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Yves Thréard reçoit Elizabeth Tchoungui.
Femme de lettres et journaliste franco-camerounaise, Elizabeth Tchoungui se confie sur la richesse que représente sa double culture. Terre de résilience par son histoire meurtrie, et terre d'innovation, notamment en matière de télécommunications et d'électrification, c'est en Afrique que se joue le futur de nos sociétés selon cette « afro-optimiste convaincue ». Elle met en avant la place des femmes, « qui portent le continent », ainsi que le pouvoir grandissant de la société civile africaine, et insiste dans cet entretien sur le rôle clé des diasporas pour redéfinir le partenariat entre la France et l'Afrique.

Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».

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Transcription
00:00 "La Marseillaise"
00:02 ...
00:26 -Elisabeth Tchoungui,
00:27 vous êtes née de père camerounais, de mère française.
00:31 Ce sont vos "passeurs de vie métis",
00:33 comme dirait David Diop.
00:35 C'est une magnifique expression.
00:37 Comment vit-on une double culture ?
00:39 -Écoutez, c'est une vraie chance
00:41 d'avoir une double culture.
00:43 Il faut juste savoir l'appréhender.
00:46 C'est vrai que ce n'est pas simple.
00:48 Je me souviens, quand j'étais enfant, au Cameroun,
00:51 on m'appelait "tan",
00:52 ça veut dire "la blanche", en nebundo,
00:54 la langue de mon père.
00:56 Et quand je passais l'été dans la ferme de ma grand-mère,
00:59 dans le Tarn, et que j'allais à la messe le dimanche,
01:02 les dames me caressaient les cheveux en disant
01:04 "elle est frisée comme un mouton".
01:06 On vit avec ça,
01:07 mais pour avoir prendre une expression familière,
01:10 quand on me dit que les métis sont le cul entre deux chaises,
01:13 ce que je réponds, c'est "oui, on a deux chaises".
01:16 Donc ça, c'est une vraie chance,
01:18 parce qu'on apprend la capacité d'adaptation,
01:22 qui est un viatique pour toute la vie.
01:25 - C'est important.
01:26 Il n'y a pas une quête d'identité ?
01:28 Vous avez écrit un livre, "Bamako Climax",
01:31 que je recommande, très beau livre,
01:33 dans lequel il y a trois personnages principaux,
01:36 et il y en a un garçon qui est africain, justement,
01:40 il y a un autre garçon qui est juif,
01:43 ils sont amoureux d'une femme,
01:46 et on a l'impression que ce roman, c'est une quête de leurs origines.
01:50 Qu'est-ce que vous avez voulu dire,
01:52 qu'il y a quand même une quête d'identité ?
01:55 - Bien sûr, mais il y a une quête d'identité
01:57 pour tout être humain.
01:59 Effectivement, le personnage que je mets en scène,
02:02 qui est ce personnage masculin, qui est noir,
02:05 et qui, toute sa vie, a essayé de masquer cette négritude
02:09 pour essayer de s'insérer dans la société française, notamment.
02:13 Et donc, c'est aussi un livre qui parle du plafond de verre
02:17 dans la société française, qu'il faut apprendre à dépasser.
02:21 - C'est encore le cas, aujourd'hui ?
02:23 - C'est encore le cas quand on prend certains secteurs,
02:26 par exemple, le monde de l'entreprise,
02:28 les grandes entreprises du CAC 40.
02:30 J'ai rejoint une de ces entreprises, Orange.
02:33 Nous ne sommes que trois membres de comité exécutif du CAC 40
02:37 d'origine africaine, sur plus de 600,
02:41 donc ça pose quand même question.
02:43 - Vous avez employé un mot intéressant, "négritude",
02:46 qui est un mot qui est né dans la bouche d'Hébé Césaire,
02:50 de Léopold Cédar-Sangor.
02:52 C'est un mot qui, pour vous,
02:54 est un mot qui est une affirmation identitaire, justement,
02:59 ou au contraire, c'est un mot à rejeter complètement,
03:02 comme le disent aujourd'hui beaucoup de jeunes, finalement,
03:05 qui ce mot, on n'aime pas, parce qu'il est corche,
03:09 ça a un caractère un peu raciste, même, disent certains.
03:12 - Oui, certains.
03:14 Moi, j'aime la langue française, comme vous le savez,
03:17 et donc je ne m'arrête pas aux connotations.
03:20 Je ne fais pas partie des personnes qui veulent rebaptiser
03:23 "Dix petits nègres" d'Agatha Christie.
03:26 - Vous n'êtes pas dans la "consell-culture".
03:28 - Absolument pas. La négritude, c'est un mouvement poétique.
03:32 C'est Sangor, c'est Césaire, c'est la poésie,
03:34 et pour moi, c'est le contraire de l'enfermement.
03:38 Pour moi, c'est une affirmation universaliste.
03:41 La négritude, pour moi, c'est comment...
03:44 Voilà, les Noirs, dont l'histoire a souvent été gommée,
03:49 tronquaient, reprennent la place qu'ils béritent
03:54 dans le grand concert international.
03:57 Et c'est aussi, voilà, c'est toute l'histoire de cette Afrique
04:01 qu'on n'enseigne pas suffisamment dans notre pays,
04:05 et des histoires fascinantes de grandeur,
04:08 parce que si on ne la transmet pas correctement,
04:11 on hérite d'une vision tronquée avec tous les clichés.
04:15 Donc moi, par exemple, je raconte avec bonheur à mes enfants
04:18 l'histoire d'Abu Bakar III, empereur du Mali,
04:23 qui, un jour, en 1300 et quelques,
04:26 décide d'aller voir ce qu'il y a de l'autre côté de la mer,
04:29 affrète une flotte de bateaux
04:32 dont on ne sait pas ce qu'ils sont devenus.
04:35 Mais certains historiens pensent qu'Abu Bakar III
04:38 a découvert l'Amérique avant Christophe Colomb,
04:40 parce que certains mots, par exemple, "Niagara",
04:43 en bambara, ça veut dire "l'eau vive",
04:46 il y a un certain nombre de correspondances,
04:48 les poteries qu'on a retrouvées aussi de l'époque.
04:50 Donc voilà, toute cette histoire fascinante
04:53 de la grandeur de l'Afrique, c'est important de la transmettre
04:55 pour casser les clichés.
04:57 Oui, alors en plus, ce qui est intéressant
05:00 dans votre parcours, c'est que vous, vous êtes issu
05:02 d'un pays qui est assez particulier en Afrique,
05:04 qui s'appelle le Cameroun, donc,
05:06 et qui est un pays qui a été traversé
05:08 par des colonisations très différentes.
05:09 On le voit, là, ce pays d'Afrique centrale,
05:13 qui donne sur le golfe Guinée, qui a deux grandes villes
05:16 qui s'appellent Yaoundé et Douala,
05:18 avec une triple influence extérieure,
05:21 qui a été l'influence germanophone d'abord,
05:24 qu'on a un peu oubliée, une influence après,
05:26 après la guerre de 14, qui a été à la fois anglophone
05:29 et francophone, puisque le Cameroun,
05:32 qui était d'abord sous influence allemande,
05:34 a été redistribué.
05:35 Et le pays est coupé, en fait,
05:38 le nord est un peu germanophone encore,
05:41 et puis l'est est plutôt francophone,
05:44 et l'ouest, anglophone, je ne me trompe pas,
05:46 c'est un peu ça.
05:48 - En fait, les Camerounais sont un peuple très fier.
05:51 Pourquoi ? Parce que, techniquement,
05:54 nous n'avons jamais été colonisés.
05:56 - Oui. - Puisque le Cameroun
05:58 a d'abord été un État allemand, Kamrunstadt,
06:01 après la répartition de la Conférence de Berlin.
06:03 - 1687. - Ensuite, Première Guerre mondiale,
06:06 les Allemands perdent,
06:10 il y a eu des batailles décisives au Cameroun,
06:12 et donc le Cameroun passe sous le mandat
06:14 de la Société des Nations, avec une partie, effectivement,
06:17 gérée, administrée par les Britanniques,
06:20 l'autre par les Français.
06:22 C'est important de le préciser. - Voilà.
06:25 - Et effectivement, c'est un pays très particulier,
06:27 parce qu'aujourd'hui, il y a une partie anglophone,
06:30 qui est près du Nigeria, une partie francophone,
06:34 et puis le nord, c'est aussi une moisaïque religieuse,
06:38 avec un nord qui est musulman... - Garoua aussi.
06:42 - Garoua, un sud qui est chrétien, donc catholique, protestant,
06:46 tout le monde étant plus ou moins animiste, toujours.
06:49 L'animisme est toujours très... assez présent.
06:52 Et effectivement, on dit aussi que c'est l'Afrique en miniature,
06:55 c'est un creuset de cultures,
06:58 enfin, je vais pas faire une diatribe patriote,
07:01 mais c'est un pays, en plus, qui peut être amené
07:05 à avoir une place de pivot dans l'Afrique centrale,
07:09 dans toute cette redistribution des cartes que l'on voit,
07:12 toutes ces influences qui s'agitent sur le continent,
07:16 je pense que ce pays a beaucoup d'atouts
07:19 pour être un pays important. - Un moteur de l'Afrique.
07:22 Alors justement, 1960, la période des indépendances,
07:27 avec un homme en France qui a eu son heure de gloire après,
07:30 en 74, à l'élection présidentielle,
07:32 qui s'appelait René Dumont,
07:34 le premier écologiste d'histoire française, peut-être,
07:37 il y en a eu d'autres avant lui, et qui a écrit un livre,
07:40 "L'Afrique noire est mal partie",
07:42 il parlait notamment de l'Afrique agricole.
07:44 60 ans après les indépendances, 2023,
07:49 quel bilan tirez-vous de cette décolonisation
07:53 et de cette affirmation nationale de chacun des pays africains ?
07:57 - C'est vrai que, par certains aspects,
08:00 René Dumont avait raison, l'Afrique est mal partie,
08:04 mais pourquoi ? Parce que finalement,
08:06 ces indépendances ont été complètement confisquées.
08:09 Tous les leaders des indépendances,
08:13 des mouvements de décolonisation,
08:15 qui, souvent, étaient des panafricanistes convaincus...
08:18 - Panafricanistes, à l'époque, c'était la volonté
08:21 de vivre tous ensemble,
08:22 d'avoir un objectif commun
08:25 et de faire de l'Afrique, globalement, une force.
08:28 - Absolument.
08:29 - C'était pas la revendication identitaire d'aujourd'hui.
08:32 C'était vraiment faire de l'Afrique une force.
08:35 Et justement, ces indépendances ont été confisquées
08:38 parce que les anciens communisateurs
08:41 ont choisi la stratagème classique,
08:44 diviser pour mieux régner.
08:46 Donc, voilà.
08:47 Le rêve des indépendances s'est assez vite brisé,
08:51 avec toutefois des destins disparates,
08:53 selon les différends, selon les pays.
08:56 Mais aujourd'hui, je suis une optimiste,
09:00 une afro-optimiste convaincue,
09:02 parce que je pense que, finalement,
09:07 en Afrique se joue, aujourd'hui,
09:09 le sort du basculement de nos sociétés tout entières.
09:15 C'est-à-dire qu'en Afrique,
09:17 pour moi, l'Afrique est à la fois une terre de résilience
09:20 et d'innovation. - Expliquez.
09:21 - Une terre de résilience parce qu'effectivement,
09:24 une histoire meurtrie,
09:26 qui commence avec la saignée de l'esclavagisme,
09:30 ces indépendances... - La colonisation.
09:32 - La colonisation, le pillage des ressources, etc.
09:35 Et malgré tout, ce continent a énormément avancé,
09:38 une classe moyenne qui est là aujourd'hui,
09:41 une croissance portée justement
09:44 par l'innovation technologique, le numérique, etc.,
09:46 donc une résilience.
09:48 Et puis cette innovation, parce que, finalement,
09:50 c'est le continent des sauts de grenouilles.
09:53 Si je prends l'exemple d'un domaine que je connais un peu,
09:56 la téléphonie,
09:58 on est passé... - Vous travaillez sur Orange.
10:00 - Voilà.
10:02 Donc l'Afrique n'a pas connu le téléphone fixe.
10:04 On est passé directement au téléphone mobile
10:07 avec tout le potentiel de croissance
10:10 que la connectivité amène. - Qui va avec.
10:13 - Le paiement par téléphone mobile...
10:17 - Se fait. - C'est en Afrique
10:19 qu'il s'est vraiment généralisé.
10:22 Le mobile money en Afrique
10:25 existe depuis 15 ans,
10:28 et donc soutient le développement de petites entreprises.
10:33 Le mobile money est aussi venu pallier
10:35 le faible taux de bancarisation du continent.
10:40 Donc voilà, on est vraiment dans une accélération
10:43 très forte de l'histoire
10:47 et de capacité de développement d'un continent.
10:51 - D'où l'appétit, je dirais, des autres continents
10:55 et de toutes les grandes puissances dans le monde
10:58 qui voient en Afrique peut-être une espèce d'eldorado
11:03 pour l'avenir, avec les terres rares,
11:06 avec une démographie importante,
11:09 avec une inventivité, une jeunesse.
11:11 Elle a un rôle capital à jouer, géostratégiquement, l'Afrique ?
11:15 - Évidemment, elle a un rôle capital,
11:18 parce que c'est aussi un nouveau marché.
11:22 Le potentiel est énorme.
11:25 Et encore une fois, résilience...
11:27 - Deux milliards d'individus en 2050.
11:29 - Absolument.
11:30 Et donc, encore une fois, résilience et innovation.
11:34 Je prends un autre exemple.
11:36 Taux d'électrification du continent, 46 % seulement.
11:39 Donc l'avantage, c'est que le continent
11:43 s'électrifie de manière verte, nativement.
11:47 Par exemple, Orange est un opérateur téléphonique,
11:51 mais on a aussi lancé des services d'énergie,
11:54 où on propose des kits solaires dans les foyers
11:57 qui n'ont pas d'électricité,
11:58 avec possibilité de payer la facture par mobile, etc.
12:01 Donc voilà, avec, très vite,
12:03 grâce à cette capacité d'innovation,
12:06 à la fois on répond à des objectifs environnementaux,
12:08 la solarisation, sociétaux,
12:10 parce que l'électricité dans un foyer, ça change la vie.
12:13 C'est un gamin qui n'a plus à étudier sous la lampe tempête,
12:17 la connectivité, il peut trouver des ressources pédagogiques,
12:20 se former, développer des activités génératrices de revenus,
12:25 qui sont en lien avec l'électricité.
12:28 Donc sans électricité, c'est comme si la vie
12:32 s'arrête à la tombée de la nuit, la moitié d'une vie.
12:35 L'électricité, c'est... Voilà.
12:38 Et tout ça, encore une fois, résilience, innovation.
12:41 On parle depuis le début de l'Afrique,
12:43 mais il y a des Afriques.
12:46 Vous êtes d'Afrique centrale, du Cameroun, on l'a dit,
12:49 pour rester dans le domaine francophone.
12:52 L'Afrique centrale n'a rien à voir avec l'Afrique de l'Ouest ?
12:57 De toute façon, chaque pays est unique.
13:00 Donc effectivement, il y a quand même des...
13:04 Il y a des cousinages.
13:06 Si on prend une musique qui irrigue aujourd'hui
13:09 la quasi-totalité du continent,
13:11 ce serait la rumba congolaise,
13:15 les musiques nigériennes aussi.
13:17 Donc il y a quand même des facteurs unificateurs.
13:20 Mais après, effectivement,
13:23 il y a peu de rapports entre le Botswana et le Niger.
13:29 Les PIB sont très différents.
13:32 C'est aussi ce qui fait tout l'intérêt de ce continent.
13:36 Il y a une chose qui est assez intéressante de constater,
13:39 c'est qu'une espèce de révolte dans la jeunesse africaine,
13:43 et c'est assez visible, notamment dans toute l'Afrique francophone,
13:48 de l'Ouest, centrale,
13:50 avec un ressentiment quand même vis-à-vis de la France
13:54 et vis-à-vis de l'Occident.
13:56 Et là, c'est un autre panafricanisme.
13:58 C'est un panafricanisme identitaire,
14:01 qui est assez agressif, d'ailleurs, par certains aspects.
14:03 Comment voyez-vous cette rupture qui peut exister ?
14:07 Pas partout, pas dans toute la jeunesse,
14:09 mais dans une partie de cette jeunesse
14:10 qui demande des comptes aujourd'hui.
14:13 Moi, je distinguerais deux points.
14:16 Je pense que, par certains aspects,
14:20 parfois, la colère vient tout simplement
14:23 de la difficulté de se projeter dans l'avenir,
14:27 avec une jeunesse qui a un taux de chômage très élevé
14:30 dans certains pays.
14:32 Et donc, ça, on peut y répondre.
14:34 La bonne nouvelle, c'est qu'on peut y répondre
14:36 en accompagnant massivement les jeunes
14:41 dans le développement de compétences clés
14:43 dans les métiers d'avenir, et le numérique en est un.
14:45 On estime que pour soutenir sa croissance,
14:48 l'Afrique va avoir besoin de 230 millions d'emplois
14:52 liés au numérique.
14:53 - Ah oui ? - Oui, 230 millions
14:55 à horizon 2030.
14:57 Donc, l'enjeu est immense.
14:58 Donc, pour une population, en grosso modo, en 2030,
15:00 qui sera d'un milliard 500 millions d'individus.
15:04 Après, effectivement,
15:08 il peut y avoir des explications
15:12 à cette colère,
15:14 les explications historiques,
15:15 et puis aussi, peut-être aussi,
15:18 cette politique migratoire.
15:19 Moi, quand je vois la génération de mon père, par exemple,
15:24 qui a pu bénéficier de bourses
15:27 pour pouvoir venir faire des études en France,
15:30 ce sont des générations qui ont formé les élites locales
15:33 de retour au pays après les indépendances
15:35 et qui sont profondément francophiles.
15:38 Or, aujourd'hui...
15:39 - On va le préciser, votre père,
15:41 il était issu d'un milieu rural,
15:44 plutôt paysan,
15:46 et il s'est élevé, il a fait l'ENA.
15:48 Il est devenu diplomate,
15:50 il est devenu même ambassadeur du Cameroun,
15:53 à Washington, aux États-Unis.
15:54 - Voilà, de l'école de missionnaire où il allait à pied,
15:58 donc au Cameroun, jusqu'à l'ENA,
16:01 à Paris, à l'époque.
16:04 - Et donc, aujourd'hui,
16:05 il y a un sujet de politique migratoire.
16:08 On accorde de moins en moins de visas
16:10 aux étudiants africains,
16:13 et résultat, ils vont faire leurs études ailleurs,
16:16 en Allemagne, au Canada,
16:19 dans d'autres pays d'Afrique, le leur,
16:21 et forcément, c'est une génération
16:24 qui perd le lien avec la France.
16:27 - Avec la France.
16:28 Mais il y a aussi une volonté de dire,
16:31 on n'est plus dans la situation de coloniser,
16:34 on veut un partenariat qui soit différent.
16:37 - Oui, oui, alors, effectivement,
16:39 un partenariat différent.
16:41 Une partie de la jeunesse, d'ailleurs,
16:43 regarde beaucoup plus aux États-Unis,
16:45 ne calcule plus la France,
16:47 comme dans certains pays francophones,
16:50 c'est une réalité.
16:51 Mais effectivement, ce partenariat,
16:54 et c'est là où les diasporas, à mon sens,
16:56 ont un rôle clé, je pense,
16:58 pour redéfinir ce partenariat,
17:00 la France a tout intérêt à s'appuyer
17:03 sur sa diaspora africaine
17:06 et à la valoriser, à la mettre en avant.
17:09 Je suis convaincue que plus notre pays
17:11 mettra en avant sa diversité,
17:14 plus il sera attractif à l'international.
17:17 - Alors, il y a la place des femmes en Afrique,
17:19 dont on parle assez peu, d'ailleurs.
17:21 Elles ont une place capitale.
17:23 Dans la cellule familiale,
17:26 c'est souvent la femme qui gouverne, non ?
17:29 - C'est... - Une forme de matriarcat ?
17:31 Ce sont les femmes qui portent ce continent.
17:34 - Ah ! - Ça, c'est une réalité.
17:37 Qui se mesure, d'ailleurs.
17:39 Alors déjà, l'Afrique est le premier continent
17:42 de l'entreprenariat féminin. 25 % de femmes.
17:45 Il y a plus d'entrepreneurs femmes en Afrique
17:48 qu'en Europe, aux États-Unis, que n'importe où dans le monde.
17:51 Et pourquoi tous les programmes de développement
17:56 doivent s'appuyer sur les femmes,
17:59 dès qu'on accompagne les femmes vers l'autonomie financière,
18:03 notamment avec le microcrédit,
18:05 ça bénéficie de facto à tout le foyer.
18:08 Par exemple, pourquoi les organismes de microcrédit
18:11 préfèrent octroyer des microcrédits aux femmes ?
18:14 - Pourquoi ? - Parce qu'elles sont...
18:16 Elles remboursent plus que les hommes.
18:19 Et puis, il y a des exemples formidables aussi,
18:24 si je prends le Liberia, la guerre du Liberia...
18:27 - Qui a été une guerre terrible. - Une guerre terrible.
18:29 - Depuis le milieu des années 90. - Les femmes,
18:32 qui étaient, hélas, les premières victimes,
18:34 à un moment, ont dit "stop", elles se sont regroupées
18:36 en mouvements de paix, les "peace huts",
18:39 elles se sont mobilisées et donc...
18:41 Et ça a donné d'ailleurs une présidente,
18:43 Ellen Sirleaf Johnson,
18:45 qui a été la première présidente d'un pays africain
18:49 et qui a fait deux mandats, d'ailleurs.
18:52 C'est exactement l'illustration de ce que vous dites.
18:56 Mais il n'y en a pas beaucoup, quand même, de femmes en politique.
18:59 Effectivement, on a malheureusement les deux extrêmes.
19:01 À côté de cela, on a des femmes
19:04 qui sont encore victimes de mutilations sexuelles
19:07 avec l'excision, qui est un drame terrible.
19:09 En Afrique centrale, notamment, d'ailleurs.
19:11 - Le Tchad... - Plus en Afrique de l'Ouest.
19:13 Ouest et Est, enfin, en Afrique centrale, un petit peu moins.
19:17 Et à côté de ça, on a des pays,
19:19 par exemple, l'Assemblée la plus paritaire au monde,
19:21 le Rwanda, c'est le plus fort taux de femmes au Parlement.
19:26 Dans le monde.
19:27 Le Rwanda, donc, à côté de ça, on a aussi de très beaux exemples.
19:31 - Le Rwanda, qui est souvent montré en exemple,
19:33 après la tragédie qu'il a vécue en 1994,
19:36 avec le génocide.
19:37 Le Rwanda, qui a une croissance économique
19:41 absolument extraordinaire.
19:43 Le Rwanda, qui est montré en modèle,
19:46 comme une Suisse en Afrique, aujourd'hui.
19:49 Mais le Rwanda, qui est quand même
19:51 dans un régime assez autoritaire,
19:53 on peut concilier croissance économique,
19:56 développement et démocratie.
19:59 - Moi, je ne fais pas partie de ceux qui prétendent
20:04 qu'il faudrait un régime différent pour l'Afrique,
20:08 sous prétexte que ce sont des histoires particulières.
20:11 La démocratie a montré...
20:13 a fait ses preuves à peu près partout dans le monde,
20:17 parce que ce sont quand même des valeurs,
20:19 c'est la liberté, c'est l'égalité.
20:23 Donc, voilà, je pense que la démocratie
20:27 est une condition importante.
20:29 Je pense, après, qu'il y a des sujets de gouvernance
20:33 dans certains pays qu'il faut clairement régler.
20:36 - Bien sûr. - Mais je pense qu'arrive
20:39 aujourd'hui une génération de jeunes
20:42 qui ne vont pas se laisser faire,
20:45 qui vont revendiquer, qui vont...
20:47 Voilà, qui est aujourd'hui armée en termes d'éducation,
20:52 qui sont biberonnés aux images extérieures.
20:55 - Bien sûr. - Et donc beaucoup plus critiques...
20:58 - La communication. - ...envers leur régime.
21:03 Et voilà, je pense que la société...
21:05 Je crois beaucoup à la force de la société civile.
21:08 - La force de la société civile, qui, de plus en plus,
21:11 se fait entendre, finalement,
21:14 dans tous les pays africains.
21:16 Si vous voulez bien vous prêter à une espèce de questionnaire
21:20 si je vous dis, quelle est votre créatrice de mode
21:24 ou créateur de mode préféré africain ?
21:27 Il y en a plein. - Il y en a énormément.
21:29 - C'est un des domaines dans lequel l'Afrique
21:32 se rayonne un peu partout dans le monde, maintenant.
21:35 - Oui. Alors, mon créateur préféré
21:38 est un grand frère, un ami, un grand frère.
21:40 - Ah, oui ? - C'est Imane Haïssi,
21:42 dont je suis très fière,
21:44 parce qu'il est le premier créateur d'Afrique subsaharienne
21:48 à avoir intégré, il y a deux ans, maintenant,
21:51 la très prestigieuse Chambre syndicale
21:55 de la haute couture française.
21:56 Il est au calendrier des défilés haute couture.
21:59 C'est une grande fierté, parce que je l'ai vue...
22:01 C'est un ami d'adolescence, et je l'ai vue persévérer
22:05 dans cette voie qui n'était pas simple
22:08 et arriver au firmament de la haute couture française.
22:12 - Un écrivain.
22:13 Quel est l'écrivain qui...
22:17 L'écrivain africain qui a vos faveurs ?
22:19 - Beaucoup, encore. C'est très difficile de choisir,
22:22 mais je dirais Chimamanda Ngozi Adichie,
22:25 écrivaine nigériane,
22:27 qui a publié ce best-seller "Amerikana",
22:30 avec H à la fin,
22:31 et qui résume dans son oeuvre
22:35 à la fois ses problématiques identitaires des diasporas,
22:39 à la fois ce bouillonnement,
22:43 le bouillonnement de ce grand pays qui est le Nigeria...
22:46 - Quel pays le plus peuplé d'Afrique.
22:48 - Le plus peuplé d'Afrique,
22:49 avec un pays complètement schizophrène,
22:52 avec des milliardaires,
22:54 une classe...
22:56 - Classe moyenne.
22:57 - Une classe moyenne très forte, et en même temps...
23:00 - Misère, aussi.
23:01 - Encore de la misère, aussi des...
23:04 Voilà, des tiraillements liés à la religion, aussi.
23:08 - Le nord qui est musulman et le sud qui est chrétien.
23:11 - Et puis aussi le djihadisme qui sévit,
23:14 avec beaucoup à ramer.
23:15 Elle a un talent fou
23:18 pour raconter cette fresque et ce continuum, finalement,
23:22 qui...
23:23 L'Afrique n'est pas un continent à part,
23:26 l'Afrique est partout.
23:27 - Exactement.
23:28 Et ce "Amerikana", donc ce livre,
23:30 on le trouve aussi en langue française.
23:32 Il est traduit.
23:34 Alors, un plat.
23:37 - C'est un plat extrêmement raffiné.
23:40 C'est le nam gwon, c'est-à-dire gâteau de pistache.
23:44 C'est un plat de fête, des graines de courge
23:46 qu'on écrase, qui forment une terrine,
23:49 qu'on fait cuire dans des feuilles de bananier,
23:52 et qu'on peut farcir avec de la viande, du poisson,
23:56 ou, pour les plus courageux,
23:59 farci de verres de palmistes.
24:01 Quand on les achète au marché, c'est dans des bassines,
24:04 ça grouille, ça fait pas du tout envie,
24:06 mais c'est exquis, fondant et très protéiné.
24:10 - Et vous, vous le cuisinez vous-même ?
24:12 - C'est trop compliqué pour moi, le nam gwon.
24:14 Il faut une journée.
24:16 Hélas, je n'ai pas le loisir de cuisiner pendant une journée,
24:19 mais je sais cuisiner d'autres plats cameronnais,
24:21 le mafé, la sauce à jus... - Le mafé, c'est le plus connu.
24:24 - Voilà, qui est pas un Africain.
24:26 Le folang, le ndomba...
24:29 Donc j'en cuisine quelques-uns, quand même.
24:32 - Et alors, la musique ?
24:33 - Ah, la musique...
24:35 La musique, si j'étais chauvine, je dirais évidemment le makossa.
24:39 - Ouais.
24:41 - Donc, popularisé dans le monde entier
24:43 par le regretté Manu Di Bango.
24:47 - Manu Di Bango, ouais.
24:48 Il est mort il n'y a pas très longtemps, malheureusement, du Covid.
24:51 - Absolument.
24:52 Et d'ailleurs,
24:54 je raconte une anecdote,
24:57 parce qu'il s'est littéralement penché sur mon berceau.
25:00 - Ah oui ? - Parce que je suis née
25:02 au moment où Sol Makossa sort aux États-Unis
25:04 et que l'Amérique découvre,
25:07 et donc il était en tournée,
25:08 il a fait un passage dans la résidence de mes parents,
25:11 et c'était, pour vous dire, le phénomène...
25:14 Il a fait la...
25:16 Il était tête d'affiche de l'Apollo Theatre,
25:18 le célèbre théâtre de Harlem.
25:21 Et les Temptations,
25:23 un grand groupe de soul de l'époque,
25:26 étaient très jaloux,
25:27 parce qu'au départ, ils devaient faire la première partie
25:29 des Temptations, et ça s'est transformé.
25:31 - C'est lui qui était la vedette. - Qui était la vedette.
25:34 Donc voilà, évidemment, le makossa,
25:36 mais j'aime beaucoup aussi la rumba congolaise,
25:39 parce que c'est une musique très métisse,
25:41 c'est une musique qui a été inspirée de la rumba cubaine,
25:44 mais voilà, assaisonnée à la sauce congolaise,
25:48 et c'est la musique qui a accompagné les indépendances,
25:51 notamment le célèbre...
25:53 # Indépendance, cha-cha...
25:55 (Il chante.)
25:57 (Il chante.)
25:58 Voilà.
25:59 - Et il y a un grand chanteur congolais,
26:02 que j'ai vu d'ailleurs moi-même en concert,
26:05 qui s'appelle Franco.
26:06 - Évidemment. - Que vous connaissez sans doute.
26:08 Et...
26:10 Voilà, Franco. C'est Mario.
26:13 - Ah oui, Mario. - Ah oui.
26:15 Alors, Franco, malheureusement, est mort du sida
26:18 dans les années 90, au début des années 90.
26:21 C'était un magnifique...
26:24 un magnifique chanteur.
26:25 - Oui, je confirme. - Voilà.
26:29 Merci, Elisabeth Chungui.
26:30 - Merci. - Merci beaucoup.
26:32 (Il chante.)
26:34 Sous-titrage Société Radio-Canada
26:36 ...

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