Tous les soirs à 20h30, Pierre de Vilno reçoit un invité qui fait l’actualité politique. Ce soir, c'est le Général Jacques-Charles Fombonne qui est reçu et revient sur l'affaire du meurtre du petit Grégory, démarré il y a 40 ans.
Retrouvez "L'invité politique d'Europe 1 Soir" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linvite-politique-deurope-1-soir
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00:00Europe Un Soir
00:0219h21, Pierre de Villeneuve
00:04Nous sommes toujours avec Georges Fenech, ancien magistrat avec Louis Zolter, mon confrère du Figaro avec le général Jacques-Charles Fonbon,
00:10ex-commandant du Centre National de Formation à la Police Judiciaire de la Gendarmerie et expert en procédures criminelles.
00:18Bonsoir l'Ordre d'Autriche !
00:20Bonsoir Pierre, bonsoir à tous !
00:21C'était il y a 40 ans le début d'une des affaires criminelles non résolues les plus importantes du XXe siècle.
00:27Le 16 octobre 1984, un petit garçon, Grégory, disparaissait dans la région des Vosges.
00:33Oui, l'histoire d'un petit garçon de 4 ans retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne.
00:38Ce jour-là, l'oncle de Grégory reçoit un appel anonyme, un corbeau qui affirme avoir tué le petit garçon.
00:44On apprend rapidement que la famille recevait des menaces depuis quelques années.
00:48Ils font l'objet d'un odieux chantage de la part d'un inconnu qui leur répète sans cesse qu'il se vengera un jour.
00:53Mais se venger de quoi ? Seule la famille le sait sans doute, mais garde un lourd silence dont pour l'heure les enquêteurs ignorent toujours l'origine.
01:00Epinal, Laurence Lacour, Europe 1.
01:02Une lettre anonyme est envoyée aux parents de Grégory pour revendiquer le crime.
01:06Un cousin des villemins, Bernard Laroche, est désigné en premier et des habitants du village crient leur haine et leur vengeance sur Europe 1.
01:14Qu'ils nous le mettent entre les mains, quand ils le retrouveront, je peux vous dire qu'on le fera bien à la peau et puis c'est tout.
01:20C'est ça, c'est inadmissible. À peine deux mois, elle existait, ils avaient qu'à la garder.
01:25Puis les parents du petit Grégory sont soupçonnés à leur tour.
01:28Des témoins disent avoir vu la mère de Grégory, Christine Villemin, poster une lettre le jour où Le Corbeau a posté un courrier revendiquant son crime.
01:37La mère de Grégory s'exprime pour la première fois sur Europe 1 en novembre 84.
01:41On m'accuse de ne pas dire la vérité sur mon emploi du temps. Je ne vois pas quel intérêt j'aurais pu avoir à faire ça.
01:49Quelques mois plus tard, le père de Grégory abat le principal suspect, son cousin Bernard Laroche, d'un coup de fusil devant chez lui.
01:57Quelques semaines avant ce geste, il prenait la parole sur notre antenne.
02:02Vous en êtes convaincu aujourd'hui ?
02:04Convaincu pour moi personnellement, oui.
02:06Ça ne pouvait être qu'un truc comme ça à une personne proche.
02:08Son meilleur alibi, c'est de rester calme, c'est certain, mais il faudra qu'il avoue un jour ou l'autre.
02:13Il est mis en prison et la mère de Grégory est inculpée à son tour parce qu'en plus des analyses graphologiques,
02:18des cordelettes identiques à celles qui ont été utilisées pour ligoter l'enfant sont retrouvées chez elle.
02:24Ce n'est alors que le début d'une affaire gigantesque dans laquelle 12 000 pièces seront versées au dossier.
02:29Et 40 ans plus tard, aucune analyse n'a permis jusqu'à aujourd'hui de démasquer avec certitude le corbeau.
02:36Merci, Lord Autriche, Réalisation Sonore, Sébastien Guidi, c'est Sylvaine Denis aux Archives d'Europe 1.
02:42Cette affaire, elle continue de passionner la France et l'enquête n'est pas terminée, Général ?
02:46Non, l'enquête n'est pas terminée. Le sera-t-elle un jour ?
02:53Je parlais hier avec mon camarade qui est maintenant sous-directeur de la police judiciaire
02:58et qui a été le commandant de la section des recherches de Dijon qui a repris l'enquête
03:02et qui disait qu'on aura peut-être une solution si, sur son lit de mort,
03:08quelqu'un, pour soulager sa conscience, finit par donner un élément factuel qui flèche la vérité
03:13et il ajoutait si encore, parmi ceux qui ont fait ça, quelqu'un a une conscience.
03:17Ce qui se passe, c'est qu'à l'époque, il n'y a évidemment pas toutes les techniques de recherche qui existaient.
03:22Je vais vous étonner, mais je vais vous dire quelque chose.
03:26Je pense que cette affaire Grégory, en fait, elle a sauvé la vie à des milliers de gens
03:31et elle a permis de mettre des milliers de gens, criminels potentiels ou criminels après leur fait,
03:38hors d'état de nuire parce que ça a été un fiasco absolument total.
03:44Évidemment, tout le monde le sait, mais surtout, ça a été pour la gendarmerie un véritable cataclysme,
03:51c'est-à-dire la compréhension, l'évidence de l'incapacité qui était la sienne à l'époque
03:59de répondre à sa mission de service public, d'exercer la poli judiciaire au terme du code de procédure pénale,
04:05d'illigenter les enquêtes, rassembler les preuves, identifier les auteurs.
04:09Ça a été un bouleversement.
04:11Et alors, la gendarmerie a fait ce qu'une organisation militaire peut faire aussi vite,
04:15c'est-à-dire qu'elle s'est rendue compte que la structure n'était pas bonne,
04:18que la chaîne judiciaire était extrêmement faible.
04:21Je parlais à l'instant de la sous-direction de la poli judiciaire de la gendarmerie.
04:24Ici, les Molinaux, ils sont une soixantaine.
04:27À l'époque, il y avait un commandant et un lieutenant-colonel tout seuls dans un bureau.
04:31Les sections des recherches n'étaient pas armées en personnel et en moyens.
04:35Elles étaient commandées par des officiers qui avaient une expérience de l'APJ,
04:38mais qui n'avaient pas eu de formation.
04:40Et puis surtout, et c'est ce qui a manqué, il n'y a pas de correspondance technique.
04:46C'est-à-dire que ce sont les gendarmes territoriaux qui commencent les investigations.
04:50L'ASR vient assez rapidement, mais par exemple, on n'a pas ce qui existe maintenant.
04:56Alors l'ASR, c'est pardon ?
04:57Si, c'est l'ASR qui vient, mais l'ASR a pas de moyens.
04:59Qu'est-ce que c'est l'ASR ?
05:00Pardon, excusez-moi, c'est la section de recherche.
05:02C'est ce qui correspond, on va dire, en termes d'équivalence à un SRPJ police,
05:06c'est-à-dire une unité de police judiciaire régionale.
05:08Oui, excusez-moi, c'est le problème des acronymes.
05:11Mais par exemple, il n'y a aucune constatation qui soit faite sur la scène de crime.
05:15On peut tout recommencer dans une enquête criminelle.
05:17On peut recommencer les auditions.
05:18On peut recommencer une garde à vue si on n'a pas mangé complètement le temps.
05:21Moi, j'ai recommencé les autopsies dans les affaires criminelles.
05:24Mais la scène de crime, si elle est foirée au départ, elle est foirée.
05:27Et évidemment, il n'y a aucun moyen,
05:29parce que les gendarmes ne savent pas faire, parce qu'ils ne sont pas équipés.
05:31A l'époque, il n'y a pas de laboratoire scientifique.
05:33Et c'est le développement de tout ça qui est en fait la résultante de cette terrible affaire.
05:38Je serais moins pessimiste que le général.
05:42Parce que c'est vrai qu'on a tellement fait de progrès en matière de preuves scientifiques,
05:48qu'on peut espérer, et d'ailleurs c'est ce que dit le procureur général de Dijon,
05:53puisqu'il y a de nouvelles expertises qui ont été ordonnées.
05:56Vous avez des progrès fantastiques qui ont été réalisés en matière de prélèvements d'ADN.
06:02Aujourd'hui, les experts généticiens vous disent un simple fifrolin,
06:07c'est le terme qu'ils emploient, d'ADN,
06:09permet de reconstituer l'ADN, ce qui à l'époque n'était pas possible.
06:12Donc vous avez le prélèvement, qui va être d'autres prélèvements,
06:16qui ont d'ailleurs permis déjà de découvrir 9 autres ADN qu'on ne connaissait pas à l'époque.
06:20Vous avez la technique de l'ADN par parentèle,
06:23qui n'existait pas à l'époque aussi,
06:25qui a permis de résoudre, vous le savez, des affaires criminelles remarquables,
06:29comme l'affaire Elodie Kulik, par exemple.
06:31C'est-à-dire qu'on va rechercher, si on trouve un bout d'ADN,
06:34par la parenté, on va faire tout l'environnement familial de ce bout d'ADN
06:39pour tomber sur le profil qui peut correspondre.
06:41Et vous avez, troisième, aujourd'hui avancée considérable,
06:45vous pouvez faire à partir de l'ADN un portrait robot génétique,
06:49avec la couleur des cheveux, la couleur des yeux, la taille,
06:52en fait c'est quelque chose d'extraordinaire.
06:54Et enfin, je termine par là, vous avez des progrès considérables
06:57qui ont été faits en matière d'expertise des voix grâce à l'intelligence artificielle.
07:02Aujourd'hui on arrive vraiment à des choses qu'on ne pouvait pas à l'époque.
07:06Or on a des enregistrements, voyez-vous,
07:08et donc tout cela va être à nouveau exploité,
07:11c'est pour ça que je dis qu'il ne faut pas non plus donner trop d'illusions,
07:14mais je ne suis pas aussi pessimiste que vous,
07:17je pense que peut-être, avec un peu de chance, une des expertises parlera.
07:21Il y a 4 ADN sur la lettre du corbeau qui avait été envoyée juste après la mort du petit garçon.
07:26Louis Azalter, vous écoutez passionnément...
07:29Oui, cette affaire me passionne comme elle l'a passionné tout un pays.
07:33En la regardant avec les yeux d'aujourd'hui,
07:36on est quand même frappé par le fiasco que c'était,
07:39on est frappé par la solitude de ce juge Lambert complètement perdu
07:43et le côté complètement cafouilleux des investigations qui sont menées à l'époque.
07:48On est frappé aussi par un élément qui, en tant que journaliste, me frappe,
07:51c'est l'accès des médias aux protagonistes de l'affaire de manière totalement ouverte,
07:57certains journalistes allant jusqu'à se rapprocher de Procadéministe
08:01et épouser une thèse plutôt qu'une autre.
08:03Tout cela me paraît hallucinant avec les yeux d'aujourd'hui.
08:06Je vous pose la question à tous les deux,
08:08est-ce que du coup, en partant des progrès que vous évoquiez,
08:11vous pouvez garantir à peu près qu'aujourd'hui,
08:14un tel fiasco judiciaire, policier, médiatique est impossible ?
08:20La médiatique, il y a les réseaux sociaux aujourd'hui.
08:23Les réseaux sociaux, oui, qui sont peut-être même encore pire
08:25parce qu'ils sont vraiment hors de contrôle.
08:28C'est vrai qu'en termes de fiasco, tout le monde s'y est mis.
08:31Je parlais des constatations, je parlais de l'enquête.
08:34Je pense que mes camarades ont fait ce qu'ils ont pu,
08:36mais ils n'avaient vraiment aucun moyen, ils n'ont été vraiment aidés par personne.
08:39On parlait du juge d'instruction tout à l'heure,
08:42qui a eu énormément de ces actes.
08:45Quasiment tous ses PV de transport ont été annulés.
08:47Une grande partie des expertises qu'il avait demandées ont été annulées.
08:50Elles ont été annulées pour une question de procédure.
08:52En procédure pénale, quand vous avez besoin d'une question banale,
08:56on va dire qu'il y a une procédure tout à fait simplifiée.
08:58À partir du moment où vous avez besoin d'une expertise,
09:01la chambre criminelle dit une expertise,
09:03c'est quelque chose qui réclame une interprétation par l'expert.
09:06Il y a une procédure beaucoup plus lourde qui s'est trompée de procédure.
09:08Donc les expertises ont été annulées.
09:10Ses PV de transport ont été annulés.
09:12L'autopsie du petit n'a pas été faite de façon complète.
09:15Il n'y a pas eu de prélèvement des viscères.
09:17L'analyse toxicologique qui a été faite,
09:19a été faite sur quelques gouttelettes de sang
09:22qui laissent à penser qu'elle n'a pas forcément pu être aussi bien faite qu'elle l'aurait dû.
09:26Il n'y a pas eu...
09:27Je ne veux pas prononcer le nom parce qu'il est abominable,
09:29mais il n'y a pas eu ces examens qui consistent
09:32à faire des incisions profondes dans la peau
09:35de façon à pouvoir vérifier qu'il n'y a pas un hématome succutané
09:40qui n'aurait pas eu le temps de faire un bleu
09:42parce qu'il est intervenu quelques secondes ou quelques minutes avant la mort du petit.
09:45Ça a été un échec de chacune des spécialités
09:50du début jusqu'à la fin de la première partie de l'enquête.
09:55Georges Fenech.
09:56Je voudrais encore une fois peut-être atténuer ce que je viens d'entendre.
09:59C'est un débat.
10:01Il y a un réquisitoire.
10:03Je ne serais pas objectif, vous le savez,
10:05puisque j'ai très bien connu Jean-Michel Lambert.
10:07Nous étions de la même promotion à l'école nationale d'administrature.
10:10C'était un garçon tellement attachant,
10:12tellement intelligent, tellement cultivé.
10:14Il en est mort de cette affaire, comme vous le savez,
10:17puisqu'il s'est suicidé en se mettant un sac sur la tête.
10:19Il est mort asphyxié.
10:21Il a commis sans doute des erreurs,
10:24mais qui ne commet pas des erreurs ?
10:26Mais je crois que l'erreur, celle qui a entraîné beaucoup d'os,
10:29c'est d'avoir s'être exprimé devant la presse.
10:32Il tenait quasiment des conférences de presse.
10:34Il y avait une autre affaire à la même époque,
10:36c'était l'affaire du notaire Leroy, vous vous souvenez ?
10:40Avec le juge Pascal aussi,
10:42qui donnait des conférences de presse.
10:44Le juge d'instruction ne doit pas parler,
10:46il doit se concentrer sur son dossier.
10:48Il laissait parler les avocats et d'autres.
10:50Il y a eu des erreurs de procédure, vous avez raison,
10:52mais encore une fois, qui n'en connaît pas ?
10:54L'affaire a été reprise, puisqu'il avait été dessaisi
10:56par le président de la chambre d'accusation de Dijon.
11:00Vous avez raison, les premiers éléments,
11:02les premières constatations sont fondamentales.
11:05Si vous loupez la scène de crime,
11:07si vous loupez la bonne expertise,
11:09vous avez raison, c'est quasiment irratrapable.
11:11Dans cette affaire, malheureusement,
11:13il y a eu quelques loupés.
11:15Merci beaucoup, Général Fontbonne,
11:17d'avoir été avec nous.
11:19Nous, on se retrouve dans quelques instants
11:21avec Louis Osalter et avec Georges Fenech
11:23pour parler notamment du budget,
11:25parce que c'est sur la table, si j'ose dire,
11:27avec une commission qui se transforme
11:29en commission d'enquête, justement,
11:31sur ce qui a pu se passer autour du déficit.
11:33Là aussi, il pourrait y avoir un Colt Key
11:35sur le déficit et sur le dérapage de 2024.
11:37En attendant, Sonia Mabrouk vous donne rendez-vous,
11:39bien sûr, pour la grande interview
11:41CNews Europe 1 dans Europe 1 Matin.
11:43Ça sera demain matin à 8h10.
11:45Elle recevra le président du Sénat,
11:47Gérard Larcher. A tout de suite sur Europe 1.