Président du Muséum national d'Histoire naturelle, Bruno David publie "Le Jour où j'ai compris" (Grasset). Il est l'invité de 9h10.
Retrouvez "L'invité de Mathilde Serrell" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Bonjour M. David, vous êtes à la fois chercheur, naturaliste, biologiste, paléontologue et
00:05 président du Muséum National d'Histoire Naturelle.
00:07 Mais aujourd'hui c'est Bruno que j'ai devant moi.
00:09 Un boomer, comme vous le dites vous-même, qui en six décennies a fait son parcours
00:12 de prise de conscience écolo.
00:14 Je vais vous demander d'abord quelque chose, quelle est la chose la plus éco-sidère que
00:18 vous ayez faite en 60 ans ?
00:20 Oh je ne sais pas, sans doute consommer des nourritures assez exotiques parce que quand
00:25 j'étais vraiment très très jeune, j'avais moins de 10 ans, les premiers supermarchés
00:31 arrivaient.
00:32 Je me rappelle c'était un casino qui n'était pas très loin de chez mes parents.
00:34 Et ma joie avec mon père c'est de parcourir les rayons de nourriture exotique et je pense
00:39 que j'ai mangé de la tortue, j'ai dû manger du requin, j'ai dû manger des trucs improbables
00:43 et on découvrait ça avec des yeux complètement écarquillés.
00:46 C'était vraiment très spécial.
00:47 Vous avez les circonstances atténuantes de l'époque.
00:50 Je ne le referais pas aujourd'hui.
00:51 Le principe de ce livre, « Le jour où j'ai compris », c'est justement que ce jour
00:55 n'existe pas, non ?
00:56 Oui, c'est un petit peu une escroquerie ce titre.
00:58 Oui, soulignons-le tout de suite.
01:00 Voilà, ça aurait dû être « Les jours où j'ai compris » parce que la prise de
01:03 conscience s'est faite progressivement à travers différents événements qui ont
01:07 jalonné ma vie et un petit peu comme un système à cliquets où à chaque fois on franchit
01:11 un cran, un cran, un cran et la prise de conscience se construit comme ça.
01:14 Même si elle a démarré très tôt autour des sujets de pollution quand j'étais vraiment
01:18 très enfant.
01:19 Vous dites que vous n'avez pas eu de révélations soudaines, pas de nuit pascale environnementale,
01:23 c'est ce que vous écrivez, mais une prise de conscience en 19 étapes.
01:26 Je trouve que c'est très précis donc suspect quand même.
01:28 Pourquoi ? Vous êtes sûr que ce soit 19 étapes ?
01:31 Non, on a un certain nombre d'étapes.
01:33 Oui, ce n'est pas forcément 19 étapes.
01:34 Mais ça a été des événements surtout qui finissent par marquer, par s'enregistrer.
01:39 On ne les perçoit pas forcément comme tels au moment où ils se produisent d'ailleurs.
01:43 C'est assez étrange.
01:44 Et puis avec un peu de recul, quand on commence de grandir et puis de réfléchir un petit
01:48 peu plus, on se dit « c'est vrai que j'ai vu ça, c'est vrai que j'ai vu aussi ça,
01:51 il s'est passé ça ». Et tout ça, ça amène à construire finalement cette prise
01:56 de conscience que j'ai eue sans doute un petit peu plus tôt que la moyenne des Français.
02:00 Parce que tout le monde n'a pas la chance d'avoir des parents naturalistes pour parodier
02:04 un titre de film célèbre.
02:06 Je suis né dans une famille de naturalistes.
02:08 Donc il y avait cette sensibilisation, ce terreau qui existait.
02:11 Ça m'a sans doute sensibilisé assez jeune.
02:14 Puis je me suis engagé moi-même dans une carrière de naturaliste qui a amené aussi,
02:17 qui a accéléré cette prise de conscience.
02:19 Mais je ne suis pas meilleur qu'un autre non plus.
02:21 Ça s'est fait progressivement au fil de ces événements qui ont jalonné ma vie.
02:26 En fait, vous faites une sorte d'analyse.
02:28 Vous vous mettez sur le divan un peu et puis vous essayez de retrouver ce que l'enfant
02:34 Bruno David a vécu, ce qui était sous-jacent, ce que le subconscient avait enregistré avant
02:40 que vous soyez fermement écolo.
02:42 Oui, c'est un petit peu ça.
02:43 C'est-à-dire c'est une forme d'introspection.
02:45 Et ça s'est curieusement décidé puisque c'est mon éditeur chez Grasset, pour ne
02:50 rien vous le cacher, qui un jour dans un déjeuner me dit "mais au fait, comment t'as compris ?"
02:54 Et je lui dis "mais j'ai compris quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ?"
02:58 "Le jour où t'as compris qu'il y avait un sujet autour des questions d'environnement."
03:01 Mais je lui dis...
03:02 Et imaginez que c'était comme dans les biopics quand on trouve un tube.
03:06 C'était pas Eureka.
03:07 Ou Eureka bien sûr.
03:08 Ou Pascal.
03:09 Ou Pascal.
03:10 Non, ça ne s'est pas produit comme ça.
03:13 Et puis je lui ai dit tout de suite "non, mais c'est pas intéressant, je ne peux pas
03:15 faire un livre là-dessus".
03:16 Mais il avait un stylet de poison.
03:18 Donc c'était fait.
03:20 J'ai commencé à réfléchir à mon petit déjeuner sous ma douche et puis c'est parti
03:23 comme ça.
03:24 Alors avant de revenir sur ce cheminement progressif, cette géologie de votre conscience
03:28 environnementale, strate par strate, entre incendie, marée noire et catastrophe chimique,
03:33 comment vous regardez-vous l'évolution des prises de conscience sur l'écologie ?
03:36 Alors je pense qu'elles sont beaucoup plus précoces.
03:38 C'est-à-dire que maintenant on a vraiment les clés de compréhension.
03:40 Il faut savoir se reprojeter dans les années 60-70 où on n'avait pas les clés de compréhension.
03:44 Rétrospectivement, on peut toujours dire "ah oui, mais vous auriez dû comprendre plus
03:47 tôt", sauf qu'à l'époque c'était assez difficile quand même.
03:50 On n'avait pas ces clés.
03:51 Aujourd'hui, nous avons les clés.
03:52 Disons que depuis plus de 20 ans maintenant, on a les clés.
03:55 Donc si on n'a pas cette prise de conscience, c'est vraiment un problème, c'est qu'on
03:58 ne veut pas l'avoir.
03:59 C'est pas qu'on ne peut pas l'avoir, c'est qu'on ne veut pas l'avoir.
04:01 Donc je suis assez critique par rapport aux citoyens d'aujourd'hui, à nos concitoyens
04:06 d'aujourd'hui, qui refusent cette prise de conscience.
04:08 Je ne dis pas qu'il faut complètement changer de mode de vie tout le temps et partout, mais
04:13 on doit pouvoir faire des efforts, il faut qu'on les fasse.
04:15 - D'autant qu'on est au-delà de la prise de conscience, on est plutôt sur l'action
04:18 maintenant.
04:19 Donc il y a un train de retard, on parle d'inaction climatique et plus maintenant quasiment de
04:23 climato-scepticisme.
04:24 - Moi je parle de climato-négationnisme.
04:26 - Exactement, oui, c'est vrai que vous utilisez ce terme.
04:29 Pour provoquer la prise de conscience, il y a eu les données scientifiques, j'en parlais
04:32 tout à l'heure, qui sont arrivées un peu au max avec l'ultime rapport du GIEC.
04:36 Il y a l'humour qui a aussi son rôle à jouer, on l'a vu avec le film Phénomène d'Hans
04:39 Kluckhop, et puis il y a les actions bien sûr, qui se multiplient.
04:42 - C'est le dernier symbole en date attaqué ce matin par les activistes environnementaux.
04:46 La statue du roi Charles III entartée au musée de Cire de Londres.
04:50 Un acte signé « Just stop oil, stop aux énergies fossiles ».
04:53 - Le temps des paroles c'est fini, maintenant c'est le temps de l'action.
04:57 - Action coup de poing en Angleterre et en Allemagne, mais la France n'est pas épargnée.
05:01 En juin dernier, la Joconde a été tartinée de gâteaux au musée du Louvre.
05:04 - Il y a eu une autre activité hier, c'était Place Beauvau, où là ce sont les groupes
05:09 Extinction Rebellion qui sont allés s'enchaîner sur la Place Beauvau.
05:12 - Extinction Rebellion s'en est pris à la fondation Louis Vuitton, on rappelle que c'est
05:16 un musée, qui a été aspergé, c'est en solidarité avec les travailleurs pour la journée du 1er mai.
05:22 - Ces actions de jeunes militants comme celles du groupe Extinction Rebellion hier encore
05:26 à Paris, c'est l'extrait de news qu'on vient d'entendre, vous les recevez comment vous
05:30 Bono David ?
05:31 - Alors je les regarde avec un petit peu de curiosité quand même, parce que ça ne serait
05:34 pas mon mode d'action, vous avez pu le constater d'ailleurs.
05:37 - Non, vous réfléchissez sous la douche.
05:39 - Voilà, non, je pense que c'est important d'agir, effectivement, il faut qu'on agisse,
05:44 il faut qu'on réveille les consciences pour celles et ceux qui n'auraient pas suffisamment
05:48 pris conscience.
05:49 Je ne suis pas certain que des actions comme ça soient les plus pertinentes.
05:52 Simplement parce que les gens qui n'ont pas encore pris conscience, ça va avoir tendance
05:56 à les agacer et ça va les braquer au contraire et les empêcher presque de prendre conscience.
06:00 Ça peut soulager ceux qui font ces actions, mais je ne suis pas convaincu que ça soit
06:06 le plus efficace que de se comporter comme ça.
06:09 Parce qu'encore une fois, les gens qui sont contes vont regarder ça en disant "mais regardez-moi,
06:13 c'est tout des abrutis, c'est pas possible", ils vont se braquer encore plus et on ne va
06:17 pas les accompagner dans une prise de conscience.
06:19 Et je pense que la persuasion par l'accompagnement est plus importante.
06:22 - Alors vous parlez des mots qui sont essentiels dans cet accompagnement, vous dites que finalement
06:28 les mots sont paradoxaux et traduisent notre paralysie, notre incapacité à agir.
06:34 Par exemple les mots comme "développement durable" et quoi d'autre ? Qu'est-ce qui
06:38 dans le vocabulaire ambiant nous empêche finalement de prendre conscience ?
06:41 - Les mots, on les utilise de manière parfois quasiment perverse.
06:44 Par exemple, on parle de "service écosystémique".
06:46 Un service c'est quelque chose, c'est que les écosystèmes nous rendent des services.
06:50 Alors il y a des sortes de services de régulation dans la pureté de l'air, de l'eau, dans
06:55 des choses comme ça, mais en fait on va se servir dans les écosystèmes, notamment
06:59 tout ce qui est ressources.
07:00 Les ressources des poissons, on peut prendre l'exemple des poissons, on va se servir.
07:04 Donc l'écosystème ne rend pas service.
07:05 Je donne souvent l'exemple, c'est un petit peu comme si j'avais fouiné dans votre sac
07:08 pour aller vous prendre un billet de 50 euros et puis après je vous remercie pour vous
07:11 dire "vous m'avez rendu service, je vous remercie vraiment de m'avoir rendu service,
07:15 vous ne le prendriez pas forcément bien".
07:17 Alors l'écosystème n'a pas son mot à dire, mais c'est un petit peu ce terme-là,
07:23 pour moi ça serait plus un emprunt écosystémique qu'un service écosystémique.
07:26 Vous voyez, le vocabulaire a son importance.
07:28 - Il y a des glissements qui se jouent, il y a aussi un glissement de la maison brûle
07:32 à "on va tous mourir", il y a aussi un effet paralysant.
07:34 Si on change le paradigme, si on pousse juste le curseur, ça ne va pas créer plus de conscience
07:40 écologique.
07:41 - Oui, l'expérience que je raconte aussi, c'est qu'en fait on a des moyens d'action.
07:45 On peut faire des choses.
07:46 La situation ne va pas en s'améliorant, elle s'est améliorée sur certains points,
07:50 on le dit d'ailleurs, sur un certain nombre de faunes sauvages, notamment en France.
07:54 Mais ça veut dire qu'on a des moyens d'action, ça veut dire que la biodiversité est résiliente,
07:58 elle est capable de cicatriser et que si on veut bien s'en donner la peine, en faisant
08:02 un certain nombre d'efforts, bien sûr, ça ne se fera pas sans rien, il y a moyen d'inverser
08:06 la tendance.
08:07 - Alors on reparle un peu de ce statut de boomer que j'évoquais au début de l'émission.
08:11 Vous dites "si je puis me permettre, avec tout le respect que je vous dois, monsieur
08:14 le jeune accusateur public, je vous enjoins de vous garder d'un jugement rétrospectif
08:18 trop hâtif, accusé boomer, levez-vous".
08:21 Alors qu'est-ce que vous avez à dire pour votre défense, justement, Bruno David, puisque
08:26 dans ce livre, vous décidez de revenir sur le bain, finalement, idéologique dans lequel
08:31 flottent les uns et les autres et ce qui amène à ne pas pouvoir juger rétrospectivement
08:36 ou anachroniquement les décennies précédentes.
08:39 - La défense, elle est double.
08:40 Elle est d'une part de dire qu'on n'avait pas les clés de compréhension, que par exemple
08:45 le changement climatique, les deux décennies 60-70 sont plus froides que beaucoup des
08:49 décennies qui ont précédé.
08:50 Il faut remonter avant les années 20 pour avoir une décennie aussi froide que celle
08:53 des années 60.
08:54 Donc quand on est enfant dans les années 60, il fait plus froid, il fait froid.
08:58 Il y a des années, il a fait jusqu'à -21, -27 à Lyon.
09:03 Et c'était pas une température ressentie, c'était vraiment la vraie température.
09:07 Donc il n'y avait pas les clés.
09:10 En question d'érosion de la biodiversité, on avait assez peu de clés non plus.
09:15 Moi, ce qui m'a sensibilisé en premier, c'est la pollution.
09:17 Parce que ça, ça se voyait.
09:18 J'ai été sensible à la pollution, mais vraiment très très jeune.
09:21 - Puisque vous étiez dans la région lyonnaise, aux confins de ville urbaine, et que vous
09:25 aviez…
09:26 Il y a des gens, c'est dans Ratatouille par exemple, ça va être une épiphanie en
09:30 goûtant une ratatouille.
09:31 Vous, vous avez un souvenir très très précis des odeurs, des effluves chimiques en fait
09:35 environnantes.
09:36 - Oui, parce que dès qu'il y avait le vent du sud, il y avait tout le couloir de la
09:39 chimie qui est au sud de l'agglomération de Lyon.
09:41 Et l'air remontait sur la ville de Lyon.
09:43 Et chez mes parents, à Villeurbanne, on sentait le vent du sud.
09:47 Le vent du sud avait une odeur.
09:49 Et cette odeur m'est restée en tête à tel point que je l'ai vraiment en mémoire.
09:53 Si je me replongeais dans une odeur de manière…
09:56 Vous me remettriez dans cette ambiance, je reconnaîtrais l'odeur instantanément.
10:01 Donc on n'avait pas les clés.
10:02 Et puis d'autre part, le deuxième argument, c'est de dire on n'était peut-être pas
10:06 si mauvais que ça non plus.
10:09 Parce que le contexte de consommation de l'époque était beaucoup moins frénétique qu'aujourd'hui.
10:14 - C'est la fameuse anecdote du pull.
10:16 - Voilà, c'est la fameuse anecdote.
10:18 - Allez-y, je vais vous laisser raconter rapidement.
10:20 - Je me suis souvenu de ça rétrospectivement.
10:22 Mais effectivement, tous les pulls que j'ai portés jusqu'à l'âge de plus de 20 ans
10:27 étaient des pulls tricotés par ma grand-mère.
10:29 - Donc vous aviez un bilan carbone peut-être assez green par rapport à un milléniole.
10:37 C'est ça que vous essayez de nous dire.
10:38 - Exactement.
10:39 Et c'était que des pulls tricotés par ma grand-mère.
10:40 Souvent avec de la laine recyclée.
10:42 C'est-à-dire qu'au fur et à mesure qu'on grandissait, on détricotait les pulls, on
10:44 récupérait la laine et on refaisait un nouveau pull avec la laine.
10:47 Ils n'étaient pas tous d'une esthétique extraordinaire.
10:49 Ceci dit, ma grand-mère tricotait très très bien.
10:51 - Il est 9h19 sur France Inter.
10:54 Par quel cheminement en arrive-t-on ou pas à prendre conscience du péril et à agir ?
10:58 C'est la question que vous nous posez d'humain à humain.
11:00 Bruno David, on y répond en quelques minutes.
11:03 Qui rêve encore de l'Amérique ?
11:06 Ce shopping mall pas démocratique.
11:10 Tout est si différent maintenant.
11:16 Mais qui peut encore rêver tout court ?
11:23 Quand tout est flippant aux alentours.
11:29 Tout est si différent maintenant.
11:33 En attendant bien patiemment la fin du monde.
11:41 Quelle liberté d'être condamné.
11:49 Après ces années de culpabilité.
11:53 Agissons enfin sans conséquence.
11:59 Salut patron, on se verra en vacances.
12:02 Tout est si différent maintenant.
12:08 En attendant bien patiemment la fin du monde.
12:26 Tout est si différent maintenant.
12:31 En attendant bien patiemment la fin du monde.
12:38 La fin de nous.
12:42 C'est nous les nouveaux dinosaures.
12:48 On finira au musée dans un décor.
12:53 Et sur la plancarte en gros caractère.
12:56 Hommes en terrasse buvant un verre.
13:00 Et qui attend bien patiemment la fin de son ère.
13:20 Les nouveaux dinosaures, la musique anthropocénique de Sévrin sur France Inter.
13:25 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Mathilde Serrel.
13:31 La vie forme une sorte de réseau, ou si vous voulez comme un tissu, ou comme un tricot.
13:38 Et si vous supprimez une baille, vous ne savez pas du tout ce que ça peut produire.
13:42 Peut-être rien du tout, ou bien au contraire le trou va s'élargir, va s'agrandir.
13:48 La trame de la vie c'est exactement la même chose.
13:50 Est-ce que Bruno David, qui est avec nous ici présent pour ce livre "Le jour où j'ai compris"
13:55 sur l'itinéraire de sa prise de conscience écologique a reconnu la personne qui vient de parler ?
13:59 Pourtant c'est l'un de vos maîtres, c'est Jean Dorst, votre illustre prédécesseur.
14:03 A la tête du muséum national d'histoire naturelle, on l'entend dans cet archive Antenne 2.
14:07 C'est presque contemporain, il a tout compris.
14:09 On pourrait remplacer la trame de la vie par la trame du vivant.
14:12 Et on y serait donc dans ce grand bain des 30 glorieuses.
14:17 Il y a aussi des visions prophétiques.
14:19 Oui, il y a eu quelques personnes à travers la planète, on parle souvent de Rachel Carson,
14:23 on parle de Jean Dorst en effet, qui avaient compris un certain nombre de choses.
14:27 Mais beaucoup concernant la biodiversité, Jean Dorst dans son livre "Avant que nature meure"
14:31 ne parle pas du climat par exemple.
14:33 C'est traduit quand même en 17 langues en 1965.
14:36 C'est un livre extraordinaire, j'encourage tout le monde à le lire.
14:39 Vraiment, c'était très prémonitoire pour beaucoup de choses.
14:42 Mais à certains moments il s'est trompé aussi, par exemple pour l'océan.
14:46 Il dit que l'océan il n'y aura jamais de problème, c'est tellement vaste, on peut y aller, on peut pêcher,
14:50 on ne pêche jamais qu'un tout petit peu de ce qu'il y a dans l'océan, il n'y aura pas de problème.
14:53 Et maintenant on est confronté à la surpêche, et on le sait bien.
14:55 Donc à certains moments, c'est ce que je disais tout à l'heure, il n'y avait pas les clés.
14:59 Il était prémonitoire, il était visionnaire, mais pas à 100% non plus.
15:03 Et au fond dans l'époque, entre les visions prophétiques, les alertes scientifiques minimisées,
15:08 les querelles générationnelles, on en parlait tout à l'heure, on perd encore du temps finalement.
15:13 Tandis que les négationnistes du climat, comme vous les appelez, nous font foncer dans le mur.
15:17 Et finalement, c'est une réflexion sur le temps, ce livre.
15:21 Oui, c'est un petit peu une course-compte, on la montre.
15:23 Alors il y a le climat, il y a le reste de l'environnement, avec notamment la biodiversité.
15:26 Il ne faut pas oublier, il faut bien lier les deux, et il ne faut pas non plus tomber dans des querelles
15:31 où le climat c'est plus important que la biodiversité, ou réciproquement les deux sont liés, il faut avancer sur les deux.
15:35 Il faut arrêter les querelles stériles aussi, sur de dire "ah oui mais vous auriez dû comprendre avant, c'est pas possible,
15:41 et puis vous aujourd'hui, comment est-ce que vous vous comportez, est-ce que vous croyez que vous êtes si exemplaire que cela".
15:45 Donc il faut arrêter ça, il faut qu'on agisse.
15:47 La planète a besoin de nous, pour être un peu emphatique.
15:50 Donc il faut qu'on bascule dans l'action, et on a encore une fois des marges d'action sans complètement tout bouleverser.
15:58 Alors dans ce livre, vous faites le bilan de votre itinéraire de progression, de votre transition écologique intérieur.
16:04 Vous faites le bilan à la fin de chaque chapitre, où vous en êtes, on peut dire que fin 80 vous êtes un écolo.
16:10 Fin 90 vous avez à peu près saisi l'ensemble, biodiversité, pollution, climat, la synthèse est réalisée.
16:16 Et vous dites, l'année 2000 et l'année 2003, particulièrement avec la canicule, ce sont les pièces du puzzle qui vont se rassembler.
16:24 Et c'est aussi le moment pour vous où on bascule, nous, contemporains et sans être aussi impliqués que vous, dans la conscience climatique, c'est 2000-2003.
16:35 Oui c'est ça, pour moi, si vous voulez, j'ai vraiment basculé fin des années 80, début des années 90, ma prise de conscience est totale.
16:42 Mais je pense que ce qui est un marqueur pour la société en général, pour moi, c'est la canicule de 2003.
16:47 Je pense qu'avec la canicule de 2003 et toutes ses conséquences, à la fois au niveau climatique, au niveau santé publique, puisqu'on se rappelle, il y a eu beaucoup de morts au moment de la canicule de 2003, pendant l'été 2003.
16:56 Au niveau des environnements, avec des forêts qui ont été très mal traitées, je pense qu'on n'a pas le droit de ne pas comprendre à partir de 2003.
17:04 Vous avez aussi une sorte de bulletin météo qui termine chacun des chapitres, où on se rend compte en effet que c'est à partir des années 90 que l'effet de froid qui précédait se dissipe et qu'avec les différentes vagues de chaleur, ça devient extrêmement tangible.
17:18 Mais il y a le regard qui bouge aussi sur vous, il y a cette météo du regard, vous êtes un gentil, vous êtes bizarrement écolo, vous n'êtes pas très sérieux, vous êtes trop cassandre.
17:31 On en est à la fin des années 90, à peu près. Vous en êtes où aujourd'hui ? Comment on vous regarde Bruno David ?
17:36 Je pense qu'on me regarde différemment.
17:38 Déjà moi je suis sympa, mais par ailleurs.
17:41 On me regarde différemment parce que le contexte a changé, la prise de conscience est beaucoup plus là.
17:45 C'est sûr que dans les cercles de famille, au moment des repas de famille, j'ai pu être regardé parfois de manière un peu curieuse, mais on me pardonnait beaucoup de choses.
17:52 Je n'étais jamais qu'un chercheur, donc un chercheur c'est un peu idéaliste.
17:55 Bon, il est un peu bizarre, c'est pas grave, nous on fait des choses sérieuses à côté.
18:00 Maintenant la prise de conscience est beaucoup plus globale et puis nos enfants ont grandi.
18:05 Quand je regarde ma famille, mes neveux, mes nièces, mes propres enfants ont grandi et je vois très bien leur prise de conscience.
18:11 Qui est forcément plus précoce que la nôtre parce qu'eux ils ont eu les clés plus tôt.
18:15 Et puis en tout cas pour les miens, j'ai essayé de les éduquer dans cette prise de conscience assez rapidement.
18:19 Alors dans les mécanismes pour faire prendre conscience, on a cité un certain nombre de possibilités,
18:26 mais il y a aussi la possibilité de dire le faux pour faire apparaître le vrai.
18:30 C'est ce qu'avaient choisi de faire les Yes Men au moment du drame de Bhopal,
18:33 qui est un drame qui vous a particulièrement marqué.
18:36 On est en 1984 et c'est l'usine Union Carbide qui va intoxiquer en fait toute une région indienne.
18:44 3 000 morts et puis 15 000 décès supplémentaires ensuite.
18:47 Et puis ils vont faire une communication en disant que Union Carbide va dédommager toutes les victimes et toutes les familles de victimes.
18:54 En fait c'est faux. Mais pour montrer à quel point finalement Union Carbide n'avait pas pris ses responsabilités.
19:00 Oui, c'est un épisode qui m'a marqué. Je me souviens parfaitement quand on en parlait à la radio, à la télévision.
19:06 Ce moment, ce drame absolu qui était un drame de pollution en fait là aussi.
19:11 C'était pas un drame de changement climatique ou d'atteinte à la biodiversité.
19:14 C'était un drame de pollution qui signait vraiment la manière dont l'homme se comportait sur la planète
19:19 avec un cynisme absolument incroyable puisque l'indemnisation des victimes n'a pas suivi.
19:23 Que la molécule même qui était toxique, ils ont mis des jours à dire de quelle molécule il s'agissait.
19:30 Donc ça a bloqué même les traitements de ceux qui étaient en train de mourir.
19:33 Et ça a fait effectivement pas loin de 20 000 morts. C'est gigantesque. Sauf que c'était loin, c'était en Inde.
19:40 Le livre se termine donc à la fin des années 2010 à peu près. On est déjà en 2023 Bruno David.
19:46 Quel est ton bilan, bilan personnel et perspective de cet itinéraire de prise de conscience ?
19:53 Alors je pense qu'il y a une prise de conscience collective. Je vais pas parler de moi.
19:56 Ma prise de conscience elle a été faite donc j'essaye d'adapter mon comportement le mieux possible.
20:02 Sans être un modèle, par exemple, je n'ai pas pris l'avion pour des raisons touristiques depuis 2009.
20:07 Ça fait 14 ans que je n'ai pas pris l'avion pour des raisons touristiques.
20:09 J'ai pris l'avion pour des raisons professionnelles. Alors bon, on peut me le reprocher aussi.
20:14 Non, donc il y a l'action, il y a une prise de conscience que je sens monter énormément et très rapidement dans les entreprises.
20:20 Je trouve que mon poste de président du Muséum National d'Histoire Naturelle fait que je rencontre des chefs d'entreprise,
20:26 je suis sollicité par les entreprises et je vois très bien cette prise de conscience en train de monter.
20:29 Ça, ça me rend optimiste. Maintenant, il ne va pas falloir trop tarder avant de passer à l'acte.
20:33 Oui, attention parce qu'on peut installer des ruches sur le toit des immeubles des entreprises.
20:39 Je ne parle pas de Greenwashing, je parle de vraie prise de conscience et si possible d'action véritable,
20:44 c'est-à-dire d'intégrer les sujets d'environnement en amont dans la stratégie des entreprises.
20:48 Merci Bruno David. Le jour où j'ai compris, enfin les jours où j'ai compris, ça sortira chez Grasset le 12 mai. Bonne journée à vous.