir s'il ne va pas y avoir une désorganisation supplémentaire.
01:31D'accord.
01:32Thibaud de Montbréal ?
01:33En deux mots, ce qu'il faut c'est comprendre les enjeux.
01:36Aujourd'hui, il y a deux grandes atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation.
01:40Il y en a un qui n'est pas le sujet du jour qui est l'islamisme et l'autre c'est l'essor
01:44de la grande criminalité organisée.
01:46Avec un triptyque qui est la violence, la corruption et évidemment les problèmes sanitaires
01:52qui sont liés à l'usage des produits stupéfiants.
01:55Le chiffre d'affaires des stupéfiants en France en 2024, c'est l'équivalent du fonctionnement
01:59des budgets des tribunaux.
02:01C'est entre 3 et 6 milliards d'euros et le budget du fonctionnement des tribunaux c'est
02:054 et demi.
02:06Donc on est à cette hauteur-là et l'utilisation des armes contre des fonctionnaires de l'État
02:12avec notamment un projet qui a été déjoué de Thuil, le procureur général de la cour
02:17d'appel de Douai, c'est quelque chose qui est nouveau, qui est un phénomène qui vient
02:20d'Amérique du Sud et qui est extrêmement inquiétant, ainsi que la corruption qui
02:24va avec.
02:25C'est de ça dont on parle.
02:26C'est ça l'enjeu avec ce projet.
02:28C'est pas simplement un nouveau projet de loi sur une délinquance, on est vraiment
02:32à cette hauteur-là sur les enjeux.
02:33Et alors, un parquet ?
02:34Moi j'en suis même un des promoteurs, donc je suis évidemment complètement pour.
02:39Allez, on y va, on entre dans les différents points qui suscitent le débat.
02:44La procédure coffre, cachée à la défense, une partie des éléments de l'enquête afin
02:50que le prévenu n'ait pas connaissance des méthodes qui ont conduit à son arrestation.
02:54Ça protège le travail des forces de l'ordre.
02:57Êtes-vous choqué, Arieh Alimi ?
03:00D'abord, il faudrait déterminer s'il y a déjà eu un problème de ce type, c'est-à-dire
03:06des trafiquants qui ont eu connaissance du fonctionnement de ces méthodes techniques
03:10spéciales.
03:11Et à ma connaissance en tant qu'avocat, et j'ai travaillé sur ces questions pendant
03:14très longtemps, et je parle avec des confrères qui y travaillent encore beaucoup, il n'y
03:18a jamais eu de difficulté à ce niveau-là, jamais.
03:20Donc la vraie question, et elle remonte à l'histoire de la justice française, au moment
03:27de l'affaire Dreyfus, la question c'était justement de savoir si le fait de cacher à
03:31la défense des éléments et qui se sont avérés faux par la suite, puisque c'était des faux
03:36éléments qui étaient allégués contre Dreyfus, ne va pas entraîner des condamnations d'innocents.
03:42C'est exactement une régression similaire que l'on voit avec le dossier coffre, c'est-à-dire
03:47qu'on va essayer de cacher à la défense, c'est-à-dire à ceux qui sont mis en cause,
03:51alors même que l'accusation va y avoir accès, le procureur de la République va avoir accès
03:55à tous ces éléments, la façon dont les preuves qui ont été recueillies contre lui
03:59vont être recueillies.
04:01Et donc on ne pourra pas les contester, on ne pourra pas savoir de quelle manière elles
04:04ont été mises en place.
04:05La réalité du dossier coffre, c'est d'empêcher finalement la défense de faire de la procédure.
04:10Et la procédure en matière de stupéfiants, effectivement, c'est ce qui permet de défendre
04:14véritablement les clients que nous avons en tant qu'avocats.
04:16Thibaud de Montbréal.
04:17En réalité, le débat est biaisé parce que ce dont il s'agit, ça n'est pas, comme
04:22essaye de le faire croire Ariadne Limy, le fait de priver quelqu'un qui est mis en cause
04:27des charges qui pèsent sur lui, mais c'est une question, et vous l'avez précisé dans
04:30votre question, vous l'avez dit, c'est la question des techniques.
04:33Aujourd'hui, il y a une véritable guerre technologique entre les délinquants et l'État,
04:39les délinquants ont pris beaucoup d'avance parce qu'évidemment il y a moins d'entraves
04:43et c'est dans l'ordre naturel des choses.
04:45Il y a deux précédents au dossier coffre, d'abord il y a un article dans le code de
04:48procédure pénale français qui est exactement similaire qu'est celui sur les témoignages
04:52anonymes.
04:53C'est l'article 706-58 pour ceux qui veulent aller voir, et qui permet qu'un témoin soit
04:58anonymisé, c'est-à-dire que le contenu, la charge qui résulte de son témoignage
05:03est dans le débat, mais son identité est dissimulée à la défense, que ce soit à
05:07la personne mise en cause ou à son avocat, c'est quelque chose qui fonctionne, il y a
05:10des garanties, je ne rentre pas dans les détails, et c'est aujourd'hui quelque chose qui est
05:13rentré dans le droit.
05:15Et le deuxième chose, c'est qu'en Belgique ça marche très bien, c'est-à-dire que tout
05:18ça a été validé par les conventions internationales, et c'est quelque chose qui marche.
05:22Moi pour vous dire, j'avais proposé quelque chose qui n'a pas été retenu, qui aurait
05:25été, et on aurait peut-être été d'accord, que des avocats, qui ne soient pas les avocats
05:28des gens mis en cause, mais des avocats désignés par le conseil national des barreaux ou par
05:33le barreau de Paris, ou par les deux, puissent aller comme avocats mais indépendants, vérifier
05:40qu'il n'y avait pas d'excès, c'était la méthode que les Espagnols avaient choisie
05:43dans la lutte contre l'ETA à l'époque.
05:45Arie Ali, mais juste un point là-dessus, de toutes les manières, il y a quelqu'un
05:48qui va nous être d'accord, c'est le conseil constitutionnel, parce que le conseil constitutionnel
05:52s'est déjà prononcé à plusieurs reprises sur cette question, à savoir, est-ce que
05:56l'on peut utiliser, contre un mis en cause dans une procédure pénale, des éléments
06:02sur lesquels il n'a pas pu exercer un contrôle de régularité, notamment devant une juridiction.
06:07Et si on n'y a pas accès, on ne pourra pas contrôler la régularité véritablement.
06:11Effectivement, il y a le président de la chambre de l'instruction qui pourra le faire
06:14éventuellement, mais il ne le fait jamais.
06:15Donc concrètement, je doute profondément, et là je vous parle de droit constitutionnel
06:20et c'est bien au-delà de ce que fait le législateur actuellement, il est très peu
06:24probable que ça passe la strade et la phase du conseil constitutionnel.
06:28Mais en tout cas, ce serait une régression majeure en termes de droit de la défense.
06:33C'est une régression majeure, pratiquement moyenâgeuse, puisqu'on revient à une époque
06:39où celui qui est mis en cause n'a pas accès à des éléments de la procédure et ne sait
06:42même pas sur quoi il va pouvoir se défendre.
06:45C'est totalement absurde.
06:46Et ce n'est pas le seul élément de cette loi qui est une régression absurde, notamment
06:51en s'agissant des prisons.
06:53Il faut qu'on en parle du statut des prisons de haute sécurité qu'on essaye de créer,
06:58que M.
06:59Darmanin a dit qu'il allait loger une centaine de narcotrafiquants dans ces prisons de haute
07:03sécurité.
07:04On va créer un statut de ce que l'on appelle, et où le commissariat à l'ONU appelle, de
07:09la torture blanche, c'est-à-dire des personnes qui seront fouillées systématiquement à
07:14chaque fois qu'ils auront été en contact, notamment avec leur avocat, qui auront une
07:18réduction de la possibilité de voir leur avocat, qui vont être dans des cellules sécurisées.
07:25C'est-à-dire que vous avez des risques psycho-affectifs et psycho-sociologiques extrêmement importants
07:30avec des atteintes à l'intégrité corporelle et physique qui sont alléguées.
07:34C'est ce qu'on appelle aujourd'hui de la torture blanche.
07:36Donc vous avez dans ce texte une succession de régressions fondamentales au droit de
07:44la défense.
07:45Je veux entendre Thibaud de Montbrillat, qui est avocat, je le rappelle.
07:50Je suis avocat, mais je considère que l'on peut mettre dans la balance, en face de la
07:57défense des intérêts particuliers des criminels, les intérêts de la société qui a le droit
08:01de se protéger.
08:02Et donc, qu'il y ait des garanties, c'est la moindre des choses, et il y en a dans le
08:07texte.
08:08Le Conseil constitutionnel statuera, et des garanties, sans rentrer dans les détails,
08:13elles existent.
08:14La question c'est de savoir si une société a le droit de se protéger.
08:15Tous les arguments, notamment sur les prisons, sont des arguments lunaires.
08:19On parle pas de l'ensemble des prises des détenus de France, on parle de 200 ou 300
08:24personnes qui sont parmi des gens dont on sait, parce que l'exemple, encore une fois,
08:27qu'on a d'Amérique du Sud, nous le montre, mais parce que des exemples récents en France
08:31nous le montrent aussi.
08:32Mais ce sont des quartiers hauts de sécurité, ou pas ?
08:33Mais Nicolas Demorand, ce sont des gens…
08:35C'est justement Badinter qui, en 1982, les avait abolis.
08:40Et quand on voit l'état de la France depuis 1982, on ne peut que s'en féliciter.
08:45Ce que je viens de dire est ironique.
08:47Sur le travail qu'il a fait sur les prisons, on est en train de revenir à une base antérieure.
08:51Excusez-moi, on a un pays dont l'état sécuritaire s'est effondré depuis un certain nombre
08:56d'années.
08:57Je ne suis pas sûr…
08:58Si j'ai le droit de parler trois minutes dans ce débat, je vais le faire.
09:01Sur…
09:02On parle de délinquants qui sont des gens dont il est établi qu'ils coordonnent des
09:06trafics graves et qu'ils commanditent des meurtres depuis la prison.
09:09Deuxièmement, on parle de gens qui coordonnent, mais ça n'empêche pas d'avoir la lucidité.
09:16C'est une vraie différence entre vous et moi.
09:19C'est-à-dire que je n'ai pas la naïveté, je n'ai pas la naïveté, je n'ai pas la
09:26naïveté ni peut-être le cynisme parce que je ne confonds pas la défense des intérêts
09:31particuliers des gens qui me payent avec la défense de l'intérêt général.
09:35Je n'ai pas la naïveté de penser que parce que quelqu'un est présumé une nuisance
09:38qui est juridiquement vraie, il ne peut pas nuire à la société lorsqu'on sait qu'il
09:42commandite des crimes et lorsqu'on sait qu'il continuera à le faire depuis la prison.
09:46La question aujourd'hui, c'est de savoir si nous voulons privilégier les intérêts
09:53de quelques criminels qui sont parmi les gens les plus dangereux en Europe et qui
09:56peuvent déstabiliser notre société et qui ont déjà commencé à le faire par le meurtre
10:01et par la corruption, ou si nous raisonnons…
10:03Vous dites là alors qu'importe que des QHS soient recréés sous une forme ou une autre.
10:11Il y a plein de choses qu'Arielle Yémiadi qui ne sont pas vraies.
10:13Bien sûr que les gens pourront voir leurs avocats, bien les gens pourront même continuer
10:16à téléphoner, simplement ils téléphoneront avec des téléphones qui seront sur écoute.
10:20Mais ils pourront voir leur famille bien sûr.
10:22Il n'y aura plus de quartier de famille, il n'y aura plus de rencontre entre les
10:26familles et ces personnes.
10:27C'est ce qu'on appelle de la torture blanche.
10:28Et ça évitera peut-être que des gens apportent des couteaux.
10:31Si je peux permettre, un dernier point, on a parlé de droit et de liberté et je pense
10:39que c'est à peu près le même débat qu'on a depuis une vingtaine d'années.
10:42Depuis la loi Guigou et depuis la régression de la loi Guigou en 2000, j'ai l'impression
10:48de revivre le même débat depuis une vingtaine d'années.
10:50Et à chaque fois, on nous dit qu'il nous faut une nouvelle loi sécuritaire.
10:54Ça fait 20 ans qu'on empile les lois sécuritaires.
10:55Est-ce que ça a permis de réduire le trafic de stupéfiants ou la criminalité organisée ?
11:01Je pose la question de l'efficacité parce qu'à chaque fois, nous avons les mêmes
11:05personnes qui viennent vous dire qu'à chaque fois, il nous faut de nouvelles techniques
11:08mais on ne rajoute pas de moyens humains, il n'y a pas de moyens policiers.
11:12L'OFAST, la Cour des comptes a considéré que l'OFAST qui est l'organisme et l'office
11:17central de lutte contre ces trafics n'a pas suffisamment de moyens policiers.
11:21On n'a pas de moyens humains.
11:24La réalité du trafic de stupéfiants en matière d'offres et de demandes, c'est
11:27surtout une réalité de prévention de santé publique, c'est surtout une réalité de moyens
11:31humains dans les quartiers.
11:32C'est surtout une moyen… Justement, c'est le problème de ce texte, c'est qu'on
11:37a l'impression d'avoir une personne qui tape sur un clou qui est complètement tordu
11:42en pensant qu'il va rentrer dans le mur, ça fait 20 ans qu'on a exactement les mêmes techniques.
11:46Thibaud de Montbréal, d'un mot, et puis on plie les gaules, comme on dit.
11:49L'État a le droit de se défendre, on parle d'une minorité de gens qui sont extrêmement
11:52dangereuses, qui déstabilisent.
11:53Il a le droit de défendre la population française.
11:54Et la population française, je peux vous dire qu'elle est à 80%.
11:56Et le peuple français.
11:57Le peuple français est favorable.
11:58Et je ne pense pas que ce soit avec des lois sécuritaires qu'on arrive encore à le défendre.
12:01Allez leur expliquer ça, vous savez, moi je vais toutes les semaines en France rencontrer
12:05les français et ce que j'entends, vous seriez très surpris.
12:07Et bien je salue et remercie Maître Arie Halimi et Maître Thibaud de Montbréal pour
12:15ce débat ce matin sur France Inter.
12:17Merci d'avoir été là.