L'Invité du 13h (13h - 1 Septembre 2023 - Carole Fives)
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00:00 s'il y a une chose que l'on est censé ignorer dans sa vie, c'est le jour et l'heure à laquelle
00:05 elle prendra fin. Où et quand va-t-on mourir ? C'est un mystère, si nous le savions, comment
00:10 ferions-nous pour vivre ? Le jour et l'heure, c'est le titre du roman que vous publiez,
00:15 Carole Fiff. Bonjour à vous. Bonjour. Votre héroïne s'appelle Edith et elle connaît
00:19 le jour et l'heure car elle est atteinte d'une maladie dégénérative. Elle a choisi de
00:24 mettre un terme à sa vie autant qu'à sa souffrance. Cela s'appelle la mort volontaire
00:28 assistée. Pour cela, elle se rend en Suisse, pas toute seule, c'est tout le sel de ce
00:33 roman. Elle s'y rend avec sa famille, son mari et ses quatre enfants qui sont grands.
00:38 C'est ce voyage en voiture de Lyon vers Bâle en Suisse que vous racontez dans ce livre
00:43 aux éditions Jean-Claude Lattès. Tout cela à travers le point de vue de tous les membres
00:47 de la famille, sauf celui d'Edith. Vous nous direz pourquoi. J'attends pour vous les questions
00:53 des auditeurs et des auditrices de France Inter, 01 45 24 7000 ou via l'application
00:59 France Inter. Carole Fiff, il faut tout de suite dire aux auditeurs qu'évidemment, c'est
01:03 un sujet très grave, très lourd, mais vous le traitez presque comme une histoire ordinaire.
01:09 Le ton est parfois léger. Ce n'est pas une longue marche funèbre, ce voyage ? Oui, effectivement,
01:14 parce que c'est la vie, c'est un moment de vie, un week-end familial qui ressemble
01:20 beaucoup à ce que cette famille de quatre enfants, tous devenus adultes, les deux parents
01:27 vont faire en Suisse et qui ressemble beaucoup aux voyages familiaux qu'ils ont fait quand
01:30 ils étaient petits dans un van, partir à l'étranger, la découverte d'un autre
01:35 pays. Finalement, c'est le dernier voyage d'Edith, mais ça les remet ensemble dans
01:38 une configuration familiale presque enfantine pour les enfants qui sont devenus grands.
01:44 On sait tous comment ça se passe quand on retrouve ses parents et la configuration
01:47 familiale comme ça à l'occasion d'un repas de famille, d'un dîner. Et donc,
01:52 ça va les remettre chacun dans leur position d'enfant. Et on va apprendre à travers
01:59 leurs souvenirs chacun, comment ils ont vécu ces derniers mois. C'est vraiment ce qui
02:06 m'intéressait. Et ce dernier week-end, mais ces derniers mois depuis l'annonce,
02:10 la décision d'Edith de mettre fin à ses jours. Toujours sur le ton et sur l'impression
02:14 qui se dégage, il y a des ressorts comiques. Et vous affichez la couleur, il y en a plusieurs.
02:19 Il y a notamment le père qui ne sait pas conduire manifestement, mais c'est lui
02:23 qui se retrouve au volant et qui fait dire à sa fille, dès l'une des premières
02:29 pages, je crois que c'est page 11, mais il va tous nous tuer ce con. Donc, on rit
02:34 presque du début à la fin, ce qui est assez dérangeant.
02:37 Oui, mais c'est la vie, c'est comme ça, c'est le week-end. Et comme je disais,
02:43 moi, vraiment, ce qui m'intéressait, c'est de montrer comment chacun reprend.
02:48 Quand la fille insulte son père au moment du départ, chacun reprend sa place dans la
02:57 fratrie. Là, c'est trois sœurs et un frère. Et reprend sa place d'enfant. Et
03:04 effectivement, avec les blagues, avec les colères qui vont se réanimer, etc.
03:08 Vous vouliez dédramatiser en quelque sorte. Qu'est-ce que vous cherchiez par là ?
03:11 Oui, je voulais montrer que même sur un sujet, si c'est une famille de médecins,
03:16 ils sont tous médecins, les enfants.
03:17 Oui, c'est très important d'ailleurs.
03:18 C'est ça, oui. Sauf la cadette qui est artiste. Et ils sont tous médecins. Donc,
03:23 ce qui m'intéressait, c'était de montrer les différents points de vue sur la décision
03:27 d'Edith. Comment chacun, en étant de sa place dans la famille, de sa profession,
03:33 la relation qu'il avait avec sa mère, Sophie la place de la mère puisqu'elle est amenée
03:36 à disparaître dans les 48 heures. Parce que c'est vrai que pour faire cette chose
03:39 en Suisse, il faut arriver trois jours avant sur le territoire pour pouvoir voir plusieurs
03:43 médecins. C'est quand même très cadré, etc. Et il faut pouvoir aussi être capable
03:46 de faire le geste, effectivement, le geste de s'injecter le produit létal. Et là,
03:51 Edith est vraiment dans la limite. C'est-à-dire que pour actionner cette pompe, il faut avoir
03:56 sa main qui marche encore. Or, sa main est en train de se paralyser.
03:58 Elle s'inquiète d'ailleurs tout au long du livre. C'est pourquoi elle tient vraiment
04:02 à cette date de ne plus pouvoir faire le voyage. Il y a une scène incroyable, on ne
04:07 peut pas tout dire, mais les enfants se retrouvent la veille de la mort de leur mère. Ils font
04:13 presque la fête. Ils dansent, ils boivent. Est-ce que vous vous êtes posé la question
04:19 de la crédibilité d'une telle scène ou pas ?
04:21 Tout simplement, je me suis inspirée d'amis qui ont vécu et qui m'ont raconté des
04:27 choses. Bien sûr, c'est romancé, mais qui m'ont raconté des choses très proches.
04:30 C'est-à-dire que, comme dans un enterrement où on va avoir des fous rires, ils étaient
04:38 là depuis 48 heures sous pression. En plus, arrivant à Bal en plein carnaval, dans un
04:44 moment de fête qui ne correspond pas du tout à leur état intérieur à eux. Et donc,
04:48 effectivement, rien ne se passe comme prévu. Mais la veille, ils décident tous, à la
04:53 dernière minute, les frères et les sœurs, de sortir et d'aller boire. Ils ont que
04:58 à faire boire et profiter de la ville de Bal dans un bar.
05:01 Vous parlez des témoignages que des proches ont pu vous livrer. Elle existe réellement,
05:06 Edith ?
05:07 Oui, effectivement, je me suis inspirée de quelqu'un qui est très proche.
05:10 C'est ce qui vous a donné l'inspiration et l'envie d'écrire ce livre et d'écrire
05:15 sur ce thème ?
05:16 Oui, en fait, je connais très bien ses enfants. Je suis amie avec ses filles. J'étais
05:20 aussi très amie avec Edith. Et donc, quand ils ont fait ce voyage, quand ça a été
05:24 décidé, ça s'est fait quand même assez vite. Et j'étais très admirative de cette
05:29 famille, de leur courage et aussi très à l'écoute des différentes réactions. Colère
05:33 chez une des filles qui était aussi une très proche amie. Grande colère parce qu'elle
05:37 est gynécologue obstétricienne. Elle est plus habituée à donner la vie, à sauver
05:42 la vie. D'ailleurs, c'est ce qu'elle fait la veille du jour où elle accompagne
05:46 sa mère. C'est-à-dire qu'elle intervient en urgence à l'hôpital et elle sauve la
05:51 vie d'un enfant et d'une mère.
05:52 C'est le passage de « je sauve la vie et ensuite j'accompagne quelqu'un qui
05:55 veut en finir ».
05:56 Voilà, c'est ça. Elle est vraiment plutôt du côté de la naissance. Elle a cette colère
06:00 contre sa mère. La cadette, au contraire, elle est très contente d'avoir ce laps de
06:04 temps, ce dernier mois, pour profiter de sa mère jusqu'à la dernière minute.
06:07 Chacun va réagir tout à fait différemment. C'est vraiment ça, moi, qui m'a intéressée
06:11 dans cette fratrie.
06:12 Vous vouliez porter cette histoire, Carole Fiv ? Ou également peut-être participer
06:18 au débat ? Vous savez qu'il y a un projet de loi sur la fin de vie qui va être présenté
06:22 dans les prochaines semaines sur l'aide active à mourir.
06:25 Est-ce que vous vouliez, avec ce livre, participer à la discussion en cours ?
06:30 Je pense que la fiction peut apporter de la nuance, effectivement. Et quand j'ai entendu
06:38 la Convention citoyenne et les résultats de la Convention citoyenne au printemps,
06:41 ça m'a donné envie de faire entendre la voix de ces personnes, de la famille des
06:48 dites, de ces enfants, et de montrer à quel point c'était à la fois un débat qui
06:52 devait avoir lieu dans notre société, parce qu'il est très aigu.
06:55 Et je pense qu'effectivement, on est dans une impasse aujourd'hui sociale.
07:00 On a tous des parents qui ont été, enfin pas tous, mais on sera tous amenés en tout
07:07 cas à avoir nos parents à un moment donné à accompagner, ou soi-même si on est très
07:12 malade, dans une maladie.
07:13 Et c'est vrai que j'entends plein, depuis que le livre est sorti, de gens qui me contactent
07:17 et qui me disent « moi j'ai dû accompagner mon père, ma mère, à la dernière minute
07:20 trouver un médecin en urgence, quelqu'un de compatissant, d'humain j'entendais,
07:25 qui puisse nous accompagner pour adréger ces souffrances qui étaient terribles ».
07:27 Donc je pense qu'on a quand même une sorte de vide juridique, et qu'aujourd'hui
07:31 à l'hôpital, on meurt, pour la majorité des Français, à l'hôpital, et on meurt
07:36 sans savoir vraiment qu'on meurt.
07:37 Parce que la loi Leonetti de 2016 donne comme directive le fait d'endormir les gens,
07:49 une sédation profonde et continue, quand il n'y a plus aucune réponse thérapeutique
07:53 aux problèmes des patients, au mal-être, qu'il soit physique ou psychique.
07:58 Donc on endort les gens, et je crois que ça correspond beaucoup à ce qui se passe en
08:02 France aujourd'hui, c'est-à-dire qu'on endort politiquement les gens, on les endort,
08:05 on meurt sans savoir qu'on meurt en fait.
08:07 Et sans qu'on le dise.
08:09 Sans qu'on le dise.
08:10 C'est un moment d'œil à cette scène aussi, dans le livre effectivement, où une
08:13 des filles à l'hôpital rapporte le fait que quelqu'un agonise dans un hôpital,
08:19 et qu'au moment où il agonise, tout le service se détourne de cette personne, et
08:22 qu'elle est obligée de venir lui dire « Monsieur, vous êtes en train de mourir ».
08:24 C'est-à-dire qu'on meurt sans savoir qu'on meurt en fait.
08:26 Je trouve que ça pose quand même un énorme problème philosophique.
08:29 Vous parliez, Carole Fif, des témoignages qui vous reviennent depuis que votre livre
08:36 est sorti.
08:37 On a beaucoup de témoignages au standard de France Inter, 0145 24 7000.
08:41 Nous accueillons Anne-Marie qui nous appelle de Toulouse.
08:43 Bonjour Anne-Marie.
08:44 Oui, bonjour à vous, merci de m'accueillir dans votre émission.
08:48 Je n'ai pas l'habitude de participer à ça, mais je voulais témoigner pour ma
08:54 soeur Véronique qui est atteinte d'un cancer du cerveau et qui avait fait le choix, elle,
09:00 d'avoir une mort à part assistance à l'étranger.
09:04 Elle aurait voulu aller en Suisse.
09:06 Elle n'a pas pu le faire parce qu'il y avait un diagnostic médical qui n'était
09:13 pas recevable par la démarche administrative qu'elle voulait faire.
09:17 Parce que si elle l'avait fait deux mois plus tôt, ça aurait pu être accepté.
09:21 Donc moi ce que je veux dire c'est que c'est ma nièce qui a accompagné sa mère
09:25 jusqu'au bout.
09:26 Elle s'est mise en arrêt de son travail de janvier 2022 jusqu'en juillet 2022, ce
09:37 qui est très louable de la part de ma nièce, mais j'ai trouvé ça très dur pour elle
09:42 d'assister sa mère de cette manière.
09:43 Et ce que je peux témoigner par rapport à ce vécu, c'est que derrière elle a eu
09:49 quand même plusieurs mois d'arrêt maladie pour pouvoir remonter de toute cette souffrance
09:54 et de tout ce qu'elle a dû porter au niveau administratif, au niveau médical, etc.
10:00 Je suis respectueuse de la vie parce que je suis kinésthérapeute, mais à un moment
10:08 donné la médecine a tellement fait de progrès qu'il faut laisser le choix aux gens de
10:13 partir.
10:14 Et ma soeur s'est vue partir dégradée.
10:17 On l'a vu se dégrader, le cerveau, c'est la commande centrale.
10:22 Merci à vous Anne-Marie pour ce témoignage.
10:24 Sophie est avec nous également, qui nous appelle de Marseille.
10:27 Bonjour Sophie.
10:28 Oui bonjour.
10:29 Nous vous écoutons.
10:30 Alors je voudrais juste dire que j'ai vécu la même chose sur deux générations différentes.
10:36 J'ai assisté ma grand-mère en fin de vie, puis ma mère en fin de vie.
10:41 Malgré toutes les déclarations anticipées de fin de vie, signées, contre-signées,
10:49 il y a toujours la même histoire, c'est-à-dire qu'on ne laisse partir les personnes qu'en
10:54 dernier recours et dans des souffrances et tout rentable, en réalité.
10:58 Et ce n'est pas parce qu'on vous dit qu'il y a de la morphine qui va aller bien, que
11:01 ça va bien.
11:02 C'est faux.
11:03 Et à la fin, je ne savais même plus si je devais aller voir, aller visiter les personnes
11:10 concernées qui ont quand même mis un certain temps à mourir, on va dire ça comme ça,
11:15 parce que j'avais même l'impression que d'aller les voir, c'était une façon
11:19 de les ramener à une vie qu'elles n'avaient plus et qu'elles ne voulaient plus avoir.
11:24 Et je ne comprends pas la position de la France qui persiste et signe dans cette pure tradition
11:33 finalement d'une culture où on planque les morts, on est d'accord, mais la mort
11:43 reste quelque chose de sacré.
11:45 Ah non, ce n'est plus possible ça.
11:47 La mort n'est pas sacrée.
11:49 On a quand même le droit.
11:51 Moi, je n'ai pas envie de faire vivre à mes enfants ce que j'ai vécu moi-même.
11:54 Merci à vous Sophie pour ce témoignage.
11:58 De nombreux appels comme celui-là, Carole Fivre.
12:00 La place de la famille, c'est au cœur du livre, parce que je le disais, ce sont les
12:05 enfants et c'est le mari Simon qui ne parle pas, Edith.
12:09 Tout à fait.
12:10 Simon qui pose le problème de la médecine, puisque lui, en 40 ans de médecine générale,
12:15 lit d'avoir jamais parlé de mort avec aucun de ses patients.
12:20 C'est quand même énorme.
12:21 L'absence de la mort dans la bouche des médecins, il n'en parle pas.
12:26 Voilà, donc la décision de sa femme va le confronter pour la première fois de sa vie
12:29 en tant que médecin à la mort.
12:30 Les autres enfants qui sont médecins disent la même chose d'ailleurs.
12:36 C'est-à-dire qu'il y a quelque chose au niveau de la formation des médecins qui,
12:40 je pense, ne sont pas effectivement habilités à penser la mort, à se préparer à la mort.
12:48 Ils sont habitués dans leur formation, ils sont formés pour lutter à tout prix contre
12:52 la mort.
12:53 Mais du coup, il n'y a aucune pensée de la préparation de la mort.
12:56 Il y a une espèce d'espèce de vide.
12:59 Je pense qu'il y a quelque chose à construire.
13:02 Mais c'est tout de même une famille de médecins que vous décrivez.
13:06 C'est un contexte particulier, c'est une famille qui connaît les enjeux.
13:10 J'ai presque envie de dire que c'est le contexte idéal pour prendre sa décision
13:14 en pleine conscience et en pleine liberté.
13:16 C'est très différent pour des personnes seules ou qui peuvent être influencées.
13:20 Les contextes sont évidemment très importants en la matière.
13:23 Oui, c'est pour ça que le projet de loi prévoit des décisions.
13:30 À partir du moment où la personne a pris la décision, ensuite, et d'ailleurs c'est
13:33 ce qui se passe en Suisse, c'est qu'il faut qu'il y ait plusieurs médecins.
13:35 Il faut que la décision soit collégiale.
13:36 Il faut qu'il y ait plusieurs personnes qui puissent entourer la personne, même si
13:41 elle est seule à ce moment-là.
13:42 Il ne faut pas que la personne soit seule avec un médecin.
13:44 Comme ça se passe d'ailleurs souvent aujourd'hui, parce qu'on va appeler un médecin au secours.
13:48 Il faut vraiment arriver à penser cette étape d'avant la mort et que ça devienne
13:53 quelque chose socialement dont on puisse parler, sur lequel il puisse avoir une parole.
13:58 Et c'est l'objectif notamment de votre livre, ce roman, le jour et l'heure aux
14:04 éditions Jean-Claude Lattès.
14:06 Merci à vous Carole Fivre d'être venue nous en parler aujourd'hui dans le 13/14