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Nous sommes dans les années 1915 dans les rues de New York. Dans le Lower East Side, qui est à cette époque-là un quartier pauvre et malfamé, où s’entassent les émigrés juifs venus des pays de l’Est, on croise la route d’un garçon d’une dizaine d’années. Originaire de Pologne, il est arrivé en Amérique quand il avait 9 ans, sous le nom de "Maier Suchowljansky". L’histoire retiendra son nom anglicisé : Meyer Lansky.

En 1931, Al Capone est écroué pour fraude fiscale. Meyer Lansky, devenu un des boss de la mafia Cosa Nostra grâce à son génie des mathématiques, a alors un déclic : pour que l’argent sale généré par les activités illicites du réseau n’éveille aucun soupçon, il faut le blanchir dans des entreprises légales. Avec son associé Charles Luciano, plus connu sous le surnom de "Lucky", Meyer Lansky va alors développer un empire des jeux d’argent, et transférer ses fonds dans une banque de Genève grâce notamment aux "porteurs de valises"…

Les secrets de Meyer Lansky sont restés enfouis pendant des années. Pour remonter le fil de ses pratiques frauduleuses et comprendre qui a inventé le blanchiment d’argent moderne, les journalistes d'investigation Marie Maurisse et François Pilet sont notamment allés enquêter dans les dossiers des archives fédérales de Berne.

Le podcast "Dangereux millions" vous raconte comment la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier. Bienvenue dans le monde feutré du crime financier. Qui, dans cet épisode, nous emmène des casinos de Las Vegas jusque dans l'arrière-cour d’une banque de Genève. C’est là que la mafia américaine blanchissait ses billets verts.

"Dangereux Millions", un podcast coproduit par le média public SWI swissinfo.ch, le service d’information en ligne de la Société suisse de radiodiffusion, et Europe 1 Studio, avec Gotham City.

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Transcription
00:00 Voilà, nous sommes au numéro 9 de la rue du Conseil Général à Genève, donc vraiment
00:07 en plein centre-ville. Le bâtiment est assez luxueux, il a été rénové mais il a gardé
00:19 sa forme d'antan. C'est devenu un bâtiment de la section de mathématiques de l'Université
00:27 de Genève. Eh bien dans les années 60, c'est ici que se trouvait la Banque de Crédit International.
00:34 J'ai retrouvé cette vieille photo sur un prospectus publicitaire. Le nom était écrit
00:40 en lettres blanches sur toute la hauteur du bâtiment. Alors viens, parce que pour comprendre
00:45 il faut faire le tour du bâtiment. Voilà, eh bien c'est ça. C'est cette banque
00:52 de crédit. Voilà, eh bien c'est ça. C'est cette petite cour intérieure. En fait c'est
00:59 aujourd'hui un parking avec un grand platan qui devait déjà être là dans les années
01:05 60 et à côté passaient probablement des hommes avec des valises, des valises pleines
01:12 de billets.
01:14 Je suis François Pillais. Je suis Marie-Maurice. Et vous écoutez Dangereux Millions, le podcast
01:41 qui vous raconte comment la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier.
01:46 Soyez les bienvenus dans le monde feutré du crime financier, qui dans cet épisode
01:53 nous emmène des casinos de Las Vegas jusque dans l'arrière-cour d'une banque à Genève.
01:58 C'est là que la mafia américaine blanchissait ses billets verts.
02:02 Cette histoire digne d'un film de gangster, vous n'en avez jamais entendu parler, pour
02:09 une bonne raison. Elle est restée cachée dans de vieux dossiers dactylographiés conservés
02:15 aux archives fédérales à Berne. C'est là que notre enquête a commencé.
02:19 Dangereux Millions est un podcast coproduit par Swiss Info, le service d'information
02:26 en ligne de la Société Suisse de Radiodiffusion, un média public, et Europe 1 Studio avec
02:32 Gotham City.
02:34 Épisode 1 - Les porteurs de valises de la mafia
02:38 Nous sommes dans les années 1915 dans les rues de New York, plus précisément dans
02:46 le Lower East Side, qui est à cette époque-là un quartier pauvre et malfamé, où s'entassent
02:51 les émigrés juifs venus des pays de l'Est. C'est là qu'on croise la route d'un
02:57 garçon d'une dizaine d'années, un petit Polonais arrivé en Amérique quand il avait
03:00 9 ans, sous le nom de Meyer Sukoliansky. L'histoire va retenir son nom en anglais,
03:08 Meyer Lansky. Meyer n'est pas un enfant comme les autres.
03:14 Il a ce qu'on appelle aujourd'hui la bosse des maintes. Il a une mémoire incroyable,
03:19 il sait calculer des probabilités de tête, et il a trouvé un moyen d'impressionner
03:23 ses amis. Il leur apprend à truquer les paris quand ils jouent aux cartes ou aux dés.
03:29 Mais dans les rues du Lower East Side, ça ne fait pas illusion bien longtemps. On aime
03:34 plutôt jouer à la castagne et notre personnage n'est pas un gros bras. Alors Meyer se trouve
03:40 un copain qui donnera les coups à sa place. Il s'appelle Charles, Charles Luciano.
03:48 Lui aussi est arrivé à New York à l'âge de 9 ans. Il a grandi dans un petit village
03:55 près de Palermo en Italie. Et quand il choisit un métier, sa carrière est toute trouvée.
04:00 Le petit Sicilien entre dans la mafia. Il devient un membre de Cosa Nostra et il gagne
04:06 un surnom, Lucky, celui qui a de la veine au jeu.
04:09 Dans les années 30, Lucky Luciano gravit tous les échelons. Il est très ambitieux
04:16 et devient à 34 ans le parrain de Cosa Nostra. Et il ne va pas s'arrêter là. Il a maintenant
04:22 un rêve, transformer cette pieuvre un peu à l'ancienne en un vrai syndicat du crime
04:27 géré comme une entreprise. Mieux, comme une multinationale.
04:31 Pour comprendre ce que ça change, je suis allé rencontrer Sébastien Guay. Il est professeur
04:41 émérite d'histoire à l'université de Lausanne. Sa spécialité, c'est le secret
04:46 bancaire suisse. C'est un des rares à vraiment avoir travaillé sur cette affaire qui a été
04:51 presque complètement oubliée.
04:52 Le problème de toute organisation criminelle d'envergure, ce qu'on appelle le crime organisé,
05:02 qui dégage des sommes, des montants extrêmement importants, à l'époque c'était des centaines
05:09 de millions de dollars, c'est de faire en sorte que cet argent qui a été acquis de
05:16 manière illégale, de le légaliser, c'est-à-dire de le faire sortir des circuits illégaux
05:25 pour le faire apparaître comme étant issu de sources légales. C'est ce qu'on appelle
05:31 le blanchiment d'argent.
05:32 Vous l'avez compris, le blanchiment d'argent, ça ne date pas d'hier. Mais repartons aux
05:38 Etats-Unis pour continuer notre histoire.
05:39 Dans les années 30, là-bas, les mafieux sont traumatisés. Par une histoire dont vous
05:45 avez peut-être entendu parler, c'est la chute d'Al Capone. Le chef de tous les chefs
05:52 a échappé à toutes les polices. Il est passé entre les mailles de tous les filets,
05:57 sauf un, le fisc. Et c'est à cause de ça qu'il a fini en prison. Luciano et Lansky
06:05 ne veulent pas se faire avoir de la même façon. Ils prêtent donc une très grande
06:09 attention à leur déclaration d'impôt. Et pour que tout soit propre en apparence,
06:14 ils commencent donc à blanchir leur argent dans des entreprises légales. Et pour ça,
06:19 il y a un endroit vraiment parfait, ce sont les casinos.
06:23 Les salles de jeu brassent une quantité considérable d'argent liquide, des tonnes de billets
06:34 verts. Et c'est très pratique pour les mélanger avec ceux qui proviennent de la prostitution,
06:39 de l'extorsion ou de la vente de drogue. Luciano et Lansky ouvrent des casinos à
06:44 tour de bras. Ils en ouvrent même à Cuba. Mais ça ne leur suffit pas. Ils ont une vision.
06:50 Ils vont créer une ville entière dédiée aux jeux, au milieu du désert. Las Vegas.
06:57 Et ils y ouvrent le tout premier casino, le Flamingo, qui existe toujours aujourd'hui.
07:03 Vous vous souvenez que Lansky est un champion des probabilités. Il perfectionne donc des
07:10 jeux de pari, de vrais jeux, basés sur des calculs mathématiques. Lui est sûr de gagner
07:16 de l'argent, et les joueurs n'ont pas l'impression de se faire avoir. D'un point de vue comptable,
07:21 pour la première fois, les casinos sont bien gérés. Ça marche tellement bien que les
07:26 deux compères nagent dans l'argent liquide. Mais petit à petit, la lessiveuse s'emballe.
07:34 Il y a de plus en plus de billets verts qui s'accumulent. Ça devient vraiment problématique.
07:40 Il faut trouver une solution. Alors, dans la salle des coffres, on trie
07:44 l'argent. Une partie ira dans la comptabilité officielle. Il faut bien payer des impôts,
07:49 n'est-ce pas, pour pas finir comme ce vieux Al Capone. Mais une autre partie ressort par
07:54 l'arrière, dans des valises, qu'il faut bien planquer quelque part. Et là encore,
08:00 c'est Meyer Lansky qui trouve la meilleure solution. Elle se situe à 10 000 km de là.
08:06 Et ça tombe bien, car dans les années 50, c'est l'arrivée des premiers vols commerciaux
08:11 directs entre les États-Unis et l'Europe. Lansky prend donc l'avion. Direction…
08:19 la Suisse. Il y trouve exactement ce qu'il cherchait.
08:26 Des banques solides, peu regardantes et surtout très loin des yeux de l'oncle Sam.
08:32 Évidemment, Lansky ne portait pas lui-même ses valises de cash. Pas la peine de s'embêter
08:36 avec ça. Il savait, comme nous l'explique Sébastien Guay, qu'il pouvait compter sur
08:41 l'aide de ses banquiers suisses et de leurs fidèles employés.
08:44 On les appelle des pèlerins, donc des démarcheurs qui vont attirer, qui offrent à la clientèle
08:51 de transporter eux-mêmes les fonds en Suisse, de se charger du passage toujours délicat
08:57 des frontières.
08:58 Des porteurs de valises.
09:00 Des porteurs de valises, tout à fait. C'est-à-dire, nous vous garantissons que si vous déposez
09:08 de l'argent issu d'opérations frauduleuses, de la fraude fiscale ou issu du crime organisé,
09:18 du blanchiment d'argent, nous vous garantissons que les autorités de votre propre pays, qu'elles
09:25 soient fiscales ou qu'elles soient judiciaires, policières, ne pourront pas vous identifier.
09:32 Et c'est là qu'on en revient à la ruelle qui se trouve juste derrière le bâtiment
09:37 de la Banque de Crédit International.
09:39 Vous vous souvenez ? Eh bien, nous y sommes.
09:41 Nous sommes là devant ce qui était l'entrée de service de la banque, sur l'arrière
09:48 du bâtiment, dans cette petite cour qu'on a visitée tout à l'heure.
09:51 Aujourd'hui encore, c'est une entrée de service pour le nouvel occupant qui est l'Université
09:57 de Genève.
09:58 Dans le cas de Meyerlandski et de ses amis, eh bien c'est ici que ça se passait.
10:03 Leur valise arrivait ici, dans cette cour discrète, en plein centre de Genève.
10:08 Les porteurs, nos fameux pèlerins, passaient cette porte, exactement cette porte-là, et
10:14 ils arrivaient jusqu'au guichet, comme des clients presque normaux.
10:17 Les valises étaient vidées et l'argent déposé sur des comptes.
10:21 Mais pas des comptes tout à fait ordinaires.
10:23 On va garantir l'anonymat par la mise en place du fameux système des comptes numérotés
10:32 et qui est une sorte de coupe-feu, si vous voulez, supplémentaire.
10:37 C'est pour se prévenir des employés indélicats qui seraient tentés de vendre cette marchandise
10:44 assez précieuse à l'État.
10:46 Alors, ils seront plus désignés à l'intérieur de la banque par un nom, mais par un numéro.
10:51 La seule personne ou les seules personnes à l'intérieur de la banque qui auront les
10:56 noms qui correspondent aux numéros étant limités au directeur général et quelques
11:02 directeurs adjoints.
11:03 À la Banque de Crédit International, ce directeur s'appelle à l'époque Tibor Rosenbaum.
11:14 C'est un personnage hors du commun, un Hongrois qui a réchappé de justesse au nazisme et
11:20 qui s'est réfugié en Suisse, pays neutre, pendant la guerre.
11:23 Très vite, son succès est insolent.
11:26 En quelques années, il a donc sa propre banque et les affaires tournent à plein régime.
11:31 Mais autant vous le dire tout de suite, Tibor Rosenbaum est lié à toutes sortes d'affaires
11:37 louches.
11:38 On ne sait pas vraiment comment Tibor Rosenbaum est entré en contact avec Meyer Lansky.
11:44 On sait juste qu'ils avaient un ami en commun, un homme d'affaires canadien qui avait été
11:49 poursuivi aux États-Unis au temps de la prohibition et qui s'était réfugié à Lausanne sur
11:54 les rives du Léman.
11:55 Bref.
11:56 Durant dix ans, tous petits mondes, Tibor Rosenbaum, Meyer Lansky, leur ami canadien et les pèlerins
12:04 employés de la banque, tous petits mondes donc brassent et lessivent des quantités
12:09 formidables de billets verts à Genève.
12:11 En toute discrétion.
12:12 Déposer des millions de dollars dans une banque suisse, c'est bien.
12:24 Mais comment les faire ressortir pour les rapatrier aux États-Unis ? C'est la question
12:29 que se pose Meyer Lansky à l'époque.
12:31 Aussi bien les blanchisseurs d'argent que les riches, ultra-riches, ne veulent pas simplement
12:36 déposer leur argent dans les coffres des banques suisses et puis les laisser dormir
12:42 dans ces coffres.
12:43 D'ailleurs si c'était le cas, les banquiers suisses ne seraient pas très intéressés
12:48 à ça parce que ça ne leur rapporte pas grand-chose.
12:51 L'allocation d'un coffre-fort, bien, ça ne rapporte pas beaucoup de gains.
12:55 C'est là que le génie du mafieux, Meyer Lansky, rencontre celui du banquier Tibor
13:01 Rosenbaum.
13:02 Ensemble, ils mettent au point un système ingénieux pour faire revenir l'argent blanchi
13:07 aux États-Unis.
13:08 L'argent déposé à Genève est transformé en prêt bancaire, accordé à des sociétés
13:14 américaines.
13:15 Des sociétés qui appartiennent à la mafia, bien sûr.
13:19 Des entreprises de construction, de l'immobilier de luxe en Floride, ou pour construire des
13:23 casinos par exemple.
13:25 Encore des casinos.
13:26 Cet argent devient parfaitement propre.
13:29 Mieux, ces entreprises se retrouvent à payer moins d'impôts parce qu'elles peuvent
13:34 déduire les intérêts de ces emprunts, ces gagnants à tous les étages.
13:39 Le 1er septembre 1967, il fait un temps splendide à Miami.
13:49 30 degrés au thermomètre.
13:50 C'est une belle journée qui s'annonce pour Meyer Lansky.
13:54 Mais en découvrant la couverture du magazine Live ce jour-là, il comprend tout de suite
14:00 que le vent a tourné.
14:01 Le magazine américain dévoile tout sur son empire du crime.
14:06 Il y en a sur 11 pages.
14:09 Les casinos qui brassent des milliards, les porteurs de valises et même leur manège
14:14 jusqu'au guichet de la banque genevoise de Tibor Rosenbaum.
14:17 Tout y est.
14:18 Et en photo en plus.
14:20 En feuilletant ce numéro, qui est d'ailleurs très bien conservé aux archives fédérales
14:25 à Berne, j'ai pu notamment voir un cliché d'un des jeunes employés de la banque,
14:29 un certain Sylvain Ferdman.
14:31 On le voit en train d'embarquer dans un avion depuis les Etats-Unis avec une lourde
14:35 valise à la main.
14:36 Ce jour-là, ce Sylvain Ferdman commet même une incroyable erreur.
14:41 En rendant sa voiture de location à l'aéroport, il laisse tomber un bout de papier sur lequel
14:47 figurent quelques lettres et des chiffres.
14:49 MARAL 2812.
14:51 En fait, c'est un des fameux comptes numérotés de la Banque de Crédit International.
14:58 Un employé du loueur de voiture l'aurait retrouvé et l'aurait ensuite donné au
15:02 FBI.
15:03 Mais Jarlansky s'étrangle en buvant son café.
15:07 Le magazine Life raconte tout ça en détail.
15:11 Tous ses secrets.
15:12 Comment les journalistes de Life ont-ils pu obtenir ces informations ? Vous pensez peut-être
15:19 que c'est un peu gros ? Et bien Sébastien Guay le pense aussi.
15:23 Ma conviction raisonnée, c'est que les articles de Life ne viennent pas de Life.
15:29 Ce sont des articles qui sont inspirés en sous-main par les plus hautes autorités
15:34 américaines.
15:35 Pourquoi ?
15:36 Dès les années 1920, il y a une partie des autorités américaines qui sont décidées
15:45 à limiter l'ampleur de la fraude fiscale à l'intérieur même des États-Unis.
15:50 Ils sont aussi décidés, pour des raisons de souveraineté étatique, à limiter le
15:57 poids et l'ampleur du crime organisé.
16:00 Donc à lutter assez sérieusement contre le blanchiment d'argent.
16:04 Il faut aussi lutter contre le paradis fiscal suisse pour lutter contre la fraude fiscale
16:10 et le crime organisé aux États-Unis.
16:12 En clair, les États-Unis veulent faire du ménage.
16:15 Et dans cette grande opération nettoyage, ils comptent sur la Suisse.
16:20 Problème, les autorités suisses, elles, n'ont pas du tout envie de mettre de l'ordre
16:25 dans tout ça.
16:26 Officiellement, la Suisse refuse de collaborer avec les autres pays dans le domaine fiscal.
16:33 Si le fisc américain pose des questions au sujet d'un contribuable qui aurait caché
16:38 de l'argent, Berne ne répond pas.
16:41 Les autorités suisses n'acceptent d'aider les autres pays que s'il s'agit de droits
16:47 pénals, ce qu'elles considèrent comme de vrais crimes.
16:50 Parce qu'en Suisse, frauder le fisc n'est pas considéré comme tel.
16:54 Évidemment, cette situation agace beaucoup de pays.
16:59 Mais les États-Unis, maîtres du monde libre, pensent pouvoir faire pression.
17:03 Et l'affaire Lansky est l'occasion rêvée.
17:06 S'ils parviennent à prouver que la mafia blanchit son argent en Suisse, ils pourront
17:12 peut-être percer le coffre-fort et faire sauter le secret bancaire.
17:17 Et ça semble bien parti, parce que Meyer Lansky n'est pas le seul à s'étrangler
17:23 en lisant l'article de Leif.
17:25 En Suisse aussi, le choc est énorme.
17:28 C'est ce que j'ai pu voir en allant aux archives fédérales à Berne.
17:36 L'affaire Lansky, c'est plusieurs gros dossiers avec un lien en tissu pour les retenir.
17:45 On y trouve toute la correspondance des autorités suisses de l'époque, tout est très bien
17:50 rangé.
17:51 Mais personne n'a jamais écrit ou raconté ce qu'il y avait à l'intérieur.
17:56 J'ai notamment retrouvé une lettre écrite par l'ambassadeur de Suisse installé à
18:00 Washington aux États-Unis.
18:02 Il l'envoie quelques jours après la parution de l'enquête de Leif à la centrale de Berne,
18:08 le siège du gouvernement.
18:09 Et voilà ce qu'il écrit.
18:11 Il s'avérait exact que la mafia juive et italienne de New York aurait réussi à s'assurer
18:17 le contrôle d'une banque à Genève.
18:19 Vous l'avez entendu, il y a du conditionnel.
18:22 Mais le ton est pressant.
18:23 L'ambassadeur de Suisse ajoute.
18:25 Cette affaire est une illustration saisissante de certains aspects internationaux de notre
18:31 régime bancaire et des problèmes qu'il pose à nos autorités.
18:35 Et à la fin de la lettre, on peut lire ses mots.
18:37 Négliger cette affaire risquerait d'avoir des répercussions peu favorables sur nos
18:43 bonnes relations avec les États-Unis.
18:45 C'est clair, les autorités suisses sont obligées d'ouvrir une enquête.
18:50 Il n'y a plus le choix.
18:52 Au siège de la Banque de Crédit International, dans le centre de Genève, c'est aussi la
19:01 panique.
19:02 Le bal des porteurs de valise s'est arrêté net.
19:04 Mais le directeur Tibor Rosenbaum n'est pas du genre à rester sur la défensive.
19:09 Il engage aussitôt un avocat Genevois.
19:12 Pas n'importe lequel.
19:13 Il fait appel au bâtonnier de l'époque.
19:16 Tous les moyens sont bons pour étouffer l'affaire.
19:19 Au milieu d'un des dossiers Lansky qui sont gardés aux archives fédérales, j'ai
19:23 fait une découverte étonnante.
19:25 Une semaine après l'apparution de l'article de Leif, le magazine suisse L'Illustré
19:30 s'intéresse lui aussi à l'affaire.
19:32 A l'époque, c'est le plus lu en Suisse francophone.
19:35 Il décide carrément de traduire l'article de Leif pour le publier à son tour.
19:40 Seulement voilà, cet article ne paraîtra jamais.
19:45 Pour la Banque de Crédit International, voir ce scandale déballer au grand jour en Suisse,
19:53 ce serait une catastrophe.
19:54 Alors la banque porte plainte contre le magazine suisse pour tenter d'empêcher l'apparution.
19:58 La partie n'est pas gagnée.
20:00 C'est diffamation d'un côté contre liberté d'expression de l'autre.
20:04 Pas sûr que les juges suisses lui donnent raison.
20:06 Alors Tibor Rosenbaum, qui ne manque jamais de ressources, propose un deal à l'éditeur
20:12 du magazine.
20:13 La banque est prête à payer pour que l'article ne sorte jamais.
20:16 Vous voulez savoir si ça a marché ?
20:19 Eh bien oui.
20:20 J'en ai trouvé la preuve.
20:24 Aux archives fédérales, il y a une copie de cet accord secret.
20:28 Avec tous les détails.
20:29 Elle est montant.
20:30 La Banque de Meyerland-Ski a versé 50 000 francs de l'époque à l'éditeur de L'Illustré,
20:37 le groupe Ringier, pour qu'il renonce à publier l'article.
20:41 Cette somme, ce n'est pas rien, ça correspond presque à 200 000 euros d'aujourd'hui.
20:46 Résultat, la traduction française de l'article de Leif a fini à la poubelle.
20:51 Meyerland-Ski et son banquier suisse pensent avoir gagné la partie.
20:59 Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que la police suisse a ouvert une enquête au
21:04 même moment.
21:05 Elle est confiée à l'inspecteur Pierre Laperrouza de la police de Genève.
21:09 On n'a pas beaucoup de détails sur lui, on sait juste que c'est un enquêteur expérimenté
21:14 à l'époque.
21:15 Patiemment, il reprend toutes les informations publiées par Leif et tente de les vérifier.
21:20 Et six mois plus tard, en mars 1968, il tape son rapport.
21:25 Il est long d'une trentaine de pages.
21:27 Je l'ai aussi retrouvé aux archives.
21:30 On voit que l'inspecteur Laperrouza est un enquêteur consciencieux.
21:34 Il note tous les noms des mafieux américains qui sont mentionnés par Leif.
21:39 À partir de là, il élargit les recherches.
21:42 On peut même dire qu'il bâle pavé.
21:43 Il se rend dans tous les hôtels de Genève et il consulte leurs registres.
21:48 Et là, bingo !
21:50 Il découvre que le gratin de Cosa Nostra a pris ses habitudes depuis des années au
21:56 bord du lac Léman.
21:58 Mais Jarlansky et une dizaine de ses proches y viennent chaque année pour leurs affaires.
22:02 Il y a là des hommes d'affaires, des capots, leurs femmes et parfois leurs maîtresses.
22:07 L'inspecteur Laperrouza trouve même les traces laissées par Joe Adonis.
22:12 C'est l'un des plus célèbres tueurs à gage de la mafia.
22:15 Lors de ses passages à Genève, il descendait à l'hôtel Le Chandelier, plus précisément
22:20 dans la chambre 20, occupée par une certaine Marie-Rose, artiste de cabaret de profession.
22:26 Bref, le rapport de l'inspecteur Laperrouza est une bombe.
22:34 Et il circule dans toutes les administrations policières suisses.
22:38 J'ai vu les copies.
22:39 À Berne, la police fédérale le traduit même en allemand.
22:42 Tout le monde est au courant.
22:43 Et que se passe-t-il ?
22:45 Rien.
22:46 La hiérarchie de l'inspecteur Laperrouza finit par bloquer l'enquête.
22:51 Mais ces Américains sont des membres de la PAIGRE, dit le rapport.
22:54 Ils n'ont commis aucun crime en Suisse, répondent les autorités.
22:57 Avec leur argent sale, ils descendent dans des palaces et vont rendre visite à leurs
23:00 banquiers.
23:01 Mais oui, comme tout le monde.
23:02 Même les Américains disent que ce sont des mafieux.
23:05 D'accord, mais ils n'ont pas de preuves.
23:07 Le rapport Laperrouza est remis au fond d'un tiroir.
23:12 Ce qui n'étonne pas l'historien Sébastien Gué.
23:15 Qu'est-ce que font les Suisses ? Ils minimisent l'affaire.
23:18 Non, on n'a rien à voir avec ça.
23:20 Non, tout ça se fait dans des cadres légaux, etc.
23:26 On ne peut pas intervenir parce que tout se fait dans le respect des lois suisses.
23:31 Donc qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? Donc les Suisses veulent noyer le poisson,
23:36 enterrer l'affaire.
23:37 Ça sera leur attitude pendant toutes ces années.
23:40 Tibor Rosenbaum et sa banque ne seront plus inquiétés.
23:44 Le banquier finira quand même par faire faillite quelques années plus tard à cause d'une
23:49 autre affaire louche qui a mal tourné.
23:50 Et Sylvain Ferdman, vous vous souvenez ? Le jeune porteur de valise pris en photo dans
23:55 l'article de Life.
23:56 Il ne lui est rien arrivé non plus.
23:58 Livrer des valises pleines de dollars dans une banque suisse, ce n'est pas un crime.
24:03 Il créera même sa propre entreprise de gestion de fortune à Genève où il restera actif
24:08 pendant des décennies.
24:09 Il est décédé il y a quelques années.
24:11 Meyerlandski, lui, ne s'en est pas aussi bien tiré.
24:17 La justice américaine s'est lancée à ses trousses.
24:20 Et comme Al Capone avant lui, elle l'accuse de fraude fiscale.
24:23 Il se réfugie un temps en Israël, mais il tombe malade.
24:26 Il finit par rentrer aux États-Unis.
24:29 À son procès, le fisc américain assure que Meyerlandski a caché une immense fortune
24:35 de 300 millions de dollars dans des paradis fiscaux en Suisse et ailleurs.
24:39 Mais en regardant ses déclarations d'impôt, il n'a pas un sou.
24:44 Il est acquitté en 1974.
24:47 Il prend sa retraite en Floride et meurt huit ans plus tard d'un cancer des poumons.
24:51 On ne saura jamais si Meyerlandski possédait vraiment cette fortune.
24:56 Et si oui, qui l'a récupérée ?
24:58 Nous avons voulu poser la question à son petit-fils.
25:02 L'homme, qui est connu sur les réseaux sociaux, porte fier son patronyme.
25:06 Il se fait appeler Meyerlandski II.
25:09 Aux États-Unis, l'histoire de sa famille est presque une légende.
25:12 Elle a été adaptée au cinéma en 2021 avec l'acteur Harvey Keitel.
25:17 Et au Flamingo, le tout premier casino construit par la mafia à Las Vegas, un restaurant,
25:22 un steakhouse plus précisément, porte aussi son nom.
25:25 Meyerlandski II a finalement refusé de nous répondre.
25:28 Vous venez d'écouter Dangereux Millions, un podcast coproduit par Swiss Info,
25:40 le service d'information en ligne de la Société Suisse de Radiodiffusion,
25:44 un média public et Europe 1 Studio avec Gotham City.
25:49 A très bientôt pour un nouveau voyage en Suisse dans le monde feutré de crimes financiers.
25:53 Mon problème, c'est de faire rentrer clandestinement Lee Cho-Jae Lee en Suisse.
25:58 Mais le but était pur puisqu'il s'agissait pour lui de se rendre et d'être jugé.
26:03 Bon, je vous dis pas, les chemins le traversent.
26:06 J'ai pris tous les feux rouges, j'ai traversé toutes les frontières.
26:11 Vous l'avez pris en voiture ?
26:12 Je l'ai pris en voiture.
26:13 Ce jour-là ?
26:13 Oui, oui, je me divertissais beaucoup.
26:16 Réalisation et composition des musiques originales, Julien Taro.
26:20 Direction, Joe Fay.
26:22 Direction Europe 1 Studio, Fanny Rask.
26:25 Conseil éditorial, Suzanne Rehbert.
26:28 Relecture, Virginie Mangin.
26:31 Illustration, Kai Reusser.
26:34 On vous retrouve très vite sur votre plateforme d'écoute préférée pour un nouvel épisode.
26:38 Et d'ici là, si vous avez aimé Dangereux Millions, dites-le sur les réseaux sociaux.
26:44 Donnez-nous un 5 étoiles.
26:45 C'est la meilleure façon de nous soutenir.
26:48 DANGEREUX MILLIONS
26:52 [SILENCE]

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