Le 22 décembre 2008, la procureure Laurence Boillat interroge dans les bureaux de la police de Genève un employé de la banque HSBC. C’est un informaticien du nom de Hervé Falciani, né en France et installé en Suisse depuis une dizaine d’années. Depuis plusieurs mois, la police suisse reçoit des "tuyaux" l’accusant de tentative de vente de données bancaires. Mais ce soir-là, la magistrate le laisse rentrer chez lui sans avoir réussi à lui soutirer des informations. Le lendemain, Hervé Falciani a disparu.
Hervé Falciani est-il un lanceur d’alerte qui a trouvé une faille dans le système informatique d’une banque internationale, ou une personnalité trouble motivée par l’appât du gain ? De l’opération "Chocolat" lancée par le fisc français au scandale des "Swissleaks" qui a révélé au grand public le nom, notamment, de personnalités françaises qui cachaient leurs revenus aux impôts via des comptes en banque suisses, la justice s’est interrogée pendant neuf ans sur l’étendue de l’implication de Hervé Falciani dans ce dossier qui ressemble au "casse du siècle".
A l’époque du scandale, les journalistes Marie Maurisse et François Pilet faisaient partie des journalistes chargés d’éplucher les listes de données bancaires dérobées à HSBC. Pour pousser l’enquête encore plus loin et remonter les traces des activités illégales de Hervé Falciani, ils sont allés en particulier à la rencontre de Eric Russo, un magistrat français qui a eu un rôle capital dans ce dossier.
Le podcast "Dangereux millions" vous raconte comment la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier. Bienvenue dans le monde feutré du crime financier. Qui, dans cet épisode, nous plonge dans un tourbillon politico-médiatique lié à la filiale suisse de HSBC.
"Dangereux Millions", un podcast coproduit par le média public swissinfo, le service d’information en ligne de la Société suisse de radiodiffusion et Europe 1 Studio, avec Gotham City.
Retrouvez "Dangereux millions" sur : http://www.europe1.fr/emissions/dangereux-millions
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00:00 Nous sommes le lundi 20 décembre 2008.
00:04 A Genève, en fin de journée, les chalets du marché de Noël sont en train de fermer.
00:09 Quelques retardataires profitent des nocturnes dans les grands magasins pour finir d'acheter leurs cadeaux.
00:15 La procureure Laurence Boyat n'a pas la tête à ça.
00:20 La magistrate est de permanence à la centrale de la police cantonale.
00:26 Dans les bureaux principaux, elle interroge depuis plusieurs heures un homme de 36 ans.
00:32 Il est brun, il a les yeux noisettes, il présente bien. Ce n'est pas une petite frappe.
00:39 Hervé Daniel Marcel Falciani. C'est son nom complet sur sa pièce d'identité.
00:46 Il est né à Monaco, il a la nationalité française et il s'est installé depuis une dizaine d'années en Suisse.
00:53 Il travaille plus précisément comme informaticien au sein de la banque HSBC à Genève.
01:00 Informaticien, ça peut vous sembler un emploi presque banal.
01:05 Mais c'est un poste clé au sein d'un établissement bancaire où tout est secret, protégé, crypté.
01:12 Où il faut garantir aux clients une confidentialité totale.
01:16 La mission d'Hervé Falciani, c'est justement d'améliorer encore et encore la sécurité.
01:22 Mais voilà, depuis quelques mois, la police suisse a reçu ce qu'on appelle des tuyaux.
01:27 Des informations confidentielles données par des services secrets étrangers.
01:31 Une source raconte qu'Hervé Falciani essayerait de vendre des données bancaires.
01:37 C'est un crime pour la Suisse, presque de la haute trahison.
01:42 Ce 22 décembre pourtant, l'homme nie en bloc.
01:46 L'audition se prolonge durant des heures et la magistrate n'arriva rien.
01:51 Dehors, la nuit tombe. Il est maintenant 23h et Hervé Falciani sort les violons.
01:59 Il dit que sa femme et sa fille l'attendent à la maison. L'enfant n'a que 3 ans. Il aimerait la retrouver.
02:05 Alors, Laurence Boya craque. Après tout, c'est bientôt Noël.
02:10 Elle laisse repartir Hervé Falciani chez lui.
02:13 Mais elle lui fait promettre de revenir le lendemain matin à 9h30 précise.
02:18 L'informaticien la remercie et il enfourche sa trottinette.
02:23 Sa cavale vient de commencer.
02:27 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
02:30 Je suis François Pillais. Je suis Marie-Maurice et vous écoutez "Dangereux millions",
02:53 le podcast qui vous raconte comment la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier.
02:59 Bienvenue dans le monde feutré du crime financier qui, dans cet épisode,
03:04 est mis à nu par un seul homme responsable d'un gigantesque vol de données chez HSBC.
03:10 Le secret bancaire est en danger. Y survivra-t-il ?
03:15 "Dangereux millions" est un podcast coproduit par Swiss Info,
03:18 le service d'information en ligne de la Société Suisse de Radiodiffusion, un média public,
03:24 et Europun Studio avec Gotham City.
03:27 Épisode 5 - La trahison
03:30 À peine arrivé chez lui, Hervé Falciani dit à sa femme de préparer les bagages. En vitesse.
03:39 Il faut partir, il lui expliquera plus tard.
03:42 Il a juste le temps de réserver sur Internet une voiture de location.
03:46 Toute la famille prend la route.
03:48 Tant pis pour les clés de leur appartement qu'ils ont laissées sur la porte.
03:52 Hervé Falciani met les gaz.
03:55 Après quelques minutes de route, il passe la frontière.
03:59 Pas de contrôle. Ça y est, il est en France.
04:04 Dans son coffre, il y a un empilement d'ordinateurs, de câbles et de CD-ROM.
04:11 C'est un trésor à 100 milliards de dollars.
04:15 Hervé Falciani vient de commettre le plus gros vol de données de l'histoire des banques suisses.
04:22 Le casse-du-siècle, version bancaire.
04:26 Dans sa petite voiture rouge, il ne roule pas au hasard.
04:30 Il se rend directement à Nice. C'est là que vivent ses parents.
04:34 Et en arrivant sur place, il prend rendez-vous avec un certain Jean-Patrick Martini, qui n'est pas un inconnu.
04:41 L'informaticien avait déjà rencontré quelques mois plus tôt cet inspecteur de la Direction nationale des enquêtes fiscales.
04:48 "Pour faire simple, c'est la crème de la crème des agents du fisc en France."
04:53 Hervé Falciani pensait alors que les données bancaires qu'il avait patiemment enregistrées sur son disque dur pouvaient intéresser les impôts français.
05:02 Pour prouver la fiabilité de ces données, il avait même livré un échantillon de 7 comptes bancaires.
05:08 Le fisc avait appelé ça l'opération chocolat.
05:11 "Rapport à la Suisse, évidemment."
05:13 Mais après, Hervé Falciani avait disparu de la circulation.
05:17 L'opération chocolat était tombée à l'eau.
05:20 Alors, quand Jean-Patrick Martini reçoit un nouveau coup de fil le 24 décembre 2008, l'agent du fisc comprend que cette fois, c'est du sérieux.
05:31 Les deux hommes se rencontrent deux jours plus tard au bistrot de l'aéroport de Nice.
05:36 Hervé Falciani est acculé. Il comprend que sa cavale ne le mènera nulle part et il commence à parler.
05:42 [Musique]
05:52 Pendant ce temps-là à Genève, la procureure Laurence Boilat est de retour au bureau.
05:57 Et elle comprend évidemment tout de suite que son suspect lui a filé sous le nez.
06:02 La banque HSBC s'inquiète aussi de son côté.
06:05 Son employé Hervé Falciani ne s'est pas présenté au bureau.
06:09 Elle commence à se douter qu'il a pu partir avec des données.
06:12 Mais combien ?
06:14 Ça, elle ignore encore.
06:16 À partir de là, la machine judiciaire se lance.
06:20 La Suisse fait ce qu'on appelle une « demande d'entraide » à la France.
06:25 En gros, les autorités suisses disent à leurs homologues français
06:29 « Vous avez un dossier qui nous intéresse, des documents qu'on voudrait récupérer. Pourriez-vous nous les rendre ? »
06:35 Mais évidemment, en faisant ça du côté du fisc français, on comprend une seule chose.
06:40 Les dossiers Falciani, c'est du lourd.
06:43 [Musique]
06:45 Au parc Edenis, c'est le célèbre procureur Éric de Montgolfier qui hérite de l'affaire.
06:50 Il saute sur l'occasion.
06:52 À la demande des Suisses, il organise donc une perquisition chez les parents d'Hervé Falciani
06:57 dans l'espoir de récupérer ses ordinateurs.
07:00 Pour comprendre ce qui se passe dans les coulisses de la procédure à ce moment-là,
07:04 j'ai rencontré Marc Anzlin, qui deviendra plus tard l'avocat d'Hervé Falciani.
07:09 Il me reçoit dans son étude à Genève.
07:12 Son bichon Havanais dort paisiblement sous son bureau.
07:15 Il se rappelle bien cette fameuse « demande d'entraide ».
07:19 Il la décrit comme une bourde qui s'est retournée contre la Suisse.
07:23 Je vous explique.
07:25 En demandant à la France de lui rendre les documents bancaires,
07:28 la Suisse l'autorise de fait à les consulter,
07:31 et ça, le plus légalement du monde.
07:34 Plus besoin de lanceurs d'alerte, plus besoin d'Hervé Falciani pour servir d'intermédiaire.
07:39 Les autorités françaises ont bel et bien fait ce qui avait été demandé, avec beaucoup de diligence.
07:45 Simplement, la restitution de la documentation, ça passe par des voies officielles, n'est-ce pas ?
07:50 Le procureur, il ne pouvait pas simplement remettre les disquettes à la Suisse en disant
07:54 « Voilà, merci, bonjour, on a fait notre job ».
07:57 Ça doit passer par un certain nombre de procédures, y compris par Paris, etc.
08:02 Puis là, les Français se sont dit « Ces listes, on va les rendre aux Suisses,
08:05 mais elles nous intéressent aussi, ces listes. »
08:07 Pour des raisons, évidemment, propres à la souveraineté française,
08:11 à savoir éventuellement fraude fiscale, etc., des Français qui s'y trouvaient.
08:17 Et donc, les Français ont restitué ces listes, avec grand plaisir aux autorités suisses,
08:22 mais en ont gardé une copie.
08:24 Donc, c'était vraiment le cadeau du siècle.
08:26 Alors, vous vous demandez sans doute ce qu'il y a vraiment dans les dossiers d'Hervé Falciani.
08:31 Ce qu'on a retrouvé, notamment pendant la perquisition menée chez ses parents.
08:36 C'est la question que je suis allée poser à Éric Russeau.
08:39 Lui, il est Français, magistrat, et il va avoir un rôle très important dans ce dossier.
08:45 Mais on aura le temps d'en reparler.
08:47 Alors, il y a deux grands types de documents.
08:49 Il y a des carnets, un petit peu, cahiers à spirale, etc., avec des notes,
08:54 prises par Hervé Falciani, et puis il y a des documents informatiques, effectivement.
08:58 Donc, en fait, il y a un ensemble de données brutes,
09:00 ce qu'on appellera ensuite la liste ou les listings Falciani.
09:03 À la base, elles ne se présentent pas du tout sous forme de listings.
09:07 Ça, ça va être la résultante du travail qui va être mené ensuite par les enquêteurs, par le fisc.
09:13 Et au départ, les données qui avaient été saisies par les enquêteurs avec le parquet de Nice
09:19 n'étaient pas du tout exploitables en tant que telles, ou quasiment pas.
09:22 Ça veut dire qu'on n'avait pas un nom, une adresse, un numéro de compte, des montants.
09:28 On avait, dans un coin, un nom, dans l'autre, sur un autre support, des numéros de compte,
09:33 sur un troisième support ou sur un morceau de papier, des montants, etc.
09:37 Évidemment, les enquêteurs qui ont été chargés de travailler là-dessus,
09:41 au départ, n'étaient pas du tout familiarisés avec cet environnement interne.
09:45 À Nice, les agents français comprennent donc assez vite
09:50 avoir besoin d'aide pour décrypter ces milliers de données informatiques.
09:54 En fait, ils n'ont pas vraiment le choix.
09:57 Ils vont devoir faire appel à un expert, en l'occurrence, Hervé Falciani lui-même.
10:03 Tout cela prend du temps, énormément de temps.
10:08 Mais petit à petit, une liste apparaît donc, avec des chiffres qui donnent le tournis.
10:14 Il y a là 100 000 comptes bancaires et près de 9 000 noms de contribuables français.
10:21 Pour la plupart, ils n'ont jamais déclaré officiellement cet argent.
10:26 Il faut se remettre dans le contexte de l'époque.
10:30 La fraude fiscale, qui était, disons, plutôt tolérée jusque-là,
10:34 devient à la fin des années 2010 un vrai sujet politique.
10:37 Ce qui fait la particularité de ce dossier, je crois,
10:40 c'est le fait qu'il intervient aussi quasiment en même temps que la grande crise économique et financière
10:46 autour de la crise des subprimes aux États-Unis.
10:49 Et aussi, du coup, dans une espèce de prise de conscience par l'opinion publique,
10:53 aussi par des responsables politiques, en tout cas une partie d'entre eux,
10:57 du fait qu'il y a sans doute une forme de dérive dans la finance mondiale
11:03 et que l'évasion fiscale, la fraude fiscale,
11:06 constitue finalement un des aspects de cette dérive.
11:10 Mais les mois passent, les années même, sans qu'aucun fraudeur ne soit poursuivi.
11:21 Bien sûr, le dossier Falciani HSBC est complexe.
11:25 Mais cinq ans, c'est énorme.
11:28 Alors, on a enquêté pour essayer de comprendre où était le problème.
11:34 Et c'est là qu'il faut que je vous parle du verrou de Bercy.
11:38 Pour résumer, en France, seule l'administration peut porter plainte pour fraude fiscale.
11:45 Et il se trouve que pour le dossier HSBC, personne ne l'a fait.
11:50 Blocage complet.
11:51 Oh, il y a bien des gens qui ont essayé de faire bouger les choses.
11:55 Comme Roland Veillepot, le chef de la Direction nationale des enquêtes fiscales.
12:00 Au tout début de notre histoire, il avait été l'un des premiers en contact avec Hervé Falciani
12:05 lors de la fameuse opération chocolat, vous vous souvenez.
12:09 Lui, il sait que dans les fichiers volés, il y a des noms de chef d'État, de ministre, d'entrepreneur.
12:16 Alors, ce vieux briscard, qui croit en la justice, s'impatiente.
12:21 Mais la vérité, c'est que l'affaire est explosive et que tout le monde est en train de reculer.
12:27 Même le fisc ne veut pas faire de vagues.
12:30 Roland Veillepot devient gênant.
12:33 Il est mis d'office à la retraite en 2014.
12:36 Mais l'affaire ne s'arrête pas là.
12:40 En fait, elle va rebondir dans la presse.
12:43 La même année, en effet, le quotidien Le Monde reçoit l'intégralité des données HSBC.
12:51 De là à penser que c'est Roland Veillepot lui-même qui les a transmises au plus grand journal français, il n'y a qu'un pas.
12:59 Mais le média ne révélera jamais sa source.
13:02 La seule chose qui est sûre à partir de là, c'est que les journalistes avancent désormais bien plus vite que les enquêteurs du fisc.
13:09 Face à l'ampleur des données, Le Monde a maintenant besoin d'aide.
13:14 Il décide de travailler main dans la main avec le Consortium International des Journalistes d'Investigation.
13:21 C'est une organisation indépendante, basée à Washington aux États-Unis,
13:25 qui fait travailler en réseau des médias du monde entier et qui a des moyens financiers pour le faire.
13:31 Titus Plattner est un des membres de ce consortium, de cette ICIJ comme on l'appelle.
13:37 C'est aussi un collègue de longue date.
13:40 Il nous reçoit chez lui, à Lausanne.
13:43 Avant, les journalistes travaillaient en solitaire. Mais les choses ont changé.
13:48 Les circuits financiers sont mondiaux.
13:51 On a une société en Bahamas avec une société maire qui est à Singapour
13:57 et puis un compte bancaire qui est à Genève, par exemple.
14:01 Et il faut pouvoir tirer le fil.
14:03 Et si on a des journalistes dans tous ces pays, eh bien on peut tirer le fil.
14:07 Si une personnalité qui était au pouvoir a abusé de sa position pour s'enrichir,
14:13 c'est une information d'intérêt public et c'est notre rôle,
14:17 notre devoir de journaliste de la mettre au conjour.
14:20 En Suisse, à partir de là, plus d'une dizaine de journalistes se mettent au travail
14:24 pour éplucher les listings falsiani.
14:27 Avec Marie, on faisait partie de cette équipe-là.
14:30 Je me souviens encore de l'excitation que j'ai ressentie quand j'ai eu accès à la base de données cryptées.
14:35 D'un seul coup, on peut faire des recherches,
14:38 trier par nationalité de la personne, par montant.
14:41 On a des noms, des adresses, et il faut dénicher un bon scoop là-dedans.
14:46 À ce moment-là, je passe mon temps à taper des noms de chefs d'État ou de gangsters
14:50 dans le moteur de recherche.
14:52 Pour un journaliste, c'est juste du pain béni.
14:55 C'était la première fois que, au fond, la Suisse se trouvait au cœur de l'affaire.
15:01 C'était la première fois qu'on avait la réalité crue en face des yeux.
15:08 L'État français a évidemment cherché à poursuivre toutes les personnes vivant en France
15:14 qui avaient un compte bancaire chez HSBC Private Bank.
15:18 Et c'était de l'ordre de 95 ou 98% des gens qui n'avaient pas déclaré ce compte au fisc.
15:24 Donc la banque ne pouvait pas dire "oui, mais l'évasion fiscale, c'est quelque chose d'exceptionnel,
15:29 on fait du mieux qu'on peut au externe, mais la plupart de nos clients sont des gens tout à fait honnêtes."
15:34 Non, 95% des clients de HSBC Private Bank, domicile et fiscal en France, n'avaient pas déclaré leur compte.
15:43 Et ça, c'est une claque gigantesque au monde bancaire et politique.
15:48 Le 4 février 2015, le scandale éclate.
15:55 Il a désormais un nom, les Swiss Leaks.
15:58 On parle d'un système massif d'évasion fiscale.
16:02 La Suisse est pointée du doigt.
16:04 En France, plusieurs personnalités sont accusées d'avoir caché leur fortune aux impôts.
16:09 L'humoriste Gad Elmaleh, Christophe Dugarry, le footballeur,
16:13 le coiffeur Jacques Dessange, un sénateur, celui Dugar,
16:17 Emery de Montesquieu, l'artiste Christophe Boltanski,
16:21 Jeanne Moreau, l'actrice, ou encore la famille Wacky, qui possède le groupe Tati.
16:27 Mais dans les sphères politiques, économiques et même médiatiques, un malaise s'installe.
16:33 Le scoop mondial sur lequel on a travaillé pendant des mois fait grincer des dents.
16:38 Le président du conseil de surveillance du quotidien Le Monde,
16:42 Pierre Berger, parle même de populisme.
16:45 Il estime que des noms ont été jetés en pâture, que c'est de la délation.
16:50 Il sous-entend que le journal a surtout voulu vendre du papier.
16:54 Et c'est là que tous les regards se tournent vers Hervé Falciani.
16:59 Auréolé de son tout nouveau statut de lanceur d'alerte, il est partout dans les médias.
17:05 Mais l'homme n'est pas un chevalier blanc.
17:08 La meilleure preuve, pour ses détracteurs,
17:11 c'est qu'il a d'abord voulu vendre les données bancaires volées.
17:15 Vous vous en souvenez, on vous l'a raconté tout au début de notre histoire.
17:19 Et puis, chez HSBC, où il travaillait, l'ambiance était électrique.
17:23 Trop de travail, trop de pression.
17:26 Pour ses opposants, faire fuiter des données, ça n'a rien d'altruiste.
17:30 C'était juste une vengeance.
17:33 Pour se faire une meilleure idée, on a posé la question au journaliste Titus Platner.
17:37 Lui, il a passé des mois à enquêter sur l'informaticien français pour en faire son portrait.
17:42 Moi j'ai l'ultime conviction qu'au départ, il le fait plutôt à pas du gain,
17:48 parce qu'il est coincé dans sa vie et il n'envisage pas vraiment de toucher le jackpot,
17:54 mais au moins suffisamment pour pouvoir changer de vie.
17:57 Et peut-être qu'au tout départ, c'était juste par jeu.
18:01 C'est quelqu'un de très intelligent, totalement narcissique,
18:05 et puis c'est un grand baratineur,
18:08 mais en même temps, il a quand même une vision assez claire de l'intérêt de ces données.
18:17 Ce qui est sûr, c'est que sa décision va changer sa vie, et pas forcément pour le mieux.
18:23 En Suisse, Hervé Falciani devient l'ennemi public numéro un.
18:28 Il est inculpé. S'il remet les pieds dans le pays, ce sera la prison directe.
18:33 Pendant des années, Hervé Falciani va faire l'aller-retour entre la France,
18:40 où il n'est plus tout à fait le bienvenu,
18:43 et l'Espagne, où il se sent plus en sécurité.
18:46 Il a reçu des menaces de mort.
18:49 Mais à Madrid, il finit par se retrouver derrière les barreaux,
18:52 à cause du mandat d'arrêt international émis par la Suisse.
18:56 L'Espagne le relâche finalement et refusera de l'extrader.
19:00 Hervé Falciani s'alliera ensuite au mouvement politique des indignés,
19:04 devenant en quelque sorte le fer de lance du combat contre la fraude fiscale et pour l'égalité.
19:10 Héros pour les uns, reneigas pour les autres.
19:15 Sur les bords du lac Léman, le nom d'Hervé Falciani est aussi sur toutes les lèvres.
19:21 Et Marc Anzlin devient son avocat.
19:24 Horrible. La situation était horrible.
19:27 Je me rappelle de ma mère, qui habite la petite ville de Sion,
19:31 qui me disait se faire interpeller dans la rue par des gens qu'elle connaissait ou qu'elle ne connaissait pas,
19:37 qui lui disait que son fils ne pouvait pas représenter ce monsieur Falciani,
19:42 que c'était horrible de faire ce travail.
19:46 Parce que sa perception, parce que la perception, c'était vraiment l'atteinte à la vache sacrée du secret bancaire.
19:54 C'était l'ennemi public numéro un en Suisse.
19:58 En novembre 2015, Hervé Falciani est condamné par le tribunal pénal fédéral de Bellinzone en Suisse italienne.
20:06 Il écope de cinq ans de prison pour espionnage économique.
20:10 En son absence, puisqu'il ne vient pas au procès. Plutôt prudent.
20:14 Je ne dis pas que c'était faux d'un point de vue procédural suisse,
20:18 mais l'impression que ça a donnée, c'est que c'était un procès bâclé, bouclé et bâclé.
20:24 Si ça avait été en France, il y aurait eu effectivement toute une discussion sur le secret bancaire,
20:31 sur l'aspect chevalier blanc de Falciani ou chevalier noir.
20:36 On aurait essayé de disséquer le personnage en audience. Là, en une journée, c'était plié.
20:41 À Genève, la banque HSBC a longtemps fait la sourde oreille.
20:50 Quand elle réalise que des données ont été volées, elle informe d'abord ses clients,
20:55 mais en précisant que cela ne concerne qu'une poignée d'entre eux.
20:59 Ce n'est que quand le scandale médiatique éclate qu'elle finit par confesser qu'il y a un problème.
21:06 À propos d'HSBC, le ministère public de Genève a bien ouvert une enquête pour blanchiment en février 2015.
21:13 Mais il l'a refermée quatre mois plus tard.
21:16 Entre-temps, HSBC a payé une compensation de 40 millions de francs suisses pour éviter les poursuites.
21:24 À Paris, c'est finalement le parquet national financier qui empoigne le sujet.
21:29 Éric Russeau, le magistrat que vous avez entendu au début de notre récit,
21:34 et qui ne parle que très peu dans les médias,
21:36 a rejoint ce service spécialisé en 2015. Il y a alors du pain sur la planche.
21:41 Je me souviens notamment d'un couple de Français qui avaient travaillé dans le secteur de la mode du prêt-à-porter
21:47 et qui avaient, pendant plusieurs décennies, placé régulièrement l'argent qu'ils percevaient de leur activité
21:57 sur ces comptes ouverts auprès d'HSBC.
22:00 Alors ils étaient eux dans une posture qui consistait à avouer les faits, à les reconnaître et puis à accepter leurs sanctions.
22:05 Mais ça leur avait permis aussi de se libérer.
22:08 Parce que ce qu'on comprend aussi, c'est que dans bien des cas, je ne dis pas dans tous,
22:12 mais dans bien des cas, c'était aussi vécu comme un point par certains de ces contribuables.
22:17 Mais en France, comme en Suisse, la banque HSBC elle-même évite le procès.
22:23 Car une toute nouvelle mesure vient d'être votée, la Convention judiciaire d'intérêt public.
22:29 C'est une sorte de plaidé coupable à l'américaine,
22:32 qui consiste à faire payer une entreprise quand elle reconnaît sa faute, au moins en partie,
22:37 et à lui éviter l'humiliation d'une audience au tribunal.
22:41 Pour le HHSBC, cet accord est rendu public le 30 octobre 2017.
22:45 Ce qui était reproché concrètement à la banque, c'était d'avoir mis à disposition de ses clients,
22:49 des contribuables français, un ensemble de moyens leur permettant de dissimuler le produit de leur fraude fiscale.
22:57 C'était la fourniture d'un service de poste restant pour éviter que des courriers mentionnant ces comptes arrivent en France.
23:03 C'était la possibilité d'avoir des comptes alphanumériques qui ne mentionnent pas l'identité.
23:08 C'était la possibilité de bénéficier de sociétés écrans, dans des paradis fiscaux, etc.
23:14 Et donc du coup, le citoyen se dit "mais pourquoi n'avoir pas fait un vrai procès,
23:18 et pourquoi avoir fait payer cette banque, est-ce que c'est suffisant ?"
23:22 L'amende totale qui a été imposée à HHSBC, c'était quand même 300 millions d'euros.
23:26 A l'époque, c'était l'amende la plus importante jamais imposée à une entreprise en matière pénale en France, et de loin.
23:33 Deux anciens dirigeants de la banque ont aussi été poursuivis au pénal.
23:37 Seul l'un d'entre eux a été condamné.
23:39 En 2019, Peter Braunwalder, ancien directeur général de la HSBC Private Bank,
23:46 a écopé d'un an de prison avec sursis, et de 500 000 euros d'amende.
23:51 HSBC a toujours une filiale en Suisse.
23:54 L'année dernière, la banque a réalisé un bénéfice net de près de 15 milliards de dollars, en hausse de 17%.
24:06 Vous venez d'écouter Dangereux Millions.
24:08 Un podcast co-produit par Swiss Info, le service d'information en ligne de la Société Suisse de Radiodiffusion,
24:14 un média public, et Europe 1 Studio, avec Gotham City.
24:19 À très bientôt pour un nouveau voyage en Suisse, ce sera le dernier de la saison dans le monde feutré du crime financier.
24:26 Ces gens-là ont venu de l'argent, qui était destiné à faire des hôpitaux, des écoles.
24:31 Il y a des enfants qui sont certainement morts dans la jungle en Malaisie,
24:34 parce qu'il n'y avait pas une facilité médicale à côté d'eux,
24:36 parce que l'argent qui était destiné à ça a été volé.
24:39 Et c'est insupportable !
24:41 Réalisation et composition des musiques originales, Julien Taro.
24:45 Direction, Joe Fay.
24:47 Direction Europe 1 Studio, Fanny Rascal.
24:50 Conseil éditorial, Suzanne Rehbert.
24:53 Relecture, Virginie Mangin.
24:56 Archive, Caroline Honneger.
24:58 Illustration, Kai Reusser.
25:01 On vous retrouve très vite sur votre plateforme d'écoute préférée.
25:04 Et d'ici là, si vous avez aimé Dangereux Millions, dites-le sur les réseaux sociaux,
25:09 donnez-nous 5 étoiles, c'est la meilleure façon de nous soutenir.
25:12 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]