Ces idées qui gouvernent le monde - La déconfiture du Maghreb

  • l’année dernière
Précisons que nous nous tiendrons à la fraction territoriale la plus connue de nous Français, à savoir de trois pays : Algérie, Maroc et Tunisie, cette Afrique du Nord jadis colonisée par la France. Nous nous intéresserons moins à l'histoire coloniale de ces pays, diverse dans sa forme que diversement ressentie, qu'au présent de ces trois pays restés proches de la France par des populations mêlées, des échanges économiques et culturels, des relations politiques non dénuées de tension et une commune appréhension sécuritaire face au terrorisme. Au-delà de ce voisinage, nous chercherons à mettre l'accent sur la situation économique et politique de ce Maghreb arabe. Qu'il s'agisse des difficultés économiques et sociales qui se sont aggravées avec la crise du Covid, de l'instabilité politique, suite à ce qu'on a appelé les printemps arabes qui se sont traduits par la contestation des jeunes générations, de la poussée islamiste entrainant une régression de la condition des femmes et d'autres discriminations, du terrorisme à l'enseigne d'Al Qaïda et d'autres officines djihadistes. Mais aussi des difficultés de ces trois pays à coopérer entre eux, aucune intégration économique les regroupant, de leurs rivalités régionales à incarner un leadership auprès de l'Afrique comme de l'Europe, de leurs conflits territoriaux à propos du Sahara occidental. Bref, de leur désunion, et même il faut bien le dire, de la déconfiture socio-économique, politique et stratégique de cette région.

Émile Malet reçoit :
Rachid Temal, sénateur PS du Val d'Oise, président du groupe d'amitié France-Algérie
Pierre Lellouche, ancien ministre, expert international
Hakim el Karoui, politologue, consultant
Jean Dufourcq, contre-amiral, chercheur

L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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Transcript
00:00 Générique
00:02 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:27 la déconfiture du Maghreb.
00:30 Précisons que nous nous tiendrons à la fraction territoriale
00:34 la plus connue de nous Français,
00:36 à savoir de trois pays.
00:38 Algérie, Maroc et Tunisie,
00:41 cette Afrique du Nord,
00:43 jadis colonisée par la France.
00:45 Nous nous intéresserons moins
00:48 à l'histoire coloniale de ces pays,
00:51 diverses dans sa forme,
00:53 que diversement ressenties,
00:55 qu'au présent de ces trois pays,
00:57 restés proches de la France
00:59 par des populations mêlées,
01:01 des échanges économiques et culturels,
01:04 des relations politiques non dénuées de tensions
01:07 et une commune appréhension sécuritaire
01:11 vis-à-vis du terrorisme.
01:14 Au-delà de ce voisinage,
01:16 nous chercherons à mettre l'accent
01:18 sur la situation économique et politique
01:21 de ce Maghreb arabe.
01:23 Qu'il s'agisse des difficultés économiques et sociales
01:27 qui se sont aggravées avec la crise du Covid,
01:30 de l'instabilité politique,
01:32 suite à ce qu'on a appelé les "printemps arabes",
01:35 qui se sont traduits par la contestation
01:38 des jeunes générations,
01:40 de la poussée islamiste entraînant une régression
01:43 de la condition des femmes et d'autres discriminations,
01:46 du terrorisme à la scène d'Al-Qaïda
01:49 et d'autres officines djihadistes.
01:52 Mais aussi des difficultés de ces trois pays
01:56 à coopérer entre eux.
01:58 Aucune intégration économique les regroupant.
02:02 De leur rivalité régionale
02:03 à incarner le leadership auprès de l'Afrique
02:07 comme de l'Europe.
02:08 De leurs conflits territoriaux
02:11 à propos du Sahara occidental.
02:13 Bref, de leur désunion,
02:16 et même, il faut bien le dire,
02:17 de la déconfiture socio-économique,
02:21 politique et stratégique de cette région.
02:24 Nous allons chercher à comprendre ce malaise arabe
02:27 avec mes invités que je vous présente.
02:30 Rachid Temal, vous êtes sénateur PS,
02:34 c'est-à-dire Parti socialiste du Val-d'Oise,
02:36 mais vous présidez également le groupe d'amitié
02:40 France-Algérie au Sénat.
02:42 Jean Dufourque, vous êtes contre-amiral
02:45 et vous êtes chercheur.
02:47 Vous avez été rédacteur en chef
02:49 de la revue de Défense nationale.
02:52 Hakim El Karoui, vous êtes politologue
02:54 et aujourd'hui consultant et également essayiste.
02:58 Et Pierre Lelouch,
03:00 vous avez été ministre, député,
03:03 et vous êtes consultant sur les relations internationales.
03:07 Alors, la question qui se pose,
03:16 c'est qu'il y a eu ce qu'on a appelé
03:19 le Chirac en Algérie en 2019.
03:22 Le premier printemps arabe
03:25 s'est situé en Tunisie en 2011.
03:29 Le Maroc a pactisé
03:32 avec le parti islamique
03:34 pour former un gouvernement.
03:36 De tous ces changements,
03:38 de toutes ces révolutions,
03:40 selon le proverbe français,
03:42 on pourrait dire que tout change
03:44 pour qu'à la fin, rien ne change.
03:46 Quel est votre avis, Rachid Temal ?
03:48 -Vous parlez de trois situations
03:50 qui ont des vraies différences.
03:52 J'ai envie de dire que pour la Tunisie,
03:54 ça a bien commencé, mais ça termine pire qu'avant.
03:57 L'évolution du régime actuel,
04:00 que ce soit sur les institutions, sur la pratique,
04:03 est assez compliquée.
04:04 Sur l'Algérie, c'est vrai qu'on a le sentiment
04:07 que tout est fait pour qu'on revienne à la case départ.
04:10 Sur le Maroc, il y a quand même
04:14 une capacité à se régénérer, je trouve, démocratiquement,
04:18 qui est un peu plus loin.
04:19 Ces trois situations sont assez différentes,
04:21 mais qui ont un point commun.
04:23 C'est la difficulté à la fois des sociétés assez figées
04:26 face à un pouvoir qui, quand même, bloque les choses.
04:29 On voit bien que ces trois pays-là ont du mal
04:32 à concevoir ce qu'est le XXIe siècle,
04:35 notamment l'évolution de leur population
04:37 comme société libre.
04:38 Il y a beaucoup de points communs,
04:40 beaucoup de différences.
04:42 Voilà ce que je peux dire sur cette comparaison.
04:45 -Pierre Lelouch, qu'en pensez-vous ?
04:48 -Bah, moi, je pense que...
04:50 -Globalement ?
04:51 -Vous aviez raison dans votre question.
04:53 Vous aviez raison. Plus ça change, plus c'est la même chose.
04:57 Le régime marocain s'est maintenu
05:00 en cooptant, dans un premier temps,
05:03 la mouvance islamiste,
05:05 et puis, là, en quelque sorte, en s'y met,
05:07 puisqu'ils ne sont plus au gouvernement.
05:09 Le roi est toujours là, solidement.
05:11 Et le pays, ma foi, se développe,
05:14 et se développe plutôt bien en Afrique.
05:17 La situation en Algérie est absolument inchangée.
05:20 C'est-à-dire que les mêmes sont toujours au pouvoir.
05:23 Un mélange de militaires et d'appareils sécuritaires
05:26 qui se maintiennent au pouvoir
05:29 et qui vit, comme l'a dit d'ailleurs à juste titre
05:32 le président de la République,
05:34 dans des crises permanentes avec l'ancien colonisateur,
05:38 exploitant une rente mémorielle
05:42 qui ne s'épuise jamais.
05:43 Voilà, donc ils sont solidement au pouvoir.
05:46 Et les Tunisiens sont revenus
05:48 à un régime ultra-autoritaire,
05:50 sans parlement,
05:53 une dimension ouvertement raciste
05:54 à l'encontre des populations subsahariennes
05:57 qu'il est en train de nous exporter en France.
05:59 Donc c'est assez cataclysmique pour la Tunisie,
06:02 qui est extrêmement pauvre et qui est en crise très profonde.
06:05 C'est...
06:06 un état normal,
06:10 dictatorial, autoritaire,
06:13 dans une gabegie économique considérable en Algérie.
06:16 Le pays qui s'en sort le mieux,
06:19 c'est le Maroc, qui a surmonté tout ça.
06:21 La France réussit le prodige de se discuter avec tout le monde
06:26 et pour la première fois,
06:27 de se discuter en même temps avec l'Algérie et le Maroc,
06:30 ce qui est quand même sans précédent dans l'histoire.
06:32 D'habitude, on avait tantôt un problème d'individus...
06:35 -On va rentrer dans le détail, Pierre Lelouch,
06:37 mais d'abord, Hakim El Kharoui,
06:39 on a entendu ce qui est dit sur les trois pays,
06:44 et notamment la Tunisie, c'est votre avis.
06:46 -Ah oui, la Tunisie invente...
06:50 La Tunisie est dans l'accélération du temps.
06:53 Ils sont arrivés à la démocratie avec un petit peu de retard,
06:56 y compris par rapport à leur situation sociale, éducative,
07:00 parce que la Tunisie est très éduquée depuis très longtemps.
07:03 Et puis, il y a eu 10 ans de démocratie
07:05 avec un vice original, qui était la Constitution.
07:08 Les Tunisiens ont fait une Constitution en 2013
07:11 que le monde entier a applaudie,
07:12 c'était une Constitution pour les Norvégiens,
07:15 fondée sur du consensus.
07:16 Parce qu'ils voulaient...
07:18 Il y a eu une alliance entre la gauche et les islamistes
07:21 pour que personne n'ait le pouvoir.
07:23 Le pouvoir a été réparti partout,
07:25 et du coup, le pouvoir a été exercé par personne.
07:27 Sauf que les partis se sont mis d'accord
07:30 pour se répartir les postes.
07:31 Le résultat, c'est qu'ils n'ont pris aucune décision,
07:34 que les espoirs nés de la Révolution,
07:37 du printemps arabe, etc.,
07:38 ont très, très vite été déçus.
07:42 Et puis, il y a eu un glissement
07:44 vers un système de plus en plus autoritaire
07:46 avec l'appui des jeunes.
07:48 C'est ça qui est extraordinaire,
07:50 c'est que les soutiens du président actuel
07:52 se sont d'abord des jeunes.
07:54 Il a fait campagne, pas pour dire qu'il allait mieux gérer
07:57 la Tunisie, mais pour débarrasser-la des voleurs.
08:00 Aujourd'hui, c'est, de son point de vue,
08:02 ce qu'il fait. Il a installé une Constitution
08:05 ouvertement dictatoriale,
08:06 avec un blanc-seing des Européens,
08:08 pas des Américains, mais des Européens,
08:11 et il est en train de détruire tous les corps intermédiaires,
08:14 les partis, les élus.
08:15 On pensait que c'était impossible
08:17 de faire tomber les islamistes, c'est fait.
08:19 Il a changé la Constitution,
08:21 on pensait que c'était impossible, il l'a fait.
08:24 Il a supprimé toute liberté de la presse,
08:26 il commence à s'en prendre aux hommes d'affaires.
08:29 La suivante sur la liste, c'est la France.
08:31 -Oui. Jean Dufourc, là,
08:33 vous venez d'entendre ce constat.
08:35 Quel est le vôtre,
08:37 en tant que, j'allais dire,
08:40 expert stratégique ?
08:41 -Moi, je ne partagerais pas la totalité
08:44 de ce qui vient d'être dit,
08:45 dans la mesure où je pense qu'il y a quelque chose
08:48 qui a beaucoup changé, c'est la jeunesse.
08:51 Je pense que l'intervention de la jeunesse
08:53 dans le cours politique, tel qu'elle s'est présentée
08:56 en Tunisie et en Algérie,
08:58 montre qu'une force se crée,
09:00 qu'elle s'exprime,
09:02 qu'elle a un certain degré d'intervention
09:04 qui reste pacifique.
09:06 Je pense que tout change pour qu'il y en ait.
09:09 Je pense qu'il se passe quelque chose.
09:11 Je me pose la question de chercheurs.
09:13 Est-ce qu'il n'y a pas, aujourd'hui,
09:15 la naissance d'une espèce de conscience
09:17 d'une jeunesse maghrébine qui dépasse les frontières
09:20 et les nationalismes ?
09:22 -Justement, Jean, je voulais vous interroger
09:25 sur ce point précis.
09:26 Ces pays maghrébins restent des pays jeunes,
09:31 avec des jeunesses qui sont à la fois en révolte
09:35 et, pour nombre d'entre eux,
09:37 acculés au chômage, notamment les diplômés
09:40 qui cherchent à émigrer.
09:42 Ils sont éloignés du pouvoir
09:45 et le pouvoir semble les ignorer.
09:48 Comment vous expliquez ce décalage ?
09:50 Même s'il y a un réveil de la jeunesse,
09:52 mais cette jeunesse n'est pas intégrée.
09:54 Elle est une force vive.
09:56 -Je pense qu'elle est une force vive.
09:58 Je pense qu'elle a, avec une certaine sagesse,
10:00 cherché à établir son autorité autrement
10:03 que par le rapport de force directe.
10:05 Je pense qu'il y a là une façon intéressante
10:08 de regarder l'évolution d'une société
10:10 qui est de plus en plus différenciée
10:13 entre les générations.
10:15 Les générations qui montent,
10:17 qui sont aussi majoritaires dans ces trois pays,
10:19 ont une façon d'exprimer leurs préoccupations,
10:23 leurs rêves, leur esprit de décision qui est nouvelle.
10:27 Nous devrions être plus attentifs.
10:29 Nous pensons toujours aux jeux politiques.
10:32 Nous sommes des experts de ce qui se passe à Alger
10:35 et au Maroc.
10:36 Les rapports de force entre les courants politiques,
10:39 mais sait-on bien ce qu'il y a dans la tête des jeunes ?
10:42 Je pense qu'aujourd'hui, le chercheur...
10:44 Je suis en contact par mes anciens étudiants.
10:47 J'enseignais beaucoup en France à des Français
10:49 qui avaient des origines maghrébines
10:51 et qui restent très connectés à leur pays d'origine
10:54 et qui nous disent des choses nouvelles.
10:57 -On va rentrer là-dedans.
10:58 Je voudrais avoir votre avis à tous, d'ailleurs,
11:01 en fait, tous les quatre.
11:03 Jean Dufour vient de s'exprimer,
11:06 mais Pierre Lelouch,
11:07 le fait qu'il y ait des pays jeunes
11:10 et des démocraties en Europe
11:13 qui sont, j'allais dire, vieillies par leur population,
11:17 est-ce que ce décalage-là
11:20 est stratégiquement important ?
11:22 -Il est tout à fait fondamental,
11:26 dans la mesure où, moi,
11:29 je ne partage pas l'optimisme de l'amiral Dufour,
11:32 malheureusement, j'aimerais croire
11:34 qu'il y ait une solution locale pour cette jeunesse
11:38 qui attend d'avoir un avenir, ce qui est normal.
11:41 Un pays comme l'Algérie, 30 % de la population,
11:44 à moins de 15 ans, les trois quarts de la population
11:47 n'ont jamais connu la guerre d'Algérie,
11:49 c'est la même chose dans les autres pays du Maghreb.
11:53 Ce que je constate, c'est que...
11:55 Je vais peut-être dire un gros mot,
11:57 c'est que je sens, dans ma population,
11:59 que ces gouvernements sont assez contents, en fait,
12:02 de se débarrasser de leur jeunesse
12:04 en l'exportant vers la France.
12:06 En ce moment, c'est particulièrement significatif
12:09 de la Tunisie, malheureusement.
12:11 On en est à près de 1 000 personnes par jour
12:15 qui prennent la mer vers l'Italie,
12:19 qui arrive en Italie, il y en a d'autres, malheureusement,
12:22 qui meurent. Là-dedans, il y a aussi des gens
12:25 du Côte d'Ivoire, notamment, mais beaucoup de jeunes Tunisiens.
12:28 Les migrations algériennes, marocaines,
12:31 vers l'Europe et la France en particulier,
12:33 continuent à plein régime.
12:36 C'est un vrai sujet.
12:38 Nous, en France, l'an dernier,
12:40 on a reçu quelque chose comme 350 000 premiers visas
12:44 de séjour et 150 000 demandes d'asile.
12:49 À terme, ça va profondément menacer
12:54 la cohésion de notre pays, il faut le savoir.
12:57 La France est en train de plonger le peuple
12:59 sous l'impact de cette immigration.
13:01 Je crains, malheureusement, que la solution de facilité
13:04 pour ces régimes qui essayent de se maintenir en place,
13:07 c'est de se débarrasser d'une jeunesse
13:10 qui ne peut pas éduquer correctement
13:12 et qui peut encore moins employer.
13:14 On est dans un cercle complètement vicieux.
13:17 -Oui, Pierre Lelouch, je voudrais avoir l'avis
13:19 sur ce point-là de Rachid Temal
13:23 et d'Hakim El Karoui.
13:24 Cette dissociation, j'allais dire,
13:27 entre le Maghreb et les démocraties
13:29 vient à travers ce décalage démographique
13:33 et ce qui vient d'être dit sur ces jeunes
13:36 qui quittent leur pays.
13:38 Rachid Temal.
13:39 -Il y a plusieurs questions, plusieurs sujets.
13:42 D'abord, dire à Pierre Lelouch
13:44 que la France ne change pas de peuple ou de peuplement.
13:47 Il ne faut pas dire cela et il faut faire attention.
13:50 Ensuite, on sait très bien que l'Europe
13:53 est globalement une pyramide des âges vieillissante
13:56 et que le continent africain,
13:57 notamment, a une pyramide d'âge plutôt jeune.
14:00 C'est un fait et c'est pallié.
14:02 Après, quand vous êtes jeune en Algérie,
14:04 pour un peu les connaître,
14:06 en fait, il y a deux...
14:08 Pour faire simple, il y a à peu près deux façons.
14:11 Il y a ceux qui essayent, dans le système actuel,
14:13 beaucoup font du commerce en Algérie,
14:16 donc essayent de vivre en Algérie
14:18 et beaucoup essayent de quitter l'Algérie.
14:20 C'est vrai qu'on a, aujourd'hui,
14:22 notamment sur les côtes espagnoles,
14:24 beaucoup d'Algériens qui essayent de fuir
14:27 parce qu'ils se disent que dans leur propre pays,
14:30 il n'y a pas d'horizon.
14:31 Ils ont parfois fait des études,
14:33 mais sans perspective économique, sans perspective...
14:36 La question qu'on dit depuis des années sur l'Algérie,
14:39 la crise du logement, c'est toujours une réalité.
14:42 D'emploi, c'est toujours une réalité.
14:45 -Vous dites que c'est une défaite politique.
14:47 -Pour qui ? -Pour l'Algérie.
14:50 Que ces jeunes quittent le pays. -Oui, il y en a qui restent.
14:54 Mais parce que le pouvoir, aujourd'hui,
14:56 ne donne aucune perspective à sa jeunesse,
14:59 comme l'était le précédent au gouvernement.
15:02 -Vous êtes en désaccord avec ce que vient de dire Pierre Lelouch ?
15:05 -Non, je disais qu'avec Pierre Lelouch,
15:07 c'est un point désaccord majeur.
15:09 Pierre Lelouch dit qu'il évoquait l'arrivée de populations de Tunisie,
15:14 notamment, et que la France, sous cette pression-là,
15:17 a changé de peuple.
15:18 Il y a une théorie derrière cela, et je crois que c'est faux.
15:22 -Vous dites ça, Pierre Lelouch, sur ce point précis ?
15:25 -Mon excellent ancien collègue,
15:27 au collègue Rachid Temal,
15:29 peut affirmer ce qu'il veut autant qu'il le veut,
15:34 mais ça change pas les choses.
15:36 Nous sommes, encore une fois,
15:38 dans une trajectoire migratoire en France
15:40 qui est profondément en train de changer la nature
15:43 du peuple français.
15:45 Quand vous regardez les statistiques,
15:47 c'est pas celle de M. Zemmour, c'est celle de l'INSEE.
15:50 Vous regardez les statistiques de l'INSEE,
15:52 elles vous disent que 40 % des enfants en France,
15:57 entre 0 et 4 ans, sont d'origine immigrée.
16:01 40 %. Il suffit d'aller à la sortie d'une école
16:04 ou d'un lycée en France pour voir à quel point
16:06 cette population a changé. C'est pas une histoire.
16:09 Regardez les statistiques démographiques.
16:11 -Mais Pierre Lelouch... -Moi, je suis en train de vous...
16:15 -Je vous connais, Pierre Lelouch.
16:17 Je vous ai pas attendu pour aller voir les écoles
16:19 et comment ça se passait.
16:21 -Je vous... -Ecoutez...
16:23 -Non, mais... -Oui, alors écoutez.
16:24 Pierre, laissez...
16:26 -C'est quand même regrettable.
16:28 Non, je veux dire, juste regrettable
16:30 que sur un sujet aussi important, aussi tangible,
16:33 on puisse pas avoir un dialogue calme.
16:35 -On va l'avoir. -Il est très calme.
16:38 Je vous dis que nous sommes en désaccord.
16:40 Vous m'avez dit, Pierre Lelouch,
16:42 que j'avais un point de désaccord avec vous.
16:44 Je suis très calme.
16:46 -Mais soyons en désaccord avec l'INSEE, pas avec moi.
16:49 -Mais en fait, aujourd'hui, je ne sais pas...
16:51 Non, ces gens-là que vous évoquez là
16:54 sont des Français.
16:55 Ils sont Français.
16:56 Voilà, donc je crois qu'on a cette point de...
16:59 -Attendez, je vais vous donner la parole.
17:01 Pierre, laissez-moi donner la parole d'abord à Kim El-Karoui
17:05 et vous l'aurez à nouveau.
17:06 Sur ce point-là, et en plus, les statistiques,
17:09 ça vous connaît.
17:11 -Oui, moi, je crois pas.
17:12 Ceux qui disent que la France change de peuple,
17:15 c'est la théorie du grand remplacement,
17:17 c'est pas celle d'Éric Zemmour, c'est celle de...
17:20 Comment il s'appelle ? C'est écrivain médiocre.
17:23 -Ouais, je... -En fait, c'est faux.
17:25 Pourquoi c'est faux ?
17:26 C'est pas qu'une question de statistiques migratoires.
17:29 Ceux qui disent ça, et je vous rejoins,
17:32 et pardon, Pierre Lelouch, je suis en désaccord avec vous,
17:35 ils oublient que la France s'est fabriquée des Français,
17:38 je viens de faire un rapport sur le sujet,
17:41 "Nouveaux Français", il est à l'Institut Montaigne,
17:44 il sortira ailleurs, j'ai un désaccord avec l'Institut Montaigne.
17:47 Il est intitulé "Succès silencieux, échec criant".
17:52 Pourquoi ? Parce qu'on ne voit pas ce qui fonctionne.
17:55 Pourquoi ? Parce que ça fonctionne.
17:57 Parce qu'il y a pas la différence visible,
18:00 l'échec, la recherche identitaire
18:02 qui fait qu'il y a une opposition
18:04 avec le reste de la population nationale.
18:07 Donc, on voit pas la majorité des succès,
18:09 on voit la minorité des échecs.
18:11 Et la force de la France,
18:12 c'est qu'elle est un pays d'immigration
18:15 depuis 150 ans, depuis 1850,
18:16 depuis qu'on a des statistiques.
18:18 Aujourd'hui, les chiffres, c'est quoi ?
18:20 C'est à peu près 9-10 % des Français
18:22 qui sont de confession musulmane,
18:24 c'est-à-dire qui viennent du Maghreb,
18:26 d'Afrique subsaharienne musulmane, et qui viennent de Turquie.
18:30 Sur les naissances, on a 18 % des naissances aujourd'hui
18:33 qu'on peut qualifier qui viennent du monde arabe.
18:36 Bon, pas 40 %, 18 %.
18:39 L'immigration, aujourd'hui, est régulière.
18:41 40 % vient d'Afrique.
18:42 Maghreb, Afrique subsaharienne, 40 %,
18:45 donc pas 90 %, 40 %.
18:48 Et dans la dynamique de l'immigration,
18:50 ce qu'on voit, c'est qu'en 10, 20, 30, 40 ans,
18:53 on fabrique des nouveaux Français.
18:55 Et heureusement qu'on a l'immigration.
18:57 Aujourd'hui, on se plaint de quoi ?
18:59 On se plaint qu'il y a personne pour faire des travaux peu qualifiés.
19:03 Les entrepreneurs, les entreprises, les ETI,
19:05 tout le monde dit qu'on a besoin de main-d'oeuvre.
19:08 Elle vient d'où, cette main-d'oeuvre ?
19:10 Elle vient de la dynamique migratoire française,
19:13 qui, contrairement à l'allemande, est régulière depuis les années 50,
19:17 avec une baisse à partir de 1995
19:19 et une reprise sous Nicolas Sarkozy.
19:21 Quand la droite dit qu'elle va lutter contre l'immigration,
19:24 il faut dire quelque chose,
19:26 c'est qu'elle n'y arrive pas plus que la gauche.
19:29 Le sujet, c'est qu'il faut, un, assumer
19:31 qu'on a besoin d'immigrés,
19:33 deux, que l'histoire de la France, de sa population,
19:36 est faite d'immigrations,
19:37 et que, trois, et c'est le plus important,
19:40 le sujet dont on ne parle jamais,
19:41 c'est qu'on n'a aucune politique pour réussir l'accueil
19:45 et l'intégration des immigrés, et surtout de leurs enfants.
19:48 -On va rentrer dans le détail.
19:50 Un mot, Pierre Lelouch, et on passe à notre sujet.
19:53 Vous vouliez réagir.
19:55 -Oui, d'abord, je notais que l'émission est intitulée
19:59 "La déconfiture du Maghreb",
20:01 mais on a immédiatement parlé de l'immigration en France,
20:04 ce qui montre à quel point l'échec des uns
20:07 cause un énorme problème à la France de l'autre,
20:10 et moi, je ne suis pas dans la version rose
20:13 décrite par M. El-Karawit,
20:15 dont je connais les travaux, que je respecte,
20:18 mais malheureusement, la situation est autre.
20:21 D'abord, je voudrais lui rappeler
20:23 que la France n'est pas un pays d'immigration.
20:26 Elle l'est depuis la Première Guerre mondiale,
20:29 après les lois MIRAN, notamment,
20:31 qui ont résulté du désastre humain
20:33 qui a été causé par les premières grandes lois
20:35 sur l'immigration,
20:37 qui ont suivi la Première Guerre mondiale.
20:39 L'immigration, à l'époque,
20:41 était essentiellement d'origine européenne chrétienne.
20:45 C'était des Italiens, c'était des Espagnols,
20:48 des gens de l'Europe Ouest.
20:49 Ce qui a complètement changé, c'est l'arrivée.
20:52 -A la fin du XIXe siècle, contre des Italiens
20:54 que les Provençaux, la Provence étant une région
20:57 déchristianisée depuis longtemps,
20:59 on a dit qu'ils étaient trop chrétiens.
21:01 Donc non, c'est trop simple.
21:03 -Si je peux continuer, ce qui a radicalement changé,
21:06 c'est que dix ans après la décolonisation,
21:09 on a vu arriver des vaincus successifs
21:11 venant d'Afrique du Nord.
21:12 -C'est pas "on a vu arriver",
21:14 on a été chercher pour reconstruire la France.
21:17 -D'abord, pour sauver la France pendant la guerre.
21:20 -Et ensuite, pour la reconstruire.
21:22 -Non, la France n'est pas un pays d'immigration depuis toujours.
21:25 Certainement pas.
21:27 Ce qui est vrai, c'est qu'après la Première Guerre mondiale,
21:29 après la perte de 5 millions de jeunes Français
21:32 au cours du conflit, il a fallu repeupler le pays
21:35 et la loi Miran a fait qu'on a fait venir
21:37 des populations qui venaient essentiellement
21:40 de pays européens, chrétiens, d'Italie, d'Espagne,
21:43 d'Europe centrale.
21:45 C'est la vérité incontestable.
21:48 Ce qui s'est passé ensuite, après la décolonisation,
21:51 et je rappelle que le général de Gaulle est parti d'Algérie
21:54 précisément à cause de ce facteur démographique
21:56 et la crainte de voir des vagues migratoires,
21:59 et quand on a fait la page de cette histoire vers l'Algérie,
22:02 on a vu arriver des vagues migratoires,
22:04 avec la bénédiction du patronat français à l'époque,
22:07 qui faisait venir des dizaines, d'abord,
22:11 des gens sans leur famille,
22:13 puis après le regroupement familial en 1976,
22:15 on est passé à une immigration de masse et de peuplement
22:19 qui a profondément changé la structure urbaine
22:21 et nationale du pays. C'est une réalité.
22:24 -On vous a entendu.
22:25 Rachid Temma, juste une réaction,
22:27 parce qu'on va passer à autre chose.
22:29 -J'ai aussi beaucoup de respect pour le ministre Lelouch.
22:32 La vérité, c'est que ce qu'il dit et qu'il assène, c'est faux.
22:36 La France, dans ses frontières et dans son peuple,
22:39 c'est une terre d'immigration, et ça, il peut dire ce qu'il veut.
22:42 Je vais aller assez vite.
22:44 M. Lelouch, dans les rangs lisés, entre l'entre-deux-guerres,
22:47 ce qui a été écrit, notamment, sur les Polonais
22:50 ou sur les Italiens, il y avait des endroits
22:53 où c'était interdit, aux Chiens, aux Polonais et aux Italiens.
22:57 Ils étaient chrétiens, comme quoi la réécriture est intéressante.
23:00 Ensuite, vous évoquez une autre immigration.
23:03 Je vous donne des exemples précis.
23:05 Ils ne sont pas venus après l'écausation.
23:07 Ils sont venus pendant la guerre pour sauver la France,
23:10 puis pour reconstruire la France.
23:12 C'est ce qu'il s'est passé.
23:14 Et je vous le dis, oui, il y a des millions de Français,
23:17 je crois qu'il y a des études,
23:19 il y a des millions de Français qui ont des origines étrangères,
23:22 qui sont des parfaits Français.
23:24 - 30 %. - Combien ?
23:26 - 30 %. - 30 % sont des parfaits Français.
23:28 Je vous donne un exemple concret.
23:30 Je suis le premier de ma famille à être né français et être français.
23:34 C'est pas très compliqué.
23:35 On est des Français, et la France, c'est ça aussi,
23:38 sa richesse, sa beauté, de savoir faire de tous ces individus-là
23:42 des Français et un peuple comme nous.
23:44 - Il peut y avoir un désaccord dans une émission.
23:47 ...
23:54 - Alors, Jean Dufour, il y a une question
23:57 que je voudrais vous poser, qui a été invoquée
23:59 de manière subliminaire à travers les différents propos.
24:03 Selon Pierre Nora, l'histoire rassemble,
24:07 mais la mémoire divise et sépare.
24:10 On semble le confondre à propos du Maghreb,
24:15 parce que l'Algérie, le Maroc et la Tunisie
24:19 sont à la fois une affaire diplomatique
24:22 et une affaire intérieure.
24:24 Est-ce que cet entre-deux, cet emmêlement,
24:27 est-ce qu'il vous paraît permettre
24:30 de voir les véritables problèmes qui se posent en France
24:34 ou dans les pays du Maghreb,
24:37 ou est-ce que tout ça s'emmêle ?
24:39 - C'est une question tout à fait intéressante
24:41 que le chercheur a envie d'analyser rapidement,
24:45 mais je pense que peut-être qu'il y a au départ
24:47 une idée fausse, l'idée que les trois pays du Maghreb
24:50 auraient eu des trajectoires comparables.
24:53 Chacun a sa propre histoire.
24:55 Si on parle de la Tunisie,
24:56 elle a une histoire assez différente des deux autres pays,
25:00 et qui compose le Maghreb.
25:01 Donc chacun vient avec sa propre histoire,
25:04 ses rêves, ses frustrations, son passé,
25:07 ses gloires et ses difficultés.
25:09 Je pense que si l'on part de cela,
25:11 eh bien, on comprend assez bien que, j'allais dire,
25:14 l'histoire peut un peu diviser
25:16 et peut aussi renvoyer à chacun une image différente.
25:19 La relation entre la France et chacun des trois pays du Maghreb
25:23 a eu sa propre trajectoire,
25:25 et cette trajectoire est plus ou moins ancienne.
25:27 Et donc, ce qui apparaît, j'allais dire, aujourd'hui,
25:31 c'est que les miroirs que l'on renvoie
25:33 sont différents, et je crois que c'est l'idée de Maghreb
25:36 qu'il faudrait interroger derrière la question que vous posez.
25:40 L'idée de Maghreb est plus moderne, plus récente,
25:43 mais pas encore sociologique.
25:45 Il faudrait pour cela que naisse ce que moi, je crois,
25:48 percevoir et que d'autres n'ont pas perçu,
25:50 mais il y a une conscience de la jeunesse maghrébine
25:53 qui est en train de se créer, avec un langage,
25:56 avec une vision qui n'est pas du tout tournée vers le passé.
25:59 -Je reviens sur ma question, Rachid Temal.
26:02 Question intérieure, question extérieure,
26:05 emmêlement des choses, on a l'impression que tout ça se mêle.
26:09 -Je vais vous parler de l'Algérie.
26:11 Je suis d'accord avec vous, c'est des choses différentes.
26:14 Sur l'Algérie, c'est à la fois une question intérieure
26:18 et une question extérieure.
26:19 D'abord, parce que c'était trois départements.
26:22 Et deuxième chose, si on se déchose tranquillement,
26:25 personne n'a soldé la question de la guerre d'Algérie
26:29 dans notre pays.
26:30 Si je prends les formations politiques,
26:32 je vais commencer par ma famille, la gauche.
26:35 La gauche est celle qui a permis les pouvoirs spéciaux
26:39 de se défendre, donc elle n'a jamais voulu échanger,
26:42 discuter, regarder en face son histoire.
26:44 La droite, c'est celle qui, le 13 mai 1958,
26:47 rappelle de Gaulle en espérant conserver l'Algérie,
26:50 je vous ai compris, et c'est celui qui fera l'indépendance.
26:54 Donc aucune déformation politique dans notre pays,
26:57 en tout cas les majeures, n'ont évoqué cela.
26:59 D'ailleurs, à tel point, quand vous évoquez la question
27:03 avec les Français d'Algérie, ils ont débarqué,
27:06 ils ont dit "Ne regardez pas, on est en août,
27:08 "passez votre chemin".
27:10 Les Harkis, pareil.
27:11 Je suis d'accord avec la phrase de M. Nora,
27:14 mais en disant que les mémoires, elles sont surtout
27:17 d'abord complémentaires.
27:18 Il faut aller dans cette notion-là.
27:20 Il y a une complémentarité des histoires
27:23 en fonction de qui vous êtes, de votre parcours familial.
27:26 Pour en terminer, je suis très heureux
27:29 que les deux, j'étais, moi, Alger,
27:31 avec le président Macron et la Première ministre,
27:34 puissent faire ce travail sur l'ensemble de la période
27:37 de la mémoire, 1830-1962,
27:39 avec les six ou cinq historiens de part et d'autre.
27:42 Il faut faire ce travail d'histoire.
27:45 Ca permettrait de dire qu'il y a une histoire commune
27:48 qui est douloureuse, heureuse,
27:50 et il y a ce qui est à l'avenir.
27:52 Aujourd'hui, c'est vrai, quand on prend les deux pays,
27:55 ils ont des problèmes assez similaires
27:57 sur la question sécuritaire, la sécurité alimentaire
28:01 ou énergétique.
28:02 Ils pourraient mieux se parler entre la France et l'Algérie.
28:05 -L'Algérie, mais côté Maroc-Tunisie,
28:08 c'est moins en mêlée, si on peut dire.
28:11 Qu'en pensez-vous, Akim El-Karoui ?
28:14 Les pays restent dans une indépendance
28:17 et d'esprit et de politique.
28:19 On a moins le sentiment que les choses sont mêlées ?
28:24 -Bah... Non, je dirais pas ça.
28:26 C'est très imbriqué.
28:28 Après, il y a un usage politique
28:30 qui n'est pas exactement le même qu'en Algérie.
28:33 Les régimes ont moins besoin de l'opposition française
28:37 pour exister, parce qu'ils sont pas nés seulement
28:40 dans l'opposition ou la guerre avec la France.
28:43 Mais la présence française est très forte.
28:45 Ce qui est intéressant avec le Maghreb,
28:48 c'est la région du monde avec laquelle la France
28:51 n'est pas une relation de politique étrangère.
28:53 Il y a une histoire commune extraordinaire,
28:56 très complexe, parce qu'il y a des populations communes
28:59 de plus de 100 000 Franco-Algériens en Algérie,
29:02 et il y a 4, 5, 6 millions de descendants de Maghrébins
29:05 au sens large, y compris les Juifs d'Algérie,
29:08 y compris les appelés du contingent,
29:10 les Harkis, évidemment, etc., en France.
29:13 Donc, on est dans une zone qui est intéressante,
29:15 parce qu'elle invente quelque chose
29:17 quand on a des populations en commun,
29:20 une histoire en commun, une langue en commun,
29:22 même si le français se perd au Maghreb.
29:25 Il y a un objet politique spécifique qui se crée.
29:28 D'où cette omniprésence de la France
29:30 du point de vue du Sud,
29:32 et d'où aussi, probablement, la difficulté pour la France
29:35 d'inventer une politique soit maghrébine,
29:38 soit avec les pays du Maghreb.
29:40 La France gère d'abord l'héritage.
29:42 L'héritage, c'est l'histoire.
29:44 L'héritage, c'est une présence avec du capital,
29:47 avec un appareil diplomatique extraordinairement important,
29:50 c'est le plus important du monde, avec l'Allemagne et les Etats-Unis.
29:54 Elle gère les crises.
29:56 Elle n'a pas de projet politique.
29:58 Quand on regarde ce qui se passe en Tunisie,
30:00 le président tunisien a compris une chose,
30:03 que les Européens, leur seule politique avec le Maghreb,
30:06 c'est la lutte contre l'immigration clandestine.
30:08 Il leur dit qu'il va lutter avec eux,
30:11 et en échange, ils vont se donner de l'argent
30:13 et qu'ils vont se foutre la paix.
30:15 Ca veut dire qu'il y a tellement plus de projets politiques
30:19 que l'inquiétude de Pierre Lelouch, très émourienne,
30:22 c'est ça qui fait la politique de la France au Maghreb.
30:26 C'est pour ça que ça marche pas.
30:27 Il faut un projet politique à l'échelle,
30:30 au niveau de notre engagement politique avec le Maghreb,
30:33 qui est une imbrication politique.
30:35 -Sur cette question, Pierre Lelouch,
30:37 l'imbrication affaire intérieure, affaire extérieure,
30:40 qu'est-ce que vous en pensez ?
30:42 -Je pense que...
30:45 Je pense que là, je rejoins Rachid Temal.
30:47 Il y a une vraie différence entre l'Algérie et les deux autres.
30:51 L'Algérie, c'était trois départements français.
30:54 C'est en tout cas des deux côtés très importants,
30:56 surtout du côté algérien.
30:58 Dans les deux autres cas, la Tunisie,
31:00 qui était un protectorat,
31:01 et le Maroc, qui a toujours été un royaume,
31:04 il y a deux histoires différentes,
31:06 et peut-être un éloignement plus grand par rapport à la France
31:09 et moins d'exploitation de cette histoire.
31:12 Les Marocains sont très patriotes, très nationalistes.
31:15 Mais généralement, je considère que ce mélange des genres
31:19 que cultive d'ailleurs, à mon sens, à tort le président de la République,
31:23 ne rend service à personne.
31:25 La majorité de la population dans les pays du Maghreb
31:28 n'était pas là pendant la développement.
31:30 -On va poursuivre avec vous, Jean Dufourc.
31:34 Il y a un problème de sécurité,
31:36 il y a un problème de terrorisme.
31:39 Ce terrorisme est en Afrique, il est aussi en Tunisie.
31:43 Pourquoi on n'arrive pas à se mettre d'accord
31:45 sur une politique de sécurité commune ?
31:48 -Je crois que c'est assez simple.
31:50 On n'identifie pas les mêmes choses.
31:52 Derrière la notion de terrorisme,
31:54 il y a toujours trois choses profondes.
31:57 Il y a des questions de séparatisme qui existent toujours,
32:00 en particulier au Maghreb,
32:02 il y a toujours une question de séparatisme,
32:04 une question de grande criminalité.
32:06 Cette question de grande criminalité,
32:09 c'est lié à des régimes politiques
32:11 qui ne savent pas gérer l'ordre public.
32:13 Ces trois questions sont intimement mêlées,
32:16 ce qui fait qu'on ne sait pas les résoudre
32:18 si on n'identifie pas exactement de quoi on parle.
32:21 -C'est un mot complexe, aujourd'hui.
32:23 Les Etats-Unis, en inventant la guerre globale
32:26 contre le terrorisme, ont brouillé profondément les cartes.
32:29 Nous ne savons pas gérer cela.
32:31 Les trois pays n'en font pas face aux mêmes questions.
32:34 En plus, là, il faudrait repartir du Maghreb.
32:37 En Tunisie, on regarde beaucoup la Libye,
32:40 on regarde vers le sud.
32:41 La question du terrorisme n'est pas posée
32:44 de la même façon qu'en Algérie.
32:46 La question du polisario pour le Maroc
32:48 relève aussi du terrorisme.
32:50 Chacun a, au fond, son propre terrorisme,
32:52 sa propre histoire et surtout sa propre géographie.
32:55 Tout ça fait que l'Algérie, avec ses deux territoires,
32:58 sa bande côtière, elle reste.
33:00 Il y a donc là des politiques qui ne peuvent pas être coordonnées.
33:04 Comme il n'y a pas une vision d'avenir commune,
33:06 chacun ne tire pas dans la même direction.
33:09 Il faut d'abord solder des problèmes intérieurs
33:12 avant de solder des problèmes globaux.
33:14 -De la sécurité, on va passer à des choses un peu plus positives.
33:18 On va passer à l'économie.
33:20 A l'instar d'autres pays africains,
33:23 les trois pays du Maghreb participent de la mondialisation
33:27 en nouant des partenariats économiques privilégiés.
33:31 Qui avec l'Europe, qui avec la Chine, la Russie, la Turquie,
33:35 l'ensemble du monde arabe, le Brésil, Israël, etc.
33:39 Mais il n'y a pas d'intégration économique.
33:41 A votre avis, pourquoi, Rachid Temal ?
33:44 -Là, il faudrait une thèse.
33:46 D'abord, on peut rappeler qu'il y avait un projet Maghreb 2000.
33:49 Ce qu'on constate, c'est qu'il y avait...
33:52 Il fut un temps avec une volonté et sans résultat.
33:55 Après, c'est des économies très différentes.
33:57 Je crois qu'aucune de ces trois économies
34:00 n'a aussi réussi à avoir un niveau...
34:02 L'Algérie a son rapport à l'hydrocarbure,
34:05 mais aucun des trois pays n'a un niveau de capacité de manufacture
34:09 conséquente qui vous permet de commercer.
34:12 C'est un vrai sujet.
34:15 Quand vous voulez, dans le monde, il faut vendre.
34:18 Est-ce qu'ils ont des services formidables ?
34:20 La réponse, c'est pas vraiment.
34:22 Est-ce qu'ils ont de la manufacture ? Pas vraiment.
34:25 C'est compliqué pour eux d'aller recommercer.
34:28 Les trois pays ont du mal à commercer ensemble.
34:31 D'abord, l'Algérie et la Tunisie.
34:33 Ca fait 40 ans qu'ils s'ouvrent et qu'ils ferment la frontière.
34:37 Entre le Maroc et l'Algérie, ça fait 40 ans que ça dure.
34:40 Les frontières se ferment, de temps en temps, elles s'ouvrent.
34:44 C'est compliqué pour faire du commerce ensemble.
34:47 En plus, les deux pays ont une vision historiquement de Pan-Afrique
34:51 et ils sont en concurrence aussi sur ces questions-là.
34:54 Quant à la Tunisie, c'est plus compliqué.
34:57 Son rapport économique à l'Algérie est plus dépendant.
35:00 C'est vrai sur la sécurité, qui impacte l'économie.
35:03 Quand vous prenez les trois pays du Maghreb,
35:06 à leur est, ils ont un pays totalement détruit,
35:09 la Libye.
35:10 Vous avez une bande terroriste qui plonge jusqu'au Tchad.
35:14 Et le Mali, avec ce qu'on a connu là.
35:16 Convenez qu'en termes de sécurité,
35:18 le business à sécurité, ça fait pas vraiment bon ménage.
35:21 Donc les trois pays ont à la fois un problème interne
35:24 à construire une économie
35:26 et un problème derrière ça à avoir un pôle de stabilité.
35:30 - Oui, d'accord, mais comme Akim El Karoui,
35:33 pourquoi cette impossibilité
35:35 de, peut-être pas de faire un marché commun,
35:39 mais d'avancer vers une perspective économique commune ?
35:44 - On a des tribus en guerre les unes contre les autres,
35:47 ce qui est assez traditionnel dans le monde arabe.
35:49 - On pourrait dire birberois.
35:51 - Au XXIe siècle, on se dit que c'est un peu dommage,
35:54 mais il y a cette idée que le voisin, l'autre, le plus proche,
35:58 est un concurrent.
35:59 Et jamais un collègue,
36:04 jamais quelqu'un avec qui on va coopérer.
36:07 On va toujours travailler avec des gens loin
36:10 et on va toujours se méfier des gens proches.
36:12 Malheureusement, c'est comme ça que ça fonctionne,
36:15 pas seulement au Maghreb, mais dans tout le monde arabe.
36:18 Il y a des accords de libre-échange, des accords d'Agadir,
36:22 qui n'ont jamais été appliqués nulle part dans le monde arabe.
36:25 Pour autant, je pense que l'avenir du Maghreb,
36:28 c'est pas la manufacture, c'est les services,
36:31 et notamment pour les Marocains et les Tunisiens.
36:33 L'économie algérienne est très différente.
36:36 Pourquoi ? Parce que les Marocains et les Tunisiens
36:39 ont un avantage comparatif
36:41 avec tout le reste de la Méditerranée,
36:43 c'est qu'ils ont en commun une culture,
36:46 en bonne partie une langue,
36:48 et puis les fameux échanges migratoires dont on parle,
36:51 ils ont construit des savoir-faires de prise en charge des gens,
36:55 des savoir-faires médicaux, des savoir-faires hôteliers.
36:59 Je pense qu'il y a un énorme marché d'économie du service
37:02 autour de la prise en charge des riches européens
37:06 dans les pays plus pauvres du sud de la Méditerranée,
37:10 comme la Tunisie et le Maroc.
37:11 Aujourd'hui, on sait plus... Regardez le sujet des retraites.
37:15 C'est le sujet de la santé.
37:16 Comment on va financer le vieillissement de toute l'Europe occidentale ?
37:21 Il va falloir faire baisser les prix.
37:23 La façon, c'est d'exporter les services.
37:25 Ça veut dire quoi ?
37:26 Ça veut dire industrialiser la venue,
37:29 non pas des jeunes maghrébins qui vont travailler en France,
37:32 mais la venue des jeunes retraités européens,
37:35 soit parce qu'ils vont avoir besoin de soins de santé
37:38 qu'on ne sait pas faire ici,
37:40 soit parce qu'ils vont prendre leur retraite
37:42 dans les pays du Maghreb.
37:44 On ne peut le faire qu'au Maghreb, pas en Turquie,
37:46 pas en Égypte, pas en Jordanie, on est très loin culturellement.
37:50 Il faut faire levier sur notre histoire,
37:52 y compris sur la colonisation.
37:54 On vit en commun, on se connaît.
37:56 Qui prend soin des personnes âgées en France dans les EHPAD ?
37:59 Ce sont des jeunes femmes, la plupart d'origine maghrébine
38:03 ou subsaharienne.
38:04 Il y a plein de choses en commun.
38:06 Plutôt qu'agiter la haine, la peur,
38:08 et je suis choqué par ce que vous avez dit,
38:10 essayons de travailler sur ce qui nous unit.
38:13 Ce qui nous unit, c'est ça, notre passé commun
38:15 et notre avenir commun.
38:17 -Pierre Lelouch, sur cette question économique,
38:20 comment vous expliquez cette difficulté
38:22 pour les pays du Maghreb
38:24 à commercer entre eux et à créer, justement, quelque chose,
38:28 une forme d'union économique ?
38:31 -Je vais répondre à M. El Tawib.
38:35 C'est moi qui suis choqué.
38:37 Dire le réel dans ce pays,
38:40 ça n'est pas appeler à la haine, au contraire.
38:43 C'est l'aveuglement qui fait le terreau de la haine.
38:46 Je lui dis de faire attention à ses mots,
38:48 car je ne suis pas là pour faire de la propagande raciste.
38:51 Je sais trop ce que c'est que le racisme.
38:53 Essayez d'avoir les yeux grands ouverts sur votre pays.
38:57 -J'ai fait depuis six ans
38:58 beaucoup de travaux sérieux, quantitatifs,
39:01 sur ces questions.
39:02 J'ai toujours dit ce qui va et ce qui ne va pas.
39:05 -Mais pas seulement ce qui va pas.
39:07 -Je peux pas continuer ma phrase ?
39:09 -Allez-y, Pierre.
39:10 -Venons-en à la question.
39:11 Pourquoi ces trois pays ne coopèrent pas ?
39:14 Pour une raison simple.
39:16 Dans le cas de l'Algérie, qui est le pays le plus riche,
39:19 les choix de la direction militaro-sécuritaire
39:22 sont les hydrocarbures,
39:23 et de vivre de cette rente-là.
39:25 Ils n'ont pas développé le pays.
39:27 Les choix de Ben Ali, c'était le tourisme de masse européen.
39:31 Ca a à peu près fonctionné,
39:32 mais le reste du pays est très pauvre.
39:35 On a donné la révolution de 2011.
39:36 Le Maroc, lui, a fait des efforts de développement
39:39 et d'industrialisation considérables.
39:41 Je vous recommande d'aller à Tanger
39:44 et regarder, y compris ce que nous avons fait,
39:47 y compris quand j'étais au gouvernement,
39:49 en termes de délocalisation contre l'emploi en France.
39:52 On a fabriqué des usines d'automobiles,
39:54 on a exporté des moyens de transport modernes.
39:57 Le Maroc a construit un système bancaire,
40:00 un système de services
40:03 qui est extrêmement performant dans le monde africain.
40:06 Et eux, ils sont en train de bâtir une économie
40:09 qui est assez convaincante.
40:10 Après, il reste la question du Sahara occidental
40:13 et la tension avec l'Algérie,
40:15 qui est un frein supplémentaire
40:16 à la coopération entre le Maroc et l'Algérie.
40:19 Mais tout ça, ça veut dire quoi ?
40:20 Ca veut dire que les idées d'un grand Maghreb économique
40:23 n'existent que dans les rêves des Européens.
40:26 C'est pas dans la tête des acteurs sur place.
40:29 Chacun a son mode de développement.
40:30 On ne sait pas si c'est une constante du monde arabe,
40:33 peut-être,
40:34 mais en même temps,
40:35 moi, je note, pour le regretter d'ailleurs,
40:38 que les pays qui ont de l'argent dans le Golfe
40:40 mettent très peu d'argent dans le Maghreb.
40:42 La Tunisie a besoin d'investissement,
40:44 l'argent, il vient pas du Golfe, par exemple.
40:47 Et c'est tout à fait regrettable.
40:48 Donc il n'y a pas de communauté, là aussi,
40:51 d'envie de développer ces pays qui pourraient l'être.
40:54 -Merci, Pierre.
40:55 -Ce n'est pas un échec général.
40:58 -Merci, Pierre. Jean Dufourc.
41:00 -Je rebondis sur cette question que je trouve importante.
41:03 Je crois qu'il faut élargir un peu le champ du Maghreb
41:05 vers un petit peu les pays latins qui sont en face.
41:08 Les trois frères maghrébins, on les connaît.
41:10 Il y a en face trois sœurs latines dont on parle un petit peu moins.
41:13 Je crois qu'il y a là quand même une possibilité
41:16 de travailler de façon un peu plus globale.
41:18 Les pays de la vieille Europe, la France, l'Espagne, l'Italie,
41:21 sont un petit peu marginalisés dans l'Europe d'aujourd'hui,
41:24 qui est dirigée par la Pologne avec un regard très différent.
41:27 Par contre, nous sommes en train de redécouvrir
41:30 la communauté de nos intérêts
41:31 entre les trois pays, les trois sœurs latines.
41:33 Nous pourrions faire un effort plus collectif.
41:36 Nous sommes 180 millions sur la rive nord
41:38 de la Méditerranée occidentale.
41:40 Il y a 100 millions de maghrébins en face de nous.
41:42 Nous pourrions avoir une approche plus intégrée
41:45 au plan économique en particulier.
41:46 Je voudrais ajouter un deuxième point.
41:48 Ceci a été déjà largement commenté,
41:50 mais nous avons parlé de cela avec des Italiens
41:53 il n'y a pas très longtemps.
41:54 Il y a une vingtaine d'années,
41:56 on travaillait sur le processus de Barcelone,
41:59 on s'est lancé à l'équation magique.
42:01 L'argent du Golfe,
42:03 la technologie des sœurs latines, j'allais dire,
42:06 ou de l'Europe en général,
42:07 et la capacité de production, de délocalisation
42:11 sur la côte d'Afrique du Nord,
42:13 d'un certain nombre d'industries ou de services,
42:16 et qui permettrait à tout le monde
42:17 d'être dans une logique gagnant-gagnant.
42:20 Pourquoi ça n'a pas marché ?
42:21 Ça n'a pas marché essentiellement
42:23 pour des raisons accessoires secondaires.
42:25 Le terrorisme, bien sûr,
42:27 et puis le changement du monde.
42:29 C'est ce qu'il y avait à l'époque.
42:30 Tout cela a créé une condition
42:32 qui n'a pas permis de mobiliser ces trois outils simultanément
42:35 pour pouvoir créer un développement
42:37 qui soit de bonne qualité et qui soit durable,
42:40 et qui laisser chacun un peu chez soi aussi
42:43 au centre de gravité de ses qualités.
42:45 -Alors, d'un point de vue géostratégique, Jean,
42:48 aujourd'hui, sans qu'il y ait une nouvelle guerre froide,
42:53 le monde se divise en quelque sorte
42:55 entre des puissances dites autoritaires,
42:58 des dictatures,
43:00 en parlant à la Russie,
43:02 on pense à la Chine, etc., ces pays autoritaires,
43:05 et de l'autre côté, les démocraties.
43:07 Est-ce que, par rapport à cette division,
43:10 le Maghreb, vous parez devoir s'aligner quelque part
43:15 ou vouloir jouer une position non alignée
43:18 qui, pour certains pays, est plus proche
43:20 des pays autoritaires et pour d'autres, vers l'Occident ?
43:24 -La question du non-alignement est une question fondamentale
43:28 de l'époque que nous vivons aujourd'hui, 2023.
43:30 L'obligation d'alignement est actuellement
43:33 en train de décréter un certain nombre d'initiatives.
43:36 Il serait souhaitable que nous arrivions à créer
43:39 cette communauté andalouse dont on a parlé il y a 20 ans,
43:42 cette communauté andalouse dans laquelle les pays
43:45 qui sont gestionnaires d'un même espace
43:47 arrivent à retrouver sans conditionnalité politique
43:51 des intérêts communs qui permettent de les rassembler
43:54 dans une communauté qui soit au service des peuples.
43:58 Et là, l'alignement sur l'autorité ou sur la démocratie
44:01 a moins de sens.
44:02 Il faut bien dire que la démocratie
44:04 est déclinée aujourd'hui de façon très variée
44:07 et quant à l'autoritarisme, il est lié à l'histoire
44:10 d'un certain nombre de pays qui cherchent leur propre chemin.
44:13 Je vois que cette dichotomie ou ce clivage
44:16 n'est pas pertinent aujourd'hui.
44:18 Je pense qu'il faut revenir à une forme de régionalisme,
44:21 en tout cas, le stratégiste vous dira cela,
44:23 dans lequel les intérêts communs seront plus faciles à percevoir.
44:27 La régionalisation permet de retrouver des solidarités immédiates.
44:31 Je pense que la Méditerranée occidentale,
44:33 si elle savait se concevoir, aurait aujourd'hui des tas d'outils
44:36 pour se développer dans l'intérêt général.
44:39 -Pierre Lelouch, un mot stratégique
44:42 sur la question du Maghreb
44:44 par rapport aux puissances autoritaires
44:47 et aux démocraties.
44:48 Un mot là-dessus.
44:49 Est-ce que pour le Maghreb, c'est mieux de choisir,
44:54 si je puis dire, l'Occident démocratique
44:57 ou d'aller vers ces puissances autoritaires
45:00 qui constituent quand même 60 % de la population mondiale ?
45:03 -J'étais mal sur cette question.
45:05 -Il y a déjà une réalité.
45:07 On sait bien que les rapports... Je vais reparler de l'Algérie.
45:11 France et l'Algérie sont distendus depuis des années.
45:14 Il y a beaucoup de choses du gouvernement algérien.
45:17 En France, on a notamment fermé toute la politique de visa,
45:20 en tout cas largement réduite, notamment sur les étudiants.
45:24 Un des outils de soft power pour la France,
45:26 c'est les étudiants, les formés, et tout ça aussi.
45:29 Mais déjà, aujourd'hui, il faut pas qu'on se mente.
45:32 Sur la question militaire,
45:33 l'alliance historique, elle est avec la Russie, pour l'Algérie.
45:37 Aujourd'hui, dans le business, quand vous allez en Algérie,
45:40 la Chine est partout.
45:42 Aujourd'hui, les bailleurs de fonds de l'Algérie,
45:44 c'est beaucoup... -Mais vous le déplorez ?
45:47 -Moi, je le déplore, à titre personnel.
45:49 Mais en même temps, si j'ai l'argile,
45:51 je sors de ma condition personnelle.
45:54 Tous ces pays africains, les trois qu'on connaît,
45:56 mais plus largement, ont été colonisés,
45:59 et depuis, ils ont des relations privilégiées avec la France.
46:02 Est-ce que toutes les populations sont heureuses
46:05 de leur développement ?
46:06 Elles font comme dans le monde entier,
46:08 se disent qu'il y a plusieurs compétiteurs
46:11 qui viennent proposer leurs services.
46:13 C'est ce qui se passe notamment sur l'arrivée des Russes,
46:16 et pas que avec Wagner, mais notamment Wagner.
46:19 L'arrivée des Chinois sur un certain nombre de pays,
46:22 en Libye et partout.
46:23 Aujourd'hui, tous ces pays-là sont très largement concurrencés.
46:27 Ça devient des zones de concurrence
46:30 pour des compétiteurs internationaux.
46:32 -On va conclure là-dessus.
46:34 Hakim El Karoui, finalement,
46:36 à travers tout ce qu'on a dit au cours de cette émission,
46:40 envers et malgré tout,
46:42 est-ce que le Maghreb est une chance pour la France
46:45 et réciproquement ?
46:47 -Alors là, je vais citer Pierre Lelouch.
46:50 Je vais dire que c'est une réalité pour la France.
46:53 Je sais pas si c'est une chance ou une malchance,
46:56 mais ça existe.
46:57 Le sujet, c'est qu'il faut qu'on vive avec.
47:00 Il faut qu'on arrête de croire qu'on va pouvoir laisser
47:03 la question maghrébine et la question des Maghrébins
47:06 très loin de notre horizon politique.
47:08 Il faut se poser la question de ce qu'on veut faire avec le Maghreb.
47:12 Il y a 20 ans, il y avait l'idée de faire une intégration économique.
47:16 Pas trop politique, c'était compliqué.
47:18 Aujourd'hui, on a abandonné cette idée d'intégration économique,
47:22 y compris parce que ça a largement échoué.
47:25 Moi, je crois qu'il faut faire du judo.
47:27 Le judo, c'est où la valeur et c'est où l'avantage comparatif ?
47:31 L'avantage comparatif, c'est qu'on se connaît les uns les autres
47:35 extrêmement bien, on vit ensemble,
47:37 dans une forme de fureur, mais aussi de passion,
47:40 et on a plein de choses à faire.
47:42 Il faut juste arrêter de se dire qu'on se déteste.
47:45 On se déteste pas tant que ça, on prend soin les uns des autres,
47:49 et faisons levier et faisons de cela un projet économique
47:52 et du coup, un projet politique.
47:54 - Alors, Jean Dufour, diagnostique,
47:56 une chance pour la France, pour l'Europe et vice-versa ?
48:00 - Rien n'est plus important pour la France que le Maghreb.
48:03 Et j'ajouterais, rien n'est plus important dans le Maghreb
48:07 que l'Algérie retrouvait un chemin de coopération
48:10 et un chemin de coexistence
48:11 qui débouche sur quelque chose de plus large.
48:14 Oui, c'est une chance,
48:15 et je crois que nous devons faire quelque chose.
48:18 On est obligés de le faire, d'ailleurs,
48:20 parce que c'est notre intérêt et parce que nous trouverons
48:24 des retours très positifs dans notre société française
48:27 qui regarde cela comme une sorte d'ovni trop difficile à gérer.
48:30 Il faut y aller. - Rachid Temal ?
48:32 - Moi, je vais vous dire très simple, j'ai un rêve.
48:35 Moins de 20 ans, à peu près, après la Deuxième Guerre mondiale,
48:38 vous avez eu le traité de l'Elysée.
48:40 On est 60 ans après, il faudrait interdire soit l'Elysée,
48:44 soit d'Algérie, entre la France et l'Algérie.
48:47 C'est l'enjeu pour la France, notamment, en cette zone-là.
48:50 - C'est pas trop tard, vous pensez pas ?
48:52 - Je ne pense pas.
48:53 Les populations sont toujours là.
48:56 La réalité, elle est toujours là.
48:58 Il faut maintenant aller vers cela.
49:00 Un traité d'amitié entre les deux peuples.
49:02 - Nous avons quelques problèmes de connexion avec Pierre Lelouch,
49:06 mais nous l'avons au téléphone.
49:08 Alors, Pierre Lelouch, à votre tour de conclure
49:12 sur un pronostic.
49:13 Est-ce que vous diriez que, malgré tout,
49:17 le Maghreb est une chance pour la France et pour l'Europe
49:21 et vice-versa ?
49:24 - Clairement, l'Europe sera une chance pour le Maghreb,
49:31 parce que le Maghreb continuera à avoir besoin
49:34 des transferts d'argent, de technologies,
49:37 et surtout d'accueil pour sa jeunesse.
49:41 Donc l'Europe restera très importante pour le Maghreb.
49:44 Pour nous, je crains malheureusement
49:46 que ça reste un énorme fardeau.
49:49 Et nous payons, il faut être clair,
49:51 nous payons notre colonisation.
49:54 Voilà. Et donc nous sommes
49:57 la zone de destination de l'immigration
50:00 de toute cette jeunesse qui ne trouve pas
50:02 à avoir d'avenir dans les pays d'origine
50:05 et qui, naturellement, viendra,
50:07 surtout en France, d'ailleurs.
50:09 82 % des immigrés algériens viennent en France.
50:13 C'est l'histoire de la colonisation, c'est la langue.
50:17 Et donc, pour nous, ça restera un énorme fardeau
50:19 en termes de capacité d'accueil et d'intégration
50:22 de cette population, avec la question fondamentale
50:25 du devenir de l'islam.
50:27 Est-ce que l'islam est compatible ou non avec la République ?
50:31 Est-ce que l'islam reste une affaire personnelle,
50:34 de foi personnelle parfaitement respectable ?
50:36 Ou bien est-ce que ça continuera à être tiraillé
50:39 par tous ceux qui essayent de l'exploser
50:41 dans les domaines politiques,
50:43 frères musulmans et fondamentalistes,
50:45 qui sont en train de gangréner, jour après jour,
50:48 nos banlieues, nos institutions ?
50:50 Pour nous, c'est un véritable fardeau.
50:52 -Merci.
50:54 -Pour garder les choses, malheureusement, en face.
50:57 -Merci, Pierre Lelouch.
50:58 Dans un autre ordre d'idées,
51:01 est-ce que vous avez un livre à conseiller ?
51:05 -Le dernier livre que j'ai sorti en 2017
51:08 parle de l'échec, effectivement,
51:11 des expériences postcoloniales dans le Maghreb.
51:14 C'est un livre qui s'appelle "Une guerre sans fin",
51:16 publié aux éditions du Serbes en 2017,
51:19 et qui parle de la poussée de l'islam radical en Europe.
51:24 -Merci.
51:25 -A partir du terreau, de l'échec,
51:28 des expériences postcoloniales dans le monde arabe,
51:31 notamment dans le Maghreb. -Merci, Pierre Lelouch.
51:34 Le moment est venu de vous présenter
51:36 une brève bibliographie.
51:39 Je voudrais rappeler que la revue "Hérodote"
51:42 a consacré un important dossier au Maghreb.
51:48 C'est paru au premier trimestre 2021,
51:51 et le dossier est assez riche, d'ailleurs,
51:54 sur l'ensemble du Maghreb.
51:57 Je voudrais rappeler de Pierre Vermeuren,
51:59 qui est professeur à la Sorbonne,
52:01 "Déni français, notre histoire secrète
52:04 "des relations franco-arabes" chez Albain Michel.
52:08 Je voudrais également rappeler un livre
52:11 qui a soulevé de grands débats,
52:14 un livre de l'ambassadeur Xavier Driancourt,
52:18 qui a été ambassadeur de France en Algérie,
52:21 qui a publié "L'énigme algérienne"
52:24 aux éditions de l'Observatoire.
52:27 Jean Dufour, qui est avec nous,
52:30 a publié de très nombreux articles,
52:32 notamment sur la Méditerranée et le Maghreb,
52:36 dans la revue de Défense nationale,
52:38 dont il a été le rédacteur en chef.
52:41 Hakim El Karoui, on peut...
52:44 Vous avez publié de très nombreux ouvrages,
52:48 puisqu'on a évoqué la situation française.
52:51 Vous avez également publié un livre sur l'islam,
52:54 une religion française,
52:55 qui a paru chez Le Débat à Gallimard.
52:59 Un mot là-dessus, ça évolue un peu
53:02 la situation de l'islam français.
53:05 Un mot.
53:06 -Ca a du mal à trouver son organisation,
53:09 mais il y a une bonne nouvelle.
53:10 Maintenant, on ne dépend plus du CFCM,
53:13 c'est-à-dire de l'ingérence turque, algérienne
53:17 et des organisations marocaines.
53:20 On est passé à autre chose, au Forum de l'islam de France,
53:23 qui est fondé sur des gens français,
53:25 indépendants et de bonne volonté.
53:27 C'est trois caractéristiques nouvelles.
53:29 Avec ça, on va pouvoir construire quelque chose de bien.
53:33 -En même temps, le vrai sujet, il n'est pas là,
53:35 il est dans l'emprise sur la définition religieuse
53:38 auprès des jeunes, notamment des quartiers populaires,
53:41 qui sont en quête identitaire.
53:43 La réponse, elle ne sera jamais institutionnelle,
53:46 elle sera sur le terrain, sur les réseaux sociaux.
53:49 -Merci, Rachid Temal.
53:50 Il y a un livre dont vous voulez faire la promotion.
53:53 -Je crois que vous avez présenté suffisamment de livres
53:56 pour éclairer vos téléspectateurs.
53:58 -Bien, écoutez, il me reste à vous remercier
54:02 d'avoir participé à cette émission.
54:04 Merci à l'équipe de LCP de l'avoir permise.
54:09 Et avant de nous quitter,
54:11 je voulais vous soumettre cette pensée de Béatrice Giblin,
54:16 qui est d'ailleurs la rédactrice en chef
54:18 de l'excellente revue "Hérodote".
54:21 "Les relations du Maghreb avec la France
54:24 "sont ô combien plus intenses et plus étroites
54:27 "qu'elles ne l'étaient pendant la colonisation."
54:32 ...

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