L'invité du 13h - Emmanuelle Puissant et Annie Dussuet

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L'Invité du 13h (13h - 23 Juin 2023 - Emmanuelle Puissant et Annie Dussuet)

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00:00 Il y a entre 550 et 600 000 aides à domicile en France.
00:03 Elles sont indispensables dans une France vieillissante et le seront encore plus à
00:08 mesure que le phénomène s'accentuera.
00:10 Je dis « elle » parce que c'est une profession quasi exclusivement féminine.
00:14 Elles-mêmes vieillissent, ces aides à domicile, et leur travail est usant, physiquement,
00:20 psychologiquement, avec des horaires morcelés.
00:23 Alors comment améliorer leur statut ? Question cruciale pour ces professionnels et si l'on
00:28 veut assurer le maintien à domicile de nos aînés le plus longtemps possible, ce que
00:32 souhaitent la plupart d'entre eux, 85% des Français veulent vieillir chez eux.
00:37 Aides à domicile, un métier en souffrance, sortir de l'impasse, c'est le livre de
00:43 trois spécialistes, paru ce printemps aux éditions de l'Atelier.
00:46 Alors vous vivez seul chez vous et vous avez besoin de ces services, ou alors un parent
00:50 et vous êtes vous-même aide à domicile, peut-être, intervenez.
00:53 0145 24 7000 et l'appelé France Inter rubrique Réagir.
00:58 Je salue nos deux invités.
01:00 Bonjour Emmanuelle Puissant.
01:01 Vous êtes maîtresse de conférence en économie à l'université de Grenoble.
01:04 Et bonjour Annie Dussuet, maîtresse de conférence en sociologie à l'université de Nantes.
01:09 Vous êtes deux des autrices de ce livre.
01:11 Je voudrais qu'on commence par un témoignage, celui d'une aide à domicile.
01:15 Bonjour Lydie.
01:16 Je lis sur ma petite fiche que vous êtes auxiliaire de vie depuis 30 ans.
01:20 Qu'est-ce que ça veut dire auxiliaire de vie ? Ça regroupe quoi ?
01:23 Auxiliaire de vie, c'est pour s'occuper des personnes à domicile.
01:30 Et comment dire, on fait de l'aide à la toilette, l'accompagnement, les tâches
01:36 ménagères, on fait les courses.
01:41 C'est vraiment un panaché et aussi on doit être le lien avec tous les professionnels
01:50 qui sont à domicile.
01:52 Quels sont vos horaires de travail ?
01:55 Alors, ça dépend des jours en fait.
02:00 Avec des coupures.
02:02 Alors des fois on est obligé d'attendre dans la voiture parce que c'est une demi-heure,
02:08 on ne peut pas revenir chez nous.
02:09 On fait la campagne.
02:11 Temps complet, temps partiel ?
02:13 Moi je suis à temps complet.
02:15 Vous êtes à temps complet, ce qui je crois, on verra ça avec nos deux invités, est une
02:19 exception.
02:20 Vous avez un diplôme et est-ce que ça change quelque chose si j'ose dire d'avoir un diplôme ?
02:24 Ça ne change rien par rapport à la…
02:28 Moi je suis à l'ADMR, par rapport à l'association parce que des fois ils ne considèrent pas
02:35 mon diplôme par rapport à ce que je devrais faire.
02:38 En fait c'est personnel.
02:44 Pour moi ça a énormément changé de choses.
02:48 Et moi j'ai passé le certificat, le CAFAD, et quand le diplôme est arrivé en 2003,
02:59 j'ai eu l'équivalent.
03:01 Encore une question et puis après je vous laisse.
03:04 Vous êtes auxiliaire de vie depuis 30 ans.
03:08 Est-ce que je peux vous demander votre âge et est-ce que vous vous voyez continuer encore
03:11 longtemps ?
03:13 Alors j'ai 56 ans et oui j'adore mon métier.
03:18 Bon donc malgré les conditions difficiles, malgré la paye qui n'est pas très élevée,
03:23 je peux vous demander là aussi ?
03:24 Personnellement ça va parce qu'il y a eu une augmentation au niveau des…
03:31 En fait c'est pour que les personnes même qui n'ont pas de diplôme aient un salaire
03:37 plus élevé.
03:38 C'est des ECR.
03:39 Donc vous vous voyez continuer.
03:40 Merci beaucoup Lydie.
03:41 Annie Dussueil, je vous voyais prendre des notes et réagir.
03:44 On a là le portrait type, pas tout à fait peut-être, de l'aide à domicile.
03:48 D'abord, aide à domicile, qu'est-ce que ça veut dire ?
03:50 Parce que je vous voyais réagir quand je lançais Lydie auxiliaire de vie.
03:53 Ça regroupe quel métier aide à domicile ?
03:55 Alors aide à domicile, c'est difficile et c'était très sensible dans ce que disait
04:02 cette personne.
04:03 Ça regroupe un nombre de tâches absolument…
04:07 On pourrait presque dire infinie, c'est exagéré évidemment.
04:11 Mais il est absolument impossible de faire la liste de tout ce que font les aides à
04:17 domicile.
04:18 Effectivement, il y a des tâches matérielles, comme elle a dit, aide à la toilette, aide
04:23 au lever, des tâches matérielles aussi d'entretien du linge, de la maison, etc.
04:29 Une femme de ménage, c'est une aide à domicile ?
04:31 Non.
04:32 D'accord.
04:33 Non, une femme de ménage, ça n'est pas une aide à domicile.
04:37 La différence entre les deux, c'est qu'une aide à domicile intervient chez des personnes
04:44 qui sont vulnérables, qui ont soit un état de santé physique, soit un état de santé
04:53 mentale qui les rend plus fragiles.
04:58 Et donc, même si elles font du ménage, et elles font du ménage bien sûr, ce ne sont
05:03 pas des femmes de ménage.
05:05 Bien noté.
05:06 Emmanuel Puissant, dans le témoignage de Lydie, il y avait les horaires morcelés.
05:10 Alors, elle est à temps plein, c'est assez rare, et elle est plutôt satisfaite de sa
05:16 paie.
05:17 Peut-être parce qu'elle est à temps plein, parce que le temps partiel fait, j'ai relevé
05:21 ce chiffre, 874 euros par mois en 2019, en moyenne, pour celles qui sont à temps partiel.
05:27 Oui, tout à fait.
05:28 En fait, ce qui est important d'avoir en tête, c'est que dans ce secteur-là, le
05:33 temps dit partiel est la norme d'emploi.
05:36 Les salariés qui sont considérés comme étant à temps partiel représentent 64%
05:41 des salariés.
05:42 En fait, nous, ce qu'on dit, et ce qu'on dit dans le livre, et je me permets d'ailleurs
05:45 de commencer par préciser qu'il y a un troisième auteur à cet ouvrage, qui est
05:49 François-Xavier Deveter, enseignant-chercheur à l'Université de Lille.
05:52 Et donc, voilà, c'était la précision que je voulais faire.
05:54 Sur le temps partiel, ce qui est très important, et c'est ce qu'on montre dans notre ouvrage,
05:58 c'est qu'en fait, ces salariés ne travaillent pas à temps partiel, mais sont considérés
06:03 comme travaillant à temps partiel.
06:04 Alors, où est la différence ?
06:05 Alors, la différence, c'est que c'est ce que Lydie disait, même si elle travaillait
06:09 à temps plein.
06:10 Elle disait, souvent il y a des coupures, souvent on attend dans notre voiture.
06:13 Nous, ce qu'on a montré, à travers les statistiques de l'INSEE et de l'Adares,
06:17 c'est qu'en moyenne, les salariés sont payés 5h40 par jour pour travailler toute
06:24 la journée.
06:25 C'est-à-dire qu'on a tendance, dans ce secteur, à ne considérer comme relevant
06:30 du temps de travail et du temps de travail rémunéré, quasi uniquement, je mets un
06:34 quasi quand même, les temps d'intervention au domicile des particuliers.
06:38 Et donc, il y a un morcellement des activités, avec une réduction des temps chez chaque
06:44 intervenant, qui fait qu'on peut intervenir pour 30 minutes.
06:47 Et donc, on a effectivement une amplitude horaire très forte sur des temps de travail
06:52 rémunérés faibles.
06:54 Donc en fait, nous ce qu'on dit, c'est que ces salariés, globalement, à 25h par
06:57 semaine en moyenne, travaillent à temps plein, mais sont considérés comme travaillant
07:04 à temps partiel.
07:05 Et donc, on a là un levier si on veut augmenter leur salaire.
07:07 Hélène est au standard également.
07:09 Bonjour Hélène.
07:10 Oui bonjour.
07:11 Vous avez travaillé dans une association où on formait les aides à domicile, c'est
07:13 bien ça ?
07:14 C'est ça, j'étais responsable d'un centre de formation, tout ce qui était
07:17 les métiers du maintien à domicile, et en particulier, toutes les femmes de ménage
07:22 qui voulaient grimper et s'occuper des personnes âgées.
07:25 Parce que c'est au départ une volonté, ce que disait la première personne, une volonté
07:30 surprenante que de vouloir s'occuper des personnes dépendantes.
07:33 Sauf que moi, j'ai vu le métier largement évoluer, c'est-à-dire que de l'associatif
07:38 qui s'occupait de bénéficiaires, on est passé à de nombreuses boîtes privées
07:42 qui sont, dont les bénéficiaires sont devenus des clients.
07:45 Et donc, on a demandé à ce qu'on chronomètre les personnes qui interviennent au domicile,
07:50 des choses qui ne relévaient pas du tout de leurs compétences et capacités.
07:56 Et donc, on glisse tout doucement vers non seulement une paupérisation du métier, mais
08:02 presque de l'esclavage.
08:03 Parce que ce sont des femmes qui ont un niveau scolaire très faible, qui sont généralement
08:08 d'une volonté extraordinaire, à qui on demande vraiment de tout, jusqu'à des
08:13 soins infirmiers.
08:14 C'est phénoménal ce que ces femmes sont seules au domicile et font.
08:19 C'est incroyable.
08:20 - Anne Hidussey, merci beaucoup pour ce témoignage.
08:22 Vous le relevez, ça dans le livre, la part de plus en plus importante prise par le privé
08:27 et l'impact que ça a justement sur la rémunération et sur le rapport de force au fond entre
08:31 ces aides à domicile et les structures.
08:33 - Oui, parce qu'effectivement, il y a un morcellement de la population des aides à
08:38 domicile.
08:39 Vous avez dit qu'elles sont presque 600 000, effectivement, aujourd'hui.
08:42 Et pourtant, elles ont relativement peu de poids parce que, suivant leur employeur, elles
08:50 n'ont pas les mêmes règles d'emploi.
08:53 Les conventions collectives qui s'appliquent lorsqu'elles sont employées par une association
09:00 ne sont pas les mêmes que lorsqu'il s'agit d'une entreprise privée.
09:04 Donc, en particulier, la question de la reconnaissance des diplômes et des formations qu'elles
09:10 ont pu avoir n'est pas la même dans toutes les conventions collectives.
09:15 - Donc, il y a un effet de groupe qui est difficile à obtenir.
09:17 Bonjour, Lucienne.
09:18 - Oui, bonjour.
09:19 - Vous avez une maman qui a 102 ans et qui a besoin d'aide à domicile.
09:23 - Et qui a forcément besoin d'aide à domicile.
09:26 Donc, nous avons trois franges d'horaire dans la journée.
09:31 Une personne qui vient le matin pour aider l'infirmière et servir le petit déjeuner
09:35 de maman.
09:36 Pendant deux heures, elle reste avec elle.
09:38 Elle lui parle, elle lui lit.
09:39 Elle s'occupe d'elle.
09:40 Ensuite, à l'heure de midi, elle vient pour nous aider à faire un transfert du fauteuil
09:44 au manteau banc.
09:45 C'est important.
09:46 Et ensuite, dans l'après-midi, un passage d'une heure si possible.
09:52 Ça, ça n'est pas possible tous les jours, malheureusement.
09:55 Mais c'est aussi pour être pour son confort, si vous voulez.
09:59 Ma mère a toute sa tête.
10:00 Elle a 102 ans.
10:01 Elle ne marche pas.
10:02 Mais elle est dans son fauteuil.
10:03 Elle lit.
10:04 Elle est contente.
10:05 Et ces personnes-là sont extraordinaires.
10:08 Vraiment.
10:09 Je suis émue de vous le dire.
10:10 - Et je complète vos propos avec ceux de Juliette.
10:13 J'ai un groupe d'auxiliaires de vie.
10:14 Elle est handicapée, Juliette, qui sont exceptionnels.
10:16 Elles sont super.
10:17 On a une vraie relation, très agréable.
10:19 Et l'entreprise qui les embauche est la DMR.
10:21 Alors, Emmanuel Puissant, au fond, dans votre livre, vous posez cette question.
10:26 Pourquoi la société française refuse-t-elle de passer des applaudissements, ce qu'on
10:29 entend là, aux augmentations salariales, de la reconnaissance symbolique, ce qu'on
10:34 entend là, à la reconnaissance matérielle ? Pourquoi ? Voilà.
10:37 Pourquoi on ne passe pas de l'un à l'autre ? Qu'est-ce qui bloque ?
10:39 - Alors, c'est vraiment l'objet du livre d'essayer d'identifier les points de blocage.
10:45 Alors, sans pouvoir tout dire, effectivement, peut-être insister sur l'idée préconçue
10:52 selon laquelle ces métiers seraient des métiers de femmes et donc appellerait finalement
10:59 des compétences.
11:00 On ne parle pas tellement de qualifications professionnelles, mais des compétences qui
11:04 seraient féminines, qui seraient l'apanage un petit peu naturel des femmes et finalement
11:08 qui n'auraient pas vocation à être reconnues d'une manière salariale et professionnelle.
11:14 Et finalement, ce que disait la personne Liddy, je crois, sur le fait d'avoir un diplôme
11:19 et ce que ça a changé, très concrètement, la manière dont cette idée un petit peu
11:25 de métier de femme s'incarne dans les politiques publiques.
11:28 Par exemple, les politiques publiques ont reconnu des diplômes dans le secteur.
11:33 Liddy parlait du CAFAD, on a le diplôme d'état d'Auxiliaire de vie sociale plus tard et
11:36 puis encore plus récemment d'autres.
11:38 Donc, il y a une reconnaissance des diplômes, mais ces diplômes ne sont pas une barrière
11:44 à l'entrée, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas une condition nécessaire pour entrer
11:48 dans ces métiers-là, comme si finalement on pouvait intervenir dans les domiciles privés
11:54 de personnes fragiles en perte d'autonomie pour faire du travail non qualifié.
12:00 Et donc là, il y a un frein très fort, aussi bien social, économique que même idéologique,
12:06 à la reconnaissance de ce travail comme étant un travail qualifié qu'il l'est effectivement.
12:11 Alors, Annie Dussuet, comment en progresse-t-on ? Il est question d'un tarif minimal national
12:15 garanti, de travailler sur l'aide à la mobilité, de financer les heures dites de
12:19 convivialité.
12:20 Quelles sont les bonnes pistes pour renforcer l'attractivité de ces métiers ? Plus d'un
12:25 Français sur quatre aura 65 ans ou plus en 2040, plus de 300 000 recrutements nécessaires
12:29 à l'horizon 2030, reconnaît le ministère des Solidarités.
12:31 Comment on renforce l'attractivité ? Nous, on a identifié cinq pistes qui nous
12:36 paraissent fondamentales pour améliorer la situation et vraiment restructurer le secteur.
12:44 Le premier point, c'est d'affirmer ce que sont ces métiers, c'est-à-dire des métiers
12:50 qui appartiennent à l'ensemble médico-social.
12:53 Ce ne sont pas des femmes de ménage, comme je disais tout à l'heure, mais des personnes
12:58 qui travaillent dans ce secteur médico-social et ça, c'est important.
13:03 La deuxième chose, c'est que du côté des financements, il faut sans doute avancer
13:10 l'idée et reconnaître l'idée que les pouvoirs publics doivent financer de fait quelque chose
13:18 qui devrait être un service public.
13:21 Et donc mettre fin à l'ouverture à la concurrence dans ce secteur.
13:30 La troisième chose, c'était compter tous les temps de travail et ça, on l'a dit,
13:36 je n'y reviens pas.
13:37 Il y a aussi la question de la soutenabilité du métier.
13:40 Lydie a dit tout à l'heure son enthousiasme pour continuer à exercer ce métier.
13:47 Malgré tout, la question de la pénibilité au jour le jour des tâches qui sont à faire,
13:57 elle est particulièrement visible.
13:58 Il faut la prendre en cause.
13:59 Il faut la prendre en compte.
14:01 Environ la moitié ou 50 ans et plus de ces aides à domicile.
14:03 Oui, y compris en changeant la manière de travailler.
14:06 Allez, le petit 5 rapidement et puis je donnerai la parole à votre collègue.
14:09 Renforcer véritablement la dimension collective du métier parce que ces femmes sont isolées
14:15 chacune dans un foyer et c'est quelque chose qui nous paraît absolument essentiel d'avoir
14:23 un relais de parole, d'échanges autour de leur travail.
14:29 Emmanuel Puissant, un dernier mot.
14:31 Il y a un exemple de bonne pratique dans le département des Landes, je crois.
14:35 Oui, alors bonne pratique, je ne sais pas, mais en tout cas, un modèle départemental
14:40 qui nous paraît effectivement réunir les pistes que Annie Dussuet vient d'identifier
14:45 à savoir la reconnaissance d'un service public qui reconnaît le métier comme étant
14:50 un métier de la relation, qui est constitué d'un travail collectif avec des temps de
14:56 coordination et des reconnaissances salariales qui sont moins basses que la moyenne.
15:02 Juste un tout dernier mot.
15:03 En un mot, vraiment.
15:04 Oui, en un mot, c'est qu'en fait, ce métier là, il est insoutenable économiquement.
15:09 Et la seule raison pour laquelle il tient, c'est parce que les salariés aiment leur
15:12 métier et les salariés continuent de développer notamment du travail gratuit.
15:17 Et donc ça, ce n'est pas acceptable pour des métiers qui ont été reconnus comme
15:21 essentiels récemment.
15:22 Merci à toutes les deux.
15:23 A domicile.
15:24 Un métier en souffrance, sortir de l'impasse, c'est aux éditions de l'Atelier, également
15:28 co-signé par François-Xavier Devetter.

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