• il y a 4 heures
À 9h20, Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, auteur de "Quand on tombe amoureux, on se relève attaché" (Odile Jacob), était l'invité de Léa Salamé, lundi 10 mars.

Retrouvez « L'interview de 9h20 par Léa Salamé » L'interview de 9h20 avec Léa Salamé sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20

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Transcription
00:00France Inter, le 7-10.
00:07Léa, votre invité, neuropsychiatre, il vient de publier un livre intitulé « Quand on
00:13tombe amoureux, on se relève attaché ».
00:16Et on a beaucoup aimé le titre du livre Nicolas et moi, on est restés bloqués sur votre
00:21titre.
00:22Bonjour Boris Cyrulnik.
00:23Bonjour Léa.
00:24Merci d'être avec nous ce matin.
00:26Si vous étiez une chanson d'amour, un personnage historique et une émotion, vous seriez qui,
00:31vous seriez quoi ?
00:32La chanson d'amour, je serais « Only you », parce que quand on est amoureux, on ne
00:38voit qu'elle, que lui, on ne veut être que près d'elle, près de lui, donc c'est
00:43« Only you ».
00:44« Only you », un personnage historique ?
00:45Alors, je prendrais le couple Curie qui illustre très bien l'attachement, c'est-à-dire
00:52l'aventure humaine ensemble, où chacun stimule et sécurise l'autre.
00:58Et une émotion ?
00:59Alors là, j'ai eu du mal avec l'émotion, parce que par définition, « émotion », c'est
01:03« ex-mauvais-ré », c'est bref, toutes les émotions ne durent pas, c'est bref.
01:08Et ça, vous n'aimez pas ce qui ne dure pas.
01:10Et bien, c'est le contraire de l'attachement, c'est fugace, on ne peut pas s'attacher.
01:15Pour s'attacher à quelqu'un, il faut le voir, l'avoir tous les jours au petit-déjeuner,
01:20même dans des conditions pas glorieuses, de façon à construire quelque chose ensemble.
01:24Mais c'est vrai que quand on lit votre livre, on a l'impression que c'est un plaidoyer
01:28contre l'amour-passion, l'amour-pulsion, et une ode à l'amour qui dure, à la banalité
01:34du quotidien.
01:35Vous dites « n'y a-t-il pas événement plus majeur que de prendre son petit-déjeuner
01:38ensemble ? ». Oui, c'est vrai, mais quand même, il y a peut-être d'autres événements.
01:44Et une ode à l'attachement, puisqu'on va en parler, vous distinguez les deux notions,
01:50l'amour et l'attachement.
01:51Au fond, à vous lire, on a l'impression que pour être heureux, ne soyons surtout
01:55pas amoureux, soyons attachés.
01:57Je me formulerai autrement.
02:01L'idée, c'est quand on tombe amoureux, mais on ne tombe pas attaché.
02:07On tombe amoureux, elle est merveilleuse, je ne peux pas vivre sans elle.
02:11Mais tu la connais ? Non, non, c'est la première fois que je la vois.
02:13Mais tu la reconnais ? Oui, j'ai un sentiment étonnant de familiarité pour elle.
02:17Cette période d'hypersensibilité tisse le premier nœud du lien, puisque quand je
02:23tombe amoureux, je l'apprends par cœur.
02:26Je perçois le moindre signe de son corps, alors que quand je ne suis pas amoureux, je
02:32regarde ailleurs.
02:33Alors que là, je l'apprends.
02:35Et ensuite, l'attachement se tisse facilement.
02:38Mais les deux peuvent être dissociés, on peut être amoureux, mais on ne passe pas
02:41à l'attachement.
02:42Donc, c'est une ode à l'attachement, mais ce n'est pas contre l'amour.
02:48Oh, quand même, ce n'est pas contre l'amour, mais c'est contre la fugacité de l'amour,
02:55c'est contre l'amour sans lendemain, c'est contre le sexe sans lendemain.
02:58Il y a un propos, il y a un parti pris dans ce livre.
03:01Vous ouvrez l'ouvrage avec une fable très personnelle qui est la rencontre de la femme
03:06de votre vie, Boris Cyrulnik, un matin, devant la gare Saint-Lazare, et là, vous la rencontrez
03:13et c'est l'amour de votre vie.
03:15Voilà, j'avais 15 ans ou 40 ans, je ne me rappelle pas très bien, j'étais jeune,
03:21et je la croise et je la reconnais, alors que c'est la première fois que je la croisais.
03:27Elle était merveilleuse et elle avait un carton à dessin, des yeux bleus magnifiques
03:31et un carton à dessin, et c'était pour moi d'une extrême familiarité.
03:35Je n'en ai pas dormi de la nuit, ça a été une insomnie merveilleuse, je n'en ai pas
03:40dormi et je ne lui ai jamais adressé la parole, et ça a été ma première histoire d'amour.
03:46Et vous ne l'avez jamais revue ?
03:47Non, jamais.
03:48Mais c'était votre plus grande, la histoire d'amour, et à ce moment-là, devant la gare
03:55Saint-Lazare, vous avez « Un coup de soleil ».
03:57J'ai attrapé un coup de soleil, un coup d'amour, un coup de jetel, je sais pas comment,
04:04faut que je me rappelle, si c'est un rêve, t'es super belle.
04:08J'en dors plus la nuit, je fais des voyages, sur des bateaux qui font naufrage, je te vois
04:14toute nue, sur des satelles, j'en dors plus, viens me voir demain.
04:20Tu n'es pas là.
04:23Cette fable sur l'amour de votre vie, sur cette jeune fille aux yeux bleus qui est tellement
04:30la fable de votre vie mais à qui vous ne parlerez jamais, c'est une fable sur le coup
04:34de foudre, et vous dites, et c'est très intéressant, c'est que la foudre ne tombe jamais par hasard.
04:39Qu'en fait, tout est déjà décidé, celui ou celle qu'on pense être l'amour de notre
04:44vie, c'est déjà plié dès l'enfance.
04:46Tout n'est pas décidé, mais j'ai reçu une empreinte de femme, ma mère, ou l'équivalent
04:55maternel, ça peut être une autre femme, ça peut être un homme.
04:58Beaucoup de jeunes hommes aujourd'hui s'imprègnent dans l'esprit de l'enfant, dans le cerveau
05:03de l'enfant, pour laisser une trace qui explique le sentiment, l'étonnant sentiment de familiarité
05:10qu'on ressent quand on tombe amoureux.
05:12Mais on ne tombe pas amoureux par hasard, on tombe amoureux de quelqu'un qui éveille
05:17la trace.
05:18Cette trace, alors j'ai pris l'exemple de Descartes.
05:21Voilà, l'exemple de Descartes est édifiant de ce point de vue-là, qui ne tombait amoureux
05:24que des femmes qui louchaient.
05:26Voilà.
05:27Et pourquoi ?
05:28Alors, il disait, Descartes dit, je ne sais pas pourquoi, quand une femme a une coquetterie
05:33dans l'œil, alors dans le langage de l'époque de Descartes, c'est une femme louche, mais
05:38c'est une femme qui a une petite coquetterie dans l'œil, ça l'émeut profondément, il
05:42a envie de lui parler, de s'approcher d'elle, et il met longtemps à découvrir qu'en fait,
05:48il a reçu l'empreinte amoureuse d'une femme, d'une nounou qui louchait, et il trouve que
05:54c'est merveilleux.
05:55Et donc depuis cette nounou qui lui a apporté de l'amour, dans l'enfance, parce qu'on va
05:59parler de l'enfance et des mille premiers jours du bébé qui sont très décisionnaires
06:02dans ce qui va suivre ensuite, et dans notre chemin amoureux à chacun, et bien cette nounou
06:07louchait, et du coup, il est attiré, excité par des femmes qui louchent.
06:12Ce moment de l'amour, où on tombe amoureux, vous en parlez, vous parlez d'un aveuglement,
06:19vous dites que l'amour est le plus joli moment pathologique d'un être humain normal, c'est
06:23une pathologie de tomber amoureux ? Une folie ?
06:27Mais oui, on parle de la folie amoureuse.
06:30Et effectivement, c'est une pathologie pathos, ça veut dire souffrir.
06:34Si elle n'est pas là, je souffre.
06:36J'ai besoin d'être auprès d'elle, auprès de lui, tout le temps.
06:40Je suis coupé de la société.
06:42C'est-à-dire que l'amour est révolutionnaire, puisque je ne tiens plus compte des préceptes
06:46de mes parents, du prêtre, ça m'est complètement égal.
06:50Ce qui compte, c'est elle, c'est lui.
06:52On a fait notre petit monde à nous, donc l'amour est révolutionnaire, désocialisateur.
06:58Et il rend aveugle, puisqu'on n'a plus aucune faculté de nuance.
07:01Tout ce qui vient d'elle ou de lui est une merveille.
07:04Il est une merveille.
07:05Tout ce qu'il dit est merveilleux.
07:07Et on en devient un peu con, quoi.
07:10C'est ce que vous dites.
07:11Je dis ça, moi ?
07:12Un peu.
07:13Enfin, sans le dire non, vous le dites mieux que moi.
07:15Non, non.
07:16Et on sait, ce que vous venez de reprendre là, on le photographie en neuro-imagerie.
07:22Alors ça, c'est passionnant, ce que vous racontez.
07:25Comment on peut voir dans le cerveau les zones de l'amour, de l'amour fou ?
07:30Et qu'est-ce qui se passe sur la photo, sur la radio ?
07:33On voit sans difficulté que les neurones, quand on tombe amoureux,
07:38tous les neurones, ce qu'on appelle le faisceau de la récompense, sont activés.
07:43Alors le faisceau de la récompense, on le voit en neuro-imagerie.
07:46Ça dégage de la chaleur.
07:48L'ordinateur capte la dégradation du glucose.
07:51Ça dégage de la chaleur.
07:52Et l'ordinateur est codé pour traduire en couleurs l'intensité de la chaleur.
07:57Et on voit des bandes rouges.
07:59Je tombe amoureux.
08:01Tout mon système de la récompense passe au rouge.
08:05Et on le voit, que ce soit amoureux d'une femme, amoureux d'un bébé, amoureux d'un paysage.
08:09Tac, le système de la récompense.
08:11Et on le voit sans difficulté.
08:13C'est toujours le même chez tous les êtres humains.
08:15C'est la face inférieure qui passe sur le noyau acubin,
08:20ce que vous fréquentez tous les jours.
08:22Et le noyau acubin, c'est un ensemble de neurones qui stimule la sécrétion
08:27de la sérotonine, de l'oxytocine, des endorphines naturelles.
08:31C'est un shoot biologique provoqué par une émotion amoureuse.
08:36Et ça, c'est quand notre cerveau, quand ça passe au rouge.
08:38Voilà.
08:39En revanche, quand on bascule dans l'attachement,
08:41qui pour vous est la notion la plus importante et la plus intéressante.
08:44L'attachement, et d'ailleurs vous dites, il faut,
08:48sans le relais de l'attachement, l'amour dure un CDD.
08:53C'est très rapide et ça passe, parce que cet état-là passe.
08:57Et l'attachement, là aussi dans l'imagerie scientifique,
09:00ce n'est pas du tout la même zone du cerveau que l'amour.
09:02L'attachement, on voit s'épaissir le circuit de la mémoire.
09:07C'est-à-dire qu'à la face interne des deux hémisphères,
09:10il y a un anneau qu'on appelle l'anneau limbique,
09:14qui est le socle neurologique de la mémoire.
09:17C'est-à-dire que pour s'attacher, il faut une durée.
09:20L'amour, c'est le coup.
09:22Le coup de foudre, c'est elle, c'est lui.
09:24Alors que l'attachement, il faut vivre avec.
09:26Et ça se tisse.
09:28Et ça se tisse, et c'est un plaidoyer pour cela.
09:30Vous parlez de la merveille du banal, de la merveille de la vie quotidienne.
09:33L'attachement nous sécurise et nous permet d'aller explorer le monde extérieur.
09:37L'attachement est un rempart à la haine et à la violence.
09:40Ce livre, c'est ça.
09:42C'est une ode à l'attachement et au couple qui dure.
09:45Comment faire durer le couple, Boris Cyrulnik,
09:49avec le désir ?
09:51Avec le désir qui, forcément, est plus fort
09:53quand on a le cerveau rouge et la sérétonine.
09:55Ça vous fait rire, mais c'est vrai.
09:57Comment on le fait durer dans le temps,
09:59quand le désir s'émousse ?
10:01Le désir s'émousse si l'attachement devient engourdissant.
10:05C'est-à-dire que c'est la vie quotidienne qui permet de tisser l'attachement,
10:09mais par bonheur, l'attachement crée une aventure sociale.
10:13Je suis très attaché à elle,
10:16donc ça me donne le courage, la confiance en moi
10:19et le courage de la quitter pour tenter l'aventure sociale.
10:23Et quand je la revois, j'ai des tas de choses à lui raconter
10:26et l'attachement est éveillé.
10:28Il se tisse encore mieux,
10:30à condition qu'il ne soit pas un engourdissement.
10:33Grâce à l'attachement, comme pour les bébés,
10:36quand les bébés sont renforcés par l'amour maternel,
10:39ils la quittent pour explorer le monde.
10:42Et s'ils ne sont pas sécurisés par l'amour maternel,
10:45ils restent blottis contre leur mère et n'explorent pas le monde.
10:48Écoutez Romain Garry à ce sujet.
10:50Je ne sais pas si vous l'avez entendu,
10:52mais je le conseille à tous les auditeurs,
10:54la très belle radioscopie de Jacques Chancel.
10:56À Romain Garry, c'est une heure qui s'entendent qui n'ont pas vieilli une seconde.
11:00Écoutez-le sur le couple dont il dit que c'est la plus belle aventure,
11:04mais un couple qui serait, disons, ouvert.
11:07Je crois profondément au couple.
11:10Je crois que le couple a la fidélité,
11:13mais la fidélité non pas épidermique.
11:15La fidélité de dévouement profond de l'un à l'autre
11:18qui peut se contenter très bien également en cas d'absence,
11:22vous comprenez ?
11:23Je crois que la vérité, la vérité des rapports de l'homme et de la femme,
11:27c'est le couple et tout le reste c'est de la crème chantilly.
11:29Bon, c'est très bon la crème chantilly,
11:31je ne crache pas dessus, excusez-moi l'expression,
11:33mais enfin quand même la vérité et la profondeur,
11:36c'est cette espèce d'équilibre en deux,
11:38cette espèce de soudure profonde,
11:39cette espèce de complicité,
11:41cette entente instinctive de tous les instants,
11:44ce partage de tous les buts dans la vie
11:46et de tout ce qu'on veut faire,
11:48de tous les rêves aussi,
11:49qui est absolument irremplaçable.
11:51En gros, le couple c'est merveilleux,
11:54la fidélité, la loyauté à celui qu'on aime
11:57et à qui on est attaché, c'est très bien,
11:59mais on accepte une forme d'infidélité des corps.
12:03C'est juste ça comme vision de vie ?
12:06Oui, ça s'est pratiqué,
12:08ça a même été valorisé,
12:10ça se pratique encore beaucoup.
12:12Pour que l'attachement ne se transforme pas en prison,
12:15il faut qu'il y ait des éveils de l'attachement.
12:18Ça peut être une aventure sociale,
12:21ça peut être une aventure sexuelle,
12:23au risque de briser le lien.
12:25Qu'est-ce que vous en pensez ?
12:27C'est une prise de risque.
12:29Mais la vie est une prise de risque.
12:31C'est-à-dire qu'un enfant sécurisé
12:33prend le risque de quitter sa mère.
12:37Le mariage est purement social,
12:41on ne tient pas compte de la personnalité des femmes,
12:44on aliene leur corps.
12:46Dans le mariage, le corps des femmes
12:48est utilisé pour la société.
12:50Il y a eu des cours d'amour au XIIe siècle.
12:53Vous en parlez, les cours d'amour
12:55d'Aliénor d'Aquitaine, etc.
12:57Les femmes se demandaient au XIIe siècle
13:00faut-il aimer son mari ou son amant ?
13:05Est-ce que l'intelligence fait partie de l'amour ?
13:08Faut-il aimer son mari ou son amant ?
13:11Au XIIe siècle,
13:13Aliénor d'Aquitaine, Stéphanette de Provence,
13:16la princesse,
13:18réunissent des femmes dans les belles maisons,
13:20des femmes bien-nées dans les belles maisons
13:22et ces femmes émettent des jugements
13:24au sens juridique du terme
13:26de cours d'amour.
13:28Comme vous venez de le dire,
13:30il y a un jugement, faut-il aimer son mari ou son amant ?
13:33Ces femmes disent que le mari
13:35c'est fait pour le bien,
13:37c'est fait pour le non,
13:39l'amant c'est fait pour l'amour.
13:41Une cour d'amour délicieuse
13:43que les féministes adorent,
13:45est-il nécessaire pour un homme
13:47d'être intelligent ?
13:49Les femmes se réunissent
13:51et elles disent que l'intelligence
13:53c'est une vertu secondaire,
13:55c'est une vertu de femme.
13:57La vertu prioritaire, celle des hommes,
13:59c'est d'être bien fait de ses membres
14:01et du romain.
14:03L'intelligence, on laisse ça aux femmes.
14:05Il y a tout un développement
14:07très intéressant sur l'enfance.
14:09Vous dites que les mille premiers jours de l'enfance
14:11sont capitales.
14:13Si on veut plus tard avoir des amoureux épanouis,
14:15que l'amour façonne
14:17le cerveau des enfants
14:19et vous parlez des enfants qui n'ont pas reçu
14:21de l'amour ou de la sécurité
14:23dans ces mille premiers jours,
14:25ces trois, quatre premières années.
14:27On voit clairement que ça va être plus difficile
14:29pour eux. Mais ce n'est pas irrécupérable.
14:31Voilà, c'est ça.
14:33C'est-à-dire que
14:35quand j'ai été invité à travailler sur les mille premiers jours,
14:37on était en chantier depuis les années 80.
14:39Ça fait 40 ans auparavant.
14:41Mais on est arrivé à la conclusion
14:43parce qu'on avait des situations cliniques
14:45tragiques. La pire, c'est celle des
14:47orphelinats roumains.
14:49Ce que vous dites sur les enfants roumains
14:51abandonnés, qu'est-ce qu'on voyait ?
14:53On avait 200 000 enfants qui avaient été
14:55mis, non pas dans des orphelinats,
14:57il y a des orphelinats roumains
14:59qui ont très bien fait leur travail,
15:01mais là, c'était des mouroirs.
15:03Ces presque 200 000 enfants
15:06ont été mis dans des situations
15:08d'isolement affectif total.
15:10Personne ne leur parlait, personne
15:12ne les lavait, personne ne jouait
15:14avec eux. Ils n'avaient que
15:16les activités auto-centrées.
15:18Ils se balançaient sans cesse, ils ne faisaient que ça.
15:20Et en cas d'émotion trop forte,
15:22ils s'auto-agressaient, ils se tapaient la tête
15:24par terre. Ces enfants
15:26ont tous en neuro-imagerie,
15:28tous ces enfants, ont une
15:30atrophie des deux lobes préfrontaux,
15:32le socle neurologique de l'anticipation,
15:34et une atrophie des deux
15:36systèmes limbiques, le socle neurologique
15:38de la mémoire. C'est-à-dire
15:40que leur cerveau était dysfonctionnel
15:42parce que leur milieu ne les stimulait pas.
15:44Et ça, on le voit vraiment dans l'imagerie
15:46scientifique, ça vous montre clairement.
15:48Vous dites 70% des enfants
15:50en temps de paix reçoivent
15:52de l'amour, et pardonnez-moi
15:54d'être plus intime,
15:56vous concernant, parce que ce que vous dites sur
15:58l'amour de votre mère,
16:00Boris Cyrulnik, vous avez connu votre mère
16:02uniquement 4 ans dans votre vie.
16:04Puisque quand vous aviez 4 ans, elle a été déportée.
16:06Mais vous dites, même dans ce
16:08temps très court, elle m'a donné suffisamment
16:10d'amour,
16:12de sécurité, qui m'ont servi
16:14toute ma vie.
16:16Probablement, donc grâce à elle,
16:18alors je ne sais pas comment elle a fait, parce que
16:20c'était la préparation à la guerre,
16:22c'était le début de la guerre, mon père
16:24s'est engagé dans l'armée française
16:26dès 1939,
16:28et elle était seule,
16:30sans famille, puisque le reste de la famille était
16:32soit dans l'armée française,
16:34soit dans la résistance pour les jeunes,
16:36soit à Auschwitz.
16:38Et pourtant, elle vous l'a donnée.
16:40Et pourtant, elle me l'a donnée.
16:42J'ai des souvenirs d'elle jouant avec moi
16:44alors qu'elle devait être désespérée.
16:46J'ai des souvenirs d'elle vendant les objets
16:48de la maison sur les quais de Bordeaux,
16:50parce qu'il n'y avait plus
16:52d'argent, les femmes étaient seules.
16:54Et donc, je ne sais pas comment elle a fait,
16:56mais elle m'a donné confiance en moi,
16:58et c'est une confiance totalement
17:00illogique, irrationnelle
17:02que j'ai gardée toute ma vie.
17:04Qui vous a servi et qui vous a permis la résilience
17:06ensuite quand vous avez manqué d'amour par la suite
17:08et manqué de vos parents qui sont morts tous les deux
17:10dans les camps, et qui vous a permis
17:12d'écrire vos livres sur la résilience.
17:14Je voudrais terminer par des questions très courtes,
17:16alors, elle va être dure celle-là.
17:18Boris Cyrulnik, comment on fait pour survivre en ce moment
17:20à la violence de l'actualité ?
17:22Alors, le seul moyen
17:24que j'ai trouvé, c'est de
17:26renforcer les systèmes
17:28autour de la famille.
17:30Les enfants des familles
17:32sont déstructurés,
17:34c'est-à-dire que les enfants sont plus seuls
17:36que jamais, alors qu'il n'y a
17:38jamais eu autant de confort et de respect
17:40de l'enfance. Donc ça, c'est un progrès,
17:42mais ça se paye du prix de la
17:44solitude qui vulnérabilise
17:46les enfants. Et quand on parle
17:48mal, quand on a peur, on agresse.
17:50Mais vous dites vous-même que c'est
17:52dur pour vous de suivre l'actualité, d'allumer
17:54la télévision ou de lire un journal aujourd'hui ?
17:56J'ai du mal, ça me déclenche
17:58des angoisses et des malaises.
18:00Et quand je veux éprouver un sentiment de tendresse,
18:02je me mets à un match de rugby.
18:04D'accord, c'est peut-être une solution.
18:06Sur la route de Madison ou Love Story ?
18:12Lequel des deux films ?
18:14Love Story ou Sur la route
18:16de Madison ? Quel est le plus beau film d'amour ?
18:18Love Story, c'est
18:20l'illustration de l'amour
18:22fusionnel, nécessaire
18:24et qui passe à l'attachement parce que
18:26quand elle tombe malade, il est là.
18:28Vous avez été maître nageur et danseur
18:30de tango, est-ce que vous pratiquez encore ?
18:32Je suis d'une beauté extraordinaire
18:34quand je danse le tango
18:36ou quand je suis maître nageur.
18:38Et vous le faites encore.
18:4087 ans, c'est votre âge. Quel est le plus bel âge de la vie ?
18:42Celui qu'on a.
18:44Donc c'est aujourd'hui.
18:46La vieillesse est-elle un neuf-âge ?
18:48Pas encore.
18:50Pour l'instant, la vieillesse est
18:52un amour de la paix,
18:54un plaisir du recul,
18:56le plaisir de juger.
18:58Pour juger, il faut comparer.
19:00Et quand on a 88 ans,
19:02merci de me rajeunir,
19:04mais j'aurai 88 ans dans trois mois,
19:06on peut comparer
19:08des situations différentes.
19:10Ça nous permet de juger.
19:12Alors que les jeunes, c'est la première fois qu'ils sont vivants.
19:14Alors que moi, ça fait longtemps que je suis vivant.
19:16Et la mort, elle vous fait peur ?
19:18Non.
19:20C'est un bénéfice pour l'espèce.
19:22C'est-à-dire que l'espèce reste jeune
19:24parce que la mort existe.
19:26Si la mort n'existait pas,
19:28il n'y aurait que des vieux usés
19:30et la vie n'aurait pas de sens.
19:32Parce que la vie a un sens,
19:34parce qu'on peut lutter contre la mort,
19:36développer, se protéger,
19:38rencontrer des gens pour organiser la société,
19:40lutter contre la maladie, donner sens
19:42à la vie par la littérature
19:44et la philosophie.
19:47Je ne l'ai pas rencontré,
19:49mais il y a des gens qui
19:51parlent à Dieu tous les jours.
19:53C'est un copain très fréquentable.
19:55Boris Cyrulnik, quand on tombe amoureux,
19:57on se relève attaché.
19:59C'est chez Odile Jacob.
20:01Merci infiniment d'avoir été avec nous.
20:03Merci.

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