Claude Evin, ancien ministre délégué chargé de la Santé et de la Protection sociale et actuellement avocat au barreau de Paris, est l'invité du 13h mercredi 13 décembre 2023 pour évoquer l'avenir le l'Aide Médicale d'Etat.
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00:00 Bonjour Claudevin ! Bonjour ! Merci d'être avec nous, ancien ministre socialiste de la Santé entre 1988 et 1991.
00:07 Vous avez fait voter les premières lois contre le tabagisme, contre la publicité pour l'alcool également.
00:13 Et vous avez remis la semaine dernière un rapport au gouvernement sur l'aide médicale d'État.
00:17 L'AME, c'est la couverture maladie apportée aux étrangers sans papier dans notre pays, autour de 440 000 bénéficiaires,
00:24 sous condition de résidence et de ressources, pour un coût d'un peu moins d'un milliard d'euros par an.
00:30 Et vous avez co-écrit ce rapport avec Patrick Stéphanini, que nous avions invité également, mais qui n'a pu se rendre disponible aujourd'hui.
00:38 Les auditeurs de France Inter peuvent vous poser leurs questions directement.
00:41 Ils le font au 01 45 24 7000 ou via l'application France Inter.
00:46 Claudevin, après le vote de la motion de défiance à l'Assemblée lundi sur ce projet de loi immigration,
00:53 celui qui reste est celui qui a été adopté au Sénat, pour l'instant, avant la commission mixte paritaire du début de semaine prochaine.
01:00 Et il prévoit donc la suppression de cette AME, qui serait remplacée par une aide médicale d'urgence.
01:06 Vous, votre rapport dit que l'AME est utile, il faut la garder. Peut-être la modifier, mais il faut la garder. Pour quelle raison ?
01:13 Il faut la garder parce qu'elle permet de faciliter l'accès aux soins.
01:19 D'abord, je voudrais revenir sur un des éléments que vous avez évoqués et que vous avez cités un peu rapidement.
01:23 C'est que, contrairement à l'idée reçue dans l'opinion, tous les étrangers en situation irrégulière ne bénéficient pas de l'AME.
01:30 Il faut être en résidence en France depuis plus de trois mois. Et d'autre part, il y a une condition de revenu, c'est-à-dire sous condition de ressources.
01:37 Tout à fait. Et donc, effectivement, il faut avoir des ressources inférieures à 809 euros.
01:42 Donc, toute personne étrangère en situation irrégulière qui est au-dessus de 809 euros ne bénéficie pas de l'AME.
01:48 D'ailleurs, il peut arriver qu'ils aient une activité dans laquelle ils cotisent, y compris les métiers en tension, qui est un autre sujet d'actualité,
01:55 dans lequel ils cotisent à l'assurance maladie. Et comme ils sont en situation irrégulière, ils ne bénéficient même pas de l'assurance maladie.
02:02 Donc, je voulais au minimum rétablir un peu une information qui est parfois méconnue.
02:07 C'est que, contrairement à l'idée reçue, tous les étrangers en situation irrégulière ne bénéficient pas de l'AME.
02:12 Alors l'AME, pourquoi ? C'est qu'un étranger en situation irrégulière, il peut avoir besoin de soins.
02:18 Et donc, à partir du moment où on n'a jamais décidé qu'on n'allait pas soigner les personnes qui sont sur notre territoire,
02:24 c'est à la fois utile, d'abord, je dirais, par démarche humanitaire vis-à-vis de ces personnes, mais c'est aussi utile en termes de santé publique.
02:31 Parce qu'une personne qui est, par exemple, porteuse d'infections, qui pourrait se transmettre si elle n'est pas soignée,
02:37 elle risque, entre guillemets, de transmettre cette infection à d'autres personnes. Donc, en termes de santé publique, il faut les soigner.
02:43 Et donc, s'il n'y a pas la possibilité, notamment, de diagnostiquer et d'aller chez un médecin généraliste ou d'aller dans un centre de santé
02:50 pour pouvoir effectivement faire l'objet d'un diagnostic, eh bien, cette maladie, elle va s'aggraver.
02:56 Ça finira à l'hôpital. Ce sera plus grave. Il y aura peut-être des infections qui auront été répandues et ça coûtera beaucoup plus cher à la collectivité.
03:04 Donc, ne serait-ce que pour des raisons, je dirais, logiques, il est nécessaire, et c'est dans ce sens que nous disons que l'AME est utile.
03:11 - Quels sont les soins qui sont pris en charge par l'AME aujourd'hui ?
03:15 - Alors, il n'y a pas tous les soins, là aussi. C'est contrairement à une idée reçue. Alors, il y a un panier de soins qui est assez large.
03:20 C'est-à-dire qu'il est difficile de limiter, effectivement, la possibilité d'aller chez un médecin généraliste pour se faire faire un diagnostic.
03:27 Si d'ailleurs l'amendement du Sénat qui a été adopté en première lecture était retenu, outre le fait qu'il n'est pas clair quand il définit pas très précisément
03:36 ce qu'on entend par maladie grave, il dit qu'on ne prendrait en charge la prévention que des maladies graves.
03:40 Le problème, c'est comment... - Maladie grave et douleurs aigües.
03:42 - Et douleurs aigües. Mais c'est comment on identifie qu'il y a une maladie grave. Je veux dire des choses très précisément et très clairement.
03:49 Un étranger se présente chez un médecin généraliste en ville et il ne dépiste pas une maladie grave.
03:54 Il a eu des symptômes, certes, mais ce n'est pas une maladie grave. Ça veut dire que le médecin ne bénéficiera pas d'une prise en charge.
04:00 Il ne sera pas honoré. Donc, ça veut dire que le médecin, il ne prendra pas les étrangers en situation irrégulière.
04:05 Donc, un étranger qui est en situation irrégulière, qui ne peut pas, parce qu'il ne bénéficierait pas de l'AME,
04:10 comme le préconise le Sénat, mais simplement uniquement les soins graves ou urgents,
04:15 il ne pourrait pas aller chez un médecin généraliste et du coup, il laisserait se développer la maladie.
04:19 Donc, de manière logique, quand on analyse effectivement comment on peut prendre en charge un étranger qui a des symptômes
04:26 et qu'on ne peut pas laisser effectivement avec ces symptômes au risque sinon de voir se diffuser une maladie
04:32 ou au contraire voir sa situation s'aggraver et donc finir par coûter plus cher à la collectivité,
04:37 il faut permettre la possibilité d'accès à des soins de premier recours.
04:41 Un milliard d'euros par an pour soigner des gens qui n'ont pas de papier, ça paraît trop voire indécent pour certains.
04:46 Qu'est-ce que vous répondez à ça ?
04:49 Je réponds avec les éléments que je viens déjà d'évoquer. C'est-à-dire, on fait quoi ?
04:53 On laisse une personne qui est en situation irrégulière ?
04:55 Le problème, c'est que nous avons en France des personnes qui sont en situation irrégulière.
04:58 Ce n'est pas un problème de santé publique, c'est un problème de qu'est-ce qu'on fait des personnes qui sont sans papier.
05:04 Tenons compte de la réalité.
05:05 Il y a une réalité qui est qu'il y a des personnes qui sont effectivement dans cette situation irrégulière,
05:10 qui n'ont droit à rien, sinon effectivement on ne peut pas les laisser sans soins,
05:16 parce que je le répète, ça pose un problème,
05:18 y compris pour le problème que ça leur pose à eux sur le plan humain,
05:22 mais ça pose des problèmes à la collectivité si on laisse des personnes par exemple avec des infections qui le répandent
05:27 ou si on ne les soigne pas et qu'ils finissent effectivement à l'hôpital
05:31 avec des coûts nettement plus importants, puisqu'on n'aura pas pris en charge leur pathologie suffisamment tôt.
05:36 - Question de Victor de Limoges, pourquoi devrions-nous payer en tant que contribuables pour des gens qui ne payent rien ?
05:41 Il n'y a rien à payer quand on bénéficie de l'aide médicale d'État, Claude Évard ?
05:45 - Comme toute personne qui est en dessous de 809 euros de revenus,
05:48 y compris ça ne concerne pas uniquement les personnes en situation irrégulière.
05:52 J'entends cette question, est-ce que nous aurions à payer ?
05:55 Mais je répète, on fait comment pour traiter, pour soigner, je dirais, des personnes qui si elles ne sont pas soignées ?
06:02 Pardonnez-moi de répéter pour la troisième fois le même argument,
06:05 parce que je trouve que c'est l'argument qui est le plus pertinent.
06:09 On fait quoi ? On laisse des personnes mourir dans la rue ?
06:12 On laisse des personnes transmettre une infection éventuellement pulmonaire ou autre
06:18 à d'autres personnes dans leur environnement, dans le métro, dans une ville ?
06:23 On fait comment ? C'est cette question qu'il faut effectivement traiter.
06:27 - Question d'Arnaud, bonjour Arnaud, au Standard de France Inter, 0145 24 7000, bonjour.
06:33 - Bonjour, en fait, vous venez presque de répondre à ma question,
06:37 c'est-à-dire combien ça coûte un milliard ?
06:39 C'est vraiment pas grand-chose, je pense, par rapport au budget de la santé,
06:43 et je pense que notre société peut supporter un milliard de dépenses,
06:49 sachant qu'on a, nous aussi, des gens qui s'en vont en Turquie,
06:54 faire des emplois capillaires, qui s'en vont en Tunisie,
06:57 donc pourquoi on n'accueillerait pas, et qu'on ne soignerait pas des gens qui viennent chez nous ?
07:01 - Vous avez suivi les débats, Arnaud, à l'Assemblée en début de semaine ?
07:04 - Oui, et alors je suis très très fâché, moi qui vote pour la gauche,
07:11 parce qu'en fait, ils vont tout renvoyer au Sénat,
07:15 la loi sera encore plus dure, et elle sera votée,
07:18 et c'est une catastrophe, et je ne comprends même pas la manœuvre politicienne des gens de gauche.
07:24 - Merci Arnaud, alors il y a deux questions, d'abord sur le coût, qu'est-ce que ça représente ?
07:28 - Alors sur le coût, je vais répondre à cette question,
07:30 effectivement à peine un milliard sur l'AME,
07:33 le total de ce qui est mis par la collectivité sur la santé,
07:38 c'est par an aujourd'hui, c'est ce qu'on a dans la loi de financement de la sécurité sociale,
07:42 c'est 250 milliards.
07:43 Le total de ce qu'on appelle l'objectif national des dépenses d'assurance maladie,
07:48 qui sont au service de la santé, c'est 250 milliards.
07:52 Et effectivement, ce que représente l'AME, c'est 1 milliard sur 250 milliards.
07:57 - Donc c'est une toute petite partie.
07:58 Sur le volet politique, le fait que les députés de gauche aient voté la motion de rejet de ce texte,
08:05 lundi, et qu'on en est donc là au moment où on parle à la version qui a été votée au Sénat,
08:10 qui prévoit donc la suppression de cette AME,
08:13 est-ce que vous avez compris le vote des députés de gauche lundi ?
08:16 - Alors moi, dans la mission qui m'a été confiée, j'ai été parlementaire,
08:19 j'ai participé au débat politique, je ne suis plus élu,
08:22 donc je n'ai pas à réintervenir sur le sujet.
08:25 J'ai bien vu que le Sénat avait exprimé cette position en première lecture.
08:31 Il y a un sujet, d'ailleurs dans le rapport nous préconisons un certain nombre de réformes liées à l'AME,
08:36 dont certaines sont réglementaires, toutes ne sont pas d'ordre de la loi.
08:39 Certaines sont réglementaires, et le gouvernement...
08:42 - Réglementaire, ça veut dire qu'on n'est pas obligé de faire voter une loi pour...
08:44 - On n'est pas obligé de faire voter une loi, c'est-à-dire que c'est une disposition qu'on prend par ce qu'on appelle par décret,
08:49 et donc le gouvernement a pris l'engagement qu'il y ait un texte qui revienne en débat au Parlement
08:54 sur les aspects législatifs dans les prochains mois,
08:57 et c'est vrai que nous faisons un certain nombre de préconisations avec Patrick Stefanini pour sécuriser ce qu'il faut.
09:03 - Vous partagez un peu le sentiment d'Arnaud à l'instant sur le vote des députés de gauche lundi ?
09:09 - Il y a effectivement un risque, c'est-à-dire que le débat qui n'a pas pu avoir lieu aurait pu...
09:13 Si le débat avait eu lieu à l'Assemblée nationale, il est vraisemblable qu'il y aurait eu effectivement un certain nombre de positions prises.
09:18 Le débat de l'Assemblée nationale d'ailleurs ne serait pas conclu par le texte définitif,
09:22 il y aurait eu une CMP après, dans le débat parlementaire, il y a toujours une commission mixte paritaire,
09:26 mais avec deux textes qui seraient mis en confrontation.
09:29 Là, il n'y a plus qu'un seul texte, et c'est autour du texte du Sénat, techniquement, enfin, la procédure parlementaire,
09:34 c'est autour du texte du Sénat qu'il va y avoir effectivement la discussion.
09:38 - L'un des arguments des sénateurs de droite, mais aussi des députés du Rassemblement national,
09:44 pour supprimer cette aide médicale d'État, c'est qu'elle constituerait un appel d'air,
09:49 ça inciterait des étrangers à entrer, à venir illégalement dans notre pays.
09:53 Est-ce que ça, vous avez pu le mesurer, le vérifier ?
09:55 - Honnêtement, nous considérons que ce n'est pas un facteur d'attractivité.
09:58 Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des personnes qui viennent en France...
10:00 - Mais sur quoi vous basez pour dire ça, Claude Heron ?
10:04 - Sur le fait que les personnes qui demandent le bénéfice de l'AME, d'ailleurs,
10:07 ne le demandent pas souvent en arrivant sur notre territoire.
10:10 Majoritairement. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des personnes,
10:13 nous pointons d'ailleurs dans le rapport,
10:15 ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des personnes qui arrivent avec un visa touristique
10:18 pour bénéficier de soins, interventions chirurgicales,
10:22 éventuellement des insuffisants rhénochroniques, enfin, qui demandent une prise en charge,
10:29 et qui ensuite restent sur notre territoire en situation irrégulière après un visa touristique,
10:33 et qui à ce moment-là, trois mois après la fin de leur visa touristique, bénéficient de l'AME.
10:38 Nous pointons cette réalité...
10:39 - C'est 10% ?
10:41 - Alors, il y avait une étude qui avait été faite en 2019 par un institut de recherche,
10:45 qui par échantillonnage avait identifié qu'il y avait à peu près 10% effectivement,
10:50 qui disaient qu'ils venaient en France pour accéder aux soins.
10:52 - Ça fait 40 000 personnes à peu près ?
10:54 - Oui, mais...
10:56 Alors nous, nous apprécions ça au regard du moment où les personnes demandent le bénéfice de l'AME.
11:01 Et la majeure partie ne demande pas le bénéfice de l'AME immédiatement en arrivant,
11:06 enfin, dans les trois mois de carence, et pas à l'issue des trois mois de carence,
11:10 ni à l'issue d'un autre statut qui est le statut de demandeur d'asile.
11:13 - Oui, c'est intéressant de préciser, Claude Évinc,
11:15 qu'il y a beaucoup de gens qui pourraient bénéficier de cette AME, qui n'y ont pas recours.
11:17 - Tout à fait, on considère qu'il y a la moitié des personnes qui pourraient en bénéficier,
11:21 qui n'y ont pas recours, effectivement.
11:23 - Question de Paul, qui nous appelle, qui est en voiture, je crois, et qui s'est garé.
11:26 Bonjour Paul.
11:27 - Bonjour, oui...
11:28 - Vous êtes médecin, c'est ça ?
11:29 - Je me suis garé, je suis généraliste dans le nord de la Seine-et-Marne.
11:33 Vous m'entendez ?
11:34 - On vous entend parfaitement.
11:36 - Parfait.
11:36 Voilà, je voulais exprimer à monsieur Évinc, qui a été mon ministre dans les années 91,
11:42 si je me rappelle bien,
11:44 je voulais lui exprimer combien j'étais scandalisé, écoeuré, par ce qu'il venait de dire.
11:51 Je l'ai entendu dire que si un sans-papier, qui n'a pas d'attestation, se présente chez moi,
11:57 sous prétexte que je ne serai pas payé, je ne le recevrai pas.
12:01 Je crois que c'est l'honneur de ma profession, en tout cas comme moi je la conçois,
12:06 et je ne suis sûrement pas le seul médecin-auditeur à l'heure actuelle à penser pareil,
12:11 que je recevrai ce patient parce que c'est un patient et qu'il vient parce qu'il a besoin de moi.
12:16 - À M.E. ou pas, c'est ça que vous dites, Paul.
12:19 - Mais j'en ai rien à faire.
12:20 Je fais des actes gratuits tous les jours,
12:23 et évidemment que je vais le recevoir.
12:27 Et quand M.Hivain se permet de dire "pas d'argent, pas d'actes",
12:32 excusez-moi, je vais dire un gros mot, c'est dégueulasse.
12:35 - Merci Paul pour cet appel.
12:37 - Je suis docteur complètement d'accord avec vous, et je prends acte,
12:41 et j'honore tout à fait votre réaction, pardonnez-moi,
12:44 votre réaction qui honore effectivement déontologiquement et sur le plan humain
12:48 ce que vous êtes comme professionnel de santé.
12:52 Je sais que malheureusement ce n'est pas le cas de tous vos confrères,
12:55 et de toute manière au-delà de la seule réception,
12:58 vous savez très bien que, et j'aurais pu le développer tout à l'heure,
13:01 vous savez très bien que le diagnostic d'une maladie grave,
13:03 ce n'est pas simplement une consultation,
13:05 ça va nécessiter éventuellement d'autres examens diagnostiques,
13:09 soit de biologie, soit de radiologie,
13:12 et vous savez très bien que s'il n'y a pas de prise en charge à ce niveau-là,
13:15 la chaîne de soins permettant de diagnostiquer une maladie grave ou non
13:18 ne se mettra pas en place.
13:20 C'est ça que j'ai exprimé tout à l'heure.
13:21 - Merci Claude Hivain pour cette précision,
13:23 Merci d'avoir accepté aujourd'hui l'invitation de ce 13-14.