En ce monde rien n’est certain, hormis la mort et l’impôt" assurait Benjamin Franklin. L’histoire universelle et millénaire de l’impôt, de l’Égypte pharaonique aux paradis fiscaux contemporains en passant par la Chine impériale, la France de Louis XIV et l’Amérique de la prohibition, se confond avec l’Histoire des États. Dans cette émission, Eric Anceau, auteur d'une "Histoire mondiale des impôts" parue chez Passés composés, nous fait partager une nouvelle histoire de la construction de l’État, un récit aussi passionnant que divertissant d’un sujet omniprésent. Sait-on, par exemple, que pour occidentaliser la Russie, Pierre le Grand voulait contraindre ses sujets à ne plus porter de barbes en créant un impôt sur la pilosité ? Sait-on, encore, que les guinguettes se trouvaient aux abords des villes pour échapper à la taxation ? Plus surprenant enfin, sait-on que les membres du groupe ABBA portaient des tenues excentriques parce qu’une loi suédoise permettait une réduction d’impôts sur les vêtements à condition de ne pas pouvoir les porter dans la vie de tous les jours ?
La Revue d'Histoire européenne : bit.ly/42tCcbT
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00:00 TVL a joué pleinement son rôle,
00:02 assurer la liberté de l'information en France.
00:06 Dans le même temps, les Français continuent de fuir la presse conformiste.
00:10 Servile prête à tous les renoncements.
00:12 Et pourtant, ce parti des médias s'est arrogé la somme de 2 milliards d'euros par an.
00:18 Et sur ces 2 milliards, TVL,
00:20 une réussite avérée de la presse audiovisuelle depuis 10 ans,
00:24 a touché très exactement 0,00 €.
00:29 S'ouvre à nouveau le grand défi.
00:31 Nous disposons de 30 jours pour constituer le budget d'avenir de TVL pour 2024.
00:38 30 jours pour construire 365 jours de création et de diffusion.
00:44 Nous avons besoin de votre aide personnelle.
00:47 Parce que décidément oui, la liberté a un prix.
00:52 [Musique]
01:22 [Musique]
01:33 [Musique]
01:58 Chers amis téléspectateurs de TVL,
02:00 bienvenue dans "Passé-présent", votre émission historique
02:03 présentée en partenariat avec la revue d'Histoire européenne.
02:07 Aujourd'hui, nous allons parler impôts et fiscalité.
02:10 Non, ne coupez pas tout de suite, car vous allez voir
02:13 que c'est un sujet majeur et passionnant,
02:15 puisque impôts et taxes, et en France, nous sommes bien placés pour le savoir,
02:19 sont absolument partout dans nos vies.
02:21 L'impôt a un caractère d'ailleurs inéluctable,
02:24 comme l'affirmait Benjamin Franklin, l'un des pères fondateurs des États-Unis,
02:27 en ce monde, rien n'est certain, hormis la mort et l'impôt.
02:32 Pour nous éclairer sur ce phénomène qui se confond avec le destin
02:34 des civilisations et des États dans le monde entier,
02:37 je reçois Éric Anceau.
02:39 Bonjour Éric Anceau.
02:40 Bonjour Guillaume Fiquet, merci de me recevoir.
02:42 Je vous en prie, c'est un plaisir.
02:43 Vous êtes agrégé professeur d'histoire contemporaine à l'université de Lorraine.
02:47 Vous avez publié une trentaine d'ouvrages,
02:50 principalement sur l'État, les pouvoirs, les sociétés.
02:53 Et nous pouvons citer par exemple les élites françaises,
02:56 des lumières au grand confinement, ainsi que la laïcité,
02:59 un principe de l'antiquité au temps présent,
03:03 les deux parus chez Passé-Composé.
03:05 Mais vous êtes aussi un spécialiste reconnu de Napoléon III et de Second Empire,
03:10 sur lequel vous avez écrit une dizaine d'ouvrages.
03:13 Et d'ailleurs, je vous avais reçu à ce sujet il y a quelques mois.
03:16 Et là, alors je n'allais pas dire, vous venez de publier,
03:19 qui est sorti en janvier 2023, au début de l'année,
03:23 toujours chez Passé-Composé,
03:25 "Une histoire mondiale des impôts".
03:27 Alors Éric Anceau, je dois vous faire un aveu, voire même des excuses.
03:32 Lorsque j'ai reçu votre livre au début de l'année,
03:34 je dois dire que je n'ai pas été inspiré.
03:36 Je l'ai à peine ouvert.
03:37 Peut-être que nous étions en période de déclaration fiscale.
03:40 Vous savez, il y a une espèce de blocage, comme beaucoup de nos compatriotes.
03:43 On attend toujours le dernier moment, une réticence à l'affaire.
03:46 Et donc votre livre s'est retrouvé sous la pile dans mon bureau.
03:50 Et dernièrement, je faisais du rangement, du classement.
03:53 Je ressors le livre et puis je regarde une histoire de 5000 ans,
03:57 l'avant-propos, je commence à le lire et puis je rentre vraiment dedans.
04:02 Je prends des notes et je vous appelle et je dis "Venez nous en parler".
04:08 Parce que vous avez réussi finalement à rendre une histoire
04:12 qui pourrait paraître rébarbative.
04:14 Vous avez fait un récit passionnant et vivant.
04:17 Alors, quand même, une première question.
04:18 Qu'est-ce qui vous a pris d'écrire une telle histoire ?
04:21 Deux choses. Alors d'abord, en fait, ça n'a jamais été fait.
04:25 Il y a des livres, des manuels de fiscalité.
04:28 Vous avez parfois, dans le cadre d'un État, par exemple la France,
04:31 une histoire de la fiscalité, mais à l'échelle mondiale
04:34 et sur le temps très long, vous disiez 5000 ans,
04:36 ça n'avait jamais été traité.
04:38 Donc je suis un homme de défi avec mon alter ego, Jean-Luc Borderon,
04:42 qui est un inspecteur général d'Anglais à la retraite,
04:46 donc il a beaucoup de temps.
04:48 Et donc il me dit "Éric, regarde, ça n'a jamais été fait.
04:51 Préomptons le créneau."
04:52 Et en s'adressant à moi, il était bien tombé,
04:55 outre le fait que c'est un ami, parce que je m'intéresse,
04:57 vous l'avez dit tout à l'heure, à l'État, au pouvoir,
05:00 au rapport entre les contribuables, les citoyens
05:03 et justement le pouvoir et l'État, et le sujet de l'impôt,
05:06 et on va le voir, tout à fait central.
05:08 Il fallait qu'un jour ou l'autre, je m'intéresse à cette question.
05:10 Donc vous venez de citer Jean-Luc Borderon.
05:13 Vous vous êtes réparti comment le travail ?
05:14 Est-ce que chacun a sa spécialité ?
05:16 Non. Oui et non, je dirais.
05:18 Alors lui, il se trouve que c'est un spécialiste
05:20 de civilisation britannique et américaine
05:23 qui a publié plusieurs livres sur le cinéma et la littérature.
05:26 Et nous avons un chapitre, justement, sur les représentations de l'impôt
05:29 qui lui doit tout, parce qu'en fait, toutes les références,
05:32 on parle des Beatles, des Rolling Stones, d'Agatha Christie.
05:35 C'est vraiment le chapitre qui lui est propre.
05:38 J'ai un peu plus l'habitude que lui d'écrire des livres comme ça,
05:40 des histoires au long cours et sur l'État.
05:42 Donc la plus grande partie de la rédaction du livre,
05:44 c'est moi qui l'ai faite.
05:45 Mais je suis un homme assez pris par mes cours,
05:48 mes tâches administratives et autres.
05:50 Et donc la plupart des recherches en bibliothèque,
05:52 et je lui rends hommage aujourd'hui, ont été faites sur ce livre-là.
05:56 Je n'ai pas de nègre d'habitude, mais là, en l'occurrence,
05:58 Jean-Luc m'a un petit peu servi de, non pas de nègre,
06:00 mais de jeune qui allait en bibliothèque pour faire les recherches et en archive.
06:05 Bien, on le remercie.
06:07 Alors, est-ce qu'on peut dire, pour rentrer vraiment dans le sujet,
06:10 est-ce que l'impôt est aussi vieux que la civilisation ?
06:13 Puisque c'est le titre de l'avant-propos, 5 000 ans d'histoire.
06:17 Que la civilisation peut-être pas, mais que l'État, oui.
06:20 Puisque à partir du moment où les premiers États se mettent en place,
06:23 et je pense ici, par exemple, aux cités sumériennes,
06:27 on pense, par exemple, à Sumer, justement, ou à Our,
06:30 on va penser à l'Égypte pharaonique,
06:32 on va penser à la Grèce archaïque et à la Grèce antique,
06:35 eh bien, l'État va, pour différentes raisons, avoir besoin d'argent.
06:40 Et par le tribut et par l'impôt, il va prélever sur les populations cet impôt.
06:45 Ça va servir à quoi ? Pourquoi l'impôt ?
06:46 Alors, il y a plusieurs choses.
06:48 Il y a la raison principale, si vous voulez,
06:50 c'est d'une part se protéger et conquérir.
06:54 Et là, en évoquant ces deux mots, il y a l'idée de guerre qui est derrière.
06:58 Les peuples de l'Antiquité sont perpétuellement en guerre.
07:01 Pour payer une armée, il faut la solde des soldats, des mercenaires.
07:05 Donc, on a besoin d'argent.
07:07 Les peuples que l'on va conquérir, on prélève un tribut sur eux.
07:10 Et cela permet, par exemple, de fortifier sa cité et de protéger...
07:15 Alors, à l'époque, il n'y a pas les frontières, mais les limites de l'État.
07:19 Donc, si vous voulez, il y a cette idée de protection ou de conquête qui est derrière.
07:23 Et l'impôt, l'argent, est nécessaire.
07:25 – Et vous parliez du tribut.
07:26 Le tribut, ça peut être considéré comme un impôt ?
07:28 – C'est une forme de prélèvement, c'est une forme d'impôt.
07:30 Alors, il y a des différences entre le tribut, très techniquement,
07:33 entre le tribut, la taxe et l'impôt.
07:35 Mais globalement, ça relève du prélèvement, soit en nature,
07:40 soit en argent, sur des sujets, sur des contribuables.
07:45 Et donc, ça relevait de notre histoire de l'impôt, très clairement.
07:48 – Et donc, ces premières cités, ces premiers états,
07:54 quels furent leurs premiers systèmes fiscaux ?
07:56 Ça fonctionnait comment ?
07:58 – Alors, il y a deux choses, si vous voulez.
07:59 La première chose, c'est que, bien évidemment,
08:01 on va chercher l'argent là où il se trouve,
08:04 et donc, en particulier, sur les riches, les riches contribuables.
08:06 Alors, qui peuvent être des étrangers, soit des étrangers des peuples ennemis,
08:12 qu'on va littéralement spolier en volant leurs biens,
08:15 c'est le principe du tribut,
08:17 soit des étrangers qui sont dans le cadre de l'État et de ses frontières.
08:21 Et là, on pensera à la Grèce archaïque et ancienne,
08:25 et en particulier à la ville d'Athènes.
08:27 Les étrangers sont appelés les métèques,
08:29 et on prélève une taxe qui s'appelle le métoïkone sur eux,
08:33 car ces étrangers, en fait, sont bien souvent les commerçants, les négociants,
08:36 et ils sont très, très riches.
08:38 Donc, on va chercher l'argent là où il se trouve.
08:41 Et puis, la deuxième chose, c'est que les pauvres,
08:44 alors là, pour le coup, les pauvres paysans qui constituent la masse de la société,
08:48 eux aussi sont surtaxés, en règle générale, par une part.
08:51 Alors là, c'est en nature de la récolte qu'ils ont moissonnée.
08:55 – Alors, ce recouvrement se fait comment ?
08:58 Ils apportent des sacs de blé ou ils vont aller chercher manu militaris ?
09:02 – Alors oui, en grande partie, ils les apportent eux-mêmes,
09:04 mais vous avez déjà des Césetas, certains sont très sophistiqués.
09:09 Je pense, par exemple, je citais tout à l'heure Athènes,
09:11 au 5ème siècle avant Jésus-Christ,
09:13 ou bien encore l'Égypte pharaonique des Lagides.
09:17 Alors, les Lagides, ce sont des Grecs qui ont dirigé l'Égypte.
09:22 On pensera à Cléopâtre, qui appartient à cette dynastie,
09:25 du 4ème siècle avant Jésus-Christ au 1er siècle après Jésus-Christ.
09:29 Ils ont des systèmes extrêmement sophistiqués,
09:32 avec déjà, le nom n'existe pas, mais il faut bien convenir de ça,
09:36 qui sont des fonctionnaires pour prélever l'impôt.
09:38 On a en tête le scribe, le scribe égyptien.
09:40 – Et un percepteur. – Et un percepteur, bien évidemment.
09:43 – Et d'ailleurs, on retrouve dans les textes religieux anciens,
09:45 Ancien Testament, Nouveau Testament, des percepteurs, des collecteurs d'impôts.
09:48 – Bien évidemment, parce que dans tous les livres sacrés, l'impôt est présent.
09:54 Il est présent dans la Bible, Ancien et Nouveau Testament,
09:57 vous le retrouvez plus tard dans le Coran.
10:00 Pour honorer les dieux, il y a aussi des taxes qui sont prélevées,
10:05 alors là, pas forcément par l'État, mais par les prêtres.
10:08 Et les prêtres dans l'Antiquité sont aussi très liés à l'État.
10:11 – Ces collecteurs d'impôts, je pense au Nouveau Testament,
10:13 en général ont tendance un peu à s'en mettre dans la poche.
10:16 – Ils se paient, si ils ne sont pas rémunérés directement par l'État,
10:19 ils se paient, je dirais, sur la bête, c'est-à-dire sur le contribuable.
10:24 On a en tête, alors là, je fais un bond dans le temps,
10:26 mais ça va parler à vos téléspectateurs,
10:29 on a en tête le très beau film de Gérard Houy,
10:31 que tout le monde connaît, avec Louis de Funès et Yves Montand,
10:34 "La folie des grandeurs", avec Don Saluste,
10:36 qui est un agent du roi d'Espagne,
10:39 mais qui prélève une grosse somme sur les contribuables.
10:43 – Et alors, est-ce que ces systèmes, Athènes, Rome,
10:47 avec une forte pression fiscale, quand même, d'après ce que vous dites,
10:51 est-ce que cela a contribué, finalement, à la chute de ces États, de ces cités ?
10:56 – Oui, ça peut contribuer.
10:57 Alors, pour les cités sumériennes que j'évoquais tout à l'heure,
10:59 c'est tout à fait net, puisque la Guêche, l'une d'entre elles,
11:04 à partir du moment où l'un de ses souverains va prélever trop,
11:07 va entraîner une révolte populaire qui n'amène pas directement la chute,
11:11 mais qui va contribuer à fragiliser l'État,
11:14 et la chute va arriver très rapidement.
11:16 Ça peut entraîner également au sein d'un État un changement de régime.
11:20 J'ai en tête, pour ne donner qu'un exemple,
11:23 ce qui se passe sous la Deuxième République en France,
11:26 alors là, on fait un grand bond dans le temps,
11:28 le général Cavaignac, qui était le chef du pouvoir exécutif,
11:31 il a prélevé, parce que les caisses étaient vides,
11:33 un impôt beaucoup trop élevé, qu'on appelle l'impôt des 45 centimes,
11:36 imaginez sur un franc de contribution, 45 centimes supplémentaires,
11:40 dans l'histoire de France, il n'y a jamais eu un bond comme ça aussi élevé.
11:43 – C'est ce qu'on a aujourd'hui.
11:45 – Oh non, mais bien pire encore, là, il n'y a pas d'équivalent.
11:47 Et du coup, il a perdu en partie à cause de ça l'élection présidentielle,
11:51 la première de notre histoire, de décembre 1848,
11:53 face à Louis-Napoléon Bonaparte, qui était dans l'opposition,
11:56 et donc, pour lui, ce n'était pas béni de dénoncer cette sur-imposition.
12:01 – Et Rome, lorsqu'elle donne la citoyenneté romaine
12:04 à l'ensemble des peuples qu'elle a conquis, également…
12:07 – C'est très lié à ça, c'est le dite Caracalla, en 212 après Jésus-Christ,
12:11 l'empereur Caracalla a une idée qu'on qualifiera de géniale ou de perverse.
12:16 – Parce que c'était finalement pour prélever plus d'impôts.
12:17 – C'était en grande partie pour ça,
12:19 c'est-à-dire qu'il va élargir le droit de citoyenneté,
12:22 mais la contrepartie, c'est qu'il fait rentrer les habitants
12:26 qui n'étaient pas encore citoyens romains, sous le régime de l'impôt.
12:29 Et donc, bien évidemment, l'un et l'autre sont liés.
12:32 – Et alors, dans des périodes troubles, je pense, on parlait de Rome,
12:35 à l'empire post-romain, donc en gros entre 400 et 600 avant Jésus-Christ,
12:40 est-ce qu'il quitte de l'impôt ?
12:42 Est-ce qu'il continue à être recouvré ?
12:44 S'il n'y a plus de pouvoir central, comment ça se passe dans ce cas-là ?
12:46 – Mais non, dans ces périodes-là, en général, il n'y a pas de recouvrement de l'impôt.
12:50 Alors, lorsque l'empire romain d'Occident,
12:52 parce qu'il dura, vous le savez, mille ans de plus en Orient,
12:56 autour de Byzance, de Constantinople,
12:58 mais lorsque l'empire romain d'Occident va s'écrouler,
13:01 ce sont les fameux royaumes barbares qui se mettent en place.
13:04 Et à l'origine, les rois barbares, on pensera aux Francs et à Clovis,
13:09 n'ont pas véritablement de système d'imposition.
13:12 Ils vont s'appuyer sur l'Église pour se faire un petit peu conseiller,
13:15 et les choses vont progressivement se remettre en place.
13:18 Mais par contre, ils doivent s'appuyer aussi sur les grands, sur les seigneurs,
13:23 et parallèlement se met en place au même moment la fameuse féodalité,
13:26 alors par différentes étapes,
13:28 et c'est une fiscalité concurrentielle de celle de l'État.
13:33 Et il faudra attendre la constitution véritablement des États de type moderne,
13:37 à partir d'un roi de France comme Philippe le Bel,
13:40 pour que là, la fiscalité étatique reprenne le pas sur la fiscalité féodale.
13:45 – Ça prend un certain temps.
13:47 – Exactement.
13:47 – Avant d'arriver à la fiscalité féodale,
13:51 vous consacrez un chapitre assez savoureux sur les maux de l'impôt.
13:54 D'abord, vous allez nous expliquer d'où vient le mot "impôt",
13:57 et puis on a toutes les expressions populaires que l'on connaît,
14:00 "taillable", "écorvéable", "amércie"...
14:03 – Expression très intéressante qui est restée dans l'imaginaire populaire.
14:05 – Les gabelous, le terme de "gabelous", ça va.
14:08 Déjà l'impôt, la fiscalité, ça vient d'où ?
14:10 – Alors, ça vient d'un terme latin, un verbe latin, "imponere",
14:14 qui signifie très concrètement "faire peser le jour sur le boeuf".
14:19 Alors vous avez, c'est une image très parlante,
14:21 bien évidemment le jour c'est l'État et la taxation,
14:24 et le boeuf c'est le pauvre contribuable,
14:26 le pauvre sujet du roi qui va devoir payer l'impôt.
14:30 Donc il y a une idée extrêmement négative qui se cache derrière.
14:36 Notez d'ailleurs, on l'évoquera peut-être tout à l'heure,
14:38 que la Révolution française, très très habilement,
14:41 quand nous passerons au consentement à l'impôt, modifie le terme.
14:44 Alors dans l'imaginaire collectif, le terme d'impôt continue à être utilisé,
14:47 mais l'État n'utilise surtout plus le terme,
14:50 il a changé le terme par "contribuable".
14:52 Et dans "contribuable", vous avez l'idée de contribuer volontairement.
14:57 Donc vous voyez le changement sémantique, il est intéressant.
14:59 Oui, donc il y a déjà des éléments de langage.
15:00 Exactement.
15:01 Et puis alors l'expression "taillable et corvéable" à Merci elle est très très intéressante,
15:04 puisque là vous avez deux des impositions les plus connues sous l'Ancien Régime,
15:08 et à l'époque médiévale, la taille et la corvée.
15:11 Alors deux natures différentes.
15:13 La taille en fait, c'est un impôt direct qui pèse sur les paysans,
15:16 et on l'appelle ainsi, il y a plusieurs interprétations possibles,
15:19 parce qu'on faisait une petite encoche sur une barre de bois ou un bâton
15:23 pour certifier que la personne avait acquitté l'impôt.
15:27 Et la corvée, c'est ce que le paysan va devoir faire,
15:32 soit pour le roi, parce qu'il y a une corvée royale,
15:34 soit pour son seigneur, par exemple curer les fossés,
15:37 entretenir les murailles du château-fort, etc. à période régulière.
15:42 Et on a l'idée d'une imposition qui est à la fois très dure et très très lourde.
15:47 L'expression apparaît vers le XVIIIe siècle,
15:50 au moment où le pouvoir royal commence à être très contesté,
15:53 et elle a traversé la Révolution,
15:55 elle perdure, bien que taille et corvée aient disparu depuis longtemps.
15:59 Et les gabelous ?
16:00 Les gabelous, ce sont ceux qui perçoivent la gabelle,
16:04 et la gabelle, c'est l'impôt du sel qui a été créé un tout petit peu avant,
16:08 mais institutionnalisé, mis en place à l'époque de Louis IX,
16:12 c'est-à-dire de Saint Louis, nous sommes au milieu du XIIIe siècle.
16:16 Et très rapidement, vous allez avoir un agent du fisc spécialisé
16:20 pour prélever cet impôt, agent de la gabelle,
16:23 et dans le langage populaire, on va les appeler les gabelous.
16:25 Alors pourquoi le sel ?
16:27 Pourquoi le sel ? Parce que le sel, à l'époque,
16:28 est une denrée tout à fait indispensable, depuis l'Antiquité,
16:31 pour conserver les aliments, et en particulier la viande.
16:34 À l'époque, il n'y a pas de conservateur.
16:36 Ce n'est pas seulement un exhausteur de...
16:37 Non, il n'y a pas de... Non, non.
16:39 Et il n'y a pas de réfrigérateur, donc le moyen qu'on a,
16:41 c'est de saler, salaison des aliments.
16:45 Et donc le sel, il est quasi vital.
16:47 Alors, les États, qui sont intelligents,
16:50 les rois et leurs conseillers, ont taxé, bien évidemment, le sel.
16:55 C'est l'un des impôts les plus impopulaires
16:57 qui soient sous l'Ancien Régime.
16:59 D'une part, parce que c'est un impôt très lourd.
17:01 Et puis qu'il n'est pas réparti équitablement.
17:02 Et qu'il n'est pas réparti équitablement sur le territoire,
17:05 parce que vous avez des provinces qui ont du sel.
17:07 On pensera, par exemple, aux provinces qui jouxtent l'Atlantique.
17:10 La Bretagne est une terre où le sel se récolte
17:13 dans des marées salants, par exemple.
17:15 Ou bien on pensera à l'Onis et à la Saint-Onges.
17:19 Ou les salines de l'Est de la France, également.
17:20 Exactement.
17:21 Ou les salines de l'Est de la France, en Franche-Comté.
17:25 Et puis vous avez des pays qui n'ont pas de sel.
17:26 Alors, les pays qui n'ont pas de sel doivent le faire venir.
17:28 Et là, le sel est très très cher.
17:30 Et à l'inverse, dans les autres endroits,
17:32 le sel, on est quasi exempt de la Gabelle, ou totalement exempt.
17:37 Ça donne lieu à des trafics intérieurs,
17:39 à l'intérieur du royaume, entre provinces qui n'ont pas de sel
17:41 et provinces qui en ont.
17:43 Alors, donc maintenant, l'époque féodale.
17:45 À l'époque féodale, qui paye l'impôt ?
17:48 Alors, l'impôt, à l'époque féodale, est extrêmement injuste.
17:52 On aura peut-être l'occasion de le dire tout à l'heure.
17:54 Et ça, c'est une idée reçue qui a été propagée
17:57 par la propagande des différents régimes après 1789.
18:01 On pense aux révolutionnaires, aux monarchies qui suivent
18:03 et surtout à la Troisième République.
18:05 Par contre, ce qui est certain, c'est l'inéquité,
18:08 voire l'inégalité par rapport à l'impôt.
18:10 Parlons très clair, ce sont les masses populaires
18:13 et tout particulièrement les paysans
18:16 sur qui repose l'essentiel de l'impôt,
18:18 puisqu'ils doivent des impôts à la fois à leur seigneur,
18:21 le contact le plus direct, mais également aux gens d'église.
18:24 Et on citera par exemple ici la dîme,
18:26 c'est-à-dire le dixième de la récolte qu'ils doivent aux clergés.
18:30 Et bien évidemment, les impôts étatiques.
18:33 Et à l'inverse, ce qu'on appelle les ordres privilégiés,
18:36 c'est-à-dire le clergé, le premier ordre,
18:38 et puis la noblesse, le deuxième ordre,
18:40 sont dispensés de quasi tout impôt.
18:43 Je dis "dispensés de quasi tout impôt"
18:45 parce que dire qu'ils ne paient pas l'impôt serait inexact.
18:48 Simplement, ils en paient énormément moins que les autres.
18:51 Le clergé, parce qu'on estime qu'il paie l'impôt de la prière,
18:54 il en paie pour le salut des âmes de toute la société,
18:57 donc ils en ont été dispensés.
18:58 Et la noblesse, la chevalerie à l'époque du Moyen-Âge,
19:02 parce qu'ils paient l'impôt du sang,
19:04 ils versent leur sang pour défendre le territoire.
19:06 Donc ils sont dispensés d'un impôt.
19:08 – Concernant l'Église, les rois n'ont eu de cesse que de vouloir…
19:12 – Bien sûr.
19:12 – Les ponctionner également ?
19:14 – Les ponctionner.
19:14 Alors on évoquait tout à l'heure le roi Philippe le Bel,
19:17 il entrera en conflit avec les papes de son règne,
19:21 en particulier le papy 903, et au cœur de ce conflit,
19:25 il sera quand même excommunié deux fois, Philippe le Bel,
19:28 il y a la volonté de prélever les sommes de son clergé,
19:33 ce qu'il estime être son clergé, c'est-à-dire le clergé du royaume,
19:36 au détriment des sommes que prélevait le pape.
19:39 Donc il y a un conflit là d'autorité autour de l'impôt et de la fiscalité.
19:43 – Et à partir de quelle époque,
19:44 il y a une montée en puissance de la fiscalité ?
19:48 – Alors elle se fait en plusieurs étapes,
19:49 je dirais au fur et à mesure que l'État se renforce,
19:51 pour me limiter au cas français,
19:53 il est très clair qu'à partir des capétiens comme Philippe le Bel,
19:57 vous avez une montée en puissance de l'impôt,
19:59 qui va d'ailleurs entraîner pour le roi Philippe le Bel
20:01 la nécessité d'obtenir une forme de consentement de la part de ses sujets.
20:06 C'est à l'époque de Philippe le Bel qu'on commence à convanquer
20:08 une assemblée des trois ordres pour consentir à l'impôt,
20:11 que très rapidement on va appeler les États généraux.
20:13 Le principe des États généraux découle directement
20:16 de la nécessité de prélever plus d'impôts.
20:19 Vous avez une deuxième montée en puissance
20:21 au moment de l'instauration de la monarchie absolue,
20:23 donc à partir des Bourbons, c'est-à-dire Henri IV, Louis XIII, Louis XIV.
20:29 Et puis vous avez une montée en puissance absolument phénoménale
20:33 avec nos États contemporains, c'est-à-dire XIXe, XXe siècle.
20:36 Je fais un grand bond dans le temps,
20:38 mais je vais donner un chiffre à vos téléspectateurs
20:40 pour qu'ils comprennent bien les choses,
20:42 parce que c'est une époque où là on a des serrées statistiques sur l'impôt,
20:45 ce qui n'est pas le cas pour le Moyen-Âge.
20:47 Le Moyen-Âge, je peux vous donner un ordre de grandeur,
20:48 je ne peux pas vous donner un pourcentage.
20:50 Par contre, pour l'époque contemporaine, oui.
20:53 Au milieu du XIXe siècle, une époque qui met cher
20:55 la Deuxième République, le Second Empire,
20:58 on est à environ 5% de prélèvements fiscaux
21:02 sur la société, 5%.
21:04 - 5% du PIB, c'est ça ?
21:05 - Oui, tout à fait.
21:07 À la veille de la guerre de XIV, on est à 13%.
21:10 Aujourd'hui, c'est vrai que la France, les records absolus,
21:13 vous le rappelez dans votre préambule,
21:14 par rapport aux autres pays de la Terre,
21:16 mais on est à 46, à 47%.
21:19 - Donc quand on parlait des 45 centimes sur un franc, on y est ?
21:23 - Ah oui, les 45 centimes, c'est particulier
21:25 parce que c'est un impôt qui a suscité la colère, en un impôt.
21:29 Là, je dirais, ça s'est fait par étapes progressivement,
21:31 mais on aura peut-être l'occasion de le dire tout à l'heure.
21:33 Quand l'État crée une taxe qui paraît particulièrement inique
21:36 à la population, encore aujourd'hui, à l'époque contemporaine,
21:39 la population n'hésite pas à se révolter.
21:41 - Bien sûr. Alors je demande, ces révoltes,
21:44 vous parliez de Philippe Lebel et du consentement.
21:46 - Oui.
21:46 - Je crois qu'il y a un mot de Colbert, je ne l'ai plus en tête,
21:48 je ne l'ai pas noté, où il parle de...
21:50 L'impôt, ça consiste à plumer une noix
21:53 et de récolter le maximum de plumes avec le minimum de criques.
21:56 - Oui, ou alors l'image du mouton,
21:58 on va tondre le mouton sans l'écorcher.
22:00 Donc c'est tout un art, parce que voilà,
22:02 la frontière entre les deux est ténue.
22:04 - Parce que le mot "trop d'impôt tue l'impôt"...
22:07 - Ah oui, ça c'est un mot très récurrent,
22:09 qu'utilisent beaucoup les libertariens.
22:11 Il y a une école de théorie anglo-saxonne autour du trop d'impôt.
22:16 Et bien évidemment, les anglo-saxons, de ce point de vue,
22:18 sont en pointe par rapport à nous,
22:20 mais la formule a été reprise en France.
22:22 Nous l'avons adaptée, bien sûr.
22:24 Trop d'impôt tue l'impôt.
22:26 C'est la fameuse courbe de l'affaire, si vous voulez.
22:28 Les économistes et les fiscalistes ont théorisé tout ça.
22:31 Effectivement, on se rend compte qu'au bout d'un certain seuil de prélèvement,
22:35 l'impôt ne rentre plus. Pourquoi ?
22:37 Non seulement parce qu'il y a des révoltes,
22:38 mais aussi parce que la population est moins riche,
22:42 et donc forcément la masse fiscale est moins importante.
22:45 Donc voilà.
22:47 - Alors ce fameux consentement, comment est-ce qu'on arrive à l'obtenir ?
22:51 Quelle est la perception de l'impôt,
22:53 que ce soit en France, en Angleterre ou dans la Nouvelle République américaine ?
22:58 - Vous avez raison de citer ces trois pays.
22:59 On y consacre un chapitre entier, d'ailleurs, dans le livre,
23:02 parce que ce sont les trois pays dans l'ordre,
23:03 l'Angleterre, la Nouvelle République des États-Unis et la France,
23:07 qui sont les premiers, à l'époque moderne,
23:10 à avoir mis en place le consentement tel qu'on le connaît aujourd'hui.
23:13 J'évoquais tout à l'heure un consentement voulu
23:15 par des souverains intelligents dès l'Antiquité.
23:18 Au Moyen-Âge, je vous citerai simplement Charles Le Chauve,
23:21 qui prend un édit très célèbre qu'on appelle l'édit de Pistres, en 864,
23:25 et qui dit à ses taxeurs, ses préleveurs d'impôts,
23:29 "Faites attention, parce que si vous êtes trop durs avec mes sujets,
23:32 ils pourraient se révolter."
23:34 Mais tout ça n'est pas théorisé, et surtout, tout ça ne passe pas
23:37 par une assemblée représentative de la population
23:40 qui va, pour les populations qu'elle représente,
23:44 voter régulièrement l'impôt.
23:45 Et c'est ça le principe du consentement moderne et contemporain à l'impôt.
23:49 Alors les Anglais sont précurseurs,
23:50 ils font une révolution en 1688, qu'on appelle la Glorieuse Révolution,
23:54 et c'est le Parlement britannique qui va désormais voter l'impôt
23:57 de façon annuelle.
23:59 Le principe de l'annualité de l'impôt, de la régularité de l'impôt.
24:02 Les second, ce sont les Américains qui le font,
24:04 vous savez qu'ils se révoltent, ça c'est très intéressant,
24:06 dans une révolte qu'on appelle la Boston Tea Party.
24:09 – Donc de taxes sur le thé.
24:10 – Taxes sur le thé, parce qu'ils en ont assez que les Anglais
24:13 leur prélèvent une somme sur un produit qui n'est pas dans leur civilisation,
24:17 mais qui est davantage dans la civilisation britannique.
24:20 Et c'est le point de départ en fait des insurgents
24:23 et de ce qui va provoquer la révolution américaine.
24:25 Ils deviennent indépendants, ils créent les États-Unis d'Amérique
24:29 et dans leur constitution, qui est la première constitution de l'histoire,
24:32 en 1787, si on exclut la Corse qui est un cas un petit peu particulier,
24:36 sous Pasquale et Paoli,
24:38 et bien dans leur constitution, ils incluent ce principe de taxation consentie.
24:44 En fait, la formule qu'on utilise c'est "no taxation without representation",
24:50 c'est-à-dire on ne peut pas lever l'impôt
24:52 s'il n'y a pas une représentation populaire qui vote cet impôt.
24:56 Et puis les Français, la révolution française,
24:58 l'une des premières mesures qui est prise, vous le savez tous,
25:00 c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
25:06 Un texte très court, un préambule, 17 articles,
25:09 et sur les 17 articles, tenez-vous bien,
25:10 il y en a deux qui sont réservés à cette question du consentement à l'impôt.
25:15 – C'est là où on devient contributeur.
25:18 – Exactement, le terme de contribution et de contributeur
25:21 fait son apparition à ce moment-là.
25:25 – Alors, concernant les impôts, on s'aperçoit, en lisant votre livre,
25:29 que l'imagination n'a pas de limite, des fonctionnaires, des dirigeants,
25:34 et qu'on peut tout taxer, vraiment absolument tout.
25:37 – Et vous citez pas mal de taxes insolites, et d'ailleurs pas qu'en France.
25:42 – Non, non, non.
25:43 – Quelques exemples, si vous voulez.
25:45 Alors, Pierre Le Grand, il est resté connu dans l'imaginaire collectif,
25:48 c'est un tsar russe, mais un tsar russe très attiré par l'Occident, par l'Europe.
25:54 Il a fait un grand tour d'ailleurs de l'Europe.
25:56 – C'est lui qui vient visiter Louis XV, le jeune.
25:57 – Exactement, il vient visiter le roi de France, c'est Louis XIV qu'il visite.
26:01 Et rentré chez lui, il créera cette ville très moderne qui est Saint-Pétersbourg.
26:07 Tournée vers l'Occident, alors que Moscou,
26:08 c'est la ville qui est plus tournée vers l'intérieur des terres russes.
26:11 Et il trouve qu'il en a assez de voir des popes, des moines russes porter la barbe,
26:17 mais aussi des seigneurs russes porter la barbe, ces sals, ces hirsuts, etc.
26:22 Et il leur demande de la raser.
26:24 Et voyant qu'il n'obtient pas gain de cause, il interdit la barbe.
26:27 Et à ce moment-là, il y a une révolte, imaginez, de ces seigneurs, d'une part,
26:31 qu'on appelle les barines, et également des prêtres.
26:34 Et alors là, c'est dramatique, dans la société russe,
26:36 si vous avez les prêtres contre vous.
26:37 Alors il va rétrograder et il met en place une taxe sur la barbe.
26:42 Vous voulez continuer à porter la barbe, très bien, mais vous allez payer un impôt.
26:45 Ça va rester très très longtemps, puisqu'il faudra attendre la Grande Catherine,
26:48 un siècle plus tard, pour que cette taxe soit supprimée.
26:52 Une autre taxe très très intéressante, c'est une taxe sur les portes et les fenêtres.
26:58 Elle vient en Angleterre, imaginez qu'il y avait la marquise du Dauphin au XVIIIe siècle
27:04 qui disait "on taxe tout de nos jours, hormis l'air que nous respirons".
27:08 Visiblement, la marquise du Dauphin avait oublié de regarder de l'autre côté de la Manche.
27:11 Les Britanniques ont eu l'idée de taxer les ouvertures des maisons.
27:16 Et donc, plus vous aviez d'ouverture dans la maison, plus vous étiez taxé.
27:20 Les Français, d'ailleurs, on évoquait tout à l'heure les contributions au moment de la Révolution,
27:24 vont copier le modèle britannique.
27:26 Parce que dès qu'il y a une idée d'un côté ou de l'autre, on la prend tout de suite.
27:28 On s'en inspire.
27:29 Parmi les quatre taxes que vont créer les révolutionnaires,
27:32 on les appellera très vite les quatre vieilles.
27:34 Vous avez la taxe sur les portes et fenêtres qui va durer jusqu'au lendemain,
27:38 vos téléspectateurs ne le savent peut-être pas,
27:40 jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale.
27:42 Donc elle a la victoire.
27:44 J'imagine qu'il y a des conséquences parce que si on est taxé sur la grandeur de sa fenêtre,
27:47 son nombre de fenêtres, on fait des fenêtres plus petites.
27:49 Exactement.
27:49 Alors la conséquence, c'est dramatique pour l'hygiène
27:51 parce que bien évidemment, on va se calfeutrer et tout un tas de maladies.
27:55 L'orachitisme également se développe.
27:58 L'air, la lumière ne passent pas.
28:00 Et un certain nombre de personnes humanitaires vont s'émouvoir,
28:05 des socialistes, mais pas seulement, de ce phénomène.
28:07 Victor Hugo, par exemple, en France, ou Charles Dickens en Angleterre
28:11 vont publier des textes très célèbres pour alerter les gouvernements en disant
28:15 "si il y a une taxe à supprimer, c'est bien celle-là".
28:18 Il y a aussi une taxe sur les papiers peints en Angleterre.
28:21 Oui, c'est incroyable.
28:22 L'histoire est incroyable.
28:23 Tout à fait, c'est absolument fascinant.
28:26 Les populations britanniques prennent l'habitude de décorer leur intérieur.
28:33 C'est la mode qui se développe au XVIIIe siècle du papier peint.
28:36 Donc, ce dit-il, il y a de quoi prendre.
28:37 Et immédiatement, l'État, la monarchie, sous les rois Georges, britanniques,
28:41 va taxer les papiers peints.
28:43 Donc, il va falloir trouver des subterfuges pour éviter d'être taxés.
28:47 Du coup, on ne va plus mettre un ras d'impression sur les murs
28:50 pour ne plus payer cette taxe.
28:53 Et justement, toutes ces petites taxes, est-ce que...
28:58 parce que l'administration, l'imagination, mais la population aussi...
29:01 Oh là !
29:02 Donc, j'imagine qu'on va trouver des moyens de détourner, de contourner,
29:06 avant de passer à la révolte.
29:07 C'est le principe du chat et de la souris.
29:09 C'est-à-dire qu'il y a plein de contournements.
29:10 Dès qu'une taxe est créée, les habitants trouvent un moyen pour la contourner.
29:16 Soit ils le font par la fraude, la contrebande.
29:19 Alors, on évoquait tout à l'heure le système de la gabelle.
29:22 Vous avez les faussonniers, les fameux faussonniers,
29:25 qui très très vite ont agi.
29:28 On a en tête, par exemple, Mandrin au XVIIIe siècle,
29:31 qui est l'un de ces faussonniers.
29:32 On a en tête également Jean Chouen,
29:34 qui s'illustrera pour d'autres raisons sous la Révolution,
29:37 mais dans les pays de l'Ouest.
29:39 Alors, il correspond avec les autres faussonniers
29:41 en imitant le cri de la chouette, d'où son surnom de Jean Chouen.
29:44 On a en tête, en Angleterre, le personnage de Robin Dubois,
29:48 qui va lutter contre l'impôt et redistribuer les sommes
29:51 qu'il a pris aux taxeurs de Jean Santerre aux populations,
29:55 ce qui le rendra extrêmement populaire.
29:58 Et puis, il y a les phénomènes, alors là, plus récents,
30:01 d'évasion fiscale.
30:02 Je dis plus récent, mais dès l'Antiquité,
30:04 vous avez ces systèmes d'évasion fiscale.
30:06 Simplement, ils prennent à l'époque contemporaine
30:07 une très très grande dimension,
30:09 parce qu'on a des moyens de faire sortir du territoire
30:11 plus facilement l'argent.
30:13 Alors, les États-Unis, où les populations ont, je dirais,
30:17 une haine de la taxe d'État très très prononcée,
30:20 sont les premiers à avoir, à l'intérieur même des États-Unis,
30:24 État fédéral, des États où on taxe moins,
30:28 qui vont servir de paradis fiscaux.
30:30 C'est le Delaware et le New Jersey,
30:32 dès la fin du XIXe siècle, dans les années 1890.
30:35 Après, c'est la Suisse qui sert de refuge.
30:37 Dans l'entre-deux-guerres, la Suisse devient un paradis fiscal
30:41 avec ses banques à partir des années 1920.
30:44 Et ça remonte, imaginez, jusqu'à la Société des Nations.
30:46 Il va y avoir un débat, c'est l'ancêtre de l'ONU,
30:48 à la Société des Nations au début des années 1930,
30:50 pour savoir si on autorise la Suisse à servir de paradis fiscal.
30:54 Et puis, bien évidemment, alors là, dans le cadre de la mondialisation,
30:58 on franchit des seuils absolument inimaginables
31:01 depuis une cinquantaine d'années.
31:02 Et ça de nuit à tous ces fameux scandales, les fameux lynx,
31:06 où s'est illustré, par exemple, Julian Assange
31:09 et tous les autres lanceurs d'alerte.
31:11 Il y a un rapport parlementaire de 2013 en France
31:14 qui estime que l'évasion fiscale, pour vous donner une idée,
31:18 au niveau de l'Union européenne, représente 2 000 milliards d'euros.
31:22 2 000 milliards d'euros.
31:24 Je ne sais pas si vous vous rendez compte.
31:25 L'évasion fiscale.
31:27 Alors, quand on n'arrive pas à contourner,
31:28 quand on n'arrive pas à faire de la contrebande,
31:30 il reste finalement une dernière ressource pour protester contre l'impôt,
31:34 c'est la révolte.
31:34 La révolte.
31:35 Et toute l'histoire est émaillée de révoltes populaires
31:40 contre l'impôt jusqu'à nos jours, d'ailleurs.
31:42 De tout temps.
31:42 Alors, on peut donner des exemples.
31:44 Il y en a dans l'Antiquité, il y en a au Moyen-Âge.
31:46 Quand on pense aux jacqueries,
31:47 les jacqueries, c'est une forme de révolte contre l'impôt.
31:50 À l'époque moderne, on a en tête la révolte des Croquants
31:53 ou des Vanupiers à l'époque de Louis XIII,
31:56 ou la révolte du papier timbré qui donne lieu au fameux bonnet rouge en Bretagne.
32:02 Donc, vous voyez, c'est des révoltes extrêmement anciennes.
32:04 Donc, bonnet rouge reprise par les bonnets rouges en 2010.
32:07 Oui, je vais y venir.
32:08 Mais à l'époque, on n'hésite pas.
32:10 Quand quelqu'un fraude contre l'impôt, on le tue.
32:14 Il est condamné à mort pour servir d'exemple et éviter que les autres fassent pareil.
32:18 Les révoltes se poursuivent à l'époque contemporaine.
32:21 Dieu merci, on ne fait pas ça à ceux qui se révoltent.
32:23 On a en tête, peut-être, il y a 70 ans, la révolte de Pierre Poujade,
32:28 le fameux papetier de Saint-Cyré, en loter Garonne,
32:34 qui va susciter un grand mouvement, le Poujadisme,
32:37 en s'en prenant aux préleveurs d'impôts.
32:43 Et puis, bien évidemment, plus récemment, vous l'avez dit, les bonnets rouges.
32:46 Quand on met en place les cotax, c'est à la barrière de Gravel, en Mayenne,
32:51 à l'entrée de Bretagne, quand on quitte l'autoroute,
32:54 que la révolte va partir et elle va enflammer toute la Bretagne.
32:58 Les Bretons qui ont une conscience très aiguisée de leur identité bretonne
33:02 se souviennent que sous Louis XIV, leurs ancêtres avaient mis un bonnet rouge
33:07 sur la tête au moment de la révolte et ils reprennent le symbole.
33:09 Et François Hollande va reculer puisque les cotax ne verra jamais de jour.
33:12 Et plus près de nous, quand même, le plus grand mouvement populaire
33:15 et mouvement social depuis 1945, ne l'oublions jamais,
33:19 les Français ont parfois la mémoire courte, c'est le mouvement des Gilets jaunes.
33:22 Et le mouvement des Gilets jaunes, après s'il devient multiforme,
33:25 il y a beaucoup de revendications,
33:26 naît d'une révolte contre la taxation du carburant, tout par-delà.
33:30 Donc, vous voyez, et ça c'est 2018, 2019, c'est tout près.
33:35 Donc, on arrive au XIXe siècle, après la révolution,
33:43 là il y a encore une augmentation de la pression fiscale,
33:45 vous l'avez expliqué, ça n'arrête pas de grimper de toute façon.
33:47 Mais là, l'impôt après la révolution française va changer de forme,
33:52 c'est-à-dire qu'on abandonne tous les impôts et toutes les taxes du Moyen-Âge.
33:56 Donc, quelle forme prend l'impôt ?
33:58 On peut voir ça en deux temps, si vous voulez.
34:00 L'impôt indirect que j'évoquais sous l'Ancien Régime,
34:03 comme la Gabelle par exemple, l'impôt du sel,
34:06 était l'impôt qui était perçu comme le plus injuste.
34:08 Donc, ce que vont faire les révolutionnaires,
34:10 outre le fait qu'ils modifient le nom et qu'ils appellent ça désormais des contributions,
34:14 ils vont prendre un moyen terme, ils vont créer ce qu'on appelle des contributions,
34:18 qui sont des impôts en fait directs, mais à cheval sur l'impôt direct et indirect.
34:22 On évoquait la contribution sur les portes et fenêtres,
34:25 vous avez aussi une contribution mobilière,
34:28 vous avez une contribution foncière,
34:30 et la quatrième contribution, c'est celle qu'on appelle la patente,
34:33 sur les commerçants.
34:34 Simplement, il n'y a pas d'impôt sur le revenu tel qu'on le connaît aujourd'hui.
34:38 Et pourquoi ? Parce que pour pouvoir prélever un impôt sur le revenu,
34:41 il faut être un petit peu intrusif,
34:43 c'est-à-dire pouvoir connaître justement les revenus
34:46 et l'ensemble du capital, du patrimoine et du salaire que touchent les Français.
34:53 Et les Français vont être parmi les plus rétifs en Europe à accepter cela.
34:58 D'autant qu'on a une société qui est encore très paysanne et les artisans.
35:02 C'est ce que dira très très bien un homme d'État du 19ème siècle
35:04 qui s'appelle Adolfo Thiers,
35:05 il est le principal ministre du roi Louis-Philippe,
35:08 et il dira l'impôt sur le revenu que sont en train de mettre en place
35:13 les Britanniques en 1800, il est assez anglophobe Adolfo Thiers,
35:17 qu'on appelle l'income tax, qui est créé en 1842,
35:21 n'est pas dans la culture latine.
35:23 Il dit ça.
35:24 Mais il dit, il y a d'autres pays qui imposent cet impôt sur le revenu,
35:28 c'est les Turcs par exemple.
35:30 Et en fait c'est les autocrates.
35:32 En France nous sommes des latins d'une part et nous en sommes fiers,
35:35 mais nous ne sommes pas non plus des autocrates,
35:37 on est un régime parlementaire sous Louis-Philippe,
35:40 et donc il est hors de question que nous ayons un impôt sur le revenu.
35:43 Pour lui l'impôt sur le revenu est antidémocratique.
35:45 Alors je dirais anti-français même plus.
35:48 Il faut savoir que Thiers qui deviendra après très impopulaire en particulier à gauche,
35:52 l'homme qui réprime la commune,
35:54 a été l'un des hommes de France les plus populaires.
35:57 Il défend la propriété et il s'oppose à l'impôt sur le revenu.
36:00 Et il faudra attendre l'arrivée au pouvoir des radicaux,
36:03 et en particulier d'un ministre des Finances qui s'appelle Joseph Caillaux,
36:05 pour qu'à la veille de la guerre de 14-18,
36:07 le principe de l'impôt sur le revenu soit adopté,
36:10 intervient la grande guerre,
36:12 et en fait c'est en 1919, au lendemain de cette guerre,
36:15 que l'impôt sur le revenu est mis en place en France.
36:17 Imaginez, c'est quelque chose d'assez récent,
36:20 ça a un petit peu plus d'un siècle seulement l'impôt sur le revenu en France.
36:24 Et l'impôt sur le revenu, c'est celui qui rapporte le moins ?
36:27 Alors, ce n'est pas celui qui rapporte le moins,
36:29 mais comparativement aux impôts indirects,
36:31 il rapporte beaucoup moins.
36:32 Je vais vous donner une idée,
36:34 l'impôt sur le revenu rapporte le cinquième seulement
36:37 de la totalité des rentrées fiscales de l'État.
36:40 C'est au total assez peu.
36:41 Avec une administration pétorique en plus pour le recouvre ?
36:43 Oui, tout à fait.
36:44 Et bien sûr, comme on fait notre déclaration, c'est déclaratif.
36:48 C'est sûr que c'est plus simple aujourd'hui sur impôts.gouv.fr.
36:50 Voilà, c'est plus simple, mais comme on l'a fait,
36:51 et puis c'est à date fixe,
36:52 le français se prend la tête, etc.
36:55 et il focalise sur l'impôt direct.
36:56 Mais je me permets de vous m'inviter,
36:59 donc je me permets de le rappeler aux contribuables,
37:01 ça représente une toute petite somme, bien sûr, des impôts prélevés.
37:04 La TVA, très très habile, c'est une invention française,
37:08 Cocorico, c'est beaucoup plus, c'est plus de 40%.
37:13 Qui date de quelle époque ?
37:14 Alors, c'est inventé par un haut fonctionnaire français
37:16 qui s'appelle Maurice Loret,
37:18 donc au milieu des années 1950, sous la 4e République.
37:22 Bien évidemment, tous les gouvernements successifs l'ont adopté.
37:25 Et alors, il a fait des petits,
37:26 puisque après c'est la Communauté économique européenne qui l'adopte.
37:29 Les Anglais ne faisaient pas encore partie de la CE,
37:31 qu'ils adoptaient déjà la TVA.
37:33 Et maintenant, vous avez à peu près la moitié des pays de la Terre,
37:35 il faut le savoir, qui ont copié ce système de la TVA
37:38 parce qu'ils ont trouvé que c'était d'une efficacité absolument redoutable.
37:41 Absolument redoutable, oui.
37:42 Réputée un Delort, mais bon,
37:44 quand on regarde d'un peu près, on se rend compte que non,
37:46 c'est pas un Delort.
37:48 Alors, aujourd'hui, on le disait au début,
37:51 la France est la championne du monde en termes de prélèvements.
37:54 Avec les pays scandinaves.
37:55 Oui, on est à égalité avec le Danemark à peu près.
37:58 Le Danemark et la Norvège.
37:59 Alors, une année...
38:00 On est à quoi ?
38:00 On est à moins de 50%, presque 50% de prélèvements.
38:03 Un peu moins.
38:04 Alors, les derniers chiffres, dans le livre,
38:06 on en donne 2, 43,5, 46,5.
38:09 Et là, j'ai vu que sous le président Macron,
38:11 ça avait encore un petit peu augmenté.
38:13 On est de l'ordre de 47,5.
38:14 47,5, donc champion du monde.
38:16 Avec le Danemark et la Norvège.
38:18 Champion du monde.
38:19 Dans les manuels scolaires,
38:20 on représente toujours, finalement, l'Ancien Régime
38:25 comme écrasant fiscalement, alors qu'on a rien...
38:27 Ah, ça, c'est la Troisième République.
38:28 C'est la Troisième République.
38:29 On a rien à en envier.
38:30 Il y a toute une propagande.
38:31 Moi, j'aime beaucoup la Troisième République.
38:33 C'est l'école de la République, c'est Jules Ferry, c'est merveilleux.
38:35 Mais il y a eu toute une propagande de la Troisième République
38:39 par rapport au Second Empire qui la précède immédiatement,
38:41 et plus encore par rapport à l'Ancien Régime,
38:43 pour dire, voilà, grâce à nous, on va vers le progrès,
38:47 c'est le meilleur des mondes.
38:48 Et ça, on l'inculque aux petits-enfants par les manuels.
38:51 Et c'est l'idée que les petits-enfants,
38:52 quand ils vont rentrer à la maison,
38:53 vont dire à leur papa et à leur maman,
38:55 "Regardez, mais..."
38:57 "Qu'est-ce qu'on est heureux aujourd'hui."
38:58 "Vous contribuez au bien de l'État,
39:01 et l'État, c'est tout un tas de services."
39:03 Je vous rappelle quand même que les fameuses taxes
39:05 dont je vous parlais tout à l'heure
39:06 sous l'Ancien Régime étaient très injustes,
39:08 mais on était sans doute à 5% du PIB.
39:11 On va passer à 15% sous la Troisième République.
39:14 Il y a beaucoup plus aujourd'hui.
39:15 Alors, est-ce que vous pensez,
39:17 pas le rôle de l'historien,
39:18 mais qu'aujourd'hui, le consentement à l'impôt
39:20 peut vaciller lorsqu'on voit la déliquescence
39:23 des services publics, du moins dans notre pays ?
39:26 On est un peu sur un fil ou une corde raide.
39:28 C'est-à-dire que le contribuable ne voit plus trop.
39:31 Moi, je le vois beaucoup sur les groupes sociaux.
39:33 Je suis très attentif à sentir un petit peu
39:36 les opinions de mes concitoyens.
39:38 Et je vois très clairement qu'on ne voit pas ou pas s'argent.
39:42 C'est-à-dire qu'il y a une époque,
39:44 on voyait que dans le service public,
39:46 je pense à l'hôpital, je pense à la poste,
39:48 je pense à l'école, aux routes,
39:51 tout était entretenu et donc on acceptait de payer l'impôt.
39:54 Et aujourd'hui, non seulement la pression fiscale,
39:57 on l'a dit, augmente, mais on ne s'y retrouve plus.
39:59 Et ça, c'est très, très dangereux, bien évidemment,
40:01 pour la démocratie, parce que ça peut amener
40:03 soit à la révolte, soit au vote extrême,
40:06 soit, et je n'en suis pas partisan,
40:09 peut-être que vous en avez dans vos téléspectateurs,
40:11 à un système à l'américaine où il y a beaucoup moins d'impôts.
40:15 Mais alors, pour le coup,
40:16 vous avez beaucoup moins de service public.
40:17 Je donnerais simplement une anecdote.
40:18 - Oui, il y a des villes entières aux États-Unis.
40:20 - Il y a ça, il y a ça.
40:21 Et puis alors, je donnerais simplement une anecdote.
40:23 Il se trouve que j'ai eu une amie qui a la double nationalité,
40:25 qui m'a appelé l'autre jour,
40:26 et ça a un peu quand même défrayé la chronique,
40:28 c'était choquant.
40:29 Il y a quelqu'un qui a fait un malaise dans la rue.
40:31 - Avec des amis.
40:33 - Ah oui, est arrivée une ambulance,
40:34 ça a été filmé, est arrivée une ambulance,
40:36 on a demandé à la personne qui était à moitié mourante,
40:39 si elle avait sa carte bancaire.
40:41 - Elle n'avait pas sa carte bancaire, l'ambulance est repartie.
40:43 - Ah bah oui.
40:45 Alors, on appelle ça non-assistance à personne en danger.
40:47 Mais dans des états minimums,
40:49 voilà ce qui peut arriver.
40:50 - Bien.
40:51 Eh bien, Eric Anceau, merci.
40:52 J'espère que vous avez vu que l'histoire des impôts,
40:54 ça peut être très vivant et passionnant.
40:56 Promis, je ne mettrai pas six mois à vous réinviter
40:58 après votre prochain livre.
41:00 Vous allez retrouver maintenant Christophe Erlan et la petite histoire.
41:02 Vous n'oubliez pas, bien sûr, de cliquer sur le pouce levé
41:05 sous la vidéo et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
41:08 Merci et à bientôt.
41:10 [Générique]
41:16 Les Gilets jaunes, là on est en plein dedans,
41:18 je me devais d'en parler,
41:20 avec un point de vue historique, bien sûr.
41:22 On entend souvent revenir dans plusieurs médias
41:24 le terme de jacquerie pour définir la révolte des Gilets jaunes.
41:28 Historiquement, une jacquerie, c'est une révolte paysanne
41:32 et cela s'explique surtout par le fait qu'à l'époque,
41:34 95% de la population était issue du monde paysan.
41:38 Aujourd'hui, les choses ont beaucoup évolué,
41:41 rarement pour le mieux, on ne va pas se mentir,
41:42 et ce schéma ne s'applique plus.
41:45 Malgré tout, certaines similitudes sont à souligner
41:48 et la véritable question à se poser est la suivante.
41:51 À l'instar des révoltes médiévales,
41:54 les Gilets jaunes peuvent-ils triompher ?
41:56 [Générique]
42:12 Un rapide point historique sur les jacqueries,
42:14 c'est quand même le but principal de cette émission,
42:17 et ensuite on s'attaque au parallèle avec la situation actuelle.
42:20 Une jacquerie, je l'ai dit, c'est un terme qui sert à définir
42:24 une révolte paysanne dans l'Occident médiéval,
42:27 et pas que, puisque ça va jusqu'à la Révolution.
42:30 Le mot "jacquerie", quant à lui, est péjoratif.
42:33 Un jacques, c'est un vilain, c'est un jacouille,
42:36 c'est un vieux paysan qui pue la tarte aux cerfeuilles.
42:40 Et ça vient des vestes courtes dites "jacques"
42:43 que portaient les paysans de l'époque,
42:45 et ce terme, on le doit au chroniqueur Nicolas Gilles en 1492.
42:50 Ouais, en 1492, il y avait des mecs qui étaient occupés à découvrir l'Amérique,
42:55 lui, Nicolas Gilles, il préférait donner des surnoms aux paysans.
42:59 Après, chacun fait son truc, hein !
43:00 Alors il y a eu de nombreuses révoltes paysannes dans l'histoire,
43:03 de la Révolte Normande de 996 à la Révolte des Tuchins du Languedoc en 1381,
43:10 en passant par la Révolte des Carles en Flandre en 1323.
43:15 Mais la plus célèbre, et celle qui a donné son nom à toutes les autres,
43:18 eh bien c'est la Grande Jacquerie de 1358.
43:23 Pourquoi grande ? Eh bien parce qu'elle l'était, tout simplement !
43:26 Elle a éclaté dans un petit village du Beauvaisie le 21 mai 1358, croit-on,
43:32 et elle s'est ensuite étendue à toute la paysannerie du bassin parisien.
43:36 Enfin, pas toute la paysannerie,
43:38 puisqu'en gros, la Grande Jacquerie, c'était surtout les paysans aisés de cette région,
43:44 qui était alors la région la plus riche d'Europe, qui ont lancé le truc.
43:47 Maintenant la question c'est pourquoi ?
43:49 Eh bien la réponse est en plusieurs points.
43:52 Premier point, eh bien on est en pleine guerre de Cent Ans, et c'est le bordel !
43:57 Les nobles sont totalement discrédités après s'être fait humilier contre les Anglais
44:02 à la bataille de Poitiers.
44:04 Le roi Jean, le roi de France, il est prisonnier des Anglais.
44:08 Les grandes compagnies, c'est-à-dire les mercenaires
44:10 qui se battaient durant le conflit de la guerre de Cent Ans,
44:12 eh bien ils n'ont plus grand-chose pour s'occuper,
44:15 et pour passer le temps, eh bien ils pillent et ils rançonnent les villages.
44:19 Bref, sur le plan politique comme militaire, c'est le chaos.
44:23 Deuxièmement, on est en 1358.
44:26 Alors certes, pour un vin, c'est peut-être une bonne année,
44:28 mais quand on est paysan...
44:30 Non.
44:31 Depuis dix ans, la peste noire ravage l'Europe,
44:35 et autant vous dire que c'était une autre histoire que la grippe à Chine.
44:38 Et enfin, les prix céréaliers stagnent.
44:41 Donc les seigneurs doivent alourdir la peau pour pouvoir s'y retrouver à la fin du mois.
44:46 En gros, c'est ça, je vous résume.
44:48 Ah oui, et puis en plus de ça, on alourdit les taxes par rapport à la stagnation des prix céréaliers,
44:53 mais on alourdit aussi l'impôt par rapport à la rançon du roi,
44:57 parce qu'il faut bien la payer, cette rançon.
44:59 Bon, bon, bon, jusque-là, rien de vraiment anormal, l'histoire c'est comme ça,
45:04 il y a des hauts, il y a des bas, et tant que l'ordre est maintenu,
45:08 eh bien on arrive à encaisser.
45:09 Et c'est justement ce que les nobles ont essayé de faire en adaptant l'impôt à la situation.
45:15 Sauf qu'un noble, en temps normal, quand il alourdit l'impôt,
45:19 eh bien on n'est pas content, mais bon, on accepte, c'est quand même notre seigneur,
45:23 c'est celui qui est censé nous protéger.
45:25 Pour citer un mantra philosophique très connu, c'est comme ça.
45:29 Sauf que quand le noble qui alourdit l'impôt,
45:32 eh bien c'est le même que celui qui s'est fait fesser cul nu comme un branc par les Anglais
45:37 quelques années plus tôt,
45:39 bah là, ça passe moyen, quoi.
45:41 C'est-à-dire que le noble, à partir du moment où il a baissé sa cote de maille devant l'ennemi,
45:46 si ensuite il vient face aux faibles réclamer de l'argent sur son beau cheval blanc et tout ça,
45:52 bah on lui répond avec une fourche, c'est tout.
45:54 Bref, l'autorité des nobles est déconsidérée,
45:57 les impôts sont subitement trop lourds,
45:59 alors que la situation est déjà très difficile,
46:02 et c'est la révolte qui éclate.
46:04 Les paysans s'arment, ils s'en prennent au château,
46:07 aux nobles, aux bétails, ils brûlent, ils saccagent, ils pillent,
46:11 et ils menacent le pouvoir.
46:13 Et le mouvement a même commencé à devenir très dangereux lorsque les Jacques,
46:17 on les appelait comme ça, les paysans révoltés, les Jacques,
46:20 qui avaient nommé à leur tête un certain Guillaume Carle,
46:23 se sont alliés à la bourgeoisie parisienne menée par un certain Étienne Marcel,
46:28 qui était lui aussi à ce moment-là en révolte contre le roi,
46:32 parce qu'à ce moment-là, tout le monde en avait plein la musette.
46:35 Sauf que, après la défaite des Parisiens à Meaux face à la noblesse,
46:39 les bourgeois ont abandonné les Jacques et se sont alliés au roi.
46:43 Leçon numéro 1, en tout lieu, en toute époque,
46:48 en toutes circonstances, ne jamais s'allier à la bourgeoisie.
46:52 Et là je parle des bourgeois, je parle pas des nobles,
46:55 d'ailleurs il y avait aussi des nobles qui figuraient parmi les Jacques,
46:58 les gens de la petite noblesse, tout ça, c'est plus compliqué que ça.
47:02 Mais les bourgeois, comme disait l'autre, c'est comme les cochons.
47:06 Et puis, et puis, les 9 et 10 juin 1358,
47:12 la Grande Jacquerie est à son tour définitivement écrasée
47:16 par l'armée de Charles II le Mauvais, roi de Navarre.
47:21 Fin du game.
47:22 La Grande Jacquerie de 1358 a donc échoué.
47:26 Bon, j'ai pris l'exemple de la Grande Jacquerie,
47:28 mais il y a d'autres révoltes paysannes qui ont plus ou moins réussi localement,
47:33 mais toujours sans jamais bouleverser l'ordre établi.
47:35 Pourquoi ont-ils échoué à cette époque ?
47:37 Eh bien, on nous explique aujourd'hui que c'était à cause de leur désorganisation
47:41 et du manque d'un chef véritable, charismatique, qui ait porté le mouvement.
47:47 À cela, je répondrai "oui et non",
47:49 et puis c'est surtout pas un napoléonien comme moi
47:52 qui va vous dire qu'on n'a pas besoin d'un homme, d'un leader pour mener une masse.
47:56 Néanmoins, plusieurs parallèles sont à faire avec la révolte des Gilets jaunes.
48:01 Premièrement, c'est une révolte qui vient d'en bas.
48:03 Certes, aujourd'hui, le peuple est plus composé à 95% de paysans,
48:08 mais les classes laborieuses, ça existe toujours.
48:11 Et puis, ce sont elles qu'on entend aujourd'hui à travers la révolte des Gilets jaunes.
48:15 Deuxièmement, la révolte est née, comme toutes les révoltes d'ailleurs,
48:20 d'une réaction à la fiscalité.
48:22 À l'époque, c'était la gabelle, la taxe sur le sel, entre autres.
48:26 Eh bien, aujourd'hui, c'est l'essence.
48:28 Et les impôts sur le revenu, et la TVA, et la redevance télé, et la taxe d'habitation.
48:34 Troisièmement, le mécontentement, à l'époque comme aujourd'hui,
48:37 est porté non pas contre l'autorité,
48:40 car les Français aiment l'autorité à la tête de l'État en général,
48:44 mais, comme à l'époque de la guerre de Cent Ans,
48:47 il est porté contre une élite devenue illégitime.
48:50 C'est une élite qui n'a même plus le pouvoir aujourd'hui,
48:53 comme à l'époque, parce qu'ils étaient soumis aux Anglais,
48:56 eh bien, aujourd'hui, c'est pareil.
48:57 C'est une élite qui n'a plus le pouvoir,
48:59 et qui se contente d'obéir aux injonctions des financiers,
49:02 des oligarques de l'Union Européenne,
49:04 de jouir de ses petits privilèges de valet de chambre,
49:08 et qui se permet ensuite, très sérieusement,
49:11 de venir dire aux gens de se serrer la ceinture.
49:14 "Jouir et trahir".
49:15 Ça, ce serait une bonne devise pour cette élite-là.
49:18 Ensuite, pour revenir sur l'absence de chef,
49:21 on nous dit que la Grande Jacquerie a échoué à cause de l'absence de chef,
49:24 et qu'aujourd'hui, les Gilets jaunes sont désorganisés.
49:27 Eh bien, moi, je trouve qu'aujourd'hui,
49:28 c'est justement l'absence de chef qui fait la force des Gilets jaunes.
49:33 Et c'est paradoxal, on est d'accord,
49:35 mais là, le ras-le-bol est tellement général,
49:38 il dépasse tellement les clivages politiques droite-gauche,
49:42 que la révolte ne peut être que générale pour être efficace.
49:45 Et puis, surtout, un chef à la tête des Gilets jaunes,
49:49 eh bien, ça signifierait quelqu'un à acheter,
49:51 quelqu'un à corrompre,
49:53 ou encore, quelqu'un qui, d'un coup d'un seul,
49:56 verrait naître en lui des ambitions électorales.
49:59 Non, ce serait la mort, je pense, du mouvement des Gilets jaunes,
50:03 l'institutionnalisation, la normalisation du mouvement.
50:06 Alors oui, les Gilets jaunes sont dispersés,
50:09 mais justement, pour la première fois, la révolte, elle est nationale,
50:13 elle est générale, elle n'est pas localisée,
50:15 comme l'avait pu être, par exemple, la révolte des Gilets jaunes,
50:18 ou les révoltes paysannes du passé.
50:20 Là, c'est national.
50:21 On dit que les Gilets jaunes sont désorganisés, incohérents, hétéroclites,
50:26 mais comme le sont les gens, en fait.
50:28 Cette révolte, c'est celle des gens, des "petites gens", comme on pourrait dire.
50:33 Alors oui, on ne sait pas où ça nous mène,
50:36 c'est le bordel, mais c'est peut-être mieux comme ça.
50:39 Merci de votre attention,
50:41 j'espère que cet épisode et ce parallèle historique
50:44 entre l'histoire, où on puise toutes nos leçons, j'ai envie de dire,
50:48 et le présent vous a plu, j'essaierai de faire plus d'épisodes comme ça,
50:52 c'est toujours intéressant de comparer le passé,
50:54 là, avec la révolte des Jacques et les Jacques Riz,
50:56 avec le présent et les Gilets jaunes.
50:59 C'est un exercice qui me plaît beaucoup,
51:00 et je pense que c'est ce que l'histoire peut apporter aujourd'hui au débat politique.
51:04 Allez, je vous dis à la semaine prochaine,
51:07 mardi prochain, pour un nouvel épisode de La Petite Histoire sur TV Liberté,
51:11 et je vous souhaite par avance, et je vous le souhaiterai encore,
51:14 tout ce mois de décembre, d'excellentes fêtes de fin d'année.
51:17 À bientôt.
51:18 [Musique]