Mazarine Pingeot reçoit Frédéric Worms, philosophe, directeur de l'École normale supérieure et membre du Comité consultatif national d'éthique de 2013 à 2021.
Qu'il s'agisse d'enjeux liés à la maladie ou au climat, Frédéric Worms considère que le vivant, qu'il définit comme un être qui lutte contre sa propre mort, est redevenu central. Si nous avons construit des siècles d'histoire humaine sur un arrachement au vivant, il convient désormais d'admettre qu'il polarise l'ensemble des défis posés aux sociétés humaines. Au cours de cet entretien, Frédéric Worms définit et défend patiemment la thèse du vitalisme critique, sans négliger les contradictions humaines douloureuses qu'elle implique. Puis, à partir d'une définition de l'invivable, « ce qui est mortel, peut-être pas physiquement mais subjectivement », le philosophe se fait partisan de la « vital-démocratie », soucieuse de fournir à tous « un minimum de tout ce qui est nécessaire pour vivre » et capable de répondre au besoin vital de l'attachement des êtres humains.
Défenseur de la singularité des humains parmi les vivants et conscient des risques qu'ils font peser sur tous, Frédéric Worms prône ici une « politique humaine des vivants ». Si les dangers sont réels, ils révèlent aussi, selon lui, nos capacités puissantes de résistance. À condition de dépasser définitivement les philosophies nihilistes, puisqu' « Il n'y a plus de néant. Maintenant, c'est la vie ou la mort ».
Face à une crise d'ordre politique et climatique, il est urgent d'interroger notre vision du monde.
Le vivant étant devenu une notion politique, cette nouvelle saison inédite des Grands Entretiens insuffle enfin l'esprit revigorant de la philosophie universitaire dans l'espace publique.
Mazarine Mitterrand Pingeot reçoit les grands penseurs des enjeux liés à la démocratie, à la préservation de la vie ou du réchauffement climatique.
Qu'il s'agisse d'enjeux liés à la maladie ou au climat, Frédéric Worms considère que le vivant, qu'il définit comme un être qui lutte contre sa propre mort, est redevenu central. Si nous avons construit des siècles d'histoire humaine sur un arrachement au vivant, il convient désormais d'admettre qu'il polarise l'ensemble des défis posés aux sociétés humaines. Au cours de cet entretien, Frédéric Worms définit et défend patiemment la thèse du vitalisme critique, sans négliger les contradictions humaines douloureuses qu'elle implique. Puis, à partir d'une définition de l'invivable, « ce qui est mortel, peut-être pas physiquement mais subjectivement », le philosophe se fait partisan de la « vital-démocratie », soucieuse de fournir à tous « un minimum de tout ce qui est nécessaire pour vivre » et capable de répondre au besoin vital de l'attachement des êtres humains.
Défenseur de la singularité des humains parmi les vivants et conscient des risques qu'ils font peser sur tous, Frédéric Worms prône ici une « politique humaine des vivants ». Si les dangers sont réels, ils révèlent aussi, selon lui, nos capacités puissantes de résistance. À condition de dépasser définitivement les philosophies nihilistes, puisqu' « Il n'y a plus de néant. Maintenant, c'est la vie ou la mort ».
Face à une crise d'ordre politique et climatique, il est urgent d'interroger notre vision du monde.
Le vivant étant devenu une notion politique, cette nouvelle saison inédite des Grands Entretiens insuffle enfin l'esprit revigorant de la philosophie universitaire dans l'espace publique.
Mazarine Mitterrand Pingeot reçoit les grands penseurs des enjeux liés à la démocratie, à la préservation de la vie ou du réchauffement climatique.
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NewsTranscription
00:00 Générique
00:01 ...
00:20 -Frédéric Worms, vous êtes philosophe,
00:23 directeur de l'Ecole Normale Supérieure.
00:26 Vous avez été membre du comité consultatif
00:28 national d'éthique de 2013 à 2021.
00:31 La série de ces grands entretiens
00:33 s'interroge sur le vivant.
00:35 Et ça tombe bien, la vie est en quelque sorte
00:38 votre objet central de réflexion et de recherche.
00:41 Vous avez d'ailleurs baptisé notre moment
00:44 "celui du vivant".
00:45 Pour commencer, qu'est-ce que vous appelez un moment
00:48 et pourquoi le nôtre est-il celui du vivant ?
00:51 -Ce que j'appelle un moment, c'est une période
00:54 qui se définit par un problème,
00:56 qui, pour moi, cesse de devenir un problème parmi d'autres,
00:59 mais qui explique tous les autres.
01:01 Le problème du vivant, c'est un problème parmi d'autres,
01:04 il y a plein d'autres problèmes,
01:06 des problèmes de physique,
01:08 on peut tenter de réduire le vivant à la matière physique,
01:12 il y a la société, il y a l'histoire.
01:14 Pendant longtemps, d'ailleurs, le problème du vivant
01:17 a été sous celui de l'histoire.
01:19 Pour définir les êtres humains, la première chose,
01:22 c'était l'histoire, le sens, de s'arracher au vivant,
01:25 par la technique, par la politique.
01:27 Depuis, je dirais, 30 ans, à peu près, maintenant,
01:30 en tout cas, 20 ans, c'est sûr,
01:32 tous les problèmes se ramènent au vivant.
01:35 Ceux de l'esprit humain, à travers des maladies
01:37 comme l'Alzheimer et le cerveau,
01:39 ceux de l'histoire humaine, à travers le climat, la planète.
01:43 C'est pas si évident, je pense,
01:45 c'est un fait qui vient des sciences,
01:47 de l'histoire, qui vient de partout,
01:49 que toutes les questions, même celles où on prétend échapper
01:53 sont ramenées au vivant. Vous voulez construire
01:55 une société juste ? D'abord, il faut éviter la pandémie,
01:58 le climat, etc. C'est pas si facile,
02:00 parce qu'on a construit des siècles d'histoire humaine
02:03 plutôt sur un arrachement. Certains disent à la nature,
02:06 moi, justement, je dis plutôt au vivant.
02:09 Et donc, la question du vivant, et le vivant aussi,
02:12 pour moi, toujours, dans son opposition à la mort,
02:14 dans ses risques, dans ses dangers, est redevenue centrale.
02:18 C'est vrai que je le voyais venir déjà,
02:20 à la fin des années 2000. On est passé d'un moment,
02:23 que j'appelais le moment de la structure, du langage,
02:26 en tout cas dans les sciences humaines,
02:28 vers ce moment du vivant où la biologie
02:30 est devenue le carrefour de tout le reste.
02:33 -En même temps, vous êtes philosophe.
02:35 C'est un philosophe que vous abordez.
02:37 On pourrait aussi réifier le vivant
02:39 comme la sacralisation de la vie,
02:41 comme on l'a vu pendant le Covid, par exemple,
02:44 où la vie nue, la vie biologique,
02:46 devenait primordiale au détriment d'autres aspects du vivant.
02:50 Pourquoi le philosophe a-t-il quelque chose à dire
02:52 en plus que le biologiste ou le spécialiste ?
02:55 -D'abord, tout le monde est philosophe.
02:57 Tout le monde est philosophe
02:59 quand, dans sa pratique, il rencontre une question de principe.
03:02 Si vous êtes un artiste et qu'à un moment donné,
03:05 vous avez l'impression de changer quelque chose
03:08 à la représentation du monde, à l'idée même de l'art,
03:11 vous faites de la philosophie.
03:12 Si vous êtes Einstein, vous dites que le temps et l'espace...
03:16 Là, il devient philosophe.
03:18 Il devient un peu philosophe quand il se dit...
03:20 Soit, comme dans les années 60, la vie n'existe pas,
03:23 c'est que des molécules,
03:25 et c'est ce que disait François Jacob dans "La logique du vivant",
03:28 où le mot "logique" était plus important que "vivant",
03:31 car il cherchait à réduire le vivant à un langage.
03:34 Aujourd'hui, les biologistes eux-mêmes
03:36 résistent à cette notion de vivant, en un sens,
03:39 mais quand même, ils se sont ramenés...
03:41 Et puis, quand quelqu'un nous dit,
03:43 comme le GIEC, mettons,
03:45 que la vie sur la Terre a peut-être des risques nouveaux,
03:48 peut-être mortels, à l'échelle de la planète,
03:51 je pense qu'ils font déjà de la philosophie, si vous voulez.
03:54 Le rôle du philosophe, c'est plutôt d'essayer de comprendre
03:58 comment on en vient à ces questions de principe,
04:01 et comment un problème de principe posé localement,
04:04 en biologie, en esthétique, en politique,
04:06 est en fait le problème de l'époque,
04:08 le problème de tout le monde,
04:10 celui aussi où il rejoint l'existence de chacune
04:13 et de chacun d'entre nous,
04:15 parce qu'il se trouve que les problèmes philosophiques
04:18 circulent de vie individuelle jusqu'à l'histoire collective,
04:21 et que les récits de maladie, de vie, de renaissance aussi,
04:24 les récits du côté négatif ou du côté positif du vivant
04:28 ont envahi la littérature, le cinéma, l'art,
04:30 et même nos entretiens.
04:32 Et donc, voilà, c'est un signe de plus.
04:34 Mais c'est vrai que j'isole pas la philosophie du reste,
04:37 même si elle a une fonction spécifique, elle est partout.
04:41 Cette fonction de réflexion sur les principes est partout.
04:44 Il y a un moment où il faut voir ce que ça implique,
04:47 que telle chose soit un principe plutôt qu'une autre,
04:50 et comment on le définit. -Alors, comment vous définissez
04:53 le vivant et en quoi c'est un principe ?
04:56 -Alors, je pense qu'on peut appeler vivant un être qui lutte...
05:00 "Lutte", c'est peut-être un mot, mais je vais l'employer quand même.
05:04 Un être qui lutte, je dirais, de lui-même
05:07 contre sa propre destruction,
05:09 c'est-à-dire contre ce qu'on appelle la mort.
05:11 Tous les êtres peuvent être détruits.
05:13 Vous prenez ce fauteuil, on peut le détruire.
05:16 Est-ce qu'on le tue ? C'est pas exactement le cas.
05:19 Et depuis les Grecs, d'ailleurs, on dit que le vivant est un être,
05:22 c'est ce que disait Aristote,
05:24 qui a en lui-même le principe de son mouvement.
05:27 La chaise, pour bouger, il a besoin que je la pousse.
05:30 En principe, un vivant, pour bouger,
05:32 il a en lui-même le principe de son mouvement,
05:35 et quand il est mort, d'ailleurs, il bouge plus.
05:38 Il bouge encore, il est pas mort. C'est un des critères.
05:41 Les Grecs et d'autres ont isolé ce principe.
05:43 Pour Aristote, il y avait dans le corps
05:45 un principe qui faisait que ça bougeait,
05:48 et c'était l'âme.
05:49 Moi, je pense que le vivant a en effet un être
05:52 qui lutte de lui-même contre la mort.
05:54 Ça suppose deux choses.
05:55 Ça suppose que...
05:56 Moi, je définis le vivant par ce à quoi il s'oppose,
05:59 pas seulement par ce qu'il fait, par ce qu'il crée.
06:02 Peut-être c'est créatif, le vivant, je le pense,
06:05 mais c'est d'abord résistance au négatif.
06:07 Et surtout, je ne sais pas ce qui en lui cause,
06:10 cette action.
06:11 On va trop loin si on cherche à définir la vie.
06:14 Ce que je vois, c'est des êtres
06:16 qui, en effet, luttent contre leur destruction,
06:18 des individus, et puis peut-être le vivant
06:21 dans son ensemble sur la planète,
06:23 mais comme un grand individu.
06:24 Quand je parle de la vie, je ne mets pas de majuscule,
06:27 comme s'il y avait un grand principe vital,
06:30 mais c'est la vie concrète sur la Terre
06:32 qui, aujourd'hui, est menacée.
06:34 Et c'est pourquoi cette définition du vivant
06:37 couvre tous les aspects, parce qu'il y a des vivants
06:40 qui ont plus de causes de mort que d'autres.
06:42 C'est complexe.
06:43 Par exemple, un vivant humain,
06:45 il peut mourir de plein de façons.
06:47 On peut mourir de nous autres, humains,
06:49 c'est un triste privilège qui est aussi la condition de grande joie,
06:53 mais on peut mourir de chagrin, d'injustice,
06:56 de solitude, on peut mourir de...
06:58 Et pas seulement directement de faim ou de soif.
07:00 Définir ce qui est vital est compliqué,
07:02 mais c'est toujours par ce qui est mortel.
07:05 Je pense qu'aujourd'hui, ça recouvre
07:07 tout l'espace de nos vies,
07:09 tout l'espace de la planète,
07:10 et c'est pour ça que le vivant est au coeur du moment présent.
07:14 -Et il porte en lui sa propre négativité.
07:17 -Alors, en plus...
07:18 -C'est-à-dire qu'il s'oppose pas à quelque chose d'extérieur, à lui.
07:22 Il est... Enfin, la vie, vous avez dit,
07:24 la vie s'oppose à la mort, mais c'est pas comme si la mort...
07:27 -L'ennemi est aussi à l'intérieur.
07:29 Il est d'abord à l'extérieur, quand même.
07:32 Je pense quand même que ce qu'on appelle les besoins vitaux,
07:35 c'est d'abord des besoins
07:37 pour lesquels on a besoin d'un secours extérieur.
07:39 Et tous les vivants sont pas égaux là-dessus.
07:42 Le vivant humain, au début de la vie,
07:44 est totalement dépendant de l'environnement.
07:47 Un bébé peut pas se nourrir tout seul, et le reste.
07:50 Mais c'est vrai que l'ennemi est aussi à l'intérieur
07:52 de deux façons très différentes.
07:54 Il y a d'abord le vieillissement.
07:56 Certains considèrent qu'on pourrait chercher à devenir immortel.
08:00 Je pense un peu comme le philosophe Hans Jonas
08:02 que la mort est à la fois un fardeau
08:05 et une bénédiction.
08:07 Il y a un très beau texte de Jonas
08:09 qui s'appelle "Fardeau et bénédiction de la mortalité".
08:12 On va peut-être pas rentrer dans la bénédiction de la mortalité,
08:15 mais la mort est à l'intérieur d'une autre façon,
08:18 qui a été décrite par Freud,
08:20 et qui est plus compliquée à admettre,
08:22 mais que j'en suis venu à admettre,
08:24 peut-être un peu différemment de Freud.
08:26 Non seulement la mort est un danger intérieur,
08:29 le vieillissement, la fragilité contre laquelle on lutte,
08:32 mais peut être l'objet d'un désir paradoxal,
08:34 ce que Freud appelle la pulsion de mort.
08:37 Chacun d'entre nous est travaillé de l'intérieur
08:40 par quelque chose qui existe en nous,
08:42 contre lequel il faut lutter,
08:44 et qui nous entraîne vers notre ennemi, vers la mort.
08:47 C'est aussi, pour Freud, la source de la guerre,
08:50 la source de la haine.
08:52 La façon dont la vie et la mort deviennent l'amour et la haine
08:55 est un point crucial de l'histoire des vivants humains.
08:58 -Le vitalisme critique vous en fait un peu le coeur de votre philosophie.
09:02 Qu'est-ce que c'est que le vitalisme critique ?
09:05 C'est le critère de cette critique, la même racine.
09:08 On va y arriver,
09:09 parce que votre vitalisme critique,
09:12 qui prend en compte la notion de vivant que vous venez de décrire,
09:15 va nous amener du côté du politique, du côté du cosmopolitique.
09:19 On n'est pas uniquement sur la question du vivant,
09:22 même au sens métaphysique du terme.
09:24 -Pour moi, on est toujours dans le vivant,
09:26 mais le vivant qui s'étend à travers les humains, en particulier,
09:30 jusqu'aux autres sources de mort que la maladie ou le temps.
09:33 Il y a des sources de mort qui sont la violence interhumaine,
09:36 l'injustice, la guerre, etc.
09:38 Donc, l'extension politique et cosmopolitique,
09:41 elle vient du vivant lui-même.
09:43 Même, j'en suis venu à une sorte de renversement.
09:46 Je pense que pour les vivants humains,
09:48 la cause politique de mort est non pas la dernière,
09:51 mais la première.
09:52 C'est pour ça que si on veut sauver la planète,
09:55 il faut d'abord faire la paix.
09:57 Mais c'est toujours dans le vivant.
09:59 Si on pense que c'est purement politique
10:01 dans le rapport au vivant, on va nous dire
10:04 "Pourquoi vous mettez la politique avant ?
10:06 "Il faut sauver la planète."
10:08 Non, c'est aussi pour survivre,
10:10 il faut d'abord faire la paix entre les humains.
10:13 On appelle vitalistes les gens qui pensent
10:15 que la vie est le principe premier et ultime.
10:18 Il y a des gens qui ne sont pas vitalistes.
10:20 Si vous êtes spiritualiste,
10:22 vous pensez qu'au-dessus de la vie, il y a l'âme.
10:25 Si vous êtes matérialiste, vous pensez qu'en dessous de la vie,
10:28 il y a cette construction provisoire qui va se dissoudre.
10:31 Et moi, je suis vitaliste.
10:33 Je pense qu'on ne peut pas aller au-delà du vivant.
10:36 Je pense un peu comme un grand philosophe de la médecine,
10:39 Georges Kanguyam, que la physique est plutôt un outil
10:42 que le vivant s'est donné pour échapper à la mort.
10:45 Mais ce que j'ajoute, c'est vitaliste critique.
10:48 Moi, la vie, je ne sais pas ce que c'est.
10:50 La seule chose que je connais, c'est l'opposition de la vie à la mort.
10:54 Et donc, pour moi, le principe premier,
10:56 c'est cette opposition-là.
10:58 Le vivant en soi, la vie en soi, je ne connais pas.
11:00 Mais les vivants qui s'opposent à la mort, je connais.
11:03 C'est le premier sens du vitaliste critique.
11:06 Après, il y a un sens du mot critique,
11:08 qui est bien connu en philosophie,
11:10 qui consiste à critiquer les gens qui vont au-delà de ce principe.
11:14 Ils sont dans l'illusion, dans l'erreur.
11:16 Pour moi, il y a deux erreurs.
11:18 Il y a les gens qui ne sont pas vitalistes.
11:20 Ils se promptent. Il faut leur dire.
11:23 Vous prévenez. -Il y en a beaucoup, quand même.
11:25 -Il y en a encore beaucoup,
11:27 mais il y a ceux qui ne sont pas critiques
11:29 et qui essentialisent la vie, qui sacralisent la vie.
11:32 Le signe, c'est la majuscule.
11:34 Là, il y a des grands philosophes, Chopin, Auer,
11:37 Nietzsche est aussi un cas un peu hybride.
11:39 Nietzsche est sûrement pas assez critique pour moi,
11:42 mais malgré tout, il distingue dans la vie
11:45 les forces actives et les forces négatives,
11:47 les forces de mort.
11:48 Même s'il dit qu'il est par-delà le bien et le mal,
11:51 c'est pas entièrement vrai.
11:53 C'est un signe d'absence de critique pour moi.
11:56 Il y a beaucoup de gens qui sont critiques,
11:58 qui sont censés être vitalistes,
12:00 qui pensent que la vie est une construction politique,
12:03 ce qui n'est pas vrai.
12:04 Judith Butler, par exemple, elle est plus vitaliste
12:07 qu'elle ne le dit.
12:09 Elle dit que la vie est précaire à cause du politique.
12:12 Mais quel est le critère de l'injustice ?
12:14 C'est toujours la mort ou le deuil.
12:16 Donc, en fait, elle est vitaliste critique pour moi.
12:19 Donc, vitaliste...
12:20 Il y a des gens qui sont pas vitalistes
12:22 et des gens qui sont pas critiques.
12:25 Il faut tenir les deux en même temps
12:26 parce qu'on sacralise très vite la vie.
12:29 -Oui. -Or, le vitaliste critique,
12:31 c'est toujours compliqué,
12:32 parce qu'il y a plusieurs dangers de mort.
12:35 Et il y a plusieurs...
12:36 Et il y a des contradictions entre les dangers,
12:39 comme il y a en moral des contradictions
12:41 entre les devoirs.
12:42 Par exemple, des questions comme la peine de mort,
12:45 comme l'avortement, comme la fin de vie,
12:48 sont au coeur du vitalisme critique
12:50 et d'une manière complexe.
12:51 Comment un vitaliste critique peut, par exemple,
12:54 justifier les lois sur l'avortement ?
12:56 Moi, je... On va peut-être rentrer là-dedans ou pas,
12:59 mais c'est très important de le comprendre,
13:02 contre ceux qui vont sacraliser la vie.
13:04 Mais moi, je reste contre la mort,
13:06 et pourtant, je pense qu'il y a des cas
13:09 où les contradictions humaines, de façon douloureuse,
13:12 nous obligent à admettre certaines formes de mort,
13:15 même si la boussole doit rester le refus de la mort.
13:18 Il y a des cas en fin de vie, pour moi, très limite,
13:21 où il faut autoriser même ce qu'on appelle
13:23 désormais l'aide active à mourir.
13:25 Il y a des cas de guerre juste,
13:27 qui sont limités, mais c'est quand on est attaqué.
13:30 On a le droit de se défendre.
13:32 Chez les humains, le fait de défendre la vie
13:35 contre la mort mène à des contradictions.
13:37 -Mais alors, est-ce que c'est le critère
13:40 que vous avez identifié comme l'invivable ?
13:42 -Oui, mais même ce critère-là...
13:44 -On se retient avec Judith Butler,
13:46 puisque vous en parliez, cet invivable,
13:49 qui serait le moment critique au nom du corps,
13:52 le moment critique au nom duquel il faut soit oeuvrer politiquement
13:56 pour rendre la vie plus vivable,
13:58 soit... Alors, soit je ne sais pas quoi, d'ailleurs, mais...
14:01 Mais c'est un critère compliqué, quand même.
14:04 Tout le monde peut dire que c'est invivable.
14:06 -Voilà. Il y a deux choses.
14:08 Il y a d'abord le fait que la boussole,
14:10 ça reste même pas l'invivable, d'abord, c'est la mort.
14:13 Mais même la lutte contre la mort est un critère,
14:16 à mon avis, très radical, qu'il faut jamais lâcher,
14:20 mais qui peut mener à des contradictions.
14:22 Vous allez avoir des contradictions.
14:24 La mort de l'un, la mort de l'autre,
14:26 parfois, on est amené à des choix tragiques.
14:29 -Donc, c'est tragique, le vitalisme critique.
14:32 -Oui, bien sûr, c'est tragique,
14:34 et en même temps, c'est aussi...
14:36 Ca décrit aussi, évidemment,
14:38 une forme de joie dans l'opposition à la mort.
14:41 Il y a des choses qui nous permettent
14:43 d'aller vers des choses très positives,
14:45 et même, je pense qu'on le ressent.
14:47 -Le vitalisme critique est joyeux,
14:49 mais jamais naïf, et toujours dans le tragique.
14:52 Mais si je reviens à l'invivable, juste un instant,
14:55 pour moi, l'invivable, c'est très précis,
14:58 c'est ce qui est mortel,
15:00 mais peut-être pas physiquement, mais subjectivement.
15:03 C'est-à-dire, on peut continuer à vivre,
15:06 mais il y a quelque chose d'invivable,
15:08 et c'est la destruction de la subjectivité.
15:10 Il se trouve que pour vous et moi, pour des vivants humains,
15:14 et peut-être pour beaucoup d'autres,
15:16 l'invivable, c'est être un sujet.
15:18 Votre corps peut continuer à fonctionner,
15:21 et votre subjectivité, être détruite.
15:23 Et donc, l'invivable, c'est ce qu'on ne peut plus expérimenter.
15:27 C'est ce que Simone Weil, la philosophe,
15:29 appelle le malheur. Le malheur, c'est pas un état de l'âme,
15:32 c'est la destruction de l'âme.
15:34 Vous pouvez être encore là. -Je ne vis pas ma propre vie.
15:38 C'est une vie qui se passe sans moi.
15:40 -Il y a des critères précis où la subjectivité est détruite.
15:43 Il faut se donner des critères radicaux.
15:46 Par exemple, quand un enfant capricieux
15:48 ou une personne qui vit dans le luxe dit
15:50 "J'ai pas eu ma troisième boule de glace,
15:53 "c'est invivable, c'est...
15:55 "Oh là là, j'ai eu une journée terrible, mortelle", etc.
15:58 C'est normal que le langage de l'invivable
16:00 traverse toute notre vie, parce que nous sommes des vivants.
16:04 Le paradoxe, c'est que plus la souffrance est grande,
16:07 moins on l'exprime. Je pense qu'un esclave
16:09 ou un grand malade ou un...
16:12 Quelqu'un qui subit une souffrance terrible
16:14 n'arrive même plus à l'exprimer.
16:16 L'oppression empêche l'expression.
16:19 -Oui, on l'a vu, notamment avec les traumas,
16:21 dont il a été beaucoup question.
16:23 Est-ce que vous appelez quelque chose
16:25 qui est de l'ordre de la violation ?
16:27 Est-ce que de la violence, où le langage est empêché ?
16:30 On le sait aussi à travers la littérature,
16:33 des témoignages, de la choix,
16:34 la difficulté de dire, d'écrire,
16:36 le fait de ne plus avoir accès au langage,
16:39 ça serait l'une des expressions de cette désubjectivation,
16:42 de cette décomposition de sujets. -Exactement.
16:45 C'est ça, le paradoxe, c'est que des petites souffrances,
16:48 on va les exprimer en disant "c'est invivable",
16:50 mais la personne qui dit tout le temps "c'est invivable",
16:54 c'est quelqu'un qui va plutôt bien pour moi.
16:56 Celui qui ne dit plus rien, dont on voit que le masque
16:59 de trauma, c'est souvent l'impassibilité.
17:01 -Qu'est-ce qu'on fait quand on n'est plus face à des sujets ?
17:05 -C'est là qu'il y a une forme de soin très particulière
17:08 qui est possible, pas toujours. C'est la question des limites
17:11 où il faut admettre que parfois, quand c'est détruit, c'est détruit.
17:15 Et c'est aussi la question de la politique.
17:17 C'est pour ça que je pense que, dans ce dialogue qu'on a eu
17:21 avec Judith Butler sur l'invivable, par exemple,
17:23 on se trompe beaucoup sur ce qu'elle défend.
17:26 En tout cas, moi, la manière dont je le comprends,
17:29 il s'agit d'empêcher qu'il y ait des vies invivables.
17:32 Donc les revendications politiques sur la vie, pour moi,
17:35 sont toujours du côté du minimum. Il faut du minimum vital,
17:38 mais il faut aussi un minimum de subjectivité.
17:41 La société s'organise pour que toutes les vies soient vivables.
17:44 Il s'agit pas de changer le monde, la nature ou je sais pas quoi
17:48 pour dire on va reconnaître toutes les vies,
17:50 changer la nature humaine, pas du tout.
17:52 Il faut juste qu'en effet,
17:55 les vies soient minimalement vivables,
17:58 et ça, ça implique même...
18:00 Je définis maintenant ce que j'appelle la vitale démocratie
18:03 dans le prolongement de la sociale démocratie,
18:06 pour dire qu'il faut nous donner les conditions
18:08 pour que les vies soient vivables pour nous.
18:11 Un minimum d'air respirable, un minimum de vie subjective,
18:15 aussi un minimum de société, un minimum de justice,
18:19 un minimum de reconnaissance, de travail,
18:22 de santé, d'éducation,
18:24 ces minima qui sont, en fait, possibles
18:27 par des outils politiques, eux aussi minimaux,
18:31 pas par un Etat mondial, mais par des minima vitaux.
18:35 -Est-ce que c'est aussi ce qu'on appellerait le CAIR ?
18:38 -Alors, le CAIR, c'est le mot anglais pour dire "soin",
18:42 mais qu'on ne traduit plus en philosophie en France,
18:45 parce que justement, les défenseurs du CAIR
18:48 trouvent que le mot "soin" est trop du côté de la vie,
18:51 trop du côté de la médecine.
18:52 Et eux, ils disent "care" pour dire que c'est d'abord
18:56 une fonction morale, faire attention à,
18:58 et sociale aussi, "take care of",
19:00 même si moi, je pense qu'en anglais,
19:02 le mot "care" est aussi vital.
19:04 Si vous êtes dans un hôpital, dans un pays anglo-saxon
19:07 ou anglophone, vous aurez les "intensive care",
19:09 qui est comme "soin intensif".
19:11 Donc, le CAIR, c'est une notion intéressante,
19:14 parce qu'elle mêle tous les degrés du soin,
19:16 corporel, psychique, politique.
19:19 La petite controverse entre les uns et les autres,
19:22 ou les uns et les unes,
19:23 parce que c'est souvent aussi entre masculin et féminin,
19:26 le CAIR, c'est...
19:29 de savoir s'il y a du vivant partout,
19:31 et moi, je défends qu'il y ait du vivant partout.
19:34 Même le soin politique est toujours vital.
19:36 C'est une controverse pas secondaire,
19:38 qui est assez importante.
19:40 Mais oui, le CAIR, c'est reconnaître
19:42 qu'on est dépendants du soin que les autres prennent de nous,
19:45 organiquement, quand vous étiez bébé,
19:49 quand on est malade, psychiquement,
19:51 on en a toujours besoin,
19:52 et socialement, on en a toujours besoin.
19:54 -Le vital, c'est aussi la relation, en réalité.
19:57 Il n'y a pas de vivant sans autrui
20:00 ou sans lien.
20:02 -Tous les vivants sont relationnels,
20:04 mais à des degrés divers.
20:06 Les grands mammifères,
20:09 les oiseaux et les humains ont ce qu'on appelle l'attachement
20:12 comme besoin vital.
20:13 L'attachement, c'est pas juste le besoin d'être aidé
20:16 par des autres,
20:17 ce qu'ont tous les...
20:19 En fait, presque tous les vivants, c'est-à-dire une relation au milieu.
20:22 Les amibes, elles se débrouillent toutes seules,
20:25 en quelque sorte.
20:26 Les abeilles, etc., on sait pas trop,
20:29 mais certains savent sûrement,
20:31 mais ce qu'on sait, c'est que pour certains vivants,
20:34 comme les humains, on a besoin d'être aidé
20:36 au sens d'être aimé,
20:37 c'est-à-dire être aidé par quelqu'un de singulier
20:40 qui s'adresse à vous singulièrement.
20:42 Faut pas seulement qu'on me donne à manger,
20:44 faut qu'on me donne à manger, en s'adressant à moi.
20:47 Et sinon, je meurs. Le nourrisson meurt.
20:50 D'abord, sa subjectivité peut ne pas naître,
20:52 et puis, ensuite, la pathologie peut aller jusqu'au suicide
20:55 et à la mort, ou même à se laisser dépérir.
20:58 Il y a des expériences avec des nourrissons plutôt de singes,
21:01 qui sont terribles.
21:03 On les fait choisir entre la mère,
21:05 la figure d'attachement et la nourriture,
21:07 et ils choisissent la mère, quitte à se laisser mourir.
21:10 Donc, il y a...
21:11 La relation est un besoin vital.
21:13 Ce qui est important, c'est pas de faire de la relation
21:16 un supplément d'âme, comme s'il y avait la vie,
21:19 puis en plus, l'amour. Non, l'amour est vital.
21:22 L'amour initial est vital,
21:23 l'amour dans la sexualité se rejoue comme vital,
21:26 c'est-à-dire c'est un degré de relation
21:28 où vous remettez tout en jeu.
21:30 C'est ce qu'il y a de plus intime dans le corps,
21:33 la sexualité, jusqu'à votre histoire.
21:35 C'est pour ça que l'amour est si important.
21:37 L'amitié est très importante,
21:39 mais pas jusqu'à la dimension existentielle de l'amour.
21:42 On a l'impression de tout remettre en jeu, et c'est vrai.
21:45 Et puis, il y a les créations...
21:47 C'est pour ça que le vitalisme critique est joyeux,
21:50 c'est parce que le vivant
21:52 est toujours une résistance active à la mort,
21:54 et plus il y a de causes de mort,
21:56 plus il doit inventer de ressources face à la mort.
22:00 En fait, qu'est-ce qui a été inventé en premier ?
22:02 Est-ce la dépendance vis-à-vis d'autrui
22:04 ou est-ce l'amour ? Je ne sais pas,
22:06 mais les deux sont contemporains.
22:08 -Il y a une petite tendance dans certaines pensées du vivant,
22:12 mais pas la vôtre, qu'il serait de faire de l'homme
22:15 un chénon manquant d'un vaste ensemble
22:17 où, effectivement, la relation prime sur les individus, etc.,
22:21 mais où, finalement, c'est l'homme aussi
22:24 qui est un peu mis de côté.
22:26 Et vous, malgré... -C'est-à-dire ?
22:28 -C'est-à-dire que dans une sorte de deep écologie,
22:31 où il y a quand même cette idée que les hommes,
22:34 non seulement ils ont détruit la planète,
22:36 mais en plus, ils continuent de le faire,
22:39 et finalement, c'est eux qui perturbent le vivant.
22:42 Vous vous tenez à un humanisme vitaliste.
22:44 Comment vous arrivez à tenir les deux ?
22:46 -Je dis "les humains", mais vous avez le droit
22:49 de dire peut-être "l'homme",
22:50 parce que vous êtes du côté féminin des humains.
22:53 -Je reprends la responsabilité. -Non, mais c'est important.
22:57 Mais...
22:58 Effectivement, donc, moi, je défends l'idée
23:00 d'une singularité des humains parmi les vivants.
23:03 Et donc, en un certain sens, un humanisme
23:05 est ce que j'appelle un humanisme vital.
23:07 Nous sommes intégralement des vivants,
23:10 et tout ce qui fait l'humain est mortel, donc vivant.
23:13 Mais nous n'échappons pas,
23:14 nous aggravons notre condition de vivant.
23:17 Nous sommes les vivants les plus complexes,
23:19 mais d'abord au sens des dangers,
23:21 et aussi des dangers que nous faisons peser
23:24 sur les autres vivants.
23:25 Cette singularité des vivants humains
23:27 est une singularité de l'humanisme.
23:29 Et c'est vrai que, oui, je défends cette singularité,
23:32 et par exemple, aussi, je pense,
23:34 c'est pour ça que je disais tout à l'heure,
23:36 on ne pourra pas sauver les autres vivants
23:39 sinon par la politique humaine.
23:41 Il faut quand même s'intéresser aux autres vivants,
23:44 c'est fondamental.
23:45 Quand on considère qu'on est des vivants,
23:47 on doit préserver le vivant comme on doit préserver notre vie,
23:51 mais aussi pour lui-même.
23:52 Il faut concilier ces deux points, et c'est très simple.
23:55 Les environnements vivants, les autres espèces vivantes,
23:58 vous devez passer par la politique.
24:00 Il faut se représenter humainement
24:04 les relations entre les vivants,
24:06 faire une sorte de politique du vivant,
24:08 c'est au coeur de la société d'aujourd'hui,
24:11 mais une politique humaine du vivant,
24:13 avec des principes qui sont d'abord
24:15 sur les violences inter-humaines,
24:17 et on ne sauvera pas la planète sans d'abord répondre
24:20 à ce qui se passe, au sentiment d'injustice
24:22 entre les humains et à la guerre.
24:24 -Comment peut-on expliquer, du point de vue du vitalisme critique,
24:28 que finalement, la destructivité est tendance à l'emporter,
24:31 que l'être humain soit capable d'autodestruction,
24:34 à ce point ?
24:36 -Je pense qu'on peut définir le moment présent
24:38 par une prise de conscience de cette destructivité
24:41 et de son échelle, en fait.
24:43 Une échelle dont on a pris conscience d'abord
24:46 psychiquement, humainement, à travers les guerres,
24:49 les fratricides, les génocides,
24:51 les guerres intérieures entre les humains.
24:54 On n'a pas assez parlé de cette violence intérieure
24:57 que j'appelle en effet "violation".
24:59 Aujourd'hui, on prend conscience aussi
25:01 des effets destructeurs de la technique humaine
25:04 sur l'environnement.
25:05 On est dominés par cette prise de conscience
25:08 de la destructivité,
25:09 ce qui fait qu'on est reconduit au vivant, pour moi,
25:12 puisque la destructivité, c'est le signe qu'on est mortel,
25:15 donc qu'on est vivant.
25:17 Mais en prendre conscience, c'est y résister.
25:20 Et donc, y résister, c'est aussi inventer.
25:22 Les humains, face à la maladie, ont inventé la médecine.
25:25 Face à l'injustice, on peut à peu inventer
25:28 le droit et la démocratie.
25:29 Face aux risques d'aujourd'hui,
25:31 on a l'obligation d'inventer des choses.
25:34 C'est pour ça que je suis pas spécialement déprimé,
25:37 parce que je pense qu'on n'a plus le temps,
25:39 le choix d'être déprimé.
25:41 Les choses sont plus graves que la dépression,
25:44 on est obligés d'agir.
25:45 Je m'engage dans des institutions,
25:47 j'ai des responsabilités,
25:49 là où il est, dans des institutions
25:51 où des philosophes peuvent avoir des responsabilités,
25:54 tant bien que mal, des profs, en tout cas,
25:56 et je pense que c'est extrêmement important
25:59 de comprendre que oui, les dangers sont réels,
26:02 intérieurs à chacun, à l'humanité, etc.,
26:04 mais que oui, du coup,
26:06 se révèlent aussi les capacités de résistance.
26:10 Et l'homme va jamais sans l'autre.
26:13 C'est pour ça qu'on échappe à la dépression
26:16 en disant qu'il y a pire et il y a mieux,
26:18 on n'est jamais neutre, on n'est jamais dans la vanité.
26:21 La dépression, c'est le sentiment du néant,
26:23 c'est la grande erreur des philosophies nihilistes,
26:26 en fait, c'est fini, le néant, c'est fini,
26:29 il faut bien le dire aux gens.
26:31 Maintenant, c'est la vie ou la mort.
26:33 C'est une question de vie ou de mort, donc de vie.
26:35 Et donc, c'est beaucoup plus concret que le néant.
26:38 On n'a plus le loisir d'écrire...
26:40 Alors, je dis pas de "L'être et le néant" de Sartre,
26:43 qui est pour moi un livre vitaliste,
26:45 mais c'est un autre sujet,
26:47 c'est un autre sujet, en tout cas, de critiquer le vivant.
26:50 Et donc, il faut...
26:53 Il faut agir pour donner à chacun les ressources de résister.
26:56 -Donc, le tragique, mais la joie.
26:59 -Oui, parce que l'un ne va jamais sans l'autre.
27:02 Regardez les vrais auteurs tragiques.
27:04 Il y a toujours aussi une expérience de la joie,
27:06 et c'est pas seulement qu'en allant au théâtre,
27:09 vous avez la catharsis, vous vous mettez dans la peau du tragique
27:13 et vous ressortez joyeux, c'est dans "Antigone",
27:16 quand il doit sacrifier l'amour, il sait que l'amour est important.
27:19 -Merci, Frédéric Worms. -Merci à vous, Mme Pinjot.
27:23 ...