Le casse du siècle

  • l’année dernière

A son arrivée au pouvoir en 2009, le Premier ministre malaisien Najib Razak annonce la création du fonds public d’investissement "1MDB", destiné au financement de projets de développements pour les infrastructures du pays. Mais lorsque cinq ans plus tard, la journaliste d’investigation Clare Brown se penche sur ce dossier oublié, elle découvre que ce ne sont ni dans des routes à travers le pays, ni dans des hôpitaux de campagne que les presque 2 milliards de dollars empruntés à des banques internationales ont été investis… Mais dans des appartements de luxe, des yachts, ainsi que dans un film à Hollywood.

A sa sortie, "Le loup de Wall Street" est un succès partout, y compris en Malaisie, pays à majorité musulmane, où il aurait pourtant pu être censuré. Au lieu de quoi, l’épouse du Premier ministre elle-même en fait la promotion, insistant pour qu’il soit diffusé dans les écoles. Plus étrange encore, l’acteur principal Leonardo DiCaprio adresse aux Oscars des remerciements à Riza Aziz et Jho Low, deux hommes d’affaires très proches du pouvoir malaisien… Ce sont finalement les révélations d’un banquier suisse nommé Xavier Justo sur une entreprise baptisée PetroSaudi et sur son patron Tarek Obaid qui font éclater le scandale et révèlent le détournements de fonds publics massifs.

Quel est le lien caché entre le gouvernement malaisien et "Le loup de Wall Street" ? Entre les fonds publics qui ont été détournés en Malaisie et des dépenses extravagantes de Londres à Hollywood ? Pour le découvrir, les journalistes d’investigation Marie Maurisse et François Pilet sont allés à la rencontre de la reporter britannique Clare Brown et de sa principale source, l’ex-banquier suisse Xavier Justo, qui a accepté de se confier à leur micro.

Le podcast "Dangereux millions" vous raconte comment la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier. Bienvenue dans le monde feutré du crime financier. Qui, dans cet épisode, nous plonge dans un scandale politico-financier avec des ramifications partout dans le monde.

"Dangereux Millions", un podcast coproduit par le média public swissinfo, le service d’information en ligne de la Société suisse de radiodiffusion et Europe 1 Studio, avec Gotham City.
Retrouvez "Dangereux millions" sur : http://www.europe1.fr/emissions/dangereux-millions

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Transcription
00:00 J'arrive à la prison de Banquette le soir.
00:06 Il fait nuit, on vous fait vous déshabiller, on muscule vos parties intimes, on vous donne
00:13 des habits qui sentent la mort et on vous emmène dans la cantine.
00:16 On s'est arrangé ce qui est imangeable, donc je ne mange pas, et on m'emmène dans
00:20 une cellule pour passer ma première nuit de prison.
00:22 Et là, le matin, à 6 heures, on ouvre les grilles et on vous laisse sortir au milieu
00:28 de la population générale, et c'est là où je me rends compte que c'est vrai, je
00:32 suis dans une prison thaïlandaise.
00:33 Tout est sale, tout est cassé, ça sent mauvais, il n'y a pas de toilette, c'est
00:40 une sorte de canalisation où vous pouvez faire vos besoins assis à côté d'autres,
00:45 avec une éponge, c'est un enfer.
00:48 Ma deuxième nuit a été pire que la première, parce que la première nuit, je ne savais
00:51 pas où j'étais, la deuxième, j'ai compris.
00:53 Combien de temps avez-vous passé en prison ?
00:55 J'ai passé 547 jours.
00:57 Ça fait bizarre de dire ce chiffre, normalement les gens vous disent un an et demi, je les
01:00 ai comptés, comme dans les films.
01:02 L'homme que vous venez d'entendre s'appelle Xavier Justo.
01:07 Il est Suisse, c'est un ancien banquier.
01:09 Et il a été au cœur d'un des plus grands scandales financiers du 21e siècle.
01:15 Ça aurait pu lui rapporter une fortune, des millions de dollars, mais autant vous
01:19 le dire tout de suite, cette opération lui a finalement coûté très cher.
01:24 On a retrouvé sa trace et pour la première fois, il a accepté de nous raconter cette
01:30 histoire devant un micro.
01:32 Je suis Marie-Maurice et vous écoutez Dangereux Millions, le podcast qui vous raconte comment
02:00 la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier.
02:04 Bienvenue dans le monde feutré du crime financier, qui, dans cet épisode, le dernier de cette
02:10 saison, prend la forme d'un hold-up.
02:13 Un braquage sans armes, mais avec de vraies victimes.
02:17 On va vous raconter comment l'ancien premier ministre de la Malaisie et une bande d'hommes
02:22 d'affaires corrompus ont réussi à s'accaparer près de 2 milliards de dollars de fonds publics
02:28 qu'ils ont fini par dilapider dans des yachts, des appartements de luxe et même un film
02:33 avec Leonardo DiCaprio.
02:35 Dangereux Millions est un podcast co-produit par Swiss Info, le service d'information
02:41 en ligne de la Société Suisse de Radiodiffusion, un média public, et Europe 1 Studio avec
02:47 Gotham City.
02:48 Épisode 6, le casse du siècle.
02:51 Tout commence à Borneo, en Asie du Sud-Est.
03:00 Cette île, qui est la plus grande du monde, appartient à trois pays.
03:04 L'un d'eux, celui qui nous intéresse, c'est la Malaisie.
03:08 Il faut imaginer les forêts profondes du Sarawak, une vraie jungle.
03:13 C'est là qu'est née la journaliste Claire Brown.
03:16 Sa famille vivait dans ce qui était alors une colonie britannique.
03:20 Claire Brown est ensuite partie travailler en Grande-Bretagne.
03:23 Mais elle a toujours gardé un attachement très fort avec son pays de naissance.
03:28 Et le jour où il y a eu un reportage à faire à Borneo, eh bien, elle n'a pas hésité
03:32 à repartir.
03:33 Quand je suis partie en Malaisie, j'ai vu à quel point l'exploitation forestière
03:38 dont j'avais un peu entendu parler était dévastatrice.
03:41 Elle nous a raconté son histoire depuis Londres.
03:43 C'est là qu'elle vit désormais.
03:45 C'était une destruction sans limite de l'une des zones naturelles les plus importantes
03:53 pour notre planète.
03:54 J'ai aussi pu voir les effets sur les populations indigènes qui se faisaient piétiner.
04:00 Et surtout, j'ai réalisé très vite que tout ça, c'était lié à un gouvernement
04:06 corrompu et un financement illégal qui permettait cette exploitation forestière criminelle.
04:11 En 2010, Claire Brown lance un blog, le Sarawak Report, qui devient rapidement le média de
04:20 référence en Malaisie.
04:22 La source qu'il faut lire quand on s'intéresse au pays.
04:25 Et ses investigations finissent par avoir des conséquences.
04:29 Au bout de quatre ans, un premier dirigeant local est démis de ses fonctions pour corruption.
04:34 Claire Brown pense avoir gagné la partie.
04:37 Le problème, c'est qu'il n'est pas viré.
04:39 Au contraire, il est promu comme gouverneur cette fois.
04:43 Et cette promotion, c'est la décision d'un homme qui vient lui-même d'être élu premier
04:49 ministre.
04:50 Il s'appelle Najib Razak.
04:52 On va beaucoup en reparler.
04:54 Najib Razak vient d'une famille de politiciens puissants.
05:00 C'est un homme autoritaire, très libéral aussi.
05:02 Il veut favoriser avant tout la croissance économique pour son pays.
05:07 En Malaisie, dans ces années-là, il a aussi l'image d'un modernisateur.
05:11 Enfin, c'est un espoir.
05:14 Moi, j'avais espéré que Najib Razak ferait peut-être quelque chose pour lutter contre
05:21 la corruption qui est à l'origine de tant de dégâts sur l'environnement.
05:25 Mais je me suis vite rendue compte que ce n'était pas le cas.
05:28 Le chef du gouvernement malaisien ne semblait pas vouloir s'attaquer à la corruption.
05:37 Ou prendre en considération les articles et les reportages qu'on sortait.
05:42 Et puis, j'ai commencé à être la cible de menaces.
05:46 Beaucoup de menaces, très musclées.
05:49 Et qui arrivaient jusqu'ici, en Grande-Bretagne.
05:53 En 2014, la Malaisie lui interdit carrément d'entrer dans le pays.
05:58 Ce qui n'arrête pas Claire Brown.
06:00 La journaliste commence à fouiller dans d'autres placards du gouvernement malaisien.
06:07 Et elle se replonge notamment dans un vieux dossier oublié.
06:10 Quand il est arrivé au pouvoir quelques années plus tôt, le premier ministre Najib Razak
06:16 avait créé un fonds d'investissement.
06:18 Ce fonds, cette réserve d'argent public, était censé financer des projets de développement
06:24 pour la Malaisie et ses 30 millions d'habitants, notamment dans des régions rurales et défavorisées.
06:30 On parle là d'hôpitaux, de routes par exemple.
06:33 Et aussi pour aider à lutter contre l'exploitation illégale du bois, on y revient.
06:38 Le nom de ce fonds, c'est un acronyme pas très facile à prononcer.
06:42 1MDB ou OneMDB en anglais.
06:46 Pour Fonds public de développement numéro 1.
06:50 Ce fonds, il faut vous l'imaginer comme une gigantesque cagnotte de près de 2 milliards
06:56 de dollars.
06:57 Cet argent, la Malaisie l'a emprunté à de grandes banques internationales.
07:01 Mais le but du gouvernement malaisien, ce n'était pas de dépenser toute cette somme
07:07 immédiatement.
07:08 Les dirigeants de l'époque veulent construire une politique à long terme.
07:11 Alors, ils vont d'abord placer cet argent, en clair l'investir dans des entreprises
07:18 rentables partout dans le monde, puis ils vont utiliser les profits pour financer leurs
07:23 propres infrastructures dans le pays.
07:25 Comme ça, ils préservent leur magot initial qui continue de fructifier au fur et à mesure.
07:30 En tout cas, c'est ce qui est prévu au départ.
07:32 Quand Claire Brown commence à s'intéresser à ce fonds public que tout le monde avait
07:38 oublié, voilà ce qu'elle constate.
07:40 En presque 5 ans d'activité, cet argent n'a rien permis de construire.
07:46 Pas un hôpital, pas une route.
07:49 1MDB était censé être un fonds de développement.
07:56 Il devait être utilisé par le gouvernement d'Amalésie pour améliorer les conditions
08:01 de vie des habitants.
08:02 Mais il n'a jamais rendu compte de ces activités.
08:06 Et surtout, l'argent semblait s'évaporer dans la nature.
08:10 C'est ça qui m'intéressait plus précisément.
08:14 J'avais remarqué que l'un des projets dans lesquels des fonds avaient soi-disant été
08:18 investis se situait au Sarawak, où j'étais en reportage pour un sujet sur l'exploitation
08:22 forestière illégale.
08:24 Grâce à ces sources, Claire Brown identifie rapidement les personnes qui gèrent en coulisses
08:29 ce fonds de 2 milliards de dollars.
08:32 Parmi elles, on trouve un certain Joe Lowe.
08:36 Il faut vous imaginer un jeune homme rondouillard avec des petites lunettes.
08:42 Sa famille est originaire de Chine, mais il a fait ses études aux Etats-Unis.
08:46 Il a la trentaine et il est officiellement homme d'affaires en Malaisie.
08:51 Enfin, à cette époque-là, il mène sur tout grand train sans qu'on sache vraiment d'où
08:57 vient sa fortune.
08:58 Joe Lowe était une sorte de type très flamboyant qui s'était fait connaître en dépensant
09:06 d'énormes sommes d'argent partout dans le monde, à Las Vegas, à Hollywood, à Saint-Tropez,
09:13 vous savez sur ces yachts à travers les océans.
09:15 Donc j'ai commencé à m'intéresser à lui, mais je n'ai rien écrit.
09:22 J'attendais d'avoir quelque chose de précis pour publier un article.
09:30 En 2013, au cours de l'hiver 2013, on a soudain appris qu'il y avait un nouveau film en préparation.
09:38 Il avait l'air génial.
09:39 Ce film, c'est "Le loup de Wall Street".
09:43 Le personnage principal, qui est joué par Leonardo DiCaprio, raconte les excès de Wall
09:51 Street.
09:52 C'est l'histoire de jeunes hommes qui ont volé d'énormes quantités d'argent et les
09:56 ont ensuite dépensés de manière vulgaire et indécente.
09:59 Il y avait beaucoup de sexe et de drogue.
10:01 Quand il sort au cinéma, "Le loup de Wall Street" est effectivement un succès partout
10:09 dans le monde, y compris en Malaisie.
10:11 Et c'est un peu étrange quand on y pense, parce qu'en Malaisie, l'islam est la religion
10:16 d'Etat.
10:17 Les scènes de débauche des films occidentaux, d'habitude, elles ne passent pas pour les
10:21 autorités religieuses.
10:23 Tu veux que je te dise ? Maman en a plus qu'assez.
10:27 Elle est fatiguée de porter des petites culottes.
10:31 Ah oui ? Oui.
10:34 Alors regarde bien, papa, parce que tu vas avoir cette vue à longueur de temps dans
10:40 la maison.
10:41 Mais pour ce film-là, bizarrement, pas de censure.
10:44 Mieux ! L'épouse du Premier ministre, Najib Razak, se met à faire elle-même la
10:49 promo du "Loup de Wall Street".
10:51 C'est une femme forte, très influente.
10:54 Elle arrive à faire pression sur le ministre de l'Éducation pour que le film soit carrément
10:59 présenté dans les écoles malaisiennes, en utilisant le budget de l'Éducation nationale.
11:04 Pourquoi ? Officiellement, parce que ce film serait un très bon outil pour dénoncer la
11:10 cupidité des Occidentaux et les ravages de la drogue.
11:13 Vous pensez que la ficelle est un peu grosse ? Claire Brown aussi.
11:17 Ça a provoqué un scandale en Malaisie.
11:22 Du coup, j'ai commencé à enquêter sur ce film.
11:25 Et j'ai fait de nouvelles découvertes.
11:28 La clé de l'énigme se cache dans le générique du film.
11:33 Un de ses producteurs s'appelle Riza Aziz.
11:36 Et Riza Aziz n'est autre que le fils de la première dame, né d'un premier mariage.
11:43 C'est donc le beau-fils du premier ministre.
11:46 Riza Aziz s'est lancé dans le cinéma à tout juste 30 ans.
11:51 A l'époque, il n'a aucune expérience à Hollywood.
11:54 Mais du jour au lendemain, il fonde sa propre société de production, Red Granite.
11:59 Et pour commencer, il investit dans un projet de film avec Leonardo DiCaprio.
12:04 La classe !
12:05 Et ce n'est pas un petit investissement.
12:08 Pour le loup de Wall Street, Riza Aziz met sur la table 100 millions de dollars.
12:14 Le 12 janvier 2014, à deux jours d'avion des forêts de Borneo, du côté de Beverly
12:25 Hills, Leonardo DiCaprio monte sur la scène des Golden Globes.
12:30 C'est la cérémonie qui réunit tout le gratin du cinéma et de la télévision chaque
12:35 année, l'antichambre des Oscars.
12:38 Ce jour-là, il reçoit le prix du meilleur acteur pour Le loup de Wall Street.
12:49 Il remercie le réalisateur Martin Scorsese et tout de suite après, ses producteurs.
12:56 Il cite trois noms, Joey, Riz et Joe.
13:01 A l'époque, personne n'y prête attention, la séquence passe très vite.
13:05 Mais pour Claire Brown, c'est la révélation.
13:20 C'est là que ça fait titre.
13:24 Alors, qui sont Joey, Riz et Joe ?
13:29 Joey, c'est le producteur américain du film Joey McFarland.
13:33 Mais ce sont les deux autres qui nous intéressent.
13:35 Riz, c'est Riza Aziz, le beau-fils du premier ministre malaisien.
13:41 Et le dernier, Joe, c'est Jo Low, le mystérieux financier qui gère discrètement le fonds
13:47 1MDB.
13:48 C'est à ce moment-là que j'ai commencé à faire le lien entre les deux histoires.
13:52 Entre les milliards disparus du fonds 1MDB d'un côté et l'investissement à 100 millions
14:04 de dollars pour le beau-fils du premier ministre de Malaisie dans un film de l'autre.
14:08 J'ai donc commencé à écrire des articles et en l'espace de quelques jours, j'ai reçu
14:15 des lettres juridiques très virulentes de la part d'avocats américains.
14:19 Je me suis dit, j'ai dû toucher une corde sensible, je devrais continuer à creuser.
14:25 Du coup, à partir de là, chaque fois que je voyais un Malaisien, n'importe qui, pour
14:31 n'importe quel reportage, je lui demandais « est-ce que vous avez des informations sur
14:36 1MDB ? » Et ça a fini par payer.
14:38 Un homme qui était proche de l'opposition en Malaisie m'a dit « oui, il se trouve
14:43 que je viens de recevoir un document fascinant ». Ce document avait été envoyé par quelqu'un
14:48 qui disait pouvoir fournir des informations de première main sur une société financière
14:52 liée à 1MDB.
14:54 Ses gestionnaires étaient basés en Suisse.
14:57 Cette société s'appelait Petro-Saudi.
15:01 Claire Brown poursuit son tour du monde pour percer le secret du fonds 1MDB, direction
15:08 donc Genève.
15:09 Et c'est là qu'on retrouve la trace du personnage dont on a entendu la voix tout
15:13 au début de notre histoire, Xavier Justo.
15:16 Je suis un pur produit du système bancaire suisse des années 80.
15:21 Je suis un fils d'immigré espagnol.
15:23 J'ai fait une école de commerce que j'ai finie à 21 ans.
15:27 Et après ça, comme beaucoup de gens, je ne savais pas trop quoi faire.
15:30 Et le milieu de la banque était une opportunité assez facile à l'époque.
15:35 Dans les années qui suivent, Xavier Justo passe en fait de banque en banque.
15:39 Puis il crée sa propre société de gestion de fortune.
15:42 Et en 2000, il fait la connaissance d'un jeune Saoudien installé en Suisse.
15:47 Lui s'appelle Tarek Obed.
15:49 Il a fait ses études dans une école privée très sélecte à Genève et il a des connexions
15:54 avec la famille royale en Arabie Saoudite.
15:57 Bref, il évolue dans un monde où l'argent coule sans limite.
16:00 Et à l'époque, il veut faire ses preuves.
16:03 Tarek Obed a alors 25 ans.
16:06 Xavier Justo en a 33.
16:08 Ils deviennent meilleurs amis.
16:09 Ils font la fête ensemble, puis ils parlent affaire.
16:12 Cinq ans plus tard, Tarek Obed crée sa propre société à Genève.
16:17 C'est Petro Saoudi.
16:19 Le but ?
16:20 Faire des affaires dans les champs pétroliers.
16:22 Quand tu entends le nom Petro Saoudi, ça fait penser à une société qui serait apparentée
16:28 ou affiliée à l'Arabie Saoudite.
16:30 Mais en fait, le seul lien qu'elle avait avec l'Arabie Saoudite, c'était donc monsieur Baïd.
16:34 Xavier Justo occupe le poste de directeur chez Petro Saoudi de 2005 à 2009.
16:40 Mais les affaires ne décollent pas.
16:42 Pour lui, ce n'est pas un poste à temps plein.
16:45 Tarek Obed et ses amis passent surtout leur temps à faire la fête dans les boîtes de nuit de Genève.
16:51 Petro Saoudi ne possède rien.
16:53 L'entreprise compte à peine trois employés
16:56 et loue une boîte aux lettres à l'adresse de la société de Xavier Justo.
17:00 Le banquier suisse finit par se lasser.
17:03 Il a la quarantaine et il part ouvrir un hôtel en Thaïlande pour changer de vie.
17:08 Mais quelques mois après, il reçoit un coup de fil de son copain Tarek Obed,
17:13 qui a une étrange demande à lui faire.
17:16 Monsieur Baïd me dit si je connais quelqu'un qui pourrait évaluer la société Petro Saoudi
17:22 pour environ deux milliards de dollars.
17:24 Donc la conversation a tourné très court parce que je lui dis non seulement je ne connais personne,
17:30 mais en plus je ne vois pas comment une société sans actifs pourrait être évaluée à deux milliards de dollars.
17:35 À l'époque en tout cas, Xavier Justo le dit comme ça.
17:38 Il ne s'est pas posé plus de questions.
17:40 Mais ce qu'il aurait fallu se demander,
17:42 c'est pourquoi Tarek Obed voulait faire surevaluer sa société Petro Saoudi ?
17:48 Et pourquoi voulait-il qu'elle pèse précisément deux milliards de dollars ?
17:53 Pour commettre un des plus grands vols de l'histoire, tout simplement.
17:58 Et voilà comment c'est possible.
18:00 En Malaisie, le premier ministre Najib Razak a donc mis la main sur les deux milliards de dollars que son pays a empruntés.
18:08 Il en a le contrôle, il peut faire ce qu'il veut avec ce magot,
18:11 mais il a besoin que tout semble propre en apparence.
18:14 Donc il confie son trésor au mystérieux financier Joe Lowe, à qui tout semble réussir.
18:20 Sa mission ? Faire croire que l'argent de la Malaisie est réellement investi dans de vrais projets,
18:27 qui vont finir par apporter gros.
18:29 Et pour ça, croit de mieux que le pétrole.
18:32 Joe Lowe fait donc lui aussi appel à un ami.
18:36 Tarek Obed et sa société qui sent bon l'or noir.
18:39 Petro Saoudi promet d'investir l'argent malaisien dans des puits de pétrole et le deal est signé.
18:46 C'est le jackpot.
18:48 1,8 milliard de dollars sont virés dans plusieurs banques suisses,
18:53 sur des comptes contrôlés par Joe Lowe, Tarek Obed et leurs amis.
18:57 À Londres où ils vivent désormais, c'est la fête.
19:00 Et plus on est fou, plus on rit.
19:02 Tarek Obed invite donc son ami Xavier Justo à le rejoindre.
19:06 Adieu la vie au soleil, le Suisse accepte cette offre et il revient travailler pour Petro Saoudi,
19:12 au moment où la société se trouve donc d'un seul coup à la tête d'une énorme fortune.
19:18 Officiellement, il faut l'investir dans des projets pétroliers.
19:21 Mais ce qui va se passer à Londres n'a rien à voir avec du forage en haute mer.
19:27 On dit toujours que l'argent rend fou.
19:29 Moi je l'ai vécu de près.
19:31 Tarek a reçu beaucoup d'argent.
19:32 Il s'est acheté un appartement à 10 millions à Londres,
19:35 des factures d'un restaurant insensé,
19:38 des bouteilles de 20, 10 ou 20 000 livres sterling, c'était la routine pour lui.
19:43 Donc cet afflux d'argent a permis d'accéder à la réalisation de tous ses vices et de tous ses fantasmes.
19:49 Je ne sortais pas avec eux la nuit,
19:51 mais à la fin ça ressemblait plus au film Scarface qu'à la gestion d'une entreprise pétrolière.
19:56 Sur les 12 mois de ma présence à Londres, j'ai été payé 5 mois.
20:05 Les promesses de Tarek c'était toujours "ouais je m'en occupe, j'ai réglé tout ça".
20:09 De nouveau je l'ai dit, c'était mon meilleur ami à l'époque et je ne suis pas fondamentalement un homme d'argent,
20:13 même si comme tout le monde j'aime l'argent.
20:15 La situation s'est très vite envenimée avec Tarek.
20:18 Donc on s'est disputé et j'ai démissionné début avril 2011 et je suis parti.
20:24 Xavier Justo retourne vivre en Asie.
20:26 Mais vous l'avez compris, la brouille entre les deux amis est aussi une brouille d'argent.
20:31 Selon Xavier Justo, Tarek Obed lui aurait promis une indemnité de départ de plusieurs millions de dollars.
20:38 La somme ne lui aurait été versée qu'en partie.
20:41 Difficile d'y voir très clair ici.
20:43 Ce qui est sûr, c'est que le Suisse part en mauvais terme.
20:47 Et dans ses valises, il emporte avec lui une copie intégrale des serveurs informatiques de Petro Saoudi.
20:54 Des bribes de ces informations parviennent à des représentants de l'opposition malaisienne,
21:00 des adversaires du Premier ministre Najib Razak.
21:03 Et c'est comme ça, de source en source,
21:06 que le nom de Xavier Justo finit par arriver aux oreilles de la journaliste Claire Brown.
21:11 Quelques mois avant la naissance de mon fils,
21:14 je suis contacté par téléphone par une journaliste qui se présente comme étant Claire Brown,
21:19 qui me dit "j'ai entendu votre nom, je pense qu'il serait bien qu'on puisse se rencontrer".
21:25 Je lui ai dit "écoutez, moi je vis en Thaïlande, si vous voulez passer un jour par ici, je suis prêt à vous rencontrer".
21:30 Chose qui s'est faite quelques semaines après, elle est venue à Bangkok.
21:33 Je me souviens plus l'heure du rendez-vous, mais on avait rendez-vous à 10h.
21:37 Moi je me suis dit "je vais venir 20 minutes avant pour être sûr que non plus c'est pas un piège".
21:41 Mais elle était déjà arrivée 20 minutes avant mes 20 minutes, donc les deux on se méfiaient.
21:46 J'étais très nerveuse.
21:50 On m'avait laissé entendre que j'allais rencontrer une sorte de gang mafieux.
21:57 Mais en fait, quand je suis arrivée à Bangkok, j'ai rencontré Xavier Justo.
22:06 Il ne m'a pas révélé tout de suite sa vraie identité.
22:10 Ce n'est que plus tard que j'ai su qui il était, qu'il avait travaillé pour Petro-Saudi,
22:18 qu'il était ami avec Tariq Obed et qu'il connaissait tous les secrets.
22:26 Puis au fil des mois et de nos rencontres,
22:33 j'ai réussi à mettre la main sur la base de données que Xavier Justo avait emporté avant de partir.
22:38 Je donne les dossiers à Claire au mois de février.
22:42 Les premiers articles de Claire sortent, je crois, fin février, début mars.
22:46 Moi, je suis sur ma petite île de Koh Samui.
22:49 J'ai la construction d'hôtels qui suit son cours.
22:52 On arrive sur la date du 20 juin.
22:54 J'attends une visite de l'immigration pour renouveler mon permis de travail.
22:58 Je me penche par la fenêtre et là, je vois presque une dizaine de voitures
23:02 et je vois une vingtaine de personnes qui montent la petite rampe
23:05 qui mène à une autre maison, à un autre hôtel.
23:08 Et ma première réaction, c'est de me dire,
23:09 "Les militaires, ils prennent les permis de travail vraiment au sérieux, maintenant."
23:14 Et en une demi-seconde, je ne sais pas comment ça s'est passé,
23:18 je me retrouve menotté, les mains en arrière.
23:21 Xavier Justo est arrêté.
23:23 Motif, Petro Saoudi a porté plainte contre lui pour tentative de chantage.
23:29 Il est transféré à Bangkok.
23:31 On sort de l'aéroport, il y a environ une dizaine de vannes qui nous attendent.
23:36 Ils me font rentrer dans un van.
23:37 Je suis entouré de quatre membres des forces spéciales de la police de Thaïlande,
23:41 armés comme pour un assaut, ils ont des fusils d'assaut, des grenades à main, des casques.
23:46 Et à ce moment-là, je me dis toujours, on attend quelqu'un d'autre pour le convoi.
23:49 Ils ont peut-être arrêté le Ben Laden local, un pédophile notoire, j'en sais rien.
23:53 Je me dis que ce n'est pas possible qu'il y ait autant de forces armées pour moi.
23:58 Mais non, je me trompe.
23:59 Donc on traverse Bangkok à 200 à l'heure, ils bloguent les carrefours, comme dans un film.
24:05 Xavier Justo est incarcéré.
24:07 Les deux premiers jours, j'ai sincèrement envie de mourir.
24:10 Sans nouvelles, sans rien, je n'ai pas de visite.
24:13 Je suis un peu terrifié, je suis même très terrifié.
24:15 C'était juste inenvisageable de pouvoir passer 9 à 10 ans dans ces conditions-là.
24:19 Et de là, ils ont suivi quelques semaines où j'ai dû faire des confessions.
24:23 J'ai dû confesser ce que m'ont demandé de confesser.
24:27 En résumé, c'était que j'avais volé les données de Petro Saoudi,
24:31 que je travaillais avec Claire Brown pour renverser le gouvernement de Najib Razak
24:35 et que j'étais en contact avec l'opposition malaisienne.
24:38 Pendant ce temps, Claire Brown se démène.
24:41 Elle sait que sa source croupit dans une prison de Bangkok.
24:45 Depuis Londres, elle continue de publier des articles pour dénoncer le scandale.
24:50 Mais son blog n'est pas assez puissant.
24:54 Elle décide alors de partager ses scoops avec les plus grands journaux de la planète,
24:59 en espérant que ces révélations auront enfin un impact.
25:02 J'ai contacté le Times de Londres et c'est le Sunday Times
25:06 qui a fini par publier une partie de mon histoire.
25:09 Mais six grands cabinets d'avocats ont réussi à les faire taire
25:11 et ils n'ont plus jamais retravaillé sur cette affaire.
25:14 En désespoir de cause, elle contacte la police.
25:17 Elle espère qu'une enquête internationale va être lancée à Londres ou en Suisse.
25:22 Mais rien ne se passe.
25:25 En fin de compte, pour être honnête, j'ai dû appeler le FBI.
25:28 Oui, c'est ce que j'ai fait.
25:31 Et en réalité, si le FBI ne s'était pas saisi de cette affaire,
25:34 je pense que Xavier Justo serait toujours en prison
25:37 et que j'aurais probablement été poursuivi en justice.
25:39 Le FBI m'a demandé de mettre par écrit ce que je savais
25:42 parce qu'ils avaient besoin de mon écriture.
25:44 Donc j'ai écrit sur un cahier dans les toilettes
25:47 parce que c'était le seul endroit où les caméras n'avaient pas accès.
25:49 Donc j'ai écrit plusieurs lettres manuscrites,
25:52 quelques-unes ont été publiées,
25:53 où je leur raconte ma connaissance de pétro-saoudite.
25:57 Fin 2015, le Wall Street Journal annonce que le FBI a ouvert une enquête
26:02 sur la base des articles de Claire Brown.
26:05 Quelques mois plus tard, les autorités américaines lancent une procédure judiciaire
26:09 pour confisquer l'argent malaisien détourné par le financier Jho Low
26:13 et son ami Tarek Obed.
26:15 C'est la fin pour Pétro-Saoudi.
26:19 En tant que journaliste, vous ne pouvez pas frapper à n'importe quelle porte
26:24 comme les autorités peuvent le faire.
26:29 Mais vous avez parfois une source,
26:30 quelqu'un qui enfreint la loi pour venir vous donner une information.
26:34 C'est ce qui s'est passé ici.
26:36 Les premières informations que Xavier Justo m'a communiquées
26:40 ont été absolument cruciales.
26:43 Sans ça, je pense que les autorités auraient continué
26:45 pour toujours à faire la sourde oreille.
26:47 Ça prend un peu de temps, mais effectivement,
26:51 comme j'avais déjà fait une bonne partie de ma sentence qui avait une amnistie,
26:54 je suis libéré le 20 décembre 2016.
26:57 Je suis escorté par un officiel de l'ambassadrice des services de sécurité.
27:02 Les mêmes forces spéciales qui m'ont emmené en prison
27:04 me raccompagnent à l'aéroport cette fois-ci pour me protéger.
27:07 C'est mon premier moment de liberté,
27:08 c'est pas que j'aime en parler, mais c'est un souvenir qui est tellement fort.
27:12 Après 547 jours de saleté, d'horreur,
27:15 j'arrive à l'aéroport comme homme libre.
27:18 Un aéroport, ça sent bon, il y a la clim, il y a des parfums,
27:21 il y a des gens bien habillés.
27:23 Donc voilà, j'embarque, finalement, je passe par Zurich,
27:27 je survole notre lac Léman, et voilà.
27:30 Je fais une petite pause parce que c'est des moments où
27:35 ça me...
27:37 ça me touche toujours.
27:38 Suite au scandale 1MDB,
27:41 le Premier ministre Najib Razak perd les élections en 2018.
27:45 Pour la première fois, le parti historique
27:48 qui était au pouvoir depuis l'indépendance du pays est délogé.
27:52 Deux jours après sa défaite,
27:54 la demeure où il réside avec son épouse est perquisitionnée.
27:58 La police malaisienne y retrouve pour près de 300 millions de dollars
28:02 de bijoux, de diamants et de sacs à main de luxe.
28:06 Des cadeaux du financier Jho Low.
28:10 Pour Xavier Justo, le retour en Suisse a été difficile.
28:14 Les autorités albétiques ont ouvert une enquête contre lui
28:17 pour espionnage industriel
28:19 parce qu'il avait donné les informations de Petro Saoudi
28:22 à la journaliste Claire Brown.
28:24 Cette enquête est toujours ouverte.
28:26 Il est parti s'installer à l'étranger avec femme et enfants,
28:29 cette fois en Espagne.
28:31 En avril 2023, alors que nous étions en train de terminer ce podcast,
28:36 la justice suisse a finalement inculpé le patron de Petro Saoudi, Tarek Obed.
28:41 Il est accusé de détournement de fonds et de blanchiment.
28:45 Mais l'horloge tourne.
28:46 Il y a un délai de prescription qui s'approche à grands pas,
28:50 avec le risque qu'il ne soit jamais jugé ni condamné.
28:54 Nous avons contacté les avocats de Petro Saoudi.
28:57 Ils n'ont pas souhaité faire de commentaire.
28:59 En Malaisie, Najib Razak a fini par être condamné à 12 ans de prison
29:04 pour le détournement des fonds de 1MDB.
29:07 Le pays continue aujourd'hui encore de rembourser cette dette.
29:11 Le financier Jho Low, lui, est parvenu à s'enfuir.
29:14 Il serait caché en Chine où il aurait gardé une partie du trésor volé.
29:19 Sur les 1,8 milliard détournés via des banques suisses,
29:23 seulement 200 millions ont été retrouvés par les enquêteurs helvétiques.
29:28 Claire Brown travaille toujours comme journaliste à Londres,
29:32 où elle continue de publier des articles sur son blog.
29:35 Quant à Leonardo DiCaprio, il a été interrogé par le FBI,
29:39 mais il n'a pas été inquiété.
29:41 Il dit qu'il ignorait d'où venait l'argent de son ami Jho Low.
29:45 L'acteur a touché 25 millions de dollars pour son rôle dans le loup de Wall Street.
29:51 Vous venez d'écouter Dangereux Millions, un podcast coproduit par Swiss Info,
29:56 le service d'information en ligne de la Société Suisse de Radiodiffusion,
30:00 un média public, et Europe 1 Studio, avec Gotham City.
30:05 Réalisation et composition des musiques originales, Julien Tharaud.
30:09 Direction, Jho Fay. Direction Europe 1 Studio, Fanny Rascal.
30:14 Conseil éditorial, Suzanne Rébert.
30:17 Relecture, Virginie Mangin. Illustration, Kai Reusser.
30:22 Pour le dernier épisode de cette saison, nous voulons aussi remercier
30:26 Adèle Imbert, Sébastien Guidis, pour la promotion côté Swiss Info,
30:31 Shin Chang et Carlo Pisani, pour la promotion et la diffusion côté Europe 1 Studio,
30:37 Kelly De Croix et Héloïse Bertil, Recherche et Archives Swiss Info,
30:42 Caroline Neger, Recherche et Archives Europe 1, Laetitia Casanova,
30:47 Benoit Muchensturm et Sylvaine Denis, avec les voix pour les doublages de
30:52 Sébastien Guyot, Marc-André Miseré, Caroline Baudry et Mathieu Bock.
30:57 Si vous avez aimé Dangereux Millions, dites-le sur les réseaux sociaux.
31:01 Donnez-nous 5 étoiles ! C'est la meilleure façon de nous soutenir.
31:05 façon de nous soutenir.
31:08 [SILENCE]

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