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L'Invité du 13h (13h - 27 Janvier 2023 - Vanessa Schneider)

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Transcription
00:00 C'est une situation très douloureuse que certains d'entre vous vivaient peut-être.
00:04 Le diagnostic tombe pour un proche, maladie très agressive, la vie est en jeu.
00:09 Et commence un parcours du combattant entre le traitement, les moments de répit, de rechute,
00:13 l'ascenseur émotionnel et physique, puis les derniers temps.
00:17 À l'heure où la France débat des moyens accordés à l'hôpital et à la fin de vie,
00:21 voici un témoignage qui résume beaucoup d'enjeux de ces débats.
00:24 Vanessa Schneider, romancière, journaliste, grand reporter au quotidien Le Monde,
00:29 a perdu son père, l'écrivain et psychanalyste Michel Schneider, l'été dernier, cancer des voies biliaires.
00:34 Il y a quelques jours, dans son journal Le Monde, elle a raconté très en détail
00:38 les derniers mois de la vie de Michel Schneider, entre des médecins au dévouement extrême et d'autres absents,
00:44 la bataille pour trouver une place, même aux urgences,
00:47 et le manque incroyable de structure pour offrir à un patient un cadre pour ces derniers mois, ces derniers jours.
00:54 Bonjour Vanessa Schneider.
00:55 Bonjour.
00:55 Merci de revenir sur ces mois difficiles au micro de France Inter et à vous qui nous écoutez.
01:00 Si vous vivez une situation similaire, intervenez 0145 24 7000 ou l'appelez France Inter, il y a déjà beaucoup, beaucoup d'appels.
01:07 Vanessa Schneider, si vous le voulez bien, on va procéder au fond par ordre chronologique,
01:11 comme dans votre récit, parce qu'à chaque étape, il y a des détails frappants, des enseignements.
01:14 C'est donc à la fin de l'hiver 2020 que le diagnostic est posé, c'est-à-dire juste avant le confinement.
01:20 Donc déjà, les difficultés commencent.
01:22 Oui, ça, c'est des difficultés auxquelles malheureusement se sont heurtées beaucoup de patients et beaucoup de familles,
01:29 puisque le confinement signifiait que des malades ne pouvaient pas être accompagnés ni visités.
01:35 Donc, dans le cadre de mon père, qui avait une opération du foie très dangereuse, dans laquelle il aurait pu mourir.
01:46 Hôpital Paul Brousse.
01:47 Voilà, on l'a accompagné jusqu'à la porte et puis après, on l'a revu, il est resté neuf jours seul.
01:56 Donc ça, ça a été des moments, je pense, très, très durs pour tous les malades qui se sont retrouvés dans des situations
02:04 de soit d'urgence, soit de traitements lourds à cette époque-là de fermeture totale des hôpitaux.
02:12 Alors, vient le temps des traitements qui se passent dans un premier temps relativement bien jusqu'au printemps 2021,
02:18 où l'oncologue de Paul Brousse vous reçoit pour vous dire que le traitement ne marche pas,
02:22 que les chances que votre père s'en sorte sont très maigres.
02:25 Je voudrais qu'on insiste sur le cadre dans lequel il vous reçoit.
02:30 Oui, alors moi, je voulais quand même préciser qu'au niveau des soins,
02:35 je pense qu'on a en France une qualité de soins assez exceptionnelle.
02:41 Vous dites que sa maladie aura été admirablement traitée et on y viendra à sa fin de vie honteuse.
02:45 On a des spécialistes, des chirurgiens excellents, des spécialistes très bons.
02:50 On est à la pointe sur un certain nombre de maladies.
02:54 Après, oui, on voit concrètement quand on va à l'hôpital, l'effondrement de l'hôpital public, le manque de moyens.
03:02 C'est des gens qui travaillent dans des conditions épouvantables de saleté, de lieux qui ne sont pas refaits.
03:10 En l'occurrence, cet oncologue recevait à la chaîne parce que c'était vraiment à la chaîne.
03:15 En permanence à toutes les étapes, vous avez des médecins et des secrétaires débordés tout le temps, tout le temps.
03:19 Tout le temps débordés avec très peu de moyens à leur disposition, de moyens techniques,
03:27 avec des petites salles sans fenêtres.
03:33 Tout ça, déjà, ça crée un contexte pas chaleureux, c'est le moins de le dire,
03:41 mais aussi d'anxiété, de malaise pour tout le monde.
03:48 Avec en plus le port du masque, les conditions de Covid qui déshumanisent encore plus le rapport entre patients et soignants,
03:58 puisqu'on ne voit pas d'expression sur le visage.
04:00 On ne connaît pas le visage de son interlocuteur.
04:03 On ne voit pas les contacts physiques.
04:04 Donc, il ne peut même pas avoir le petit geste de réconfort, la petite main sur l'épaule.
04:09 Et je me suis dit qu'il y avait à travailler sur la formation des médecins pour les annonces les plus difficiles,
04:13 parce que le médecin qui vous annonce ça, regarde son ordinateur.
04:16 Il ne vous regarde pas.
04:17 Voilà un des enseignements, c'est qu'il faut que dans les facs, on travaille sur ce moment où on annonce son famille.
04:22 Évidemment, il y a énormément de problèmes là-dessus.
04:25 D'ailleurs, j'ai eu beaucoup, beaucoup de témoignages de médecins qui disaient à la fois leur honte et qui disent en effet,
04:31 on le constate, il y a des formations pour les futurs médecins.
04:34 J'espère que ça va changer.
04:36 Mais les mots sont très importants et la façon dont on s'adresse aux malades sont très importants.
04:41 Et on a l'impression que ce corps soignant est tellement pressuré.
04:48 On leur demande de faire du chiffre, de libérer des lits.
04:53 Voilà, on le sait, toutes les politiques publiques qui ont été menées et qui ont mis l'hôpital dans un état épouvantable,
05:00 que du coup, ça déshumanise certains, pas tous, mais certains ont des approches complètement déshumanisées,
05:07 se rendent même pas compte qu'ils parlent à des gens, qu'ils annoncent des nouvelles terribles,
05:12 qu'ils parlent à des gens qui vont mourir, qui ont très peur de mourir, qui n'ont pas envie de mourir et à des familles qui sont dévastées.
05:19 Avant d'aller plus loin dans le témoignage et d'en entendre d'autres au standard,
05:23 je voudrais mettre ceci pour les gens qui nous écoutent en exergue.
05:27 Vous êtes journaliste au Monde, on parle d'un malade qui était une personnalité.
05:31 On se dit que cette famille a les codes, elle a le réseau, elle a l'assurance.
05:35 Éventuellement, elle a le piston pour que les choses se passent un peu moins mal que pour d'autres.
05:41 Et d'ailleurs, vous faites jouer vos contacts, mais le manque de structure est tel que ça ne suffit pas.
05:45 Mais je pense que c'est important de souligner ça aussi.
05:48 Et on est à Paris.
05:49 Et on est à Paris, c'était la question suivante que vous anticipez.
05:51 Et on est à Paris avec les soi-disant les meilleurs hôpitaux.
05:55 C'est vrai, on a vraiment les meilleurs hôpitaux et le plus grand nombre d'unités de soins palliatifs.
06:01 Je n'ai pas fait jouer de piston, non.
06:03 J'ai essayé de me renseigner parce que je n'y connaissais rien,
06:06 comme la plupart des gens qui se sont confrontés à ça.
06:08 Je ne savais pas.
06:09 En fait, ce qui s'est passé, et c'est là où ça ne va pas du tout,
06:12 c'est que le jour où l'oncologue a dit « arrêt des soins »,
06:16 mon père ne tenait plus debout.
06:18 Son état s'était profondément dégradé, c'est-à-dire qu'il ne pouvait plus, il ne s'alimentait plus.
06:24 Il avait perdu énormément de poids.
06:26 Il ne tenait plus debout, il ne pouvait plus aller, il ne pouvait plus se laver.
06:31 Et là, le médecin dit « rentrez chez vous ».
06:33 Sans soins, sans accompagnement, sans rien ?
06:35 Sans rien, sans présence d'infirmiers, sans rien.
06:37 Et je voyais bien que la situation n'était absolument pas jouable.
06:41 Et la seule chose qu'il nous a proposée, c'est une téléconsultation 15 jours après.
06:46 Et j'ai dit « mais en cas de problème, appelez le SAMU ».
06:50 Bon, en effet, il y avait un problème très vite, trois jours après, une hémorragie de la part de mon père.
06:55 Et là, j'ai essayé…
06:57 C'est des heures au téléphone pour essayer de trouver un accompagnement à domicile et soins palliatifs.
07:02 Il y a des réseaux qui sont très très bien, mais qui me disaient « on n'a pas les moyens, on n'a pas assez d'infirmiers,
07:06 on a des listes d'attente, en plus votre appartement, l'appartement que louait mon père n'était pas conforme
07:12 parce qu'il y avait un escalier, qu'il n'y avait pas de douche et que les infirmiers, les soignants refusent de…
07:19 c'est trop compliqué pour eux de faire les toilettes, etc.
07:22 Donc en fait, je n'ai jamais pu trouver de lieu d'accueil et d'installation à domicile pour mon père. Jamais.
07:29 On va en venir aux soins palliatifs, je voudrais qu'on entende le témoignage d'Isabelle. Bonjour Isabelle.
07:34 Oui bonjour.
07:34 Votre maman est décédée d'un cancer dans un centre de soins palliatifs à Marseille.
07:38 Alors, moi je suis de Marseille, effectivement, donc je vous reconnais tout à fait dans le début de l'histoire.
07:44 Alors moi, contrairement à votre intervenant, je me suis, parce qu'on s'est retrouvé seul dans la nature,
07:49 je vais faire jouer mon piston, effectivement, mon réseau, pour trouver une maison de soins palliatifs.
07:54 Il faut savoir qu'à Marseille, un million d'habitants, un des plus grands instituts, il y a deux maisons de soins palliatifs, soit 36.
08:01 Donc ma mère est rentrée, il faut savoir qu'elle avait des hanches qui étaient complètement mangées par les métastases,
08:06 donc elle ne pouvait pas se lever. Et là, figurez-vous que ma mère a eu le culot de ne pas mourir assez vite.
08:13 Donc nous avons été convoqués par le médecin qui est béni des dieux, qui avait une mise en demeure de l'ARS,
08:19 en disant "Madame Cyril ne meurt pas assez vite, donc il faut la sortir.
08:24 Il faut faire une coupure administrative de cinq jours, sachant qu'elle ne pouvait pas bouger,
08:30 pour qu'après on puisse la réintégrer parce qu'elle ne meurt pas assez vite."
08:35 Ça fait exactement, merci Isabelle pour ce témoignage, exactement écho.
08:40 On passe des chapitres de l'histoire, mais votre père finit par arriver en soins palliatifs,
08:44 ça se passe très bien pendant deux jours, et puis le médecin met la pression.
08:49 En fait, il sort du coma le 16 juin, il a fait un coma, il sort du coma le 16 juin,
08:55 et là, en effet, on le transfère en unité de soins palliatifs.
08:59 Dès le lendemain, le médecin, j'étais dans la chambre, vient le voir,
09:04 et des témoignages comme celui d'Isabelle, et j'en ai reçu des centaines depuis.
09:08 Donc ça existe vraiment partout.
09:11 Le médecin vient me voir et me dit, et dit à mon père "Vous êtes très en forme,
09:17 vous allez rentrer chez vous".
09:19 Alors là, j'étais stupéfaite.
09:22 Et il fait comme s'il n'y avait pas de maladie, comme si on parlait d'un enfant qui s'est tordu une cheville,
09:27 à qui on met trois glaçons et on lui dit "T'es très en forme mon petit, tu vas rentrer à la maison et tout va bien se passer".
09:33 Et en fait, c'est là où la folie a commencé.
09:37 Donc j'ai essayé de parler avec ce médecin, ça a été une confrontation très violente,
09:41 parce qu'il employait des arguments qui étaient complètement inaudibles,
09:47 en me disant "Mais ici c'est que des cas aigus".
09:49 Je lui disais "C'est écrit sur le dossier de mon père qu'il est en soins palliatifs,
09:52 et là c'est écrit unité de soins palliatifs, donc il a sa place".
09:56 Je ne comprenais pas pourquoi les trois quarts d'ailes y étaient vides,
09:58 et pourquoi il voulait absolument se débarrasser de mon père.
10:00 Il avait besoin de place, c'est ça l'histoire.
10:01 Il allait le voir tous les jours avant les visites, en lui disant "Il faut que vous partiez",
10:10 en lui demandant de signer des papiers pour partir.
10:12 Ça a créé une anxiété terrible chez mon père, qui voyait bien qu'il avait besoin d'être ici.
10:19 Et j'ai appris évidemment plus tard, le jour où mon père est mort,
10:23 quelques heures avant sa mort, où le médecin nous a dit
10:27 "Bon, en fait, j'ai quelque chose à vous dire, on ferme l'unité dans deux jours".
10:32 Et dans l'état où est votre père, il était à nouveau dans le coma,
10:35 ça va être compliqué de le garder.
10:38 Et mon père est mort deux heures après.
10:40 Mais, en fait, à la limite, on m'aurait dit dès le départ,
10:46 quand il est rentré dans cette unité, on m'aurait dit "Voilà, cette unité va fermer au début août,
10:54 on va trouver ensemble une autre solution, un autre endroit".
10:59 On l'aurait entendu, évidemment, il n'y avait pas de problème,
11:02 on ne voulait pas spécialement être à cet endroit-là, ce qu'il fallait c'est qu'il soit sécurisé.
11:06 Et je voulais vraiment insister là-dessus parce que ces semaines-là,
11:09 c'est vraiment des semaines, elles sont extrêmement importantes.
11:13 Elles sont extrêmement importantes parce que les patients savent qu'ils vont mourir,
11:16 puisque l'arrêt des soins a été prononcé.
11:19 Donc ce moment-là, entre l'arrêt des soins et le décès,
11:22 c'est des moments qui doivent être accompagnés, où chaque mot est important,
11:27 et où surtout il ne doit pas y avoir d'anxiété, il ne doit pas y avoir de stress,
11:32 et on doit pouvoir laisser partir les gens tranquillement,
11:36 et que les familles puissent savoir à dire ce qu'elles ont à dire et que tout ça.
11:40 Et ça peut être aussi, ça pourrait être des beaux moments.
11:43 - Alors justement, je voudrais qu'on termine là-dessus avec Simone.
11:47 Bonjour Simone.
11:50 Est-ce que vous êtes avec nous ?
11:51 Vous avez perdu votre mari il y a quatre mois dans une clinique de Montpellier,
11:56 dans des conditions exceptionnelles, dites-vous.
11:59 - Oui, je comprends que c'était exceptionnel.
12:01 Mon mari avait été hospitalisé plusieurs fois,
12:04 et lors de la dernière visite, l'apnéologue nous a fait comprendre
12:07 que l'état de mon mari était très grave, et même désespéré.
12:11 Il nous a alors laissé le choix, il nous a proposé les derniers soins,
12:15 soit à la clinique, soit revenir à la maison.
12:18 Bien évidemment, mon mari et moi avons choisi le retour à la maison.
12:21 Et immédiatement, une équipe a été organisée,
12:25 ça s'appelle l'hospitalisation à domicile.
12:28 Et tout a été fait, technicien, infirmiers, masseurs,
12:32 installation de la chambre pour que mon mari puisse terminer sa vie
12:36 au milieu de sa famille, avec le soleil.
12:39 - Merci. On reste sur le soleil, Simone.
12:42 On va rester sur cette image du soleil.
12:44 Merci beaucoup de nous avoir appelés, Vanessa Schneider, votre récit.
12:48 On le trouve toujours sur Le Monde.
12:49 On retient aussi, je suis désolé, on doit s'arrêter là,
12:51 l'absence du médecin traitant,
12:53 les directives anticipées qui n'ont pas forcément servi,
12:56 et le dossier médical qu'il est quasiment impossible de récupérer,
13:00 alors que légalement, c'est une obligation.
13:02 Merci beaucoup d'être venue.
13:03 On retrouve votre récit sur lemonde.fr.