Marie-Pierre Pruvot, dite Bambi, légende du cabaret, était l'invitée de France Inter mardi 15 avril pour son livre "Bambi, une vie ordinaire (Denoël)".
Retrouvez « L'interview de 9h20 par Léa Salamé » L'interview de 9h20 avec Léa Salamé sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20
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00:00France Inter, le 7-10.
00:07Mathilde Serrel, vous recevez une femme qui voulait être ordinaire.
00:11Marie-Pierre Priveau, bonjour.
00:13Bonjour.
00:14On va écouter un petit extrait de vos chansons en Bambi.
00:19Monsieur, dites-moi, est-ce que vous êtes célibataire ?
00:22Oh, vous êtes célibataire ? Et quel est votre genre de femme, monsieur ?
00:26Oh, monsieur, ne vous fatiguez pas, j'ai compris.
00:28Oui, on vous engagera avec nous.
00:31Allez, on me suit.
00:32C'est vous qu'on entend, Bambi, votre personnage de meneuse de revue dans les cabarets travestis des années 50-60.
00:38Est-ce qu'il y a une tenue de ce tourbillon de strass, de plumes, de paillettes que vous préférez ?
00:45Je voudrais d'abord faire une remarque sur ce qu'on entendait, de ce que je parlais.
00:50C'était la première fois que je m'adressais au public.
00:53Le texte était écrit par le directeur artistique et je n'arrivais pas à parler au public.
00:58C'était très difficile pour moi.
01:00Je chantais, oui, mais alors parler, c'était vraiment insupportable.
01:04Ça m'amuse quand j'entends ça.
01:06Donc parler à monsieur, il lui proposait de faire partie de la revue, pour vous, c'était une montagne.
01:11Et puis c'est très daté, c'est extrêmement daté.
01:14Ça me plaît beaucoup.
01:16Quelle tenue ?
01:17Quelle tenue, oui.
01:19Celle dont vous vous souvenez avec le plus de plaisir, dans laquelle vous vous êtes sentie le mieux, par exemple, dans ces années ?
01:24Or, je crois que c'est encore les robes strassées, par ma mère d'ailleurs, avec une sirène en bas, les robes sirènes.
01:31C'est-à-dire des espèces de volants qui partent à partir du genou et qui touchent le bas du sol.
01:38Et qu'on marche comme ça.
01:41Et alors, la robe extrêmement cintrée, décolletée et tout simplement strassée.
01:49Et on s'y sentait très bien, c'est vrai.
01:51On se sentait spectaculaire.
01:53Il faut toujours se sentir spectaculaire quand elle est en scène, oui, surtout en musique.
01:57Comme disait Coccinelle, dont on va reparler, qui est la première femme trans et qui a été très importante dans votre parcours.
02:01Il faut toujours un peu de coccinolades.
02:04Les coccinélades.
02:05Les coccinélades, voilà.
02:06Marie-Pierre Pruveau, dites Bambi, vous avez été meneuse de revue, on le disait pendant 20 ans à Paris,
02:12avant de passer votre bac à 33 ans, de devenir prof de français au collège.
02:16Vous êtes l'une des premières femmes trans connues, mais on ne disait pas trans à l'époque.
02:19Vous parlez plutôt d'hormonée.
02:21Et plus généralement, les personnes concernées se qualifiaient de femmes tout court.
02:25Écrivez-vous dans ses mémoires.
02:26Bambi, une vie ordinaire, qui vient d'être publiée chez De Noël.
02:29Vous dites, je voulais vivre comme tout le monde, devenir celle que j'avais toujours été dans mon esprit, une femme ordinaire.
02:35Est-ce que vous êtes parvenue à le devenir au cours de votre vie ?
02:38Comment vous qualifieriez la Bambi, dans l'adjectif la Bambi d'aujourd'hui ?
02:42La Bambi d'aujourd'hui, elle est restée pendant 30 ans à l'éducation nationale.
02:46Et c'est le moment où je me suis sentie le plus celle que j'avais rêvé d'être déjà dans mon enfance.
02:51C'est-à-dire, quelqu'un de mon milieu, de mon petit milieu assez modeste.
02:59Je suis arrivé pratiquement à l'être, en tout cas dans mon esprit.
03:04À Cherbourg, ça a commencé à Cherbourg.
03:06Et dans une HLM, où j'étais très bien.
03:12J'ai commencé à me regarder.
03:15Je me regardais descendre au volant de ma voiture.
03:18Et je me disais, bon, tu es Madame Pruveau aujourd'hui.
03:22Mais il y avait l'œil de Bambi quand même derrière, qui regardait cette débutante.
03:26On va en reparler de Bambi, de Madame Pruveau.
03:29Une vie ordinaire, c'est tout ce à quoi vous aspiriez, devenir cette Madame Pruveau.
03:34Mais c'est franchement pas banal, par exemple, quand on imagine que la première fois que vous êtes mise à prier Dieu et la Vierge Marie, c'était pour devenir une petite fille.
03:44Oui, c'est parce que, vous savez, je n'en ai jamais parlé, je n'ai jamais parlé de mes sentiments profonds à personne, personne, personne.
03:53Il a fallu que j'arrive à Paris, puis que je dise à ma mère qu'il était nécessaire que je m'en sorte pour arriver à en dire quelques mots.
04:03Alors, on a besoin de se pencher quelquefois et de reprendre courage.
04:08Et dans toute mon enfance, ma sœur aînée, qui était déjà morte...
04:14Coupette, qui est morte à 14 ans d'une grave malade.
04:17Vous aviez 10 ans, oui.
04:18Oui, j'avais 10 ans, oui.
04:20Et elle m'avait appris les prières, elle était très croyante, elle allait à l'église, alors que mes parents n'y allaient pas du tout.
04:27Et à l'église, j'avais découvert des esprits supérieurs, Jésus-Christ, la Vierge Marie, etc., qui me protégeaient, à qui je me confiais, et qui me donnaient du courage, qui me donnaient des espoirs.
04:43C'est très spécial, je sais.
04:45Mais on me dira peut-être que je trouvais dans la prière un encouragement au péché, mais ce n'était pas senti comme ça.
04:55C'était vos premiers compagnons dans votre désir de devenir une femme.
04:59Ces mémoires, vous avez voulu aussi les écrire en réponse au portrait qu'avait fait de vous une doctorante en médecine en 1965.
05:06Vous avez découvert ce texte 50 ans plus tard, et voilà ce qu'elle écrit de vous.
05:09Son visage reste immobile, avec dans le regard un mélange de tristesse et d'hostilité.
05:14L'habillement vient appuyer cette présentation à tonalité dépressive.
05:18Vous dites, comment a-t-elle fait pour ne pas voir la trentenaire coquette que j'étais alors, et voir plutôt ce malingre, renfermé, dépressif ?
05:28C'est un scandale !
05:29Comment vous avez reçu ces mots 50 ans après ?
05:32J'ai trouvé ça ridicule. Surtout quand elle parle de ma petite veste, qui n'a ni bouton, ni œillard.
05:40Oui, elle fait un détail très précis de la toilette.
05:43Oui, c'est une veste qui ne fermait pas, qui restait ouverte comme un boléro.
05:48Et elle y trouve un signe de dépression. Bon, tant pis.
05:51Ce qui raconte peut-être aussi le regard qu'on porte à cette période sur une femme travestie, on ne dit pas non plus encore une femme trans.
06:02D'ailleurs, la façon dont elle mène sa thèse, c'est sur les homosexuels travestis dans les cabarets, donc elle mélange un peu tout.
06:07Oui, homosexuels, travestis, et...
06:12Se livrant à la prostitution, quoi.
06:16Oui, bien sûr, prostituée en plus.
06:17Oui, je ne sais pas pourquoi on s'adressait à moi. Bref.
06:21Je l'ai fait parce que le patron m'a demandé de le faire, et au carousel, je devais beaucoup au patron, donc j'ai tout accepté.
06:28Mais c'est surtout la...
06:29Le carousel, c'est le cabaret où vous avez débuté. Enfin, d'abord Mme Arthur, puis le carousel.
06:33C'est ça, oui. Et donc, c'est sa conclusion qui est étonnante.
06:38Parce qu'elle conclut, elle dit que... Elle conclut sur moi.
06:41Et elle dit que de tous les gens qu'elle a auditionnés,
06:45je suis la seule à avoir eu opération et à vivre dans la vie, etc.
06:49Et elle dit que, à partir de cet échec qu'elle constate avec moi,
06:55elle demande qu'on fasse des examens approfondis sur les jeunes,
07:01qu'il y aurait peut-être des tendances, et qu'on puisse les soigner convenablement.
07:06Et surtout, ça ne leur plairait certainement pas,
07:09mais il ne faudrait pas s'arrêter à ça, il faudrait chercher le succès, etc.
07:12Ah oui, donc vous devenez aussi une motivation de judiciarisation oppressive,
07:17sachant qu'à cette période, le décret Lépine, et vous le faites aussi pour ça,
07:21pour faire exister vos vies à vous dans un cadre, dans une France,
07:26où on n'a pas le droit de s'habiller, par exemple,
07:28dans des tenues qui ne sont pas de son genre, en dehors du carnaval.
07:31Vous avez donc décidé de raconter pour la première fois,
07:36d'ordonner un peu votre vie, vos souvenirs, vos quotidiens,
07:39vous livrer à cette personne, qui en ressort une photographie complètement faussée.
07:44Cette fois, c'est à vous de tirer le portrait, le plus juste possible,
07:49et vous accordez, vous avez déjà raconté votre vie, Bambi,
07:52vous êtes venu aussi au micro de Sonia de Villers, à France Inter,
07:54on a toujours plaisir à vous écouter.
07:56Mais cette fois, donc, au plus juste, qu'est-ce que vous avez voulu corriger
08:00de cette trajectoire du récit de votre vie, qu'il manquait ?
08:04Eh bien, écoutez, d'abord, je me suis fait aider d'Anna Kachatureva,
08:08qui consigne avec vous.
08:09Qui consigne avec moi, elle le mérite bien, parce qu'elle a écrit des passages
08:12que je ne voulais plus écrire, et en particulier la fin, qui est tellement réussie.
08:17Les dernières pages sont très réussies, naturellement, je reconnais des phrases à moi,
08:22mais c'est elle qui les a arrangées, c'est donc elle qui a écrit.
08:24Mais vous pensez quand même, comme elle l'écrit à votre grand-mère Mabrouka,
08:28en Kabylie, quand vous fermez les yeux, et votre petite chèvre, ça c'est vrai.
08:33Oui, oui, je pense, oui, c'est vrai, c'est vrai, bien sûr que c'est vrai.
08:38Je suis très attachée à mon enfance, parce que je retourne à ces sensations
08:43où on recherche un soutien, un support, qu'on a perdu peut-être un peu dans la vie courante,
08:50en le recherche en soi, en ses croyances, à sa mysticité, etc.
08:55Donc, tout ça est à rechercher.
08:58Oui, ça finit.
08:59Le livre finit très bien sur un retour au rêve de Borges-Melaïel,
09:04qui est tout à fait dans mon enfance et dans ma vie, car rien ne m'a quitté.
09:09Je suis resté, j'ai tout conservé de ma vie,
09:13je fais tout pour conserver de mon enfance à aujourd'hui,
09:16pour que ce soit bien unifié, contrairement à ce qui paraît être des vies diverses.
09:22Oui, morcelé, en fait, vous avez retrouvé le fil.
09:25L'unité de ma vie, oui.
09:27L'Algérie, d'ailleurs, c'est très important,
09:29vous y accordez une importance plus grande aussi dans ce récit,
09:32cette famille de pieds noirs dans laquelle vous grandissez,
09:34et puis cet intérêt que vous allez avoir aussi pour les événements politiques dans les années 60,
09:39qui motivent aussi votre retour aux études, votre passage du bac.
09:42Donc, c'est très important, mais si vous en êtes d'accord,
09:45on va reprendre les pages de ce livre, prénom par prénom.
09:48Et évidemment, quand on parle de l'Algérie, on pense à Jean-Pierre,
09:51c'est vous, c'est ce petit garçon que vous n'êtes plus.
09:54Et la première fois, vous allez à l'école.
09:56Là, vous devez cesser totalement de mener la vie que vous aviez dans un gynécé,
10:01avec votre grand-mère, vos tantes, vos cousines,
10:05et vous habillez en fille.
10:06Tout d'un coup, ça a été un choc, ce moment d'arriver à l'école ?
10:10Ça a été un choc épouvantable.
10:13J'ai vu ma mère changer complètement du jour au lendemain.
10:16C'est-à-dire que, je pense qu'avec la présence de ma grand-mère,
10:19qui prétendait que je ressemblais au dernier de ses fils,
10:23elle a eu trois fils,
10:24donc pas du tout à mon père qui était l'aîné.
10:27Et donc, on me laissait faire ce que je voulais,
10:29et ma grand-mère, c'était le personnage sacré de la maison.
10:33Et elle m'a élevée au milieu des poules et des canards,
10:38au milieu de la petite chèvre, avec le petit cochon,
10:42les lapins, etc.
10:44Le jardin, cultiver le jardin,
10:47planter des géraniums ou des haricots,
10:49et on faisait tout ça.
10:50Elle s'occupait des arbres aussi, des orangés en particulier.
10:53On s'occupait de tout ça.
10:54Et j'étais en robe, surtout l'après-midi.
10:58L'après-midi, quand elle se mettait à la couture,
11:00parce qu'elle était couturière,
11:02elle se mettait à la couture.
11:03Moi, à quatre ans, je commençais déjà à apprendre
11:06à coudre à la machine avec les singères.
11:10Vous savez, j'étais debout sur la machine,
11:12avec mon pied.
11:14Je touchais la pédale et j'arrivais à actionner l'appareil.
11:20J'apprenais tout ça.
11:21C'est moi qui enfilais,
11:23ma grand-mère ne voyait pas très bien,
11:24qui enfilais l'aiguille de la machine à coudre, etc.
11:27Bon, je savais tout ça.
11:29J'avais appris avec ma sœur à broder pour la fête des mères.
11:34On faisait un petit nappron pour la fête des mères.
11:36Vous grandissiez en fille, en fait, d'une certaine manière.
11:39À six ans, on a fait le sacrifice de la robe,
11:42des robes, et de la dernière qu'il a fallu jeter.
11:46Tout ça, c'était dramatique pour moi.
11:48Un éclat de rire pour ma sœur,
11:50mais enfin, c'était comme ça.
11:52Et après, ma mère m'a coupé le peu de cheveux longs que j'avais, etc.
11:56Elle m'a coupé les cheveux sans...
11:58Et elle m'a prise en main, définitivement.
12:02Et l'école a commencé.
12:05Il a fallu travailler, apprendre les leçons.
12:07Je déchirais mon livre en cachette.
12:10J'accusais des camarades de l'avoir fait.
12:12Ma mère m'a dit, je vais aller voir.
12:15Je vais aller voir la maîtresse.
12:16Et donc, j'ai arrêté de le faire, j'ai avoué.
12:22Alors, c'était très pénible.
12:23Et grâce à ma mère, qui m'a appris à lire, à écrire,
12:27parce que j'ai refusé l'école, mais j'y allais.
12:30Ben, voilà, j'ai su lire.
12:31Vous êtes devenue aussi cette professeure de collège.
12:34Plus tard, oui.
12:34Plus tard.
12:35Vous avez eu aussi la compagnie des poètes à l'époque,
12:38où il y a une naissance déjà, une vocation de l'écriture.
12:40Ce sont eux, vos confidents aussi, après Jésus et la Vierge Marie.
12:43Oui, oui, mais ils ont cohabité, en quelque sorte.
12:47Vous allez devenir également,
12:49alors vous avez une sorte de couverture masculine,
12:51comme ça, au collège, pour ne pas avoir d'histoire,
12:54mais vous allez quand même faire un premier pas vers vous-même
12:57lorsque vous devenez Jean-Py.
12:58Là, c'est un petit surnom que vous donne Rosette,
13:01dans un bar à Alger, parce que pour aller au lycée,
13:03il faut que vous alliez à Alger.
13:05Et là, Jean-Py, finalement, c'est un peu votre premier pas vers vous-même.
13:09Oui, c'est vrai.
13:10Je détestais, parce que ma sœur avait reçu un surnom.
13:13Ma sœur, qui s'appelait Jeanne, on l'appelait Poupette.
13:15Moi, naturellement, on m'appelait Jean-Pierre.
13:18Je me disais quand même que j'aurais bien aimé avoir un surnom,
13:20surtout que je détestais ce prénom.
13:22Maintenant, il n'est plus le mien, donc je l'aime bien,
13:24mais je le détestais.
13:26Bon, personne ne me le donnait.
13:29Je ne demandais pas non plus.
13:30Vous dites que c'est un prénom qui vous faisait pleurer, quand même.
13:33Non, c'est-à-dire que je ne voulais pas le prononcer.
13:36Ça, c'était...
13:37J'avais...
13:37J'avais...
13:39Quatre ans et demi.
13:41Il y a une scène de départ où j'ai quatre ans et demi
13:44et je demande la dernière robe qui m'a été accordée à quatre ans et demi
13:50que j'ai pu traîner jusqu'à six ans.
13:52Et quand ma mère me l'a accordée,
13:55c'était une robe que ma sœur ne pouvait plus mettre,
13:58ma mère commençait à être énervée de cette histoire de robe.
14:01Elle a laissé ma sœur ranger le linge, des chaussettes.
14:06Et elle m'a traînée à la porte d'entrée.
14:09Et elle m'a mis ce mot.
14:11Elle m'a dit « Comment t'appelles-tu ? »
14:13Alors, je ne voulais pas dire mon prénom.
14:15Et elle a tellement insisté
14:17que j'ai fini par avouer que je m'appelais...
14:19Elle m'a fait un petit chantage à l'amour.
14:22« Prouve-moi que tu m'aimes, mais oui, etc. »
14:24Et j'ai fini par pleurer, éclater en sangloge.
14:28J'ai avoué que je m'appelais Jean-Pierre,
14:30mais comme un aveu,
14:32comme un aveu qu'on ne voudrait pas faire.
14:34Et Jean-Py, ça a été un soulagement ?
14:35Et alors, Jean-Py, quand je suis arrivée,
14:37« Oh, Jean-Pierre, on va vous appeler Jean-Py,
14:40ça sera beaucoup mieux, etc. »
14:41C'était très agréable pour moi.
14:44Elle m'a libérée d'une certaine façon.
14:46Elle vous libère et elle vous donne aussi des clés,
14:50puisqu'elle va vous donner des mouvements.
14:52Ça va être votre premier modèle, en fait,
14:54féminin aussi, Rosette.
14:55Très curieusement, elle a été mon modèle.
14:57Je l'imitais un petit peu derrière le bar,
14:59parce que je me servais dans le bar.
15:01Et puis, je me retournais, je faisais comme elle.
15:03Je me regardais à la glace, je faisais un petit peu comme ça.
15:05Je faisais comme elle.
15:06Donc, c'était un petit peu dangereux,
15:08parce que ça risquait de faire parler.
15:10Alors, attention, à ce moment-là,
15:12il se passe quand même quelque chose de très fort au bar.
15:15Vous entendez parler d'un spectacle.
15:17Ce spectacle, c'est celui de Coccinelle.
15:18Coccinelle, reine, évidemment, des cabarets,
15:43aussi première femme trans.
15:44On en reparlera tout à l'heure avec un extrait d'interview.
15:47C'est le fil aussi qui accompagne tout votre récit Coccinelle.
15:50Elle a été capitale pour vous.
15:51Ce jour-là, elle vous fait comprendre
15:53que plus jamais vous ne serez garçon, déjà.
15:55C'est ce premier pas.
15:56Oui.
15:56J'apprends qu'elle vit en...
15:58On va voir le spectacle d'abord.
16:00Rosette me dit, vous n'êtes pas intriguée,
16:01vous parlez des garçons qui s'habillent en fille, etc.
16:04J'ai dit, si, si, allons voir le spectacle.
16:06Et c'est elle qui m'amène voir le spectacle en matinée
16:09au Casino de la Corniche.
16:10Et je vois cette revue.
16:13Il y en a qui sont très bien,
16:14mais il y en a une qui dépasse tout le monde,
16:16c'est Coccinelle.
16:17Et j'apprends.
16:18Je n'ai pas tout de suite envie de faire ça.
16:20Moi, je n'ai pas du tout l'intention de quitter mon pays
16:23et de quitter Alger.
16:25Je veux vivre à Alger.
16:26Et je me dis, comment faire, etc.
16:28Et bon, je sais que je n'y arriverai pas.
16:30Et c'est comme ça que je me suis dit,
16:32bon, c'est le carousel.
16:33Il faut aller au carousel.
16:34Donc, le cabaret de Coccinelle,
16:36vous vous dites, pour devenir un peu ce que j'ai envie d'être,
16:39la destination, c'est ça.
16:41Donc, vous allez passer, d'abord,
16:42vous allez faire un premier voyage,
16:43vous êtes mineur.
16:44Vous verrez quand même Gilda, au cinéma,
16:47qui va vous donner les contours de la femme
16:49que vous avez envie d'être,
16:50Rita Ayworth, bien sûr.
16:53Et puis, votre mère refuse.
16:55Elle vous dit qu'elle va vous faire ramener par la police
16:57lorsque vous partez à Paris.
16:58Et puis, une deuxième fois, quand même,
17:00elle vous dit oui lorsque vous êtes majeure.
17:01C'est elle-même qui finance votre deuxième arrivée à Paris.
17:05Oui, parce que c'est surtout elle qui me donne l'autorisation.
17:09Il faut une autorisation judiciaire
17:10pour devenir majeure à 18 ans.
17:15Parce qu'à l'époque, on est majeure à 21 ans.
17:18Ça s'appelle une émancipation.
17:20Alors, elle accepte qu'on aille chez le notaire
17:22et qu'on fasse une émancipation.
17:23Et c'est muni de cette émancipation
17:25qui me donne la majorité
17:27que je vais au carousel
17:29et que je montre au patron mon émancipation
17:32et que je débute chez Mme Arthur.
17:34Parce que je ne sais ni chanter ni danser.
17:36Oui, et vous êtes pétrifiée pour votre première
17:38à l'époque où vous vous appelez Cathy, d'ailleurs.
17:39Pas encore Bambi.
17:42Mais Coccinelle, elle est là tout au long de votre vie
17:44parce que c'est aussi dans le sac de Coccinelle
17:46que vous allez fouiller
17:47pour découvrir ces fameux médicaments
17:49qui arrondissent le visage.
17:51ces hormones que prend Coccinelle.
17:55Elle ne veut pas vous en parler
17:57mais vous, vous allez fouiller, vous allez les trouver.
17:59Et là, vous commencez votre transition.
18:00Oui, et c'est Capucine qui va fouiller
18:02parce que moi, je ne connais pas Coccinelle.
18:03C'est votre copine à l'époque.
18:05Capucine qui est ma copine
18:06mais qui a vécu.
18:07Elle a été prise sous l'aile de Coccinelle
18:10qu'il a un petit peu arrangée,
18:13qu'il a conseillée.
18:14Et ce qu'a fait Capucine,
18:16elle va le faire avec moi.
18:17C'est-à-dire que quand elle va me connaître,
18:19elle va me demander de venir vivre avec elle
18:21parce qu'elle ne peut pas vivre seule.
18:23Elle a un ami qui ne veut pas qu'elle vive seule
18:24mais qui ne veut pas vivre avec elle.
18:26Et dans ces conditions, naturellement,
18:29elle connaît bien Coccinelle.
18:35Voilà.
18:36Et c'est comme ça que vous allez commencer,
18:38vous aussi, votre transition.
18:41On va se rendre compte un petit peu plus tard aussi
18:43que Coccinelle, c'est aussi cette cliente
18:46cliente d'un jeune avocat brillant
18:48qui s'appelle Robert Badinter.
18:50C'est lui qui va lui permettre
18:51de devenir à l'état civil une femme.
18:54Lorsque vous, vous êtes devenue enfin
18:56Marie-Pierre Pruveau,
18:58qu'est-ce que vous avez ressenti Bambi ?
19:00J'ai senti que c'était très bien,
19:03qu'elle avait de la chance,
19:04qu'il fallait s'adresser.
19:06Moi aussi, je devais m'adresser à un avocat, etc.
19:10Et je me suis adressé à un avocat parisien.
19:13À mettre le tort, figurez-vous.
19:16Il manquait plus que ça.
19:17Il avait souvent raison, mettre le tort.
19:19Bon, alors mettre le tort,
19:21naturellement, ne m'a servi à rien.
19:22Bon, mais grâce en tout cas,
19:24plus ou moins à la disparition
19:25d'informations aussi
19:27qui étaient liées à votre enfance,
19:29à votre adolescence en Algérie,
19:30vous avez pu enfin changer à l'état civil
19:33et devenir aussi cette grande professeure
19:35de collège que vous êtes devenue.
19:37Ensuite, Marie-Pierre Pruveau,
19:38je voudrais qu'on termine avec les impromptus.
19:40C'est très court.
19:41Alors, on se glisse dans cette robe étroite
19:44et un petit peu binaire.
19:46Est-ce que vous suivez l'émission de Ragreys ?
19:48Je ne suis pas d'émission en ce moment, non.
19:51Et vous avez suivi ?
19:52J'ai suivi quelques émissions
19:55quand j'écoutais la radio,
19:56mais en ce moment,
19:57j'étais très, très amateur de radio,
20:00mais je n'écoute plus rien en ce moment
20:03parce que je suis uniquement dans les livres.
20:05Alors, c'est un petit peu...
20:06Est-ce que vous êtes plume ou strass ?
20:09Plume ?
20:10Ah, je préfère les plumes dans ces conditions.
20:14Qu'est-ce qui vous indigne aujourd'hui ?
20:17Les guerres dont j'entends parler.
20:19Oui.
20:20Liberté, égalité, fraternité,
20:22vous choisissez quoi dans cette devise, Bambi ?
20:24Sans doute, liberté.
20:26Sans doute, liberté.
20:27En un mot,
20:28qu'est-ce qui vous a appris ce monde de la nuit
20:30et que vous voudriez transmettre ?
20:33Ces cabarets.
20:34Les cabarets, la camaraderie.
20:37Parce que j'ai beaucoup aimé mes camarades
20:38et les survivantes.
20:40Je continue à les voir, à leur téléphoner.
20:42Je suis très heureuse quand je reprends le contact avec elle.
20:46J'ai un échange qui m'est impossible d'avoir avec qui que ce soit d'autre.
20:51Et vous repensez aussi souvent à Coccinelle, écrivez-vous.
20:54Ah, toujours.
20:54Et Dieu dans tout ça, maintenant que vous êtes devenue une femme,
20:57vous priez autre chose, vous lui demandez autre chose ?
21:00Je suis retournée un peu à mon enfance
21:05et donc un peu à la religion aussi.
21:07Bambi, une vie ordinaire,
21:09c'est publié chez De Noël.
21:10Merci infiniment d'avoir été avec nous ce matin
21:12et bonne journée.
21:14Merci beaucoup.
21:15Et merci Mathilde Serrel.
21:16Charline Vanhoenacker, avec nous dans...
21:19Merci.