Journaliste et biographe de Jacques Higelin, Valérie Lehoux publie "Car toujours le silence tue" (Flammarion). Un livre qui révèle les viols que le chanteur a subi enfant.
Retrouvez "L'invité de Mathilde Serrell" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Mathilde Serrel, votre invitée ce matin est biographe, elle a longtemps porté le secret
00:04 des nuages qui sont tombés sur le ciel de Jacques Higelin.
00:07 Elle publie aujourd'hui l'histoire de ce silence.
00:10 Bonjour Valérie Léhoux.
00:11 Bonjour.
00:12 Car toujours le silence tue, c'est le titre de ce récit que vous publiez chez Flammarion
00:17 et qui est préfacé par son fils Arthur H.
00:19 Cette préface, c'est essentiellement une chanson, le secret, qui figure sur son nouvel
00:24 album et qui dit ceci.
00:25 * Extrait de Flammarion *
00:49 Le secret issu de son nouvel album "La Vie" sorti justement le 17 février.
00:56 "J'ai fui le fantôme et baisé la mort pour célébrer la vie.
00:59 Alors cette histoire qui me tue, révèle-la, libère-moi", écrit encore Arthur H.
01:03 Dans cette chanson, ce sont les mots que lui a dit son père Valéry Léhoux.
01:08 Il était au courant de cette histoire sans vraiment, dit-il, explique-t-il Arthur que
01:13 Jacques, son père, l'ait tout à fait formalisé et verbalisé.
01:18 Parce qu'il le savait, c'était comme ça dans l'air, dans la famille.
01:20 Mais Jacques a eu des difficultés à le dire.
01:27 Moi, il m'en a parlé beaucoup.
01:29 En fait, on a embarqué ensemble dans une aventure professionnelle commune qui a duré plusieurs
01:36 mois, qui a duré longtemps.
01:37 On se connaissait, en fait, on s'est fréquentés quand même de très près pendant plusieurs
01:40 années.
01:41 Et un jour, il m'a proposé, il m'a demandé si je voulais bien écrire avec lui ses mémoires.
01:45 Et je me suis rendue compte très, très vite que cette histoire d'abus sexuel, pendant
01:54 quand il était vraiment enfant, puisque ça a commencé, il avait environ dix ans.
01:57 Saskia de Ville : Environ dix ans et ça dure cinq jusqu'à six ans à peu près.
02:00 Voilà, à peu près.
02:01 De dix à quinze ans, c'est quand même assez énorme.
02:04 C'est à peu près toute son enfance et sa préadolescence.
02:08 Cette histoire que je connaissais, dont il m'avait parlé et dont je n'avais pas.
02:15 Moi, je ne m'en étais pas fait l'écho, je n'en avais parlé à personne.
02:17 Je pense, pour être très honnête, que mon silence pendant ces années, on se voyait
02:23 ou moi, je suis journaliste par ailleurs, je travaille à Télérama, j'ai très longtemps
02:27 travaillé sur la chanson, donc je le rencontrais souvent, je l'interviewais souvent.
02:31 Et cette histoire qu'il m'avait confiée, je ne l'avais pas révélée.
02:34 Je ne l'avais pas révélée parce que je savais qu'à ce moment-là, il ne le voulait
02:37 pas.
02:38 Et le fait que je n'en parle pas, je pense que ça a scellé la confiance qu'il m'a
02:40 fait.
02:41 Et à partir du moment où il m'a demandé de travailler avec lui sur un livre, par
02:44 contre, il m'en a aussi énormément parlé.
02:46 C'était un motif tout à fait central de nos discussions et de nos séances de travail.
02:50 On l'entend, cette révélation est au bord de surgir lors d'une interview en 2013.
02:56 Comme traumatisme ! Alors, il y en a un, je passerai sous silence.
03:01 C'est l'attaque des pédophiles, mais bon, ce serait trop long, il faudra un bouquin
03:08 pour expliquer ça, parce que j'étais assez mignon et ils en voulaient à mon cul.
03:12 Même un curé que j'ai dû remettre à sa place en lui disant que j'allais le dénoncer
03:17 à mon père.
03:18 Et puis, par la suite…
03:21 Il y a tout en fait dans ce raclement de gorge.
03:25 C'était à l'occasion des 43e journée de l'école de la cause freudienne.
03:29 Et c'était 7 minutes avec Jacques Higelin sur les traumatismes de l'enfance.
03:33 Et puis, voilà, c'est là, c'est au bord de la gorge et ça ne sort pas.
03:37 Il va vous le dire, vous Valérie Lehoux, à la faveur d'une discussion autour de
03:43 Barbara.
03:44 Oui, c'est très très important ce que vous avez dit juste avant, c'est-à-dire
03:48 que l'enregistrement qu'on vient d'entendre date de 2013.
03:52 Le livre qu'on a fait ensemble est sorti en octobre 2015.
03:56 Trois ans avant sa mort.
03:57 Il faut essayer de se remettre dans le contexte de l'époque.
04:00 Et c'est vrai qu'aujourd'hui, on a peut-être un petit peu de mal à le réaliser, parce
04:04 qu'on parle beaucoup quand même de ces histoires de pédocriminalité, d'inceste,
04:10 d'agression, d'emprise.
04:13 Mais dans ces années-là, qui plus est de la part d'un homme de cette génération-là
04:17 - il était né en 1940 Jacques - on n'en parlait absolument pas.
04:21 On n'en parlait vraiment absolument pas.
04:22 Juste pour se resituer, "Me Too", c'est fin 2017.
04:26 Là, on est en 2013.
04:28 On est près "Me Too".
04:29 La parole n'est pas libérée.
04:30 Près "Me Too".
04:31 Et près "Springora", qui est un livre aussi, le consentement qui va vous aider à porter
04:36 la parole d'Islande.
04:37 C'est un livre absolument essentiel pour moi.
04:39 On y reviendra.
04:40 Sans doute qu'on y reviendra.
04:41 Et donc, quand vous dites "oui", ça émerge, cette histoire-là, autour d'une conversation
04:46 sur Barbara.
04:47 Moi, Barbara, c'est quelqu'un que j'ai énormément écouté, que j'ai beaucoup étudié d'une
04:52 certaine façon.
04:53 Vous avez écrit aussi une biographie ?
04:54 J'ai écrit un livre sur elle.
04:55 Ce sont des années de travail et de recherche et de passion personnelles.
04:59 Et honnêtement, je suis sortie ce livre sur Barbara dix ans après sa mort, je ne pensais
05:04 absolument pas écrire un jour un deuxième livre.
05:06 Je ne suis pas dans la logique.
05:08 Il y a des journalistes qui écrivent beaucoup de livres.
05:10 Ça fait partie de leur écosystème.
05:12 Absolument pas à moi.
05:13 Et il avait lu ce livre.
05:15 Et ce livre l'avait beaucoup touchée.
05:17 Parce que vous savez que Barbara en a appris après sa mort.
05:20 Un an après.
05:21 Un an après.
05:22 Dans un texte qu'elle avait elle-même écrit, qui était "Les mémoires", qui sont sorties
05:25 "Mémoires posthumes", dans lequel elle révèle cet inceste qui a duré longtemps.
05:33 Et alors évidemment, une fois qu'on l'a appris, ça a jeté un éclairage tout à
05:36 fait nouveau sur l'œuvre de Barbara.
05:38 Sur "L'aigle noire".
05:39 Et notamment sur cette chanson.
05:41 Et qu'on peut peut-être écouter parce qu'il y a des paroles qui sont très importantes
05:45 pour vous.
05:46 * Extrait de "L'aigle noire" de Barbara *
06:03 "L'aigle noire" de Barbara en 1970, qui est devenu depuis ses "Mémoires posthumes"
06:08 l'allégorie de l'inceste, écrivez-vous.
06:10 Mais c'est pas vraiment...
06:12 Dans cette chanson, il y a pour vous l'enfance qu'on a volée, qui est regrettée et qui
06:17 est finalement ce que partage Giselin avec Barbara.
06:20 Mais au fond, c'est pas cette chanson qui le déclenche.
06:23 Ce sont les mots de Barbara qu'il réécrit sans cesse.
06:27 Oui, c'est-à-dire que Barbara dans ses "Mémoires" a donc eu des mots extrêmement forts, je
06:32 trouve, et très beaux, pour essayer d'expliquer ce qu'elle avait ressenti.
06:39 Ce texte est à la fois très beau et très pudique.
06:48 * Extrait de "L'inceste de son père" de Barbara *
06:54 C'est quand même fou quand on pense que son premier succès, celui qui va lancer sa
06:59 carrière, c'est Nantes, une chanson sur le deuil du père.
07:02 Que son plus grand succès, c'est "L'aigle noire" qu'on vient d'entendre.
07:05 Il y a même un psychanalyste qui a décrypté la chanson et qui explique à quel point c'est
07:13 une allusion à cela.
07:14 Et puis il y a une autre chanson qui fait allusion.
07:15 Mais dans ses "Mémoires", Barbara dit ça.
07:18 Elle dit "Les enfants se taisent parce qu'on refuse de les croire, parce qu'on les soupçonne
07:22 d'affabuler, parce qu'ils ont honte et qu'ils se sentent coupables, parce qu'ils ont peur,
07:26 parce qu'ils croient qu'ils sont seuls au monde avec leurs terribles secrets."
07:30 Et ce sont des phrases que Jacques a voulu reproduire dans son livre à lui, dans ses
07:38 mémoires.
07:39 Et il les fait précéder.
07:40 Et bien ma foi, il le dit, il dit "Les enfants se sentent coupables, c'est fou, ils se sentent
07:46 salis.
07:47 Je le sais, je l'ai vécu."
07:50 Donc en 2015...
07:51 Saskia de Ville : Pas besoin d'épiloguer.
07:52 En 2015, lorsque vous publiez cette biographie avec lui, vous l'avez accompagné à écrire
07:58 ce secret très fugacement, très furtivement, de manière pointilliste, vous dites "comme
08:02 on en trouve une porte".
08:04 Et puis personne ne voit ni n'entend.
08:07 C'est ça qui est fou en 2015.
08:09 Aucun journaliste ne pose la question, il fait le tour des plateaux, la promo classique
08:14 et puis non, personne n'a entendu.
08:16 C'est ça qui est très très troublant.
08:19 Et c'est pour cela qu'aujourd'hui je fais ce livre.
08:22 Et il faut quand même dire que je fais ce livre parce qu'il m'a demandé aussi de le
08:26 faire.
08:27 C'est très important, je ne sais pas si je l'aurais fait autrement.
08:29 Donc je vous disais tout à l'heure qu'à partir du moment où on se met à travailler
08:34 ensemble sur ses mémoires, il m'en parle beaucoup.
08:36 Mais vraiment beaucoup.
08:37 Et je vois bien, je me demande même dans quelle mesure, comme je l'évoquais aussi
08:43 tout à l'heure, ce n'est pas le fait que je n'en ai pas parlé avant alors que j'étais
08:46 au courant qu'il y a vraiment consolidé pour lui la confiance qu'il me faisait et
08:51 le fait qu'il me demande d'écrire avec lui.
08:53 Et je me demande aussi dans quelle mesure il n'a pas voulu finalement faire ce livre
08:56 de mémoire pour le dire un peu au moins, se soulager de ce poids-là qui était visiblement
09:02 très lourd.
09:03 Saskia de Ville : Partir sans ce poids d'une certaine manière puisque ça le tue comme
09:06 le chante Arthur H.
09:07 Oui, ça le tue à petit feu.
09:10 Mais je pense que c'est quelque chose de très, malheureusement de très commun aux
09:16 gens qui subissent ce genre d'atteinte dans l'enfance.
09:19 Saskia de Ville : Et justement dans cette première révélation fugace de Jacques Ligelin,
09:23 dans cette biographie que vous écrivez avec lui en 2015, il y a également un épisode
09:27 qui est aussi un indice qui est laissé, qui est l'épisode de la petite fille.
09:30 Est-ce que vous pourriez nous le raconter Valérie Leroux ?
09:32 Oui, il me raconte à deux reprises l'histoire d'une petite fille qu'il voit un jour dans
09:38 les tribunes du Cirque d'hiver.
09:40 Il chante au Cirque d'hiver et il y a une petite fille qui est là, qui attire son regard
09:45 justement parce que son regard à elle est extrêmement intense.
09:49 Il me raconte que il va se mettre dans la...
09:52 Je ne sais pas, les gens qui ont vu Ligelin sur scène le figureront très bien.
09:56 Ceux qui malheureusement n'ont jamais vu sur scène devront un peu imaginer, mais c'était
09:59 un type qui était absolument incroyable en termes d'improvisation.
10:02 Il pouvait partir, ça pouvait durer deux, trois, quatre heures.
10:04 Il ouvrait le temps.
10:05 C'était dingue.
10:06 Absolument.
10:07 Il avançait, il s'enfilait en funambule et il avait une verve absolument dingue.
10:11 Et il s'adresse à cette petite fille devant tout le monde et il lui parle de l'amour.
10:15 Il lui parle de la beauté de l'amour et de l'amour pur qu'un jour elle rencontrera.
10:18 Pourquoi est-ce que cette petite fille l'attire ? Il ne sait pas.
10:22 Mais il sent quelque chose de très fort.
10:24 Jacques avait un instinct absolument dingue pour sentir les choses qu'éventuellement
10:31 on ne dit pas.
10:32 Et après le concert, cette petite fille est venue le voir dans sa loge accompagnée évidemment
10:36 de sa mère, sa grand-mère, sa tante.
10:38 Il a continué de lui parler de choses très belles, visiblement, comme il pouvait le faire
10:44 avec le lyrisme qui lui appartenait.
10:47 Et quelques jours plus tard, la mère, la tante, la grand-mère lui ont écrit en lui
10:52 disant que cette petite fille avait été violée en fait quelques temps plus tôt,
10:55 que depuis elle ne parlait plus et qu'au lendemain du concert elle s'était remise
10:58 à parler.
10:59 Et au tout dernier moment, quand on était en train de finaliser les mémoires, moi j'avais
11:04 donc mis en forme le récit de sa vie qu'il m'avait fait depuis des mois et je n'avais
11:09 pas parlé.
11:10 Je n'avais pas parlé volontairement de ce qu'il avait subi, de cette agression sexuelle.
11:15 Je n'en avais pas parlé parce que je voulais que ce soit lui au dernier moment qui me dise
11:18 "Vraiment, fais-le, on va le mettre".
11:21 Je ne voulais pas d'une façon ou d'une autre avoir la sensation de lui forcer la main parce
11:25 que je savais que c'était douloureux.
11:26 Il me dit "Je veux le dire, je veux le dire à travers l'histoire de cette petite fille".
11:31 - Aujourd'hui vous le dites de manière plus explicite mais aussi par bribes comme remonte
11:36 un souvenir.
11:37 Et pour raconter cet homme, il vous le dit "Moi c'était pas mon père mais ça revenait
11:41 au même".
11:42 Et Valérie Louhou, cet homme, ce mentor, vous avez choisi le nom de Bob.
11:46 Alors on va reparler ensemble à 9h20 sur France Inter juste après avoir écouté Igelin
11:51 de ce Bob, de l'ombre qui plane, l'ombre de Bob qui plane sur l'œuvre d'Igelin.
11:57 Et comment vous avez porté également cette ombre au grand jour Valérie Louhou.
12:01 * Extrait de « L'ombre » de Bob Lemaire *
12:09 Il y a eu un tremblement de terre, un champignon, la guerre, un éclair blanc.
12:25 Et je ne sais plus pourquoi je me retrouve sur cette route, les cheveux balayés par
12:37 le vent.
12:42 Assis flotter comme un enfant qui vient d'ailleurs, qui va nulle part et qui attend à tout hasard.
12:57 N'importe qui, n'importe quoi, Dieu seul sait qui, le diable sait quoi.
13:08 Et ils ne me le diront pas.
13:14 Pourtant si rien n'arrive, et si personne ne vient, il va bien falloir continuer son
13:27 chemin sans l'aide de rien, ni de personne.
13:31 Oh baby, je ne suis que de ces milliards de bouches.
13:58 Ouverte à en crever.
14:05 Une de ces milliards de bouches, baby.
14:11 Ouverte à en crever sur le désespoir.
14:16 Et personne ne pourrait supporter ça, pas vrai poupée, surtout avalée comme tu l'es,
14:23 devant un dernier whisky coca.
14:27 En attendant sur ton sofa, que le vieux tigre qui se meille, se mette à rugir au creux
14:34 de ton oreille, des trucs comme ça.
14:38 L'amour sans savoir ce que c'est, une des plus belles et grandes chansons de Jacques
14:43 Higelin, elle dure plus de 10 minutes normalement Valérie, le Où c'est sur l'album No man's
14:47 land, et vous allez nous dire ce qu'elle raconte aussi de ce qu'a vécu Higelin.
14:51 Écoutez, c'est assez troublant de chercher les traces de ce qu'il a vécu dans son oeuvre.
14:58 C'est moins flagrant je dirais que Barbara, mais par contre ça infuse toute l'oeuvre.
15:02 On vient de parler aussi de ça et qu'on ne le relit pas encore parce qu'on n'a pas
15:07 encore tout réécouté, tout relu.
15:09 Ça c'est sûr, mais ce qu'on peut voir en tout cas c'est l'importance, la célébration
15:12 de l'enfance, notamment dans cette chanson et dans plein d'autres chansons dans l'oeuvre
15:17 de Jacques.
15:18 Ça c'est extrêmement puissant.
15:21 Des années après cette chanson-là, il y a par exemple une chanson qui s'appelle
15:24 l'Innocence, où il dit "oh mon bel enfant, libre et prisonnier, prisonnier des contraintes
15:28 que s'imposent les hommes, libre de les transcender", il dit quand même ceci, "ouvre tes narines
15:32 aux odeurs fortes et subtiles des parfums de la terre, de tout ce qui vit, qui exhale,
15:37 qui respire, pour que lorsqu'il t'arrivera le pire, tu puisses en tirer le meilleur".
15:42 Il y a aussi quelques phrases dans "Un aviateur dans l'ascenseur", chanson qui reprenait
15:46 toujours sur scène.
15:47 "Absolument jusqu'au tout dernier concert en 2015, à toi qui meurs de trop aimer la
15:51 vie, je dédie cette ère venue d'un éternel chagrin où le destin m'a condamné à errer
15:57 incertain sur les chemins de l'oubli".
15:59 Et vous dites "quel est ce chagrin, quel est cet oubli ?" Dans le livre, vous le savez
16:04 et vous devez le raconter.
16:06 Valérie Lehoux, c'est très difficile parce qu'il faut éviter cet effet concagné,
16:10 pour reprendre l'expression que vous avez entre vous avec Jacquie Gelin, d'aller voir,
16:15 d'aller voir ce qui lui est arrivé.
16:17 Si j'ai à qui je dois ?
16:18 Absolument.
16:19 S'il m'a demandé de le faire, c'est parce que quand lui en a parlé dans ses mémoires,
16:24 et moi je pensais que ce serait suffisant pour que ça saute aux yeux de tout le monde,
16:27 et donc ça n'a pas été le cas, il voulait lui se soulager de quelque chose, ça c'est
16:30 évident, et après il m'a dit "ne t'inquiète pas, ça m'a soulagée de quelque chose".
16:36 Ne t'inquiète pas de quoi ? Eh bien de ce qui n'est pas arrivé, qu'il espérait aussi,
16:40 c'est-à-dire que ça soulève ce couvercle de silence, de silence sociétal qu'on avait
16:44 encore à l'époque, qui était extrêmement puissant.
16:46 Et qui est lié à la génération et au faute.
16:48 C'est un homme aussi, un grand séducteur et un épicurien, comme vous le racontez.
16:53 Absolument, il espérait vraiment.
16:54 On ne veut pas voir ça chez lui.
16:55 On ne veut pas, on ne veut pas voir ça.
16:57 On n'a pas voulu le lire.
16:58 Alors quelques-uns l'ont lu, il y a quelques jours je suis tombée sur un blog qui avait
17:02 été écrit plusieurs années, d'une femme qui a été victime de violences sexuelles
17:06 dans son enfance, et qui raconte qu'elle lit ce livre, qu'elle découvre ce passage,
17:11 qu'elle en a les larmes aux yeux parce qu'elle, elle comprend.
17:13 Mais ils ne sont pas assez nombreux à avoir compris visiblement.
17:16 En tout cas, je sais que l'assez peu de réactions qu'il a eues à cet égard l'a déstabilisé.
17:22 Il m'a dit "Ce n'est pas grave, ce sera comme Barbara, tu raconteras après ma mort".
17:26 Ce qui est finalement pas plus mal, parce que je sais que par ailleurs, il n'avait pas
17:30 envie de se justifier, de quoi que ce soit, et d'en répondre, et de donner des détails.
17:38 De prolonger quelque chose qu'il aurait dit sur le livre, parce que le livre suffisait.
17:42 Et le "Où du coup vous allez construire ce récit à la manière dont on évoque un souvenir"
17:49 il remonte par petits chapitres dans le livre, et vous décidez de raconter qui est cet homme
17:55 qui a abusé de Jackie Glyn pendant 5 à 6 ans.
17:58 Vous l'appelez Bob, comme celui qui viole Laura Palmer dans Twin Peaks, qui est son père incestueux.
18:04 C'était qui ce Bob ?
18:06 Alors Bob c'était un personnage très flamboyant. Jacques l'a grandi à Chelles, en région parisienne.
18:12 Le Bob il habitait là-bas aussi, personnage flamboyant, connu, respecté.
18:16 Il disait que c'était son professeur artistique, c'était un comédien, il était musicien,
18:20 il était cascadeur, il lui a fait rencontrer les plus grands cascadeurs de l'époque,
18:23 il lui a fait faire du saut en parachute, il lui a offert des disques, il lui a offert
18:27 des instruments de musique, il l'a amené au casino de Paris où il a vu les danseuses
18:31 dans les couloirs.
18:32 Il l'a même réussi à le faire embaucher alors qu'il était gamin sur une comédie
18:36 musicale où il a rencontré Sidney Bechet, qui était son idole absolu à cette époque-là.
18:41 Donc voilà, c'était un personnage qui avait une espèce d'autorité artistique et quasiment paternelle.
18:48 Et oui, qui avait une forme d'emprise sur lui. C'est en cela que j'ai lu Le consentement
18:54 de Vanessa Springora qui est sorti 5 ans après.
18:56 C'était un choc incroyable, ce livre est merveilleux, d'intelligence, de distance, de raffinement.
19:03 Et je me suis dit que c'est la même histoire.
19:05 - Et il y a également dans l'histoire de ce Bob quelque chose d'assez fou qui est,
19:09 dans le récit que vous en faites, il y a le lien avec l'enfant Ischelin qui est sous
19:12 emprise, mais c'est un prédateur, un prédateur systémique.
19:16 Et il va écrire à Ischelin depuis sa prison.
19:19 Vous vous inquiétez, vous pensez qu'il était en prison, pourquoi ? Parce qu'Ischelin
19:22 vous ne l'avez peut-être pas dit.
19:23 Là vous vous rendez compte qu'il est tombé justement, pour avoir monté 36 15 ados, un
19:28 réseau de prostitution, d'agression sexuelle en chaîne de jeunes adolescents.
19:32 Donc c'était une figure prédatrice, en plus d'organiser des ratonnades pendant la
19:36 guerre d'Algérie.
19:37 - Oui, ça a été un énorme choc pour moi, je dois dire.
19:39 Parce que pour moi c'était un homme HL qui avait abusé d'un enfant.
19:43 Et puis en enquêtant, je me suis rendu compte que ça avait été, en effet maintenant
19:47 qu'il est mort, ça avait été un pédocriminel en série, si je puis dire, où il est tombé.
19:54 En fait il avait organisé l'un des premiers gros réseaux de pédocriminalité qui a été
19:59 démantelé.
20:00 Il est passé aux Assises en 2000.
20:02 Donc ce Jacques Ischelin qui nous a tellement fait rêver, qui a tellement ensoleillé nos
20:10 vies, a été victime pendant 5 ans, entre ses 10 et ses 15 ans, d'un pédocriminel en série.
20:18 - Valérie Lehoux, car toujours le silence tue.
20:22 Et vous le rappelez, dans ce livre, c'est un mot de la CIVIS, qui est la Commission
20:27 indépendante sur l'inceste et la violence sexuelle faite aux femmes.
20:29 Il faut en finir avec ce silence car il contamine tout le groupe.
20:33 C'est ce que fait ce livre sur Jacques Ischelin, mais aussi pour tous les autres.
20:37 Bravo.
20:38 - Ça a été publié chez Flammarion.
20:40 Merci de l'avoir fait pour Jacques Ischelin.
20:42 - Un mot pour dire que tous les droits d'auteur, tous les droits d'auteur, sont reversés
20:46 à une association qui s'appelle le Colosse aux pieds d'argile et qui fait des missions
20:50 de sensibilisation et de formation aux risques de violences sexuelles, de bizutage et de
20:53 harcèlement en milieu sportif.
20:55 Ils accompagnent également les victimes.
20:57 Merci infiniment.
20:58 - Merci à vous.
20:59 - Et c'était important de le préciser.
21:00 Merci Mathilde Serrel.