• il y a 9 mois
À 9h20, Hiam Abbas et Lina Soualem sont les invitées de Léa Salamé. Mère et fille sont à l'affiche du documentaire "Bye Bye Tibériade", en salle le 21 février prochain et disponible sur Arte.tv. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-lundi-05-fevrier-2024-5142369

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Transcription
00:00 - Et Léa, ce matin vous recevez une mère, grande actrice et sa fille, cinéaste.
00:05 - Bonjour Hiam Abbas. - Bonjour.
00:07 - Et bonjour Lina Soalem. Merci d'être là toutes les deux ce matin, mère et fille donc.
00:13 Alors j'ai envie de vous poser comme question à chacune, vous répondez pour votre mère.
00:18 Lina, si votre mère était un sentiment, un pays et une langue, elle serait quoi ?
00:23 - Alors un sentiment, j'ai envie de dire la folie dans l'amour parce que c'est ce que veut dire Hiam en arabe.
00:29 Et aussi l'errance de l'amour, donc c'est un peu mixte.
00:33 Un pays, l'Italie. - C'est chaud là, elle commence fort.
00:38 - Je dirais l'Italie et particulièrement la Sicile qui pour elle lui rappellent les paysages de son enfance en Galilée
00:44 et beaucoup de souvenirs d'enfance. - Et une langue ?
00:47 - Et une langue, l'italien parce que je crois qu'elle rêve de parler italien.
00:51 - Ah ouais, l'italien, c'est intéressant cette réponse. On va y revenir à la langue.
00:55 Hiam, si Lina était un sentiment, un pays et une langue, elle serait quoi ?
01:00 - Moi je crois que Lina c'est la joie.
01:03 Et langue, je dirais espagnole.
01:07 Parce que voilà. - Je parle espagnol.
01:10 - Et puis je crois que, tel que je la connais, je crois que c'est l'Argentine.
01:16 Où j'ai vécu. - C'est très intéressant quand même vos réponses.
01:19 Parce que pour des femmes dont le film parle en permanence en français, arabe et en anglais,
01:25 vous avez donc choisi l'espagnol et l'italien. - Elle le parle Lina, elle le parle très bien.
01:30 - Oui, oui, mais j'entends bien, c'est très intéressant.
01:32 La philosophe Simone Weil disait "le passé détruit ne revient jamais plus,
01:36 la destruction du passé est peut-être le plus grand de tous les crimes".
01:40 Vous êtes d'accord avec elle, Hiam Abbas ?
01:42 - Oui, je suis très d'accord avec elle.
01:45 Il faut que j'ai, en 2019, j'ai joué Simone Weil au Festival d'Avignon,
01:51 un monologue mis en scène par le météorologue Jean-Baptiste Sastre.
01:57 Et justement, c'est une phrase que je dis dans la pièce.
02:02 Simone Weil m'a vraiment beaucoup touchée de ce côté-là, de sa capacité de proposer,
02:08 pas que la critique, mais presque la solution à tout ce qu'elle peut critiquer
02:14 de la société, de la religion, de la politique, de la manière dont la vie, elle doit se passer.
02:20 - C'est quelqu'un qui vous a nourrie Simone Weil, vous avez travaillé sur elle.
02:24 Hiam Abbas, Dominique Besnéard, dans son podcast sur les grandes actrices,
02:27 dit que vous êtes l'une des plus grandes actrices de la galaxie cinéma.
02:31 On vous a vu dans des films de Steven Spielberg, de Ridley Scott, de Jim Jarmusch,
02:35 mais aussi de Patrice Chéreau, de Cédric Lapiche, d'Amos Guitai.
02:38 Vous faites aussi partie du casting de la série américaine multi-primée,
02:42 la plus hype du moment, Succession.
02:44 Mais vous êtes là ce matin avec votre fille pour nous parler de vous.
02:48 Des fantômes du passé, de vos fantômes à vous, jeune femme palestinienne née près du lac de Tiberiat,
02:52 sur ce lac où Jésus a marché.
02:54 Vous avez quitté votre village à l'âge de 23 ans pour réaliser votre rêve, être comédienne.
02:59 30 ans plus tard, votre fille Lina vous emmène à nouveau sur les lieux de votre enfance.
03:03 Ça donne un documentaire, Bye Bye Tiberiat, qui sort en salle le 21 février,
03:07 qui a reçu tout un tas de prix, qui a été projeté dans tous les festivals,
03:10 à la Venise, à Toronto, au British Film Institute, un peu partout.
03:14 C'est un documentaire intime, charnel, déchirant, très très beau,
03:18 sur le retour aux origines, sur l'exil, sur les fantômes du passé.
03:21 C'est l'histoire d'une palestinienne, de la lignée des femmes de votre famille,
03:25 mais c'est aussi une histoire universelle que vous racontez à travers vous, Hiyam,
03:29 et à travers vous Lina, en filmant votre mère ainsi.
03:32 Vous dites au début du film qu'à chaque fois que vous avez questionné votre mère
03:35 sur les conditions de son départ il y a 30 ans de Palestine,
03:37 elle vous répondait "Non, n'ouvre pas les douleurs du passé, je ne veux pas en parler".
03:42 Et finalement elle a accepté.
03:44 Je pense que ça fait partie du devoir de transmission.
03:47 Elle m'a amenée toute mon enfance dans son village palestinien,
03:51 au milieu de toutes ces femmes, desquelles j'ai beaucoup appris,
03:56 et dont elle a beaucoup appris aussi.
03:58 Et en fait il y a un moment, évidemment en grandissant, on a arrêté d'y aller ensemble,
04:02 et est venu un moment où j'avais besoin de comprendre aussi son parcours,
04:06 pas seulement en tant que mère mais aussi en tant que femme,
04:08 et comment elle et moi nous inscrivons dans cette lignée de femme.
04:12 Donc c'est vrai que c'était difficile pour elle de retourner dans ce passé,
04:17 puisque ma mère dit toujours "J'ai tracé mon chemin, j'ai avancé",
04:20 et elle n'est pas du genre à regarder derrière.
04:22 Et je pense qu'elle s'est construite aussi avec ses luttes.
04:25 Et finalement j'ai aussi senti qu'elle avait envie de partager avec moi ce passé,
04:29 mais que ce n'était pas évident.
04:31 Donc il a fallu un temps aussi pour qu'on puisse trouver notre équilibre,
04:34 de femme à femme et non plus que de mère à fille.
04:36 Il a fallu oublier le passé Yamabase pour vous construire, pour avancer,
04:40 comme vous dites, il a fallu l'enfermer dans des boîtes,
04:42 d'ailleurs à des moments vous ouvrez des boîtes à chaussures où il y a des vieilles photos.
04:46 Sans doute la mort de votre mère qui est arrivée pendant le tournage,
04:52 peut-être ça tombait bien à ce moment-là que votre fille vous propose le film.
04:57 Mais on sent quand même que c'est difficile pour vous d'aller ouvrir les fantômes du passé,
05:03 d'ouvrir les boîtes.
05:05 Oui absolument, en fait il faut oublier, ça me fait penser à Georges Semprain
05:09 avec un texte sur lequel je travaille, "L'écriture ou la vie"
05:11 qui relate sa vie à Buckinvald et effectivement il l'était obligé,
05:17 il le dit d'ailleurs qu'il faut passer par l'oubli pour pouvoir raconter.
05:23 Il a mis du temps pour pouvoir écrire ce récit sur son expérience
05:29 et je trouve que c'est vraiment de la littérature qui me parle
05:32 parce que ça me rappelle presque mon propre histoire.
05:35 Effectivement je crois que l'oubli ça fait partie de la mémoire, bizarrement,
05:41 mais à la fois aussi le retour à la mémoire n'est pas toujours quelque chose de gai,
05:47 n'est pas toujours quelque chose de simple, n'est pas quelque chose toujours de facile.
05:52 On a l'impression de passer aussi par des strates de deuil et de douleur
05:56 et de souvenir auxquelles on n'a pas envie d'ouvrir les boîtes,
06:02 comme vous dites, pour pouvoir raconter.
06:04 Mais à un moment, je rajoute juste à ce que Lina a dit,
06:08 c'est que c'est devenu un devoir presque, c'est devenu une obligation éthique nécessaire.
06:15 Vous aviez ce devoir de marquer, de graver la mémoire de votre famille,
06:19 de votre mère, de votre grand-mère, de cette lignée de femmes,
06:22 mais aussi des lieux qui sont voués à disparaître puisque la maison familiale va être vendue.
06:26 Absolument, absolument. La maison familiale, comme d'autres maisons,
06:29 comme le pays, comme les terres, c'est tout un enchaînement,
06:34 on ne va pas rentrer dans les détails, mais qui fait qu'effectivement on est rempli et empli de ça.
06:39 Et qu'il y a un moment, on ne peut pas juste se compter au silence
06:44 et dire qu'il ne faut pas parler.
06:47 Le silence est trop facile à un moment.
06:48 À un moment il y a une obligation de parler, une obligation de marquer les choses.
06:51 Et la parole, elle fait mal, mais elle est nécessaire.
06:54 Au cœur de votre histoire, Yamabas, il y a ce départ du village,
06:57 d'abord à Jérusalem pour être comédienne,
06:59 et puis ensuite ce départ à l'étranger à 24 ans, en Europe,
07:03 ce départ brutal que votre mère, que votre père ne vont pas comprendre.
07:06 D'ailleurs, vous dites à un moment, j'aimerais demander à ma mère,
07:09 si elle était encore vivante, si elle me pardonne d'avoir choisi une vie
07:12 si loin de ses traditions et de sa vie à elle.
07:15 Elle vous a pardonné, vous pensez ?
07:17 Je suis sûre que oui. En fait, on a toujours envie de l'entendre,
07:21 parce que malheureusement elle est partie sans que je l'entende.
07:24 Mais je sais de tout ce que ma mère a dû subir avec moi,
07:28 la manière dont son cœur était beaucoup plus grand que tout,
07:32 et qu'elle m'a vraiment enveloppée.
07:34 Elle m'a enveloppée avec ça, on ne va pas pleurer ce matin.
07:37 On ne va pas faire pleurer le monde non plus, mais effectivement,
07:40 si toutes les mères étaient comme ma mère,
07:43 peut-être le monde, il sera plus heureux aujourd'hui.
07:45 Votre mère qui a élevé dix enfants, dont vous, la plus rebelle,
07:49 tout en continuant à être institutrice,
07:52 elle insistait pour continuer à travailler ?
07:56 C'était pour ma mère aussi une sorte de mission.
07:59 Parce que comme c'est une femme seule dans sa famille
08:02 qui a réussi à utiliser les études comme arme,
08:05 comme moyen de s'exprimer,
08:09 pour elle c'était le devoir de transmission qui était très important chez elle.
08:13 Et effectivement, elle voulait continuer,
08:16 parce que c'était vraiment une obligation presque sociale, politique,
08:22 de continuer à faire ça.
08:24 Lina, qu'est-ce que vous tenez de cette grand-mère,
08:26 et de votre mère, et de ces femmes ?
08:28 Puisque vous filmez toutes ces femmes,
08:29 il y a vos tantes aussi, qui sont légères et joyeuses.
08:31 Moi ce que j'ai aimé aussi, c'est qu'on voit une famille palestinienne,
08:34 dans la souffrance, il y a la souffrance, on dit les choses,
08:37 mais aussi des joies, des mariages, on s'engueule,
08:40 sa vie, ça vibre, comme partout ailleurs.
08:44 Oui, pour moi, ce qui me fascine de l'histoire des femmes de ma famille,
08:48 c'est que plus je découvrais de détails sur leur parcours,
08:52 parce que je connaissais leur histoire,
08:54 je connaissais l'histoire de l'expulsion de Tiberias en 1948,
08:58 l'exode, le déplacement, les pertes, la dépossession,
09:02 mais je n'avais pas de détails sur comment chacune d'entre elles a vécu ça intimement.
09:06 Parce qu'on a tendance justement à voir ces vies-là, un peu de l'extérieur,
09:11 comme une masse, et on oublie que dans cette histoire collective,
09:14 il y a des histoires individuelles,
09:16 et chaque mémoire individuelle enrichit la mémoire collective,
09:19 et permet de se connecter humainement.
09:21 - C'est ça qu'on voit vraiment, et qui est peut-être la force de votre documentaire,
09:24 c'est qu'à travers l'image de votre mère,
09:26 oui, effectivement, on voit une individualité,
09:28 on voit une personne, ce qu'elle a vécu,
09:31 et pas seulement cette masse de déplacés au moment de 1948,
09:34 la fameuse Nakba, comme disent les Palestiniens,
09:36 c'est-à-dire le moment de catastrophe de la création d'Israël,
09:38 où d'ailleurs votre famille va être chassée de son village,
09:41 de Tibériade, on va leur prendre la maison,
09:44 votre grand-père, il y a cette scène très déchirante,
09:47 où vous parlez de votre grand-père, qui était un villageois, un agriculteur,
09:51 on lui prend ses terres, on lui prend sa maison,
09:54 on lui prend ses animaux, et vous dites,
09:57 il était inconsolable, jour et nuit, il interpellait les passants au bord de la route,
10:01 "Avez-vous vu mes vaches ? Avez-vous vu mon âne ?"
10:04 J'entends l'écho de cette question posée au monde encore aujourd'hui,
10:07 "Avez-vous vu mes vaches, mon âne, ma vie ?"
10:10 Votre grand-père qui mourra de chagrin prématurément,
10:12 après avoir sombré dans la folie.
10:14 Vous avez écrit un très beau poème, que vous lisez dans le documentaire, sur votre grand-père.
10:18 Oui, absolument, c'était le texte de Lina, d'ailleurs,
10:21 que je devais moi interpréter à sa place,
10:24 c'était aussi le jeu de mise en scène que Lina a utilisé pour raconter cette histoire,
10:29 mais effectivement, c'est quelque chose qu'on a entendu tout le temps,
10:32 de ma mère, de ma grand-mère,
10:34 cet homme a disparu, parce que, en fait, le chagrin l'a tué.
10:39 Le chagrin de la perte, il n'a pas supporté.
10:42 Certaines personnes, peut-être, à la perte,
10:44 peuvent s'en sortir et continuer à avoir une lumière au bout du tunnel,
10:49 mon grand-père n'a pas pu.
10:51 Et il a laissé derrière lui, cette femme, en Mali, ma grand-mère,
10:55 qui devait vraiment tout faire, qui est là toute seule, après lui.
11:00 Oui, et c'est ça qui, moi, me fascine dans le parcours de ces femmes,
11:04 c'est qu'elles ont réussi à maintenir leur mémoire et leur histoire en vie,
11:09 malgré la dépossession, malgré le chaos autour d'elles.
11:12 Elles ont réussi à transmettre des valeurs d'amour, de bonheur, de joie,
11:17 comme vous disiez, de tolérance, de pardon à leurs enfants,
11:21 à élever des enfants.
11:23 Moi, j'ai élevé 9 enfants, ma grand-mère, Nehama, en a élevé 10,
11:26 alors qu'elles-mêmes n'avaient accès à plus rien.
11:29 Et c'est ce que je dis aussi dans le film,
11:31 c'est que ce sont des femmes qui ont appris à tout quitter,
11:33 et à tout recommencer encore et encore.
11:35 Et c'est le propre de l'exil, aussi, des Palestiniens,
11:38 qui, on a l'impression, au fil des décennies,
11:41 perdent encore et arrivent à se réinventer, arrivent à se reconstruire.
11:44 Et pour moi, c'est de l'ordre du miracle,
11:46 c'est-à-dire qu'on ne met jamais en avant cette force-là.
11:49 C'est ça, la réalité des Palestiniens, des Palestiniennes, de ces parcours de vie.
11:52 - C'est la résilience permanente.
11:54 - Oui, et au-delà, la résilience, c'est une force.
11:56 Puisque ce n'est pas accepter, c'est vraiment aller de l'avant
11:59 et apprendre à se réinventer, à se trouver une place dans le monde,
12:01 quand on ne nous en donne pas.
12:03 - Au cœur de cette histoire aussi, qui est la vôtre, Yamabas,
12:05 vous partez à l'étranger à 24 ans, aussi,
12:08 et ça, on le comprend au fil du film,
12:10 qui est aussi le moment dramatique, mélodramatique du film,
12:14 c'est l'amour.
12:15 Puisque vous vous trouvez amoureuse d'un Anglais,
12:17 vous voulez l'épouser, et vous allez voir votre père
12:19 pour lui demander sa bénédiction.
12:21 Vous vous rendez par l'idée de demander la bénédiction de votre père,
12:23 qui ne veut pas vous la donner.
12:25 Qui n'accepte pas ce mariage avec un étranger.
12:27 - Au début.
12:28 - Au début, puis vous arrivez à ruser, on comprend,
12:30 et vous obtenez à la fin cette bénédiction.
12:32 Mais vous dites "mon père était habitué à mes rébellions depuis l'adolescence,
12:35 mais là, je dépassais toutes les limites de l'acceptable.
12:38 Il était blessé dans son orgueil, dans ce choix,
12:40 que sa fille aille avec un Anglais".
12:42 - Je l'ai poussée à bout, en fait, vraiment, je l'ai poussée à bout.
12:45 Parce que dans ma tête d'enfant, d'ado, de jeune femme,
12:49 je ne faisais rien du mal.
12:52 C'est la vie, c'est mes ambitions,
12:55 c'est la manière dont je vois ma liberté, quelque part,
12:59 au moins d'être responsable de mes propres choix.
13:02 Donc pourquoi on m'interdit ça ?
13:04 Pourquoi ? J'ai l'impression de grandir dans un monde interdit,
13:08 toute ma vie, des frontières partout.
13:11 Il y a un moment, il a fallu que je casse les frontières.
13:13 - Vous dites "j'ai tout fait".
13:14 - Oui.
13:15 - J'ai tout fait comme femme.
13:16 - Exact.
13:17 - J'ai tout fait comme palestinienne dans un pays
13:19 où je n'avais pas le droit de prononcer le mot.
13:21 Vous racontez à un enfant, vous n'aviez pas le droit
13:23 de prononcer le mot de Palestine.
13:24 - Absolument.
13:25 Tant que la Palestine était aux mains de l'ELP,
13:28 on n'avait pas le droit.
13:29 On n'avait pas le droit à dire Palestine.
13:31 D'ailleurs, aujourd'hui même, c'est encore difficile
13:34 pour les Palestiniens d'Israël de dire Palestine.
13:37 On le sait avec ce qui se passe.
13:39 Mais bon, on ne va pas rentrer dans cette histoire,
13:41 on va rester avec mon père qui, quand même,
13:43 c'est une figure patriarcale,
13:46 dans une famille quand même assez cultivée, éduquée.
13:49 - Et ouverte.
13:50 - Et ouverte.
13:51 Et malgré tout...
13:52 - Et malgré tout, il va s'opposer.
13:53 Voir ce que vous épousez un étranger.
13:55 - Parce que c'est trop pour lui de faire face à la société.
13:57 Moi, je peux sortir et partir et faire ma vie ailleurs.
14:01 Et lui ?
14:02 - Dans une interview au Monde, la fameuse interview
14:04 "Je ne serais pas arrivée là si..."
14:05 Vous répondez "Si je n'avais pas eu mon père".
14:08 Votre documentaire, c'est une histoire de femme,
14:10 mais le père est essentiel dans votre vie.
14:12 - Absolument.
14:13 - Vous dites "Le père dans une famille arabe, pardon,
14:15 c'est immense".
14:16 Le père, c'est immense.
14:17 - Oui.
14:18 Le père est tout, vraiment.
14:19 Parce que j'ai grandi avec cette image
14:21 que c'est lui qui devait donner son accord pour tout.
14:25 Pour tout ce qu'on fait au quotidien.
14:27 Comme pour les rêves, comme pour l'ambition,
14:29 comme pour les choix dans la vie.
14:31 Et tout passait par lui.
14:32 Après, la mère était là et elle ouvrait en douce.
14:37 Voilà.
14:38 C'est elle qui était vraiment le lien.
14:40 Parce que toute ma colère, je l'ai sorti...
14:44 - A votre mère.
14:45 Parce que vous n'osiez pas le dire à votre père.
14:47 - Absolument.
14:48 - C'est elle qui prenait.
14:49 - Exactement.
14:50 Et la mère, elle a trouvé, c'est ça aussi,
14:52 c'est la grandeur des femmes, j'ai envie de dire.
14:54 Elle a su vraiment trouver le moyen d'arrondir les choses
15:00 pour que finalement, j'arrive à faire ce que je fais
15:03 malgré le refus de mon père.
15:05 - Lina Solem, mère palestinienne, père algérien.
15:08 C'est l'acteur Zinedine Solem.
15:10 Vous avez d'ailleurs fait un film sur vos grands-parents algériens.
15:13 Vous êtes héritière d'un double exil.
15:16 Ça va, c'est pas trop lourd le bagage dans la vie quand on part avec ça ?
15:21 - En fait, pour moi, je ne l'ai jamais vu ou senti comme un poids, moi-même.
15:27 C'était vraiment par la perception des autres que je ne comprenais pas
15:30 pourquoi ces deux identités n'étaient pas valorisées
15:33 pendant toute mon enfance, toute ma scolarité.
15:36 Déjà, j'ai hérité de la rame de ma mère,
15:39 que je parlais quand j'étais petite, comme on voit dans le film.
15:41 - Elle vous reproche d'ailleurs de ne pas savoir le lire.
15:44 - Je me reproche à moi, en fait.
15:46 - De ne pas lui avoir appris à lire l'arabe.
15:48 Vous le parlez, mais vous ne le lisez pas.
15:50 - Mais quand j'ai commencé à aller à l'école, c'est vrai qu'on m'a tout de suite fait comprendre
15:53 que l'arabe n'était pas une langue que je devais continuer à parler en public.
15:56 Et du coup, ça m'a aussi complexée.
15:58 Mais pour moi, comme je disais, les parcours de vie de mes grands-parents algériens,
16:02 de mes grands-parents palestiniens, de ces deux familles,
16:06 ce sont des parcours de vie qui ont été marginalisés et invisibilisés,
16:09 mais qui sont tellement riches dans ce qu'ils m'ont apporté
16:12 que c'était une nécessité pour moi de les mettre en avant.
16:14 - Et je tiens à dire que ce documentaire n'est pas un film militant.
16:16 C'est vraiment une histoire universelle qui touche tout le monde,
16:18 qui peut toucher davantage ceux qui viennent de là-bas,
16:21 mais qui touche tout le monde.
16:22 Dans l'équipe, on a tous ceux qui l'ont vu, qu'ils soient d'origine orientale ou pas du tout.
16:27 On pleurait, on vibrait avec cette histoire de vie, avec cette histoire familiale.
16:31 Mais tout de même, vous le présentez dans un contexte,
16:33 qui est celui du post-7 octobre, avec la guerre qui continue à Gaza.
16:36 Vous ne voulez pas commenter, vous avez dit en présentant le film,
16:39 vous dites "je ne veux pas que ça vienne impacter mon film",
16:41 mais quand même, tout est politique dans cette région, qu'est-ce que vous voulez faire ?
16:45 Vous dites quand même, il y a ma basse, nous ne sommes pas qu'en deuil,
16:48 nous sommes laminés moralement, physiquement, culturellement.
16:50 Je vis aujourd'hui un trauma de guerre.
16:52 - Oui, moi je l'ai vécu petite, donc je sais ce que c'est.
16:55 Et sans vraiment pleurer sur mon sort, aujourd'hui, si je fais du cinéma,
17:01 et si je donne ces réponses-là, justement, pour pouvoir donner un aspect autre,
17:06 et une émotion autre, et un amour autre à la vie et aux gens.
17:12 Et sans faire référence ni à leur origine, ni à leur religion,
17:20 ni à leur... on a le droit tous de vivre.
17:24 Pour moi, c'est la réponse à tout.
17:26 On a le droit tous à pouvoir dire ce qu'on veut dire de soi,
17:32 sans qu'on nous dicte ce qu'on doit dire,
17:36 parce que le monde a besoin d'entendre ce qu'il a besoin d'entendre.
17:39 Aujourd'hui, on a le droit de prendre les rênes de sa vie, effoncer,
17:44 et pouvoir réaliser ses rêves.
17:46 Moi, juste, ce qui me blesse le plus, c'est les enfants.
17:50 Dans tout ça, ce qui me blesse vraiment au max, c'est les enfants.
17:54 Et je me demande aujourd'hui comment on peut nettoyer tous ces souvenirs.
17:59 Moi, ayant un enfant palestinien, palestinienne dans mon cas,
18:04 et avoir tremballé tellement de l'heure et d'histoire,
18:08 et qu'aujourd'hui, je vois que de la lumière, et j'ai envie de voir que de la lumière,
18:12 j'ai envie d'offrir que de la lumière.
18:14 Parce que je sais que ça, ça peut peut-être parler à des gens, à l'humanité,
18:18 je ne veux pas pleurer, mais qu'aujourd'hui, franchement,
18:21 toutes les propositions politiques nous amènent nulle part.
18:27 Voilà, bye bye Tibériade, merci beaucoup toutes les deux Yamabas et Lina Sollem d'avoir été avec nous.
18:33 Je le répète, mais je pense que les gens l'ont compris,
18:35 c'est un film bouleversant, absolument magnifique, qui sort sur les écrans le 21 février, c'est ça ?
18:42 C'est ça !
18:43 Je ne dis pas une bêtise, merci beaucoup.
18:44 Merci.

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