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Il a traversé le siècle dernier comme un prince de la littérature et a ciselé l'actualité à travers un Bloc-notes décryptant « l'Histoire en train de se faire ».
Écrivain catholique, tel il s'éprouvait au dedans de son intimité, mais avec la liberté de publier « des livres à damner les saints », selon l'expression de Roger Martin du Grand.
Venu d'un milieu provincial, conformiste, bourgeois et nationaliste, il brilla dans le Paris des salons littéraires de l'entre-deux-guerres, fréquenta les milieux nationalistes avant d'exécrer leur puanteur xénophobe, publia un « un cahier noir » de la collaboration pétainiste, dénonça le colonialisme en « témoin du Christ » et devint le chantre d'un gaullisme d'espérance auquel il se montra d'une fidélité ardente. Son oeuvre littéraire est une mémoire vivante de sentiments et d'évènements portés par des personnages tiraillés par des passions extrêmes. À travers François Mauriac, c'est bien de l'histoire et de la mémoire d'en France dont il sera question.
S'il collectionna sa vie durant les best-sellers, les récompenses et les honneurs, un mépris aussi de l'extrême droite, il y avait chez François Mauriac une forme de rébellion intime à l'égard des siens, une pudeur charnelle qui « le brûla jusqu'à l'épuisement » selon son fils Claude et une créativité littéraire a toujours féconder entre romans, témoignages et poésie.
Nous allons découvrir cet arpenteur littéraire et politique de la France passée et contemporaine avec les invités d'Émile Malet :
- Bernard Cazeneuve, avocat, ancien Premier ministre
- Florence Delay, écrivaine de l'Académie française
- Raphael Gaillard, psychiatre, essayiste

L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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00:00 Générique
00:02 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde",
00:26 histoire et mémoire dans France,
00:30 sur les traces de François Mauriac.
00:32 Il a traversé le siècle dernier comme un prince de la littérature
00:37 et a ciselé l'actualité à travers son bloc-notes,
00:40 décryptant l'histoire en train de se faire,
00:43 celle de la France à travers lui.
00:46 Écrivain catholique tel il s'éprouvait au-dedans de son intimité,
00:50 mais avec la liberté de publier des livres à damner les saints,
00:55 selon l'expression de Roger Martin Dugar.
00:58 Venu d'un milieu provincial,
01:00 conformiste, bourgeois et nationaliste,
01:03 il brilla dans le salon littéraire de l'entre-deux-guerres,
01:07 fréquenta les milieux nationalistes
01:09 avant d'exécrer la puanteur de l'extrême droite xénophobe.
01:15 Il publia même un cahier noir de la collaboration péthéniste,
01:19 dénonça le colonialisme en témoin du Christ
01:23 et devint le chantre d'un gholisme d'espérance
01:27 auquel il se montra d'une fidélité ardente.
01:31 Son oeuvre littéraire est une mémoire vivante de sentiments
01:35 et d'événements portés par des personnages
01:38 tiraillés par des passions extrêmes.
01:41 À travers François Mauriac,
01:43 c'est bien de l'histoire et de la mémoire dans France
01:47 dont il sera question.
01:49 S'il collectionna sa vie durant les best-sellers,
01:52 les récompenses et les honneurs,
01:54 un mépris aussi de l'extrême droite,
01:56 il y avait chez François Mauriac
01:58 une forme de rébellion intime à l'égard des siens,
02:02 une pudeur charnelle qui le brûla jusqu'à l'épuisement,
02:07 selon son fils Claude Mauriac,
02:10 et une créativité littéraire a toujours fécondé
02:13 entre romans, témoignages et poésie.
02:16 Nous allons découvrir cet arpenteur littéraire et politique
02:21 de la France passée, contemporaine aussi,
02:25 avec mes invités que je vous présente.
02:27 Bernard Cazeneuve, vous êtes avocat,
02:29 ancien Premier ministre,
02:31 et vous venez de consacrer un essai à François Mauriac.
02:35 Florence Delay, vous êtes écrivaine de l'Académie française.
02:38 On dit bien écrivaine pour l'Académie française.
02:41 -Personnellement, je préfère le neutre.
02:43 -Alors, donc, écrivain de l'Académie française.
02:47 Raphaël Gaillard, vous êtes psychiatre et essayiste.
02:52 Musique rythmée
02:55 ...
03:00 Avant de parler politique, abordons le Mauriac intime,
03:04 mystérieux, scrutant l'âme humaine,
03:07 la violence et la noirceur des passions,
03:10 et dont vous dites, Bernard Cazeneuve,
03:12 dans votre livre, que vous y avez cherché le reflet
03:15 de votre propre existence.
03:18 Vous cherchez quoi ?
03:20 Un éclaireur, un maître, un guide,
03:22 ou plus simplement, êtes-vous à la recherche
03:25 d'un roman familial ?
03:26 -Je n'ai pas cherché, dans la noirceur des âmes
03:30 des personnages de Mauriac, le reflet de ma propre existence.
03:33 J'ai voulu dire que la lecture est une occasion
03:36 pour chacun, comme l'écriture, d'ailleurs,
03:39 de livrer une partie de soi-même.
03:41 A chaque fois qu'on lit un roman,
03:43 ou souvent, étant jeune, lorsque je lis un roman,
03:46 je cherchais à éprouver des sensations,
03:49 des émotions qui appartenaient
03:51 à mon intimité et à mon histoire.
03:54 Ce qui m'a frappé chez Mauriac,
03:56 c'est que la lecture du "Notre vie, père",
03:59 puis la lecture des romans qui ont suivi
04:01 m'a fait entrer immédiatement dans l'âge adulte,
04:04 alors même que je n'avais que 9 ans,
04:06 et que j'étais dans les romans d'aventure de Jules Verne
04:10 et les belles illustrations de Gustave Doré.
04:12 -Raymond Aron avait coutume de dire
04:16 qu'on apprenait beaucoup des gens illustres,
04:20 quelques fois, de qui on était très différents.
04:22 Et il apprenait beaucoup plus de Marx que de Tocqueville,
04:26 bien qu'il se sentait plus proche de Tocqueville.
04:29 Entre la famille de Mauriac et votre propre famille,
04:34 il y a quelque chose qui parle ?
04:36 -Tout est différent.
04:38 Mauriac, ce sont les grandes propriétés
04:40 de la langue gérondine,
04:42 c'est une famille installée depuis très longtemps
04:45 qui n'a jamais rencontré beaucoup de difficultés matérielles.
04:48 Je viens d'une famille totalement déracinée,
04:51 qui n'avait rien, qui a dû quitter le pays
04:54 qui était son seul patrimoine, dont le soleil.
04:56 Le ciel était le seul patrimoine, c'est-à-dire l'Algérie,
04:59 qui s'est retrouvée en 1962 en métropole,
05:03 comme on disait, sans rien, en ayant tout perdu,
05:06 puisque la seule chose qu'ils avaient en possession,
05:09 c'était les paysages, les paysages de Tipaza,
05:12 les paysages d'Oran, qui avaient tant marqué...
05:15 -Qui valent bien les paysages de Bordeaux.
05:17 -C'était leur seul patrimoine,
05:19 leur patrimoine était immatériel.
05:21 C'est une famille qui avait les convictions à l'opposé
05:24 de la famille de Mauriac,
05:26 une famille laïque, une famille militante,
05:29 ancrée à gauche, c'était le cas de mon père et de ma mère.
05:32 L'univers dans lequel j'ai vécu et été élevé
05:35 est un univers absolument différent de celui de Mauriac.
05:39 Mais en même temps, lorsque je découvre Mauriac,
05:42 ses personnages, et puis plus tard, le bloc-notes,
05:45 je vois un écrivain qui a, comme il disait lui-même,
05:49 de son écriture une pointe,
05:51 et qui, à travers l'écriture, à travers la réflexion,
05:55 à travers la construction complexe,
05:57 j'en conviens de sa personnalité,
05:59 cherche à s'affranchir en permanence
06:01 de son propre milieu, par amour de la liberté.
06:04 Lorsque celui qui critiquait
06:08 la religion espagnole de sa mère,
06:10 c'est-à-dire une conception traditionnaliste, fermée,
06:14 conservatrice du catholicisme,
06:16 s'en prend aux clergés catholiques français et espagnols
06:19 au moment de la guerre d'Espagne pour défendre les républicains,
06:23 il fait montre d'une grande liberté.
06:25 De la même manière, lorsqu'il quitte le Figaro pour l'Express
06:28 pour défendre la cause de ceux qui s'engagent
06:32 contre la colonisation,
06:34 il témoigne de la même liberté d'esprit.
06:37 Et j'ai aimé voir cette liberté s'exercer,
06:42 cet homme s'affranchir de son milieu
06:44 pour dire, sur les sujets les plus importants de son époque,
06:48 quelle était la juste position.
06:50 Je trouve qu'il y a là, pour quelqu'un qui s'intéresse à la politique,
06:54 il m'est arrivé de m'y intéresser, comme vous le savez,
06:57 il y a là quelque chose qui ressemble
06:59 à un exercice de liberté,
07:03 de libre conscience et de recherche de la vérité.
07:06 - Florence Delay, c'est habituel, comme ça,
07:08 de chercher, à travers l'itinéraire d'un écrivain,
07:13 sa propre histoire ?
07:15 - Personnellement, j'ai toujours aimé copier.
07:20 Alors, c'est ce que j'ai enseigné à mes étudiants,
07:23 que pour faire des progrès, il fallait copier
07:26 les gens qu'on admirait.
07:27 J'ai jamais copié Mauriac ni essayé.
07:30 - Si vous avez copié qui ?
07:32 - Qui j'ai copié ? - Oui.
07:34 J'ai copié Marguerite de Navarre,
07:37 qui était la sœur de François Ier,
07:39 j'ai copié Ramón Gómez de la Serna,
07:42 mais c'est pas le sujet.
07:44 Ce que j'aimerais dire tout de suite,
07:47 c'est que je pense qu'on a du mal
07:49 avec les écrivains qu'admirent vos parents.
07:53 Vous, Bernard Cazeneuve,
07:56 on n'a pas l'impression qu'ils soient des modèles de lecteurs.
08:03 Bon, de par la description que vous donnez de vos débuts.
08:10 Moi, je suis née dans une bibliothèque.
08:14 Et Mauriac était l'écrivain très cher à mon père.
08:20 D'abord...
08:21 - Je vous rappelle que votre père était Jean Delay
08:23 et qu'il était professeur de psychiatrie.
08:26 - C'est ça. Mon père était...
08:27 a été élu, comme Mauriac, à l'Académie française.
08:34 Entre parenthèses,
08:37 quand Bernard Cazeneuve évoque ses lectures d'enfants,
08:41 il rappelle qu'il a lu, par hasard,
08:44 "Notre vie, père" de Mauriac à 9 ans.
08:48 Ce qui est épouvantable quand on y pense.
08:52 Mais il croyait qu'il s'agissait de vrais vipères.
08:55 Et il avait très peur des vipères.
08:57 Et cette histoire m'a frappée.
09:00 Et j'ai fait la coïncidence avec la parution
09:03 de "Notre vie, père" de Mauriac en 1932
09:07 et son élection à l'Académie française en 1933.
09:11 - Ah oui.
09:12 - Et il a mis des vipères sur son épée.
09:16 Donc, je peux vous dire que ce livre a vraiment une histoire.
09:20 Bref, il était un ami de mon père.
09:24 Mon père l'a admiré au début.
09:26 Il a été un écrivain modèle pour mon père.
09:29 Modèle...
09:31 parce qu'il s'en prenait à la province.
09:35 Au fond, mon père était aussi un provincial.
09:38 Il était baillonné.
09:40 - C'est des provinciaux qui ont réussi à Paris.
09:42 - Voilà, c'est ça, qui sont montés,
09:44 comme on dit dans le sud-ouest,
09:46 ils sont montés à Paris.
09:48 Et là, ils ont franchi une étape.
09:52 Mais personnellement, Mauriac n'a pas beaucoup compté.
09:57 Le bloc Noste a compté.
10:02 - On va en parler, vous allez voir.
10:04 Raphaël Gaillard, à ce stade-là,
10:06 vous, c'est quelle madeleine littéraire
10:11 qui a déclenché quelque chose au départ chez vous ?
10:14 Mauriac ou quelqu'un d'autre ?
10:17 - Personnellement, ce serait probablement Belzac,
10:20 mais ce que je trouve très important,
10:25 dans ce que nous disons de Mauriac,
10:27 ce n'est peut-être pas tant Mauriac
10:29 que le Mauriac de Bernard Cazeneuve
10:32 et ce chemin de Bernard Cazeneuve vers Mauriac.
10:37 Je trouve que même dans l'écriture,
10:39 on a l'impression d'y trouver un écho à l'écriture de Mauriac.
10:43 En y trouvant l'écriture de Bernard Cazeneuve,
10:45 on y reconnaît son éloquence,
10:47 mais aussi une autre écriture,
10:49 une écriture très tenue, une très belle écriture.
10:52 Et c'est l'impression qu'en parlant de Mauriac,
10:57 dans cette belle collection, "Ma vie avec",
11:00 il s'agit de parler d'un apprentissage,
11:04 de la façon dont un enfant
11:09 construit son identité au travers de ses lectures,
11:13 y compris à l'extérieur de ses repères,
11:16 de ses repères familiaux,
11:18 et comment se tissent dans l'écriture,
11:20 telle que nous la retrouvons aujourd'hui,
11:22 l'identité d'un homme et l'identité que nous partageons ici.
11:27 -Mais justement, à ce stade-là, Bernard Cazeneuve,
11:30 est-ce que c'est pas inhabituel, aujourd'hui,
11:33 pour un homme politique,
11:35 de se présenter, j'allais dire, avec un blason littéraire ?
11:40 Je me souviens, en tant que journaliste politique,
11:43 qu'avec certains hommes politiques qui avaient de la culture,
11:47 je pense à Laurent Fabius et Alain Juppé,
11:49 ils ont même essayé de cacher un peu leur côté littéraire
11:54 pour faire peuple,
11:55 et vous, vous essayez...
11:57 Est-ce qu'il y a pas un côté un peu rétro, là,
12:00 d'apparaître, aujourd'hui,
12:02 surtout dans le climat social de la France,
12:05 avec ce blason-là ?
12:07 -Mais pourquoi est-ce que vous voulez que je me préoccupe de ces sujets ?
12:11 Pourquoi est-ce que vous voulez que je m'occupe,
12:13 lorsque j'ai quelque chose à dire ou à écrire,
12:16 pour savoir quel est l'air du temps ?
12:18 Pourquoi faudrait-il toujours,
12:19 quand on exerce une responsabilité publique,
12:22 ou quand on en a exercé une,
12:24 se poser la question de savoir si ce que l'on va faire
12:27 va plaire ou déplaire en se privant de la possibilité
12:30 d'apparaître comme on est, profondément, sincèrement ?
12:33 Je ne raisonne pas de cette manière-là.
12:35 Je fais ce que j'estime devoir faire
12:37 quand j'en ai envie, en fonction de ce que me dit ma conscience,
12:41 avec une liberté totale,
12:43 et si ensuite, les meutes des réseaux sociaux
12:46 ou les commentaires vont dans une direction
12:48 plutôt que dans une autre,
12:50 c'est l'affaire de ceux qui commencent, pas la mienne.
12:53 Je pense qu'on doit quand même,
12:55 quand on est dans la vie publique et qu'on a une parole publique,
12:58 pouvoir de temps en temps témoigner de sa liberté
13:01 et s'affranchir de ce que sont les contraintes de l'époque.
13:04 Toutes les questions que vous posez sont légitimes,
13:07 mais ce sont des questions de journalistes.
13:10 -Vous avez conscience qu'on va un peu à contre-courant
13:13 de l'esprit du temps ?
13:14 -Avez-vous vu le nombre de ceux qui déploient une énergie considérable
13:18 pour être sûrs d'être dans le courant dominant,
13:21 pour être dans la masse grégaire
13:23 de ceux qui vont toujours dans la même direction,
13:26 avec pour seule et unique obsession d'augmenter leur nombre de followers ?
13:30 C'est pas ma préoccupation.
13:32 -Il y a quelques années,
13:33 je faisais écrire Marthe Robert, la critique littéraire,
13:38 dans une revue que je dirigeais,
13:40 que je dirige toujours, qui s'appelle "Passage",
13:42 qui s'appelait "Chronique du présent obscur".
13:45 Vous auriez pu signer une chronique comme celle-là ?
13:48 Elle avait impressionné le ministère de la Culture,
13:51 en considérant qu'aujourd'hui,
13:55 tout ce qui est instantané, présent, etc.,
14:00 occupe toute la scène, et on manque de recul, en quelque sorte.
14:03 -Dis-moi, j'ai été très marqué par la lecture de cet auteur,
14:08 comme la lecture de bien d'autres auteurs,
14:10 Chekhov, Camus, Balzac.
14:14 J'aurais pu écrire d'autres livres,
14:17 et peut-être le ferai, d'ailleurs, dans les années qui viennent,
14:20 et peut-être écrirai moi-même des ouvrages littéraires
14:25 qui n'évoqueront la mémoire d'aucun de ces personnages immenses.
14:29 Mais ce que je fais, je le fais simplement en sincérité.
14:32 Et je le fais parce que, dans la période dans laquelle nous vivons,
14:36 un homme qui résiste à son époque,
14:39 qui se détache de son milieu,
14:41 qui sait que l'époque dans laquelle il vit
14:44 est une époque où on s'intéresse moins à ce que disent
14:47 ceux qui s'expriment qu'à l'endroit d'où il parle,
14:50 accepte de s'affranchir de toutes les contraintes
14:54 et les entraves de son milieu pour qu'on l'écoute enfin,
14:58 pour qu'on s'intéresse davantage à ce qu'il dit
15:00 qu'à l'endroit d'où il parle.
15:02 Et il fait pour cela bien des choses courageuses
15:06 qui le mettent en orthogonalité par rapport à son milieu.
15:10 Et je trouve ça extrêmement courageux.
15:12 On pouvait s'attendre à ce que Mauriac prie une autre position
15:15 sur l'affaire de la guerre d'Espagne.
15:17 On aurait pu imaginer qu'il aurait été davantage
15:19 dans le courant maurassien qu'adhérant au sillon de Marx en y est.
15:24 On aurait pu imaginer que...
15:26 Il peut tenir des propos beaucoup plus amènes
15:30 vis-à-vis de l'Eglise catholique et de son comportement,
15:33 notamment au moment de l'affaire Dreyfus,
15:36 alors que sa famille était totalement anti-Dreyfusard.
15:38 Mais il y a un oncle qui a inspiré le mystère Frontenac,
15:41 qui est le frère de son père, qui est un libre-penseur.
15:44 Son père, d'ailleurs, à Mauriac, était un libre-penseur.
15:46 Il n'était pas catholique.
15:48 Tous les vendredis, il avalait méticuleusement
15:50 une côtelette devant son épouse
15:52 pour bien montrer la distance qu'il avait avec la religion.
15:56 Donc c'est un homme qui, durant toute sa vie,
16:00 y compris en restant fidèle à ses convictions religieuses,
16:04 c'est-à-dire au message universel du Christ,
16:06 prend à l'égard des églises,
16:08 c'est-à-dire des institutions qui verrouillent,
16:10 qui cadenassent des observateurs autoproclamés,
16:14 dont le jugement est toujours prompt et pas toujours pertinent.
16:18 Il prend à l'égard de tous ces acteurs une liberté totale
16:21 qui témoigne d'une audace absolue.
16:23 Et c'est pour rendre hommage à cela que j'ai fait ce livre.
16:26 - Oui, alors, Raphaël Gaillard,
16:28 qu'est-ce que vous pensez de cet affranchissement ?
16:31 J'allais dire qu'à ce nevien, si on peut dire,
16:34 par rapport au temps, à l'époque, aux personnages...
16:37 - Sur l'étant présent, je ne suis pas sûr d'être compétent,
16:41 mais sur la dynamique d'un homme,
16:44 vous avez fait référence et à Mark Troubert
16:47 et au roman familial.
16:49 Elle a beaucoup écrit sur cette question du roman familial
16:52 comme à l'origine du roman,
16:55 "Origine du roman" et "Roman des origines".
16:57 Et je trouve que c'est une idée très intéressante
17:01 qui part d'une construction de la psychanalyse
17:05 selon laquelle l'enfant,
17:07 à un moment donné de son développement,
17:10 va sortir de l'horizon familial
17:14 pour définir, choisir des figures d'identification au-delà,
17:18 y compris, d'ailleurs, dans le fantasme
17:21 qu'il puisse être lui-même l'enfant d'un autre,
17:24 enfant trouvé, enfant adopté,
17:27 rejeton d'une autre famille, etc.
17:30 Et cette dynamique du roman familial
17:33 que tout enfant traverse,
17:35 elle trouve une autre nature au moment de la lecture.
17:38 C'est très intéressant.
17:39 Je ne suis pas sûr que...
17:41 Même Mark Troubert, qui était très fin,
17:43 l'ait beaucoup dit,
17:45 dans ces années clés,
17:46 c'est-à-dire dans ces années dites de la période de latence,
17:49 entre 8 et 12 ans,
17:50 on découvre la littérature
17:52 et où se dessine, par la littérature,
17:55 un intérêt qui sera marquant sur toute l'existence.
17:58 Et c'est cette fois, pas tant se penser
18:02 issu d'une autre filiation,
18:04 mais c'est réellement s'inscrire dans une autre filiation,
18:07 la filiation littéraire.
18:09 Et je trouve passionnant de voir chez tout un chacun
18:12 la façon dont la lecture, à cet âge,
18:15 comme vous le racontez, à 9 ans,
18:17 devient déterminante
18:19 sur le cadre de pensée,
18:22 et pas seulement le cadre de pensée,
18:25 mais je dirais presque la texture de la personnalité
18:29 dans tout le devenir d'une personne.
18:31 Et on le sent très bien,
18:33 c'est pour ça que je pointais que c'est votre Mauriac,
18:36 parce qu'on sent très bien comment se tissent
18:38 votre personnalité et cette lecture,
18:40 et d'autres lectures,
18:42 parce qu'on en devine beaucoup d'autres,
18:44 qui sont, je pense, le cheminement d'une personne.
18:47 Sur les temps présents, je ne saurais pas dire,
18:50 mais je pointe en psychiatre
18:52 que cette dynamique de la lecture
18:54 et la façon dont elle contribue à construire une personnalité,
18:59 y compris en dehors de ses repères,
19:02 et bien au-delà de ses repères familiaux,
19:05 elle est constitutive et extrêmement importante
19:09 pour les individus que nous sommes.
19:11 - Alors, Florent, vous, je vous en prie.
19:13 - Il y a quelque chose que je dois avouer.
19:15 Ce livre, je l'ai écrit en même temps,
19:18 c'est le mystère et le hasard des correspondances et des rencontres,
19:22 que j'ai achevé la lecture des deux tomes
19:25 sur la jeunesse d'André Gide de Jean Delay.
19:28 C'est-à-dire la construction de la personnalité d'André Gide
19:32 dans l'enfance racontée par le prédécesseur de Raphaël Gaillard
19:36 dans "Sainte-Anne",
19:38 grand psychiatre, grand érudit, homme de lettre.
19:43 Et je l'ai très frappé par les deux tomes
19:45 de la jeunesse d'André Gide,
19:47 parce que, d'abord, ça se lit comme un roman,
19:50 et ensuite, on voit très bien le processus
19:52 que vous venez de décrire très cliniquement,
19:55 presque, de construction de la personnalité
19:58 à travers les épreuves et les étapes de la jeunesse.
20:01 Et lorsque je me mets à faire ce livre sur Moria
20:05 pendant le confinement,
20:06 je viens d'achever la lecture de ces deux tomes
20:09 de la jeunesse d'André Gide de Jean Delay.
20:12 J'étais très impressionné par la somme que constitue,
20:15 l'intensité de cette somme que constituent ces deux tomes.
20:18 Et bien entendu, ça éveille en moi beaucoup de questionnements
20:22 sur ce qu'est l'enfance et la jeunesse
20:25 dans le processus de construction de chaque individu
20:27 à travers la rencontre avec la nature,
20:31 les épreuves familiales,
20:33 les drames que peuvent rencontrer les familles.
20:36 En l'occurrence, Gide perdra son père, aussi très jeune,
20:40 comme Moriac,
20:41 et toutes ces épreuves auront contribué
20:43 à façonner des personnalités...
20:45 -Mais par la case, vous évoquez André Gide.
20:47 -André Gide disait de François Moriac
20:51 que sur la question de la chair, il avait beaucoup de chaînes.
20:55 Il...
20:56 Sur cette question-là...
20:58 -Moriac disait de Gide qu'il les avait trop cassées, les chaînes,
21:01 qu'il les laissait à la religion.
21:03 Ils avaient quelques contentieux.
21:05 -Ils avaient quelques contentieux,
21:07 mais il n'y a pas cette espèce de transgression chez Moriac.
21:11 On a l'impression qu'il n'y va pas clairement.
21:15 Gide n'a pas, par exemple, hésité à...
21:18 à apparaître comme homosexuel
21:21 tout en étant un très grand écrivain.
21:23 -C'est ce que n'a pas voulu François Moriac.
21:26 Il n'a pas voulu apparaître ainsi...
21:28 Parce que le rapprochement...
21:32 entre Gide et Moriac,
21:36 c'est aussi des mères excessivement puritaines,
21:40 un milieu corseté,
21:43 qui a fait exploser Gide
21:46 et qui n'a pas fait exploser Moriac.
21:49 Parce que Moriac s'est attaché,
21:52 comme Gide, d'ailleurs,
21:55 comme Réel, avec la même passion du Réel
21:58 et de la même acuité de romancier.
22:03 Il l'a appliqué aux hommes politiques et à son analyse.
22:07 Mais...
22:08 C'est important ce que vous dites de la jeunesse,
22:12 parce que mon père pensait
22:14 que la jeunesse est la genèse d'un écrivain.
22:18 -Oui, très intéressant.
22:20 -C'est là qu'il se constitue.
22:22 Il joue, bien sûr, sur le mot "jeunesse",
22:24 "jeunesse". -Et alors ?
22:25 -Et donc, quand Raphaël Gaillard évoque le stade du miroir,
22:30 où l'enfant se dédouble enfin,
22:33 et que pour Bernard Cazeneuve,
22:37 c'est le "notre vie, père",
22:41 on est quand même très frappés.
22:43 -Alors, moi, je voudrais vous interroger à tous les trois
22:46 sur l'enfant Cazeneuve, l'enfant Delay, l'enfant Gaillard,
22:51 sur ce nœud familial.
22:53 Parce que, je veux dire, il est,
22:56 François Moriac est d'une fidélité contrariée
22:59 par rapport à sa famille,
23:01 avec quelque silence sur son histoire.
23:04 Tandis qu'un grand écrivain comme Thomas Bernard,
23:08 dans "Extinction", il considère qu'il faut
23:11 mettre de côté sa famille.
23:13 Agnès Ernaud dit qu'on écrit pour venger sa race.
23:17 Par rapport à cette question des origines,
23:21 chacun de vous, Bernard Cazeneuve,
23:23 vous pensez qu'on écrit pour venger sa race,
23:25 pour l'éteindre, pour en prolonger ?
23:29 Pourquoi, finalement ?
23:31 -Moi, je pense...
23:33 -C'est un débat important, aujourd'hui.
23:35 -Moi, j'ai une conviction...
23:38 dont je ne parviens pas à éclairer la source.
23:41 En tous les cas, le sens qu'elle révèle,
23:46 c'est que la mémoire des morts préside à l'action des vivants.
23:50 Parce que j'ai trop de relations avec des êtres
23:53 que je n'ai jamais connus,
23:55 y compris de ma propre famille,
23:58 pour ne pas me dire que Mitterrand devait avoir raison
24:01 lorsqu'il disait "croire aux forces de l'esprit".
24:05 Et donc, moi, j'écris pour que les fils ne se rompent pas,
24:09 pour que les fils d'une histoire familiale
24:12 qui vient de loin
24:13 et qui concerne beaucoup d'êtres qu'on n'a pas connus
24:17 et d'autres qui n'appartenaient pas à la famille,
24:20 au sens génétique du terme,
24:22 mais qui peuvent appartenir à la famille de pensée,
24:24 ou à la famille de connivence, que ces fils-là ne se rompent pas.
24:27 Et donc, ce qui me surprend beaucoup,
24:30 et avec l'âge qui avance de plus en plus,
24:33 c'est les connexions, les correspondances
24:36 qui peuvent se nouer à un moment ou à un autre
24:39 avec des personnages qu'on n'a jamais rencontrés,
24:42 qu'on ne rencontrera jamais,
24:44 et dont on a, par ailleurs, une connaissance intime
24:48 et très mystérieuse.
24:49 Et parfois, l'écriture permet d'essayer,
24:52 un peu malgré soi ou en dépit de soi-même,
24:55 de restituer ce que sont ces fils
24:58 et de comprendre comment ils se sont constitués, peu à peu,
25:01 malgré soi ou en dépit de soi-même.
25:03 – Oui, Florence là-dessus, parce que c'est écrire
25:06 pour faire revivre ces morts, pour retrouver des…
25:09 – Je vais revenir à votre question préalable sur l'enfance.
25:19 J'ai eu une grande chance, j'ai eu une enfance heureuse.
25:24 J'ai eu un père aimant, une mère, etc.,
25:30 qui était grand lecteur, qui avait des passions de lecture.
25:35 Et ça, d'une certaine façon,
25:38 l'immensité du paysage littéraire,
25:43 c'était… avait la grandeur de l'appartement familial.
25:49 La bibliothèque de chacun, la bibliothèque de ma mère,
25:52 la bibliothèque de mon père.
25:55 Et je pense que j'ai vécu parmi les livres comme parmi des plantes,
26:01 comme parmi un jardin.
26:03 Donc j'ai tout de suite aimé les livres,
26:08 et j'ai tout de suite souhaité faire…
26:14 d'être écrivain, mais pas écrivain pour écrire,
26:19 écrivain de… pas pour célébrer les morts, mais…
26:24 – Vous êtes le script des origines ?
26:26 – Pour célébrer, et je ne savais pas encore quoi,
26:30 célébrer mon éducation d'abord.
26:33 Et mon premier livre a été un roman d'éducation
26:36 qui s'appelait "Minuit sur les jeux",
26:38 où, grâce au bonheur qui fut le mien,
26:41 j'arrivais à me moquer de moi-même,
26:44 et à décrire l'éducation d'une jeune bourgeoise.
26:48 Et d'ailleurs le livre s'appelait "La bourgeoise surnaturelle",
26:51 mais Gallimard trouvait que ça ressemblait trop
26:54 à "Rêveuse bourgeoisie", alors on m'a obligé d'en changer.
26:58 – Raphaël Gaillard sur ce thème-là, important, "Venger sa race".
27:06 – J'ai parlé tout à l'heure de tissage par la lecture,
27:09 et Bernard Cazeneuve évoquait les fils qui ne devraient pas se rompre,
27:14 et nous sommes donc dans cette métaphore du tissage
27:17 que nous pourrions poursuivre par le métissage,
27:20 ce qui soulignera mon ambivalence quant à ce propos sur la race
27:25 et la vengeance.
27:26 Je crois que, plutôt que cette violence,
27:35 il est intéressant de voir comment peuvent s'hybrider
27:38 des univers différents, par l'écriture, si c'est l'écriture,
27:42 mais en amont de l'écriture, par la lecture.
27:44 Parce que lire, c'est déjà d'une certaine façon écrire,
27:47 c'est déjà être dans un processus d'écriture que d'être lecteur.
27:54 Et ce chemin de la lecture, ce n'est pas du tout un chemin neutre,
27:59 ce n'est pas un chemin qui laisse le lecteur de côté,
28:04 ou en regard de son livre, celui qui clôt le livre, c'est le lecteur.
28:11 Et ce chemin-là, alors effectivement,
28:14 il fait circuler des générations différentes,
28:17 il tisse des histoires différentes et il dessine une identité.
28:22 Et je trouve que ce cheminement, ces cheminements,
28:26 qui, c'est vrai, supposent un temps long,
28:28 c'est vrai, ces cheminements supposent un temps long,
28:32 sont extrêmement intéressants pour comprendre la complexité,
28:37 la richesse d'une personnalité.
28:39 Et dans mon métier de psychiatre, ce qui m'intéresse,
28:43 c'est la substance d'une personnalité,
28:46 c'est l'étoffe d'une personnalité,
28:48 c'est toute la complexité, les faux-semblants,
28:54 les clairs-obscurs, ce n'est pas la grande lumière,
28:58 ce n'est pas le blanc et le noir,
29:01 c'est quelque chose qui procède du tissage,
29:05 qui, je pense, bénéficie de cet apprentissage par la lecture.
29:10 -On parle beaucoup de Mauriac,
29:12 mais on a parlé aussi d'un certain Jean Delay.
29:15 Florence n'a pas besoin d'en parler, si je puis dire,
29:20 puisque c'est son père.
29:23 Raphaël a pris la suite,
29:25 puisqu'il est chef du pôle de psychiatrie à Sainte-Anne,
29:28 où Jean Delay a officié.
29:30 Et vous, comment avez-vous trouvé...
29:34 Qu'est-ce qui vous a amené à lire Jean Delay,
29:37 qui est d'abord un psychiatre,
29:38 même si c'était un homme de littérature ?
29:41 -Ce qui m'a amené à lire Jean Delay, c'est une insomnie, en réalité.
29:45 Un soir, où j'étais totalement...
29:49 dans la possibilité de m'endormir,
29:51 je suis allé sur le site de l'Institut national de l'audiovisuel
29:55 pour regarder une émission littéraire.
29:57 Je vois un personnage apparaître dans cette émission,
30:01 qui raconte la jeunesse d'André Gilles.
30:05 Je suis très impressionné par la qualité de langue,
30:08 le niveau de précision du propos
30:11 et le sentiment de... Comment dirais-je ?
30:14 De classe intellectuelle qui se dégage du personnage.
30:17 Je vais sur le site de l'INA pour essayer de trouver d'autres vidéos.
30:20 Et là, je trouve une longue interview
30:24 faite par un diplomate
30:26 qui avait de l'intérêt pour la littérature,
30:30 monsieur de Boisdeffre, de Jean Delay.
30:32 Et je vois une conversation se nouer
30:35 entre l'intervieweur et l'écrivain,
30:39 où l'écrivain, avec énormément d'humilité,
30:43 de gentillesse, parce qu'il y a une très grande gentillesse
30:46 qui se dégage de la personnalité de Jean Delay,
30:48 une profonde altérité, je dirais, pour être plus précis,
30:52 qui corrige à la marge l'intervieweur
30:55 lorsque, sur une date, il se trompe,
30:57 sur un événement, il est insuffisamment précis.
31:00 Et je suis fasciné par ce personnage,
31:03 qui est à la fois une encyclopédie vivante,
31:07 un amoureux des lettres,
31:09 un extraordinaire conteur.
31:12 Et donc, je me plonge dans ses écrits
31:15 pour essayer de comprendre qui il est.
31:17 Et à mesure que j'avance dans la découverte du personnage,
31:21 la fascination augmente.
31:23 Pour moi, c'est l'un des grands personnages du siècle dernier,
31:29 un intellectuel complet
31:32 qui a touché à plusieurs disciplines
31:34 et les a maîtrisées toutes,
31:37 qui a été aussi un homme dans son siècle,
31:40 puisque je crois qu'il a rencontré beaucoup d'acteurs
31:44 du Paris de l'époque,
31:45 et il les a connus, il les a aimés, il les a fréquentés,
31:48 et sans doute les a-t-il aussi jugés,
31:51 mais avec ce caractère que j'ai décrit,
31:54 qui était plein de bienveillance.
31:56 Et puis, alors, ce que je ressens chez lui aussi
32:00 et qui m'intéresse beaucoup,
32:02 c'est l'extrême solitude des exigences dans le travail.
32:07 On ne peut pas produire une telle oeuvre dans une vie
32:10 sans avoir consacré toute sa vie au travail.
32:13 Et donc, c'est le contraire
32:16 d'un affabulateur, d'un prestidigitateur.
32:19 C'est un homme d'une rigueur intellectuelle,
32:23 d'une rigueur au travail absolue.
32:24 Donc, j'ai énormément d'admiration pour Jean Delay.
32:27 Je suis extrêmement ému de faire cette émission avec Florence.
32:32 - On rougit ou on rossit d'émotion
32:35 quand on entend ça, Florence Delay ?
32:37 - J'étais au courant
32:40 de la façon dont Bernard Cazeneuve est tombé amoureux de mon père.
32:44 J'étais au courant.
32:47 Et ce que je voulais dire, c'était...
32:49 Quelle merveille d'entendre les voix,
32:52 de pouvoir avoir ce bonheur, dans le siècle où on est,
32:57 de découvrir par une voix une oeuvre.
33:00 Mais les livres fermés n'ont pas de voix.
33:04 Dès qu'on les ouvre, ils ont une voix.
33:06 Donc, il joue ce rôle aussi.
33:09 Vous entendez Corneille quand même, quand vous le lisez.
33:14 Mais on ne saura jamais quelle est la voix de Corneille.
33:17 Mais on l'entend, ce n'est pas du tout la voix de Racine.
33:20 Et c'est merveilleux de voir aussi dans la bibliothèque,
33:26 finalement, un orchestre.
33:30 L'existence de tant de voix
33:36 dont nous allons aimer certaines,
33:38 même chérir,
33:41 et dont nous allons détester d'autres.
33:44 Et c'est très agréable de détester aussi.
33:49 Et de se prononcer de façon un peu violente.
33:54 Et je crois que cette violence n'est pas étrangère
33:57 à aucun de nous trois.
33:59 Bien dissimulée, parfois.
34:01 Moi, je suis d'une extrême courtoisie, en apparence.
34:04 -Oui. Un mot là-dessus, Raphaël Gaillard,
34:08 sur la mémoire de Delay ?
34:12 -Moi, je suis toujours ému d'entendre parler de Jean Delay,
34:15 qui est une figure tutélaire pour moi-même
34:20 et mes collaborateurs à Sainte-Anne,
34:22 qui lui a animé les travaux de l'équipe
34:27 dont j'ai la responsabilité.
34:29 Mais avec cette exigence, dans tous les domaines que vous évoquez,
34:32 même sur l'invention, puisque Jean Delay était
34:36 un des pionniers, sinon le pionnier de la psychopharmacologie,
34:40 avec l'invention du premier neuroleptique,
34:43 la chlorpromazine,
34:44 qui a changé le visage de ce qui était l'asile
34:49 et qui est devenu l'hôpital psychiatrique.
34:51 C'est devenu non un lieu d'enfermement,
34:53 mais un lieu de soins.
34:54 C'est quelque chose qui a vraiment changé
34:57 la vie de millions de personnes
34:59 et l'organisation des soins au travers du monde entier.
35:04 Il disait à son collaborateur, Pierre Deniker,
35:08 "C'est une trouvaille, il faut aller plus loin."
35:11 C'est la même exigence,
35:12 la même exigence qui l'amenait à considérer
35:16 qu'il fallait aller au-delà de cette trouvaille.
35:20 Je trouve que cette exigence,
35:22 dans le champ de la psychopharmacologie
35:25 ou dans la culture que vous évoquez,
35:27 quant à la littérature,
35:29 c'est quelque chose, évidemment, d'inspirant pour la psychiatrie.
35:34 -Je voudrais vous rappeler cette citation de François Mauriac.
35:48 "Ce sang des communistes, des nationaux,
35:51 "des chrétiens, des juifs,
35:53 "nous a tous baptisés du même baptême,
35:56 "dont le général de Gaulle demeure au milieu de nous
36:00 "le symbole vivant."
36:02 C'est quasiment une déclaration d'amour.
36:07 De quoi est le nom, cette passion gaulliste ?
36:10 Et pourquoi,
36:13 si je voudrais vous poser cette question à vous tous,
36:15 pourquoi sommes-nous si loin aujourd'hui
36:18 avec cette société fragmentée, populiste, narcissique, etc. ?
36:23 Bernard Cazeneuve.
36:26 -D'abord, dans la citation que vous venez d'évoquer,
36:29 on comprend ce qui rattache Mauriac au catholicisme.
36:34 C'est moins les institutions et les églises
36:36 que le message universel du Christ.
36:39 C'est cela que porte cette citation.
36:41 Et d'ailleurs, si Mauriac prendra les positions
36:44 qu'il prendra à l'égard de son milieu ou des églises,
36:46 c'est précisément parce que c'est pour lui
36:49 le message universel du Christ qu'il faut retenir
36:52 de l'adhésion à la chrétienté, au catholicisme.
36:56 Son gaullisme, il n'est pas ce que l'on croit.
36:59 Le gaullisme de Mauriac n'est pas une inconditionnalité
37:02 au général de Gaulle.
37:03 Il a rencontré très peu le général de Gaulle.
37:06 Et à chaque fois qu'il l'a rencontré, ça ne s'est pas bien passé.
37:09 Il le rencontre pour la première fois au moment de la libération.
37:13 Il est reçu avec son fils, je crois, à rue Saint-Dominique.
37:16 Le général de Gaulle ne lui parle que des postes vacants
37:19 à l'Académie française.
37:20 Lui est dans la mythification du héros de la France libre.
37:24 Il s'attend à évoquer avec lui la grandeur de la France,
37:28 les projets politiques de celui qu'il a libérés,
37:31 mais non, le général de Gaulle compte le nombre de sièges vacants.
37:34 L'Académie interroge Mauriac sur le fait de savoir
37:37 si on va pouvoir faire élire tel siège,
37:39 telle personnalité ou telle autre.
37:42 Mauriac est très déçu,
37:43 il a l'impression de rencontrer un homme politique.
37:46 Deuxième rencontre, il va voir le général de Gaulle
37:48 pour essayer de sauver Brasillac de la peine capitale.
37:52 Il est contre la peine de mort comme chrétien.
37:55 Il considère que Brasillac,
37:57 qu'il l'a détesté, insulté, injurié,
38:00 est un auteur et que la peine de mort est une monstruosité.
38:06 Il va chez le général de Gaulle essayer de sauver Brasillac.
38:09 Il se l'entretient avec le général de Gaulle
38:11 en disant "J'ai rencontré un cormorant".
38:14 Le général de Gaulle n'a rien laissé apparaître.
38:17 Le général de Gaulle fait le RPF,
38:20 Mauriac s'agace sur le thème
38:23 "Je pensais à ce grand héros de la France libre",
38:27 voilà qu'il se met à faire des partis
38:29 comme les politiciens de la Quatrième.
38:31 Il ne le dit pas comme ça, mais c'est ce que ça signifie.
38:34 Mauriac n'a pas eu du tout la relation d'inconditionnalité
38:38 qu'on décrit au général.
38:39 Il a une admiration littéraire et politique
38:44 pour le personnage.
38:46 Cette admiration, elle résulte en grande partie
38:49 du regard féroce qu'il porte sur la médiocrité
38:53 des personnages de la Quatrième République.
38:56 Joseph Lagnel, présenté comme un personnage
39:00 dans lequel il y a du lingot,
39:02 bidot, accroché, gris, duquet d'orcet.
39:05 Donc il y a trois personnages sous la Quatrième République
39:08 qui plaisent à Mitterrand.
39:09 De Gaulle, hors concours pour des raisons historiques.
39:12 Mendès-France, qui est l'homme de la décolonisation et du courage
39:16 et que Mauriac va soutenir à l'express
39:19 avec beaucoup de force.
39:21 Et Mitterrand, parce qu'il y voit un personnage
39:24 totalement romanesque.
39:25 Il y a vraisemblablement, chez Mitterrand comme chez Mauriac,
39:29 le même environnement de douze collines,
39:33 de fleuves qui coulent,
39:35 de bourgeoisie attachée au catholicisme.
39:37 Et surtout, il y a chez Mauriac
39:40 le passage au 104 de la rue de Vaugirard.
39:43 Il a connu au 104 de la rue de Vaugirard
39:45 Robert Laurin, l'oncle de François Mitterrand,
39:48 qui est mort subitement à l'âge de 18 ans
39:50 à l'infirmerie du lycée Henri IV.
39:54 Mauriac en a été frappé.
39:56 Il comprend que Mitterrand est allé lui aussi au 104,
39:59 qu'il est le neveu de Robert Laurin.
40:01 Il donne à Mitterrand une personnalité romanesque.
40:05 Il n'a pas aimé la manière dont s'est comporté Mitterrand
40:08 au moment de l'affaire des fuites,
40:10 car Mauriac n'était pas de ces dénonciateurs...
40:13 -Quand Mitterrand ne soutenait pas le général de Gaulle,
40:17 il était rossé quasiment par l'écriture du bloc-notes.
40:21 -Oui, mais... D'accord, mais...
40:24 Mauriac a pu avoir avec Mitterrand des désaccords,
40:28 il a pu les exprimer.
40:30 Mitterrand a été un peu vachard aussi avec Mauriac
40:33 lorsqu'il reprend la formule de Claudel
40:36 évoquant Mauriac et le qualifiant
40:38 du meilleur de nos écrivains régionalistes,
40:41 ce qui n'était pas, chez François Mitterrand, un compliment,
40:45 mais les deux hommes se respectaient et s'estimaient.
40:49 Et Mauriac voit en Mitterrand, en De Gaulle et en Mandès,
40:53 pour des raisons différentes,
40:55 des personnalités éminentes de la IVe République,
40:58 parce qu'elles sont intrinsèquement éminentes
41:01 et parce que tous les autres sont médiocres.
41:03 Mauriac l'a bien identifié
41:05 et avec la pointe qui caractérise son écriture dans le bloc-notes,
41:09 il admistre une ordonnance à chacun de ceux
41:12 dont il considère qu'ils ne sont pas à la hauteur de la situation.
41:16 -Alors, cette passion gaulliste,
41:18 qu'est-ce qu'elle vous inspire, Raphaël Gaillard ?
41:22 -Nous parlions de filiation,
41:24 on a beaucoup parlé de filiation,
41:26 celle que nous nous imaginons,
41:28 nous pouvons nous construire,
41:31 la filiation bien réelle de Florence Delay,
41:34 et puis apparaît une autre figure
41:37 à laquelle se rattacher en filiation,
41:40 De Gaulle.
41:41 Et je crois qu'il est toujours question de la même chose,
41:45 c'est-à-dire de définir des jalons
41:48 qui donnent une forme de temps long
41:54 ou en tout cas de perspectives
41:56 qui ne sont pas les sous-bresseaux de l'histoire.
41:59 -Et vous indiquez
42:02 que Mauriac pouvait,
42:05 par un moment, rosser, dites-vous, Mitterrand.
42:09 Quant à De Gaulle,
42:12 il y a une sorte de fidélité,
42:15 de constance dans le lien
42:19 qui procède, je crois,
42:21 de cette idée qu'il y a des choses qui ne varient pas,
42:27 qu'il y a des choses qui tiennent.
42:29 Vous posez la question des temps qui courent.
42:32 Comment fonctionner aujourd'hui
42:34 sans ce type de figure tutélaire,
42:36 sans ce type de temps long,
42:38 sans cette possibilité d'inscrire ?
42:41 -Et même sans cette unité nationale
42:43 prônée par Mauriac.
42:45 -Mais on ne sait pas ce qui est la cause et la conséquence.
42:49 -Oui, mais on a l'impression
42:50 qu'aujourd'hui, les choses sont ébréchées de tous les côtés.
42:54 Ou pire encore, qu'est attendu un homme providentiel
42:59 et que cet homme providentiel rassemblerait
43:02 autour d'un repli plutôt que de l'histoire
43:06 qui pourrait nous réunir.
43:07 Qu'est-ce que vous pensez, Florence Delisle de Sardes ?
43:10 -Aujourd'hui,
43:12 c'est profil bas, effectivement.
43:16 C'est profil bas.
43:17 Mais je crois qu'il ne faut pas se cantonner là.
43:20 Parce que...
43:22 On finira par répéter tout le temps la même chose,
43:25 à savoir qu'on traverse une période sinistre.
43:28 Bon. Mais la lumière existe tous les jours.
43:32 Il est possible que tout ça se relève.
43:35 Bon, je voudrais dire deux choses.
43:38 Un, que...
43:41 Si De Gaulle est un modèle,
43:43 c'est parce qu'il a du courage.
43:46 Bon. Il a eu du courage dans une période...
43:49 Bon, et le courage, Mauriac admire.
43:52 Bon. Il ne faut pas oublier,
43:55 chez Mauriac,
43:58 la charité.
44:00 D'ailleurs, Cazeneuve insiste là-dessus.
44:04 Justice et charité.
44:06 On pourrait dire "oui, mais alors pourquoi il est si méchant ?"
44:09 Il est méchant par justice
44:12 et au nom de la vérité.
44:15 Et je trouve formidable
44:17 qu'un écrivain, un homme,
44:19 qui a commencé vraiment à droite,
44:23 se reverse vers les idées dites de gauche,
44:27 à cause... à cause de quoi ?
44:30 Eh bien, ce qui a été vraiment vital pour lui,
44:34 c'est l'attitude médiocre, lamentable
44:39 du clergé espagnol.
44:41 Quand il a vu comment se conduisait l'Église en Espagne
44:45 par rapport aux Républicains,
44:48 son cœur s'est révolté.
44:51 Et c'est formidable,
44:52 parce que là est le vrai chrétien dont on parlait.
44:57 Bon, maintenant, pour aujourd'hui,
45:01 redressons-nous tous.
45:04 Commençons par nous-mêmes.
45:06 - Oui, mais alors là-dessus, Bernard Cazeneuve,
45:09 on est sur un point essentiel.
45:11 Et d'ailleurs, dans votre livre, vous le dites,
45:14 il ne s'est trompé sur presque rien.
45:17 Or, aujourd'hui, si vous prenez les grands écrivains,
45:21 les grands médecins, les grands ingénieurs,
45:23 les grands architectes, etc.,
45:25 c'est des prises de positions successives,
45:28 et il n'y a pas, si je puis dire,
45:30 cette liberté,
45:34 à quoi c'est dû ? À la médiocrité de la politique.
45:37 Et est-ce que vous pensez que vous pouvez y remédier
45:42 avec ce que vous souhaitez incarner aujourd'hui pour la nation ?
45:46 - Non, mais d'abord, moi, je ne pense pas du tout
45:48 que nous soyons sans écrivains, sans intellectuels,
45:53 sans médecins... - On n'a pas dit qu'on avait...
45:55 - Non, mais qui portent même des... - Comment dire ?
45:58 - Qui portent des idées courageuses, qui les manifestent,
46:01 qui les matérialisent et pour lesquelles ils se mobilisent.
46:04 Le problème est moins parmi les intellectuels
46:08 que parmi les politiques.
46:10 Et un peu aussi la classe médiatique.
46:13 Si vous voulez, quand les choses vont mal,
46:17 quand vous vivez une période d'affaissement des institutions,
46:20 de sens des repères, du sens de l'Etat
46:23 et du sens de la nation,
46:25 trouver dans le pays le ressort du sursaut
46:29 ou du redressement, il faut que ceux qui portent
46:32 une parole publique aient d'abord une conviction à une seule,
46:36 qu'avait le général de Gaulle,
46:38 et qu'avaient aussi des personnalités
46:40 comme Pierre Amandès-France.
46:42 C'est l'idée que la France est plus grande qu'eux.
46:45 Ils ont été animés tout au long de leur vie
46:50 par une idée simple,
46:51 c'était que la France était infiniment plus grande
46:54 qu'ils ne l'étaient eux-mêmes,
46:56 et que dès lors qu'ils décidaient de la servir,
46:59 ils ne pouvaient la servir que dans la plus grande abnégation.
47:02 Donc ça donne le départ du général de Gaulle
47:05 avec son aide de camp, sans sa famille, à Londres,
47:09 sans savoir ce dont ce main sera fait,
47:12 et sans savoir si cet acte, d'ailleurs, pour lui,
47:15 ne signifie pas jusqu'à la renonciation
47:17 de pouvoir continuer à vivre libre.
47:21 Mais il pose cet acte
47:23 parce qu'il pense à un moment donné
47:25 que la France est plus grande que lui
47:28 et que se mettre au service de ce pays,
47:31 alors même qu'il a une certaine idée de lui-même,
47:33 implique la plus grande abnégation,
47:35 et non pas la recherche d'une position,
47:39 d'un avantage, d'une lumière,
47:42 d'une gratification, d'un honneur,
47:44 mais la recherche de l'accomplissement du devoir,
47:48 parce qu'il n'y a pas d'autre choix que d'accomplir son devoir.
47:51 C'est ce que fait Pierre Mendès France
47:53 lorsqu'il décide de partir quelques semaines
47:56 en se fixant lui-même devant la représentation nationale,
47:59 l'obligation de revenir en France
48:01 après avoir réglé le problème de l'Indochine.
48:04 C'est ce que le général de Gaulle
48:07 se fixe pour agenda à lui-même
48:09 lorsqu'il décide d'engager la France sur le chemin,
48:12 enfin, la résistance et la France-Ypes,
48:15 sur le chemin de la résistance à tout prix,
48:19 en prenant tous les risques, à l'occupant.
48:21 Donc, pour moi, la solution,
48:23 elle est dans la capacité de chacun d'entre nous,
48:26 quel que soit son destin,
48:28 de se convaincre que la France est plus grande que lui
48:31 et d'y consacrer la part d'énergie qu'il peut y consacrer
48:35 pour faire en sorte que la France continue.
48:38 Général de Gaulle avait une très belle formule
48:41 qui devrait faire réfléchir tous ceux qui, parfois,
48:43 se laissent aller à la facilité de l'ostracisation
48:46 de l'autre ou de la xénophobie.
48:48 De Gaulle disait "et français celui qui veut que la France continue".
48:52 Et français, celui qui veut que la France continue.
48:55 Et donc, tous ceux qui veulent que la France continue
48:58 avec ses travers, son histoire,
49:00 sa capacité d'épopée,
49:02 et qui sont convaincus qu'il faut que la France continue
49:05 parce qu'elle est plus grande que nos vies
49:08 et que chacune et chacun d'entre nous
49:10 doivent consacrer l'énergie qui doit l'être
49:14 à son redressement.
49:15 - Comment vous ressentez ça, Raphaël Gaillard ?
49:18 La France est plus grande ?
49:19 Est-ce que le matin, avant de vous raser,
49:21 vous vous dites "la France est plus grande que moi" ?
49:24 Est-ce que vous pensez qu'il y a quelque chose qui vient...
49:27 - Tendancieux. - Oui ?
49:29 - C'est tendancieux, comme question.
49:31 - Oui, mais il faut bien poser des questions.
49:34 - Que telle tendancieuse fût-elle ?
49:36 - Je trouve que...
49:39 Je trouve que ça élargit la perspective.
49:41 Dans les mots que vous utilisez, Bernard Cazeneuve,
49:44 il est question de ce qui est plus grand que nous,
49:47 en l'occurrence la France,
49:49 et donc d'un destin collectif,
49:52 mais il est aussi question de la façon dont il s'écrit,
49:55 dont il peut continuer, et vous dites "épopée".
49:59 Je crois que la trame est toujours la même, en fait.
50:02 La trame est celle de l'écriture, la lecture à l'écriture.
50:05 Et cette continuité-là,
50:07 cette foi, vous l'exprimez,
50:11 non à l'échelle individuelle,
50:13 celle qui vous a forgé de jeunes lecteurs
50:16 et de l'homme Bernard Cazeneuve que vous êtes devenu,
50:20 mais de cette nation,
50:23 en tout cas de cette communauté
50:25 qui vit d'histoire
50:29 et qui a tout avantage à pouvoir en raconter
50:33 et pouvoir en écrire d'autres.
50:34 Je pense que c'est très important
50:36 de pouvoir penser les choses au-delà de l'homme providentiel.
50:40 C'est aussi intéressant que nous ne parlions pas que de De Gaulle,
50:43 mais aussi de Mendes France,
50:45 trop souvent éclipsé, y compris dans notre échange.
50:49 Je pense qu'au-delà de l'homme providentiel,
50:53 au-delà de la figure tutélaire, celle-ci, pour la nation, le De Gaulle,
50:57 il est question de cette écriture commune
51:00 qui définit une trajectoire, une histoire,
51:04 et qui est une histoire dynamique,
51:07 qui doit continuer, pour reprendre le mot de De Gaulle,
51:11 et à laquelle nous nous employons donc,
51:13 et pas seulement, avant de se raser, chacun.
51:16 -Bernard Cazeneuve,
51:19 j'ai envie de vous poser une question
51:21 que tout le monde se pose et s'interroge,
51:25 puisque le climat est un peu fiévreux en France aujourd'hui,
51:30 la politique est très décriée,
51:32 nous avons vécu une très longue crise sociale, etc.
51:37 Finalement, qu'est-ce que vous apportez
51:39 et qu'est-ce que vous pouvez apporter
51:43 à cette France dont vous venez de parler
51:48 et à laquelle vous voulez restituer à la fois une grandeur,
51:52 une noblesse, une solidarité, etc. ?
51:55 -Mais effet, moi, je suis un 65 millionnième de la France.
52:01 -Mais pas que ça, vous avez une carrière politique...
52:04 -Certainement, mais si l'on veut partager l'idée
52:09 avec le plus grand nombre de nos concitoyens
52:11 que la France est plus grande que chacun d'entre nous,
52:15 il faut commencer à restituer le sens de l'action collective,
52:18 puisque la politique est devenue un exercice narcissisant,
52:22 individualiste, et qui consiste,
52:24 pour ceux qui s'y livrent trop souvent,
52:26 à construire un parcours pour eux-mêmes
52:29 sans se préoccuper de ce qu'est le sens de la nation.
52:34 Donc, si on veut être utile aujourd'hui,
52:37 il faut contribuer par l'élaboration d'un projet,
52:40 par l'organisation d'une force politique,
52:43 par le retour du sens de l'action collective,
52:45 il faut contribuer à donner une perspective au pays.
52:48 Le premier sujet, c'est celui des valeurs et des principes,
52:52 et notamment des valeurs et des principes républicains.
52:56 Lorsque je vois qu'il y a des forces politiques
52:59 qui expliquent que les institutions de la République
53:03 sont tournées contre les citoyens,
53:05 et qui essaient d'engendrer au coeur du pays
53:08 un sentiment de relégation et de colère
53:12 à l'égard des institutions de la République,
53:15 c'est la police tue,
53:16 ce sont ces propos qui sont diffusés
53:20 à l'encontre de ceux qui représentent les institutions
53:23 et qui sont systématiquement présentés
53:25 comme étant les artisans d'un complot
53:28 ou d'une hostilité à l'égard de leur propre peuple,
53:31 je me dis qu'on est loin des principes républicains,
53:34 de la promesse républicaine,
53:35 d'institutions qui sont là pour lutter
53:38 contre la discrimination, contre la relégation,
53:41 contre toutes les formes d'injustice.
53:45 La laïcité n'est pas un principe que l'on négocie,
53:48 l'altérité n'est pas un sujet sur lequel on tergiverse,
53:54 et le respect de l'autre en politique
53:56 qui ne pense pas comme soi
53:57 devrait être une exigence absolue portée par chacun
54:01 plutôt que de convoquer systématiquement
54:03 l'excommunication, l'insulte, l'injure,
54:06 en créant les conditions d'une mise sous tension du pays.
54:09 C'est le premier point. Le deuxième point,
54:12 c'est qu'il faut réconcilier la justice sociale
54:14 avec l'efficacité économique.
54:16 Le troisième défi, c'est le défi écologique.
54:19 Nous, nous sommes battus, beaucoup d'entre nous,
54:22 pour que la vie soit meilleure.
54:23 Mes enfants se battent pour que la vie soit possible.
54:26 Ils ont 25, 26 ans, c'est ça, leur combat.
54:29 Comme ils se battent pour que la vie soit possible,
54:32 il leur arrive d'être en adhésion
54:35 avec les thèses les plus radicales.
54:37 Si on ne donne pas un débouché politique à la radicalité,
54:40 nous aurons l'extrémisme.
54:42 Le quatrième grand sujet, c'est le multilatéralisme,
54:45 l'Europe et la paix.
54:46 Dans le multilatéralisme, l'Europe et la paix,
54:49 il y a l'universalisme,
54:50 il y a la défense des langues qui portent l'universalité,
54:54 il y a tous ces grands sujets qui sont des sujets
54:57 qui envoient à l'histoire, à la grandeur,
54:59 aux valeurs, à l'âme et...
55:01 Et...
55:03 Et à la culture des peuples.
55:05 - Il y a beaucoup de choses à dire. - Merci, Bernard Cazeneuve,
55:08 merci, Florence Delay, merci, Raphaël Gaillard.
55:12 Alors, je voudrais rappeler une brève bibliographie,
55:17 de Jean-Luc Barré,
55:19 une biographie intime de Jean Lacouture.
55:22 C'est des classiques à laquelle, à ces classiques,
55:25 s'ajoute le dernier ouvrage de Bernard Cazeneuve,
55:29 "Ma vie avec Mauriac".
55:31 Florence Delay, je rappelle
55:34 que vous avez écrit "Il n'y a pas de cheval sur le chemin d'Amas".
55:37 C'était votre dernier livre, je crois, ou je suis en retard ?
55:40 - Avant-dernier. - Et le dernier, c'est ?
55:43 - "Zig Zag". - Voilà.
55:45 Donc, "Zig Zag".
55:47 Raphaël Gaillard, nous avons déjà eu l'occasion de parler
55:50 de "Le coup de hache dans la tête",
55:53 que vous avez publié également chez Gallimard.
55:56 Je voudrais encore vous renouveler mes remerciements
55:59 pour cette émission extrêmement intéressante,
56:02 à laquelle, j'espère, nous aurons l'occasion
56:06 aussi d'apporter des prolongements.
56:08 Je voudrais remercier l'équipe de LCP.
56:10 Avant de nous quitter, je vous laisse avec cette citation
56:15 concernant Mauriac.
56:19 "Il avait su rester un nob libre.
56:21 "Il savait prendre parti avec fracas.
56:23 "C'est curieux, un catholique qui avait le sens de l'humour.
56:27 "D'après vous, c'est de qui ?"
56:29 - Ecoutez, c'est un acteur célèbre,
56:31 puisqu'on vous dit qu'on fait parler les morts,
56:34 Michel Cibou.
56:36 ...

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