L'Invité du 13h (13h - 5 Juin 2023 - Mathieu Belezi et Eva Bettan )
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00:00 5 minutes plus tôt que d'habitude la bascule du 13-14, c'est une émission particulière.
00:03 Nous sommes en public au studio 621 de la maison de la radio et c'est une journée
00:09 particulière, celle au cours de laquelle nous célébrons le 49ème prix du livre Inter.
00:14 Il a été décerné à Mathieu Bélezy pour Attaquer la Terre et le Soleil, c'est aux
00:19 éditions du Tripode.
00:20 Grand petit livre de 150 pages pour raconter la colonisation française en Algérie au
00:25 19ème siècle.
00:26 Il y a les lions, les serpents, le choléra, la chaleur, les arabes prêts à attaquer.
00:31 Il y a la très grande violence des soldats français, c'est la voix de l'un d'entre
00:35 eux qui nous raconte l'histoire et celle aussi de Séraphine, mère de famille, qui
00:39 va perdre deux enfants sur cette terre si dure, elle qui n'a jamais cru aux promesses
00:43 de vie meilleure avancée par la France.
00:45 C'est le 4ème roman de Mathieu Bélezy sur l'Algérie coloniale et il comble une
00:49 lacune bien souvent de nos manuels d'histoire à l'école, ce 19ème siècle au cours du
00:54quel la France a colonisé cette Algérie avec laquelle ensuite l'histoire sera si
00:58 lourde.
00:59 On ne raconte pas souvent ces épisodes-là.
01:00 Il y a donc les deux voix qui alternent, le rythme du récit, les quelques moments où
01:04 la vie reprend le dessus et si la littérature nous permettait de saisir ce que l'histoire
01:10 peine parfois à nous transmettre.
01:12 Bonjour Mathieu Bélezy.
01:13 - Bonjour.
01:14 - Bravo pour ce 49ème prix du Livre Inter.
01:16 Je voudrais qu'on commence tout de suite avec une question d'un auditeur au standard.
01:20 Bonjour Philippe.
01:21 - Oui bonjour.
01:22 - Nous vous écoutons.
01:23 - Eh bien bonjour à tous et bravo à Mathieu Bélezy.
01:27 J'ai beaucoup apprécié outre le sujet, les techniques révélées lors des paroles
01:32 d'auteurs diffusées la semaine dernière.
01:34 Dans le trois-fils de votre roman, je m'étais intéressé à cette période de notre histoire
01:38 peu et mal enseignée.
01:39 Je voulais vous demander si d'autres littératures vous avaient liées vers cette période méconnue
01:45 de notre histoire pour y placer votre roman ou si d'autres sources ou sujets vous y avez
01:49 conduits.
01:50 Merci beaucoup.
01:51 - Merci à vous.
01:52 La littérature sud-américaine, effectivement, à l'époque du réalisme magique, beaucoup
02:01 d'auteurs pour parler des dictatures de l'époque avaient utilisé comme ça un style très
02:10 particulier, très imagé, très métaphorique.
02:14 Et je pense que je suis parti de là pour parler de cette difficile période de l'histoire
02:23 de France, c'est-à-dire le début de la conquête algérienne, en gros, entre 1830
02:28 et 1870.
02:29 - Est-ce que vous avez pensé aux auteurs américains aussi ? Parce qu'il y a la conquête
02:34 de l'Ouest, alors il y a plein de clichés autour de la conquête de l'Ouest, mais il
02:36 y a aussi de très grandes scènes de violence.
02:38 On pense aussi à ça, à la conquête de l'Ouest, c'est la conquête du Sud, au fond, l'Algérie
02:42 pour la France.
02:43 - C'est très similaire.
02:45 Je suis très surpris que le cinéma français n'ait pas pensé à faire des films.
02:52 Il y aurait des films à faire, c'est le western, effectivement, comme en Amérique du Nord.
02:56 - Alors, je vais présenter tous les autres invités autour de la table de ce studio
03:01 621.
03:02 Bonjour Frédéric Martin, directeur des éditions du Tripod.
03:05 Bonjour David Fuenquinos, président du jury pour ce 49e prix.
03:10 Eva Béthant, grande organisatrice du Livre Inter, est avec nous également.
03:13 - Bonjour.
03:14 - Et je salue trois des jurés de ce prix.
03:16 Je précise que tout le jury est à côté de moi, à gauche, dans les fauteuils de ce
03:22 studio.
03:23 Bonjour Dalia Sharifa.
03:24 - Bonjour.
03:25 - Vous avez 23 ans, vous êtes étudiante en sciences politiques.
03:26 Vous venez de Charenton-le-Pont dans le Val-de-Marne.
03:28 Qu'est-ce qui vous a plu ou déplu, tiens, pourquoi pas, dans le roman de Mathieu Bélézis ?
03:33 - Alors, rien ne m'a déplu.
03:34 - Bon, petit 1.
03:35 - Alors, ce qui m'a plu, pour venir sur le sujet, c'est que c'est un impensé de la littérature.
03:41 On parle d'un impensé.
03:43 C'est un livre qui traite d'une violence, qui est celle des colons français qui se
03:48 sont appropriés les terres, l'histoire des Algériens, les traitants de barbare, les
03:54 corps des femmes.
03:55 C'est un livre qui traite de la violence.
03:57 Il y a aussi une grande beauté dans les mots, une littérature qui est vraiment splendide,
04:05 qui retrace, qui réhabilite vraiment l'histoire algérienne.
04:09 Ça, ça m'a plu.
04:10 - On peut, David Fuenkinos, avec la littérature, transmettre ce que, au fond, les manuels
04:15 d'histoire, voire les livres d'histoire ne transmettent pas de la même manière ?
04:19 - Sur ce livre particulièrement, c'est vrai qu'on parle très souvent d'Algérie, mais
04:23 on ne va jamais à la source de cette histoire.
04:24 Et c'est vrai que c'est ce que vient de dire Mathieu.
04:27 Pourquoi le cinéma, par exemple, ne s'est pas emparé ? Ce matin, Eva, à 7h50, a évoqué
04:32 les réalisateurs américains, Chimino, Scorsese, effectivement.
04:35 Pourquoi la France ne s'empare pas de cette histoire ? Parce que c'est forcément une
04:40 tragédie où c'est le mauvais côté de notre histoire, sûrement.
04:43 Mais c'est une vraie question que soulève ce livre-là.
04:47 C'est pourquoi on a autant de mal à revisiter certaines parties de notre histoire.
04:51 Je ne sais pas ce que tu en penses, Mathieu.
04:53 - J'ai réfléchi sans vraiment trouver de réponse.
04:56 Il y a le fait que la France est le pays des droits de l'homme.
05:01 Et bien que ce soit le pays des droits de l'homme, le pays s'est comporté comme ça.
05:06 A pu se comporter la Belgique, l'Espagne ou le Portugal et bien d'autres pays d'Europe.
05:14 Avec la même violence.
05:15 - Il y a une toute petite image dans le livre qui symbolise ça, dans la colonie tout paravolo.
05:21 Mais le drapeau français, il est nickel.
05:24 Eva Béthan, il était tout de suite, parmi les dix livres, il s'est tout de suite détaché
05:29 lorsque tous les jurés qui sont autour de nous l'ont débattu.
05:32 - On fait d'abord un tour de table et on demande aux jurés leur préférence.
05:34 Il a été cité en premier ou pas en premier, mais souvent dans les préférés de l'immense
05:42 immense majorité.
05:44 Il n'y a pas eu une seule voix pour dire, parce qu'on demande aussi aux gens, si il
05:48 y a des livres, vous n'étiez pas à l'aise avec eux, vous ne les avez pas aimés.
05:51 Personne n'a dit ce livre, je ne l'aime pas.
05:55 Il y en a qui ont pu en préférer d'autres.
05:56 Heureusement, on est en démocratie, pas en dictature.
05:59 Non, ce n'était pas un plébiscite.
06:01 Fort heureusement, c'était un débat.
06:02 Mais oui, tout de suite, si vous voulez, l'importance de la langue, la beauté.
06:08 D'abord, il y a la langue et l'impression incroyable que la langue vous amène à une
06:14 révélation alors que vous devriez le savoir.
06:16 C'est comme un étonnement de se dire, mais attends, j'ai l'âge que j'ai, je vis là
06:21 et je ne savais pas.
06:22 - Et la langue, on est tout de suite embarqué.
06:24 Première scène, j'ai pleuré.
06:25 C'est Séraphine qui parle.
06:26 J'ai pleuré.
06:27 Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer quand nous sommes arrivés et que nous avons vu
06:31 la terre qu'il allait falloir travailler, sainte et sainte mère de Dieu.
06:35 Céline Thomson, vous qui étiez aussi dans le jury, je précise que c'est la 20e fois
06:39 que vous postuliez.
06:40 - Oui, effectivement.
06:41 - Vous n'avez pas regretté.
06:42 - Ah non, je n'ai pas regretté.
06:44 - Dans le livre, au fond, puisque c'est un prix littéraire, qu'est-ce que vous retenez
06:48 de ce style, ces deux voix qui s'alternent et ce récit qui nous embarque ?
06:52 - Effectivement, c'est une langue qui est magnifique.
06:56 Il y a un sujet, l'audace du sujet est incontestable et vraiment remarquable.
07:04 Et ces deux voix qui nous embarquent, effectivement, nous révèlent des choses qui devraient être
07:12 connues, qui devraient être enseignées.
07:15 C'est ça qui est magnifique.
07:19 C'est ça qui fait la force de ce roman.
07:21 - Qui est Séraphine, Mathieu Bélézy ?
07:23 Ce personnage qui nous raconte cette mère de famille, qui nous raconte cette histoire
07:27 avec le soldat.
07:28 - Disons qu'elle fait partie d'une famille, elle est mariée, elle a des enfants.
07:34 C'est son mari, en fait, qui se laisse attirer par ce que peuvent promettre les gouvernements
07:43 de l'époque.
07:44 Et elle, elle n'a pas très envie d'y aller.
07:48 Elle sent que ça va mal se passer.
07:50 Mais bon, elle suit son mari.
07:52 Elle se retrouve là-bas.
07:55 C'est des petits colons.
07:56 - Oui, ce sont des gens modestes.
08:00 - Ce sont des gens très modestes, à qui on promet monts et merveilles.
08:05 Et certains ont voulu le croire.
08:08 Et pour leur malheur, parce qu'il s'est créé comme ça des premiers villages d'implantation.
08:14 C'était tellement dur qu'au bout de dix ans, la population entière de certains villages
08:20 a disparu.
08:21 Ils sont tous morts.
08:22 A tel point qu'à un moment donné, le gouvernement a dit "mais c'est vraiment trop dur, on ne
08:26 va pas y arriver.
08:27 Peut-être qu'il faudra arrêter".
08:28 - Et d'ailleurs, la question, on ne va évidemment pas dévoiler, mais est-ce qu'il reste ? Jusqu'à
08:32 quand il reste ? Etc.
08:34 "Sainte et sainte mère de Dieu" répète-t-elle sans cesse.
08:36 Elle perd la foi en Algérie, on peut le dire comme ça.
08:39 - Avec ce qui lui arrive.
08:40 - Oui, on comprend parce que le choléra, ça, on peut le dire parce que ça vient assez
08:44 vite en porte de ses enfants.
08:47 Mélanie Le Soif, il y a aussi, vous qui êtes aussi une des jurées de ce prix qui êtes
08:54 autour de la table, il y a aussi des scènes de grande violence dans ce livre.
09:00 Et au fond, la question, c'est comment on raconte cette histoire ? Est-ce que cette
09:03 violence vous a quoi ? Dérangée ? Choquée ? Est-ce qu'elle vous a fait prendre conscience
09:09 de certaines choses ? Parce que "Au sainte et sainte mère de Dieu" de Séraphine fait
09:12 écho le nom d'un bordel de l'autre voie, du capitaine qui sacre, qui jure et la violence
09:18 immense des soldats.
09:19 - Elle ne m'a pas choquée, cette violence, parce qu'elle raconte une réalité, je pense.
09:24 Et elle est nécessaire.
09:25 Et elle est surtout donnée à voir à hauteur d'homme.
09:30 C'est ça qui m'a beaucoup plu.
09:31 Il n'y a pas de moralité décrétée, il n'y a pas d'entrée du narrateur comme ça pour
09:38 analyser les choses.
09:39 On vit les choses avec les personnages, que ce soit les colons qui patouchent dans la
09:46 boue quand il pleut, que rien ne réchauffe quand il neige, qui sont attaqués par le
09:52 soleil justement sans arrêt, la chaleur, le choléra.
09:55 Ça sent mauvais.
09:56 On a beaucoup de sensations dans ce livre.
10:00 Donc la violence, elle passe aussi par là.
10:02 Mais moi, ce que je retiens aussi, c'est la capacité d'adaptation qui est extraordinaire
10:07 des êtres humains.
10:09 Quand on voit ces femmes d'Algérie qui, pour survivre, s'adaptent aux exigences des soldats
10:15 justement, qui sont d'une violence inouïe, c'est important de le dire comme ça, de
10:20 l'écrire comme ça.
10:21 Et le curé qui fait d'une vieille échelle une chair dans son église d'Eva Béthan.
10:25 Je notais tout, vous savez, pendant la Libération, pendant que vous parliez.
10:28 Donc ce n'est pas que j'ai une mémoire extraordinaire, mais j'ai noté, vous savez, d'une chose
10:32 qui m'intéressait à un moment.
10:33 Parce que quand la discussion est devenue générale sur tous les livres, vous disiez
10:37 qu'il y a de la psychologie dans beaucoup de livres, mais pas dans celui-là.
10:41 Et vous avez l'air de dire que c'était une qualité que de ne pas passer par la psychologie.
10:46 Je trouve qu'on analyse beaucoup de choses aujourd'hui, que ce soit dans la littérature
10:51 ou dans tous les domaines de la société.
10:53 À l'aune de la psychologie, on regarde tout avec un œil de psychanalyse.
10:58 D'ailleurs, on n'est pas formés pour ça, mais je trouve que c'est la grande mode.
11:02 On en parlait avec nos collègues jurés, on était plusieurs à être d'accord.
11:06 Et je trouve que justement, ce qui est intelligent et efficace dans ce livre, c'est qu'on
11:10 ne nous impose pas ça.
11:11 Il n'y a pas d'analyse psychologique.
11:12 C'est par l'effet, par la matérialité.
11:14 On regarde l'histoire au moment où elle se passe, pas avec nos yeux de 2023.
11:19 Ça, ça mérite une question aux deux écrivains.
11:22 D'abord, ça vous va ce qui vient d'être dit, Mathieu Bélezy ?
11:24 Tout à fait.
11:25 Il faut éviter la psychologie.
11:26 Je me tourne aussi vers David Fuenquinos.
11:28 Il faut éviter la psychologie pour faire un bon roman ?
11:30 Pour moi, oui.
11:33 Je dirais, j'évite comme la peste aussi bien la psychologie que la…
11:40 Enfin bref.
11:42 La psychologie, l'étude, l'analyse.
11:46 Mais je peux l'éviter d'autant plus facilement que je fais parler mes personnages.
11:54 Donc du coup, je n'ai pas entré là-dedans et je leur donne une totale liberté.
12:00 Quand j'ai vraiment trouvé la chair, je dirais, la chair d'un personnage,
12:06 je ne veux plus avoir d'autorité sur eux.
12:09 Je ne sais pas ce qu'ils vont dire quand je commence à travailler le matin.
12:11 Je ne sais pas ce qu'ils vont raconter, mais je les laisse parler.
12:16 Je suis très attentif à cette liberté-là de mes personnages.
12:22 Et puis, c'est à la fin de la journée, la page est ratée, tant pis, je la mets à la poubelle.
12:25 Mais je ne veux pas avoir de maîtrise sur les voix de mes personnages.
12:31 David Fonquineau, vous êtes pareil ?
12:32 Oui, alors non, il n'y a pas de généralité.
12:35 Moi, j'adore la psychologie.
12:36 Mais le livre de Mathieu est absolument exceptionnel de ce point de vue.
12:40 C'est un livre physique.
12:42 C'est une expérience physique.
12:43 On ressent la boue, on ressent le sable, on ressent le froid, on ressent la maladie,
12:47 on ressent la peau, on ressent l'âpreté.
12:49 Et donc, forcément, encombrer finalement toute cette traversée sensuelle, émotionnelle
12:56 par la psychologie n'aurait pas apporté à ce propos.
12:58 C'est vraiment un livre qu'on traverse physiquement.
13:01 Dès les premières pages, il y a quelque chose qui nous hape.
13:03 Et l'un des jurés disait qu'on était en apnée.
13:06 C'est vrai que c'est un sentiment qu'on a.
13:08 Moi, la question, c'est que ce matin, Mathieu a aussi évoqué que c'est un livre
13:12 qui a été beaucoup refusé.
13:13 Et je trouvais ça complètement fou parce qu'on lit la première page, on est ébloui.
13:18 Et Frédéric, l'éditeur, peut le dire par la beauté, l'émerveillement du style.
13:23 Et j'ai du mal à comprendre pourquoi ce livre a eu autant de mal à trouver son chemin.
13:27 Et enfin, avec le prix Inter, je pense qu'il va toucher le plus grand nombre.
13:30 Et tant mieux.
13:31 - Vous me fournissez une transition toute trouvée.
13:33 Merci beaucoup.
13:34 Juste une petite question intermédiaire.
13:35 Je reviens sur la violence parce que pour avoir discuté avec plein de personnes à
13:39 Inter qui ont lu ce livre, la violence en a rebuté certains.
13:42 Les scènes vraiment très directes.
13:44 Est-ce qu'il y a un moment où vous vous dites "c'est trop", comment on dose, comment
13:47 on aborde ça ?
13:48 - Ah bah non, je ne dis pas "c'est trop" parce que je les laisse parler.
13:52 Moi, j'ai laissé parler le soldat et il raconte ce qu'il veut.
13:55 Mais j'ai lu beaucoup, par exemple, de lettres de militaires de l'époque qui écrivaient
14:01 à leur famille.
14:02 Et la violence, elle est bien au-delà de ça.
14:05 On ne peut pas imaginer.
14:06 Enfin, on voit bien actuellement, tous les jours, ce qui se passe en Ukraine.
14:10 Quand on a une guerre et qu'on donne des armes à des hommes, en général, ça se
14:16 passe très, très mal.
14:17 - Frédéric Martin, directeur de ces éditions du Tripod.
14:21 Alors d'abord, il faut dire au plus grand plaisir d'Eva Béthan, mais c'est aussi
14:25 notre fierté à nous.
14:26 Un prix du livre inter, quand on est éditeur, on tire à combien ? En se disant, les gens
14:29 vont se précipiter en librairie.
14:31 - On est prudent, c'est-à-dire qu'on tire à 40 000.
14:35 Mais je pense qu'aujourd'hui, c'est après le prix de Goncourt, le prix le plus important
14:39 pour les éditeurs.
14:40 Et surtout, c'est un prix de lecteur.
14:42 Vous ne pouvez pas savoir le nombre de mails qu'on reçoit depuis ce matin de libraires,
14:47 de gens qui soutiennent la maison d'édition et qui ont cette fierté de voir que ça fait
14:52 plusieurs mois que le livre est sorti, qu'il est soutenu par des libraires, par des journalistes.
14:56 Et tout d'un coup, d'avoir cette reconnaissance-là fait qu'on ne peut pas tirer d'un coup.
15:00 Parce qu'on va épuiser les stocks de papier, mais on fait des tirages très importants.
15:04 - Alors, il y a une histoire.
15:05 Comment vous avez eu ce texte ? Comment ça s'est passé ? Racontez-nous.
15:08 Qu'est-ce qu'il a provoqué chez vous, ce texte, Rodéric Martin ?
15:10 - Alors, je l'ai reçu par mail, tout simplement.
15:14 Et je crois que je t'ai appelé dans la journée ou le lendemain.
15:17 Mais pour revenir sur la question de la violence et de la psychologie, il y a une chose qu'on
15:23 n'a pas encore dite et qui, pour moi, est très importante dans ce livre.
15:25 C'est un livre qui ne juge pas.
15:27 Ce qui est magnifique, c'est que bien sûr qu'il y a de la violence, mais il y a aussi
15:30 beaucoup de beauté, d'ailleurs.
15:31 On n'en a pas encore parlé, mais il y a des moments de douceur, d'humanité chez cette
15:35 femme.
15:36 Il y a des images qui sont raffines, qui sont extraordinaires.
15:38 Et tout ça est possible parce qu'en fait, Mathieu nous fait partager quelque chose qui
15:42 est très important.
15:43 Moi, je suis un enfant de Marseille, par exemple.
15:44 Donc la question algérienne, ce n'est pas qu'une question, ça a été mon enfance.
15:48 C'est une réalité.
15:49 Et quand j'ai lu ce texte, ma première réaction pour répondre à votre question, c'est de
15:54 dire "enfin".
15:55 - Et j'ai bien appéré que vous aviez chassé un petit moment d'émotion en répondant à
15:56 ce texte.
15:57 - Non, mais enfin, je comprends.
15:58 C'est-à-dire que ce qui s'est passé il y a 200 ans dans ce pays explique tellement
16:02 de choses sur ce qu'on vit aujourd'hui.
16:04 Quand vous avez des hommes politiques qui traitent de sauvages, des gamins des banlieues,
16:07 la sauvagerie, elle était là et on ne nous l'apprend pas.
16:12 C'est fou.
16:13 C'est comme un secret de famille, en fait.
16:14 C'est-à-dire que ce qui est le plus dangereux, ce n'est pas la violence qui est décrite,
16:16 c'est le silence qui va avec cette violence.
16:18 Et Mathieu en fait produit un apaisement.
16:21 Moi, je pense que tous les gens qui ont fini ce livre sont éprouvés parce que c'est une
16:25 langue tellement forte qu'elle nous fait vraiment vivre la boue, le soleil, l'amour et les
16:31 désastres qui vont avec, mais surtout il y a cet apaisement de « enfin les choses
16:34 sont dites ».
16:35 Et alors c'est à tel point que vous avez eu envie de rééditer toute l'œuvre de
16:38 Mathieu Bélézis ?
16:39 Oui, c'est plus qu'une envie, c'est qu'on n'a pas le choix.
16:41 Mathieu, on ne l'a pas précisé aussi, mais c'est une œuvre depuis 25 ans.
16:45 C'est une implication dans l'écriture qui l'amène même à une forme d'ascétisme.
16:49 Il ne mange avec rien, il vit dans des conditions extrêmement sobres et tout est dédié à
16:56 ces voix qu'il entend.
16:57 Il a une humilité aussi dans la manière dont il parle de son écriture où il se sent
17:01 plutôt au service de ses voix qu'un maître en toute puissance, qui fait que moi quand
17:07 j'ai découvert ce texte, je ne connaissais pas l'œuvre antérieure.
17:10 En l'espace de deux, trois mois, j'ai eu la chance de lire une quinzaine de romans
17:13 et 25 ans d'écriture et c'était un choc.
17:15 C'est un immense écrivain.
17:16 On arrive déjà bientôt au terme de ce moment.
17:20 Mathieu Bélézis, je viens d'entendre votre éditeur, vous avez 60 ans passé.
17:23 Vous vivez ce moment à la fois un éditeur qui a le coup de foudre pour vous, ce prix
17:28 du livre inter, le prix du monde et je sais que le monde a beaucoup d'importance pour
17:31 vous.
17:32 Au fond, vous dites ça y est, enfin les pièces du puzzle se joignent les unes les autres.
17:36 Oui, oui, effectivement.
17:38 Je n'osais même pas imaginer ça.
17:41 Je me disais peut-être un jour quand je serai mort, ça se passera mais pas de mon vivant.
17:46 Ça se passe de mon vivant.
17:47 Tout écrivain espère ça.
17:50 Vraiment.
17:51 Et ça ne va pas s'arrêter là parce qu'il va y avoir justement grâce à cette langue
17:56 très musicale, un intérêt du théâtre.
17:59 Oui.
18:00 Et je vais avoir des adaptations théâtrales.
18:02 Encore une question, vous vivez à Rome.
18:06 Vous avez ressenti le besoin de quitter la France parce que vous vous sentiez au fond
18:11 pas assez libre d'écrire en France.
18:13 Expliquez-nous ça.
18:14 Je n'ai pas bien compris ça.
18:15 Oh, pas vraiment.
18:16 Non, on peut trouver de la liberté partout.
18:20 Mais moi, j'ai un tempérament nomade.
18:21 Donc, j'ai du mal à rester dans un pays.
18:25 Je suis en Italie mais peut-être que j'irai en Grèce.
18:27 J'y vais assez souvent en Grèce aussi.
18:29 J'ai vécu aux Etats-Unis.
18:31 Non, non, on peut écrire très librement encore en France, heureusement.
18:36 Bravo encore à vous pour ce prix du livre Inter, "Attaquer la terre et le soleil",
18:42 édition du Tripod.
18:43 Merci à tout le monde, tous ceux qui sont autour de la table.
18:45 Merci aux jurés qui peuvent se manifester.
18:47 On est toujours aussi fiers de ce prix.
18:51 Du coup, le teasing du 13-14 a sauté.
18:53 Mais Jean Le Brun est bien entré dans ce studio 621 et Frédéric Pomier est à mes côtés.