À 9h20, Fabrice Arfi, journaliste, co-responsable des enquêtes à Mediapart, est l'invité de Léa Salamé. Il est l'auteur de "La Troisième vie" (Seuil). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-20-novembre-2024-5352414
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00:00Le 7-10.
00:01Et Léa, ce matin, votre invitée est journaliste.
00:04Oui, à Mediapart.
00:05Bonjour Fabrice Arfil.
00:06Bonjour.
00:07Merci d'être avec nous ce matin.
00:08Si vous étiez un homme politique, un peintre, une chanteuse et un secret, vous seriez qui ?
00:13Vous seriez quoi ? Un homme politique ?
00:15Alors, l'homme politique, je dirais peut-être un haut fonctionnaire qui a eu un geste politique
00:21incroyable pendant la guerre d'Algérie, Paul Tejen, secrétaire général de la préfecture
00:26d'Alger, qui refuse le silence complice face à la torture, qui démissionne et qui
00:31décide d'informer toute une génération d'hommes et de femmes absolument extraordinaires
00:36sur ce supplice qu'a connu la République, la torture en Algérie.
00:42Un peintre ?
00:43Un peintre, c'est compliqué, je dirais peut-être Gerhard Tricheter, peintre allemand pour l'autoportrait
00:49qu'il a fait de lui en homme flou, ou alors René Magritte.
00:54Oui, je pensais que vous alliez choisir Magritte qui est citée dans le livre.
00:56Oui, mais pour une toile en particulier, une série de peintures qui s'appelle « L'Empire
01:02des Lumières ». Je pense que les auditeurs connaissent une petite maison qui est sous
01:07un lampadaire, qui est sous un arbre.
01:09Et en fait, dans cette peinture inouïe, il fait jour et nuit à la fois.
01:14Ce n'est pas qu'il y a un côté le jour et un côté la nuit, il fait les deux.
01:17Et c'est une toile qui m'a beaucoup inspiré pour le livre.
01:20Pour le livre dont on va parler.
01:21Si vous étiez une chanteuse Fabrice Harphy, j'aurais vraiment envie de le dire comme ça.
01:24Une chanteuse, oui.
01:25Nina Simone pour sa vie, son œuvre, son concert légendaire de Montreux en 1976 et sa reprise
01:34inouïe du plus grand groupe de l'histoire de l'humanité, « Here Come the Sun » des Beatles.
01:40D'accord, vous avez fait votre choix, vous c'est les Beatles.
01:45Moi c'est les Beatles, Paul McCartney évidemment.
01:48Je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un qui ait produit autant de…
01:50Et ce n'est pas Mishka Assayas qui ici, dans cette belle maison, va me contredire,
01:55qui a donné autant de biens à autant de monde.
01:58Je ne crois pas que ça existe.
01:59Les Beatles.
02:00Et enfin, si vous étiez un secret Fabrice Harphy, avez-vous des secrets ?
02:04Si j'étais un secret, je suis par nature celui qu'on ne répète pas.
02:10Un ancien agent du renseignement britannique m'avait dit un jour, dans une enquête,
02:15« Vous savez, nous, dans notre agence, on disait qu'on peut partager un secret avec
02:20trois personnes à condition que deux soient mortes ».
02:22Mais en fait, l'idée selon laquelle le journal pour lequel je travaille ou le métier
02:28que je fais, on serait des ennemis du secret, est une erreur.
02:31Bien sûr qu'il faut du secret en démocratie, il faut du secret défense, du secret de la
02:34vie privée, du secret médical, même pourquoi pas du secret des affaires, du secret de l'instruction.
02:38La question qui nous est posée, je crois, à nous collectivement, c'est est-ce que
02:42dans notre pays, le secret, il est bien défini et est-ce qu'il est mal contrôlé ?
02:46Ou est-ce que parfois, on utilise le secret de manière dérogatoire pour protéger des
02:51intérêts qui n'ont rien à voir avec l'objet du secret ?
02:54« Tout le monde a trois vies, une vie publique, une vie privée et une vie secrète ».
02:59Cette phrase de Gabriel Garcia Marquez est en exergue de votre nouveau livre « La troisième
03:04vie » publié au Seuil.
03:06Vous pensez, vous aussi, qu'on a trois vies, une vie publique, une vie privée et une vie
03:11secrète.
03:12Et au fond, toute l'histoire de votre vie, journaliste d'investigation, ce qui vous
03:16intéresse le plus, c'est les vies secrètes ?
03:18Ce qui m'intéresse le plus, c'est la partie d'intérêt général qui se niche dans les
03:24trois vies.
03:25Dans la vie publique, elle est évidente, dans la vie privée, c'est beaucoup plus
03:29rare.
03:30Et dans la vie secrète, si elle recouvre des questions qui ont à voir d'abord avec
03:34la vérité factuelle, puis avec l'intérêt public, alors c'est la mission du journalisme.
03:39Cette phrase de Garcia Marquez, qui n'est pas extraite d'un livre, qui est une confidence
03:42qu'il a faite à son biographe, éclaire pour moi d'une double lumière ce que j'ai
03:49essayé de tirer comme fil avec ce livre, qui a à voir avec la fiction d'État que
03:56représente l'espionnage, donc la vie secrète par défini.
03:59C'est vrai que vous avez révélé plusieurs des grosses affaires politico-financières
04:03de ces dernières années.
04:04Appemédiapart, Fabrice Arfil, l'affaire Cahuzac, l'affaire Bétancourt, Karachi,
04:08le financement libyen des campagnes de Nicolas Sarkozy.
04:10Mais là, avec ce nouveau livre, on est dans tout autre chose.
04:13Vous venez dans un roman d'espionnage sur des personnages de la guerre froide, un roman
04:16historique, politique et aussi sans doute votre roman le plus personnel.
04:21En tout cas, c'est la première fois que vous vous autorisez à parler un peu de vous,
04:25ce que vous n'aimiez pas faire.
04:26Alors je vais tenter de résumer rapidement l'histoire.
04:29A l'origine, ce sont deux frères italiens qui combattent pendant la première guerre
04:33mondiale.
04:34L'un d'eux va mourir pendant la guerre, son frère Jean-Bénédetto ira après la
04:39première guerre mondiale s'installer en France, vers Lyon, pour devenir maçon.
04:43Sauf que des années plus tard, 50 ans plus tard, dans les années 60, il apprend qu'en
04:48fait, son frère n'est pas mort pendant la première guerre mondiale, mais son frère
04:52a refait sa vie en Roumanie, qu'il se trouve en Roumanie.
04:56Donc imaginez, on l'imagine ce Jean-Bénédetto, plein d'espoir, qui prend l'avion pour
05:00aller retrouver ce frère qu'il croyait mort 50 ans plus tôt.
05:03Il arrive en Roumanie et tape à la porte, et ce n'est pas son frère qui lui ouvre,
05:08et c'est un homme qui est plus jeune qui dit « je suis Vincenzo Benedetto, je suis
05:14le fils de ton frère qui est mort, mais quelques années plus tard, en Roumanie, et je suis
05:20son fils ». Et alors là, il est bouleversé, il découvre son neveu, cette famille cachée,
05:26et il l'invite à venir s'installer en France avec sa femme.
05:29Ils y vont, ils quittent la Roumanie de Ceausescu et débarquent en France.
05:33Qui est vraiment ce Vincenzo ? Est-il vraiment le neveu providentiel de ce Jean-Bénédetto
05:39ou un espion du régime roumain ? Un agent de l'Est ? Était-il un petit espion, une
05:44petite taupe ou une grosse légume ? Et était-il protégé par des hauts dignitaires français,
05:49dont le ministre de la Défense de Mitterrand, Charles Ernuev ? Voilà l'intrigue palpitante.
05:54On est chez John le Carré, on est dans un épisode d'Affaires Sensibles.
05:58Pourquoi ce Vincenzo vous a tant obsédé ? Parce qu'il vous a obsédé, Fabrice Arfi,
06:03depuis 15 ans.
06:04Cette histoire vouante.
06:05Oui, en fait, j'ai été mis sur la piste de cette histoire, qui est une histoire vraie.
06:09Vous avez dit un roman, mais c'est un roman vrai.
06:11C'est, comment dire, de la littérature sans fiction, de la littérature du réel.
06:16C'est un roman quête.
06:18Je ne sollicite pas l'imagination pour combler les manques de mon enquête.
06:23Et j'ai été mis sur la piste de cette histoire en mars 2008, par un ancien agent
06:27du contre-espionnage français à la retraite, qui travaillait pour ce qu'on appelait la
06:31Direction de la Surveillance du Territoire, la DST, qu'on appelle la DGSI aujourd'hui.
06:36Et comme tout policier, agent de renseignement, après une carrière bien fournie, on est souvent
06:43hanté par une histoire qu'on n'a pas résolue.
06:46Et donc, cette personne n'a d'autre chose à faire que de témoigner.
06:49Alors il témoigne, il me raconte cette histoire et il va mettre en moi les germes d'une
06:54sorte d'obsession que je vais traîner pendant 15 ans, en effet, comme une valise invisible,
06:59parallèlement à mon activité de journaliste.
07:01C'est ça, c'est à vous raconter dans le livre que, évidemment, depuis 15 ans vous
07:05avez révélé toutes les affaires dont j'ai parlé à Mediapart, mais qu'il y avait quelque
07:08chose dans votre tête, cette valise invisible, qui cette affaire, qui vous hantait ?
07:14Oui, parce que j'ai d'abord été passionné par ce que vous avez très bien résumé,
07:19sur cette histoire folle d'un homme qui infiltre une famille qui n'est pas la sienne, qui,
07:25en fait, est un agent illégal, un agent clandestin, qui a à voir, en effet, avec ce qu'on peut
07:30lire dans les romans de Le Carré ou dans le bureau des légendes, c'est sa légende
07:34d'être le neveu de ce pauvre Jean, maçon à la retraite, immigré italien, qui en réalité
07:39n'est pas son oncle.
07:40Et donc, moi, mon geste de journaliste, parce que face à cette fiction-là, je n'ai que
07:45les armes du journalisme et du réel, et je vais me lancer dans une bataille à armes
07:50inégales avec une fiction plus grande que moi-même, qui est l'espionnage, je vais essayer
07:55de comprendre quels sont les ressorts de ces vies inventées et surtout quelle est la mission
07:59de cet homme.
08:00Vous pensez bien qu'infiltrer une famille, fabriquer une légende de cette ampleur, ce
08:04n'est pas quelque chose qu'on prépare en quelques mois et ce n'est pas pour mener
08:07une petite mission.
08:08Mais à mesure que j'avançais dans mon enquête, que d'une certaine manière la vérité se
08:13dérobait alors que j'étais tout près de la saisir, je me suis mis à être hanté
08:19par ce que je ne trouvais pas, par les mystères de cette histoire.
08:23Et en réalité, au bout d'un moment, ce livre a failli ne pas paraître pendant des
08:26années parce que je ne comprenais pas pourquoi j'étais autant obsédé par cette histoire.
08:31Et donc, vous avez réalisé ?
08:32Ce qu'elle me renvoie, c'est que j'enquêtais un peu sur moi-même et sur mon rapport à
08:37la vérité et aux faits.
08:38Est-ce que des faits plus des faits plus des faits, ça fait la réalité ? Et tout à
08:42l'heure, je parlais de ce tableau de René Magritte, L'Empire des Lumières, où il
08:46fait jour et nuit à la fois.
08:47Pour moi, ça a été un effet de révélation, ce tableau, quand j'écrivais ce livre, parce
08:53que ça m'a permis de comprendre que nous sommes des êtres à la fois de réel et de
08:56fiction et que parfois j'ai dû, et même c'est l'issue de ce livre, abandonner le
09:01journaliste que j'étais.
09:02Je me suis beaucoup surveillé comme enquêteur et puis j'ai abandonné le journaliste que
09:06j'étais pour accepter que ne pas savoir était aussi une force et que parfois le destin
09:11d'un livre appartient autant à celles et ceux qui le lisent qu'à celui qui l'a écrit.
09:15Et voilà, c'est un questionnement existentiel au fond ce livre.
09:18Et c'est un livre aussi, c'est intéressant parce que vous, l'incorruptible journaliste
09:24de Mediapart, qui jamais vous disiez dans l'Obs, dans une interview, jamais je ne me
09:28laisserai parler de moi, je n'aime pas ça, je trouve ça obscène, etc.
09:32Et là, si, si, si, vous le disiez, et là, qu'est-ce qu'on ne lit pas ? On lit des trucs
09:36sur vous, sur votre enfance, sur votre père qui était policier à la brigade financière,
09:41qui d'ailleurs enquêtait sur Charles Hernu, qui donc, c'est bizarre la vie, il y a des
09:46hasards.
09:47Charles Hernu, c'est celui qui a fait tomber le ministre de la Défense du Mitterrand,
09:50qui a fait tomber Édouard Plenel, l'affaire du Rainbow Warrior.
09:53Et c'est d'ailleurs par ça que vous rentrez en connexion avec Édouard Plenel, vous racontez
09:57aussi vos débuts, l'autodidacte que vous étiez, puisque vous n'avez pas fait d'études,
10:01vous avez commencé à bosser dans le journalisme tout de suite après, et tout ça, et même
10:06ce moment où vous avez 8 ans et que vous regardez à la télé, comme nous tous, chacun
10:10avec son âge, ce jour de Noël, l'exécution des époux de Ceaușescu dans la cour, et
10:18vous racontez que vous êtes sur le canapé en simili cuir de votre famille.
10:22Donc là, on se dit, on se prend un tout petit peu à rougir en se disant, dis-donc Arfi,
10:25il y va quand même un tout petit peu, on n'est pas loin de l'autofiction, vous allez
10:29nous faire une Christine Angot dans pas longtemps !
10:31Alors non ! D'autres font ça magnifiquement bien, moi je ne me sens pas autorisé à la
10:38fiction, et encore moins à l'autofiction, parce que j'ai besoin de la contrainte du
10:42réel pour écrire.
10:43J'ai besoin de la contrainte morale du réel, morale parce que Charles Ernus s'appelle
10:47Charles Ernus, Vincenzo Benedetto s'appelle Vincenzo Benedetto, et quand on trempe sa
10:51plume dans le réel, on a une responsabilité vis-à-vis des gens, qu'ils soient morts
10:54ou vivants, et d'ailleurs je pense qu'on a une dette vis-à-vis des morts.
10:57Et cette contrainte morale, elle est amplifiée par une contrainte légale.
11:01En France, on ne fait pas n'importe quoi avec la vie des gens, et c'est le tribunal
11:04qui est là pour nous le dire.
11:05Et moi j'ai besoin de cette contrainte-là, parce que je la pense fertile.
11:08Votre prochain livre, vous enquêtez sur votre famille.
11:12J'ai envie de m'attaquer à la mythologie que nous avons toutes et tous en commun, qui
11:17est le récit familial.
11:18Et donc de le vérifier.
11:19C'est notre premier héritage, ce qu'on nous raconte de notre famille, et d'ailleurs
11:22nous on le répète à nos amours, à nos copains, dans le boulot, tu sais, moi mon
11:27oncle, moi mon grand-père, et on ne vérifie pas.
11:29Et là c'est votre grand-père en Algérie, juif algérien.
11:33J'aimerais vérifier un certain nombre de choses qu'on m'a racontées.
11:40Si je me mets en scène dans le livre, j'espère que c'est pas de manière égotique, c'est
11:45pas un jeu d'immodestie, c'est simplement un point de vue pour dire que dans cette
11:50bataille entre le réel et la fiction, et dans cette enquête qui, à mesure que je
11:55dévie de la pelote, je vais voyager dans l'histoire, la géographie, et croiser des
11:59propres personnages de ma vie à moi, un journaliste qui m'a formé dans un ancien
12:03journal à Lyon, vous l'avez dit, mon père, un magistrat que j'ai bien connu, etc.
12:07Je ne pouvais pas cacher d'où j'écrivais et d'où je parlais.
12:10C'est pour ça que je sollicite des souvenirs d'enfance.
12:13En effet, la chute des Ceausescu, pour moi, j'ai 8 ans, c'est ma première émotion
12:17politique.
12:18De voir à la fois la fièvre d'un peuple qui s'émancipe des mâchoires d'une dictature
12:24abominable, et en même temps, un procès sans défense, 45 minutes, et on exécute
12:31devant un mur un couple avec les mains liées dans le dos, le jour de Noël.
12:37Avant de vous poser 2-3 petites questions d'actualité quand même, je ne vais pas
12:42vous laisser partir sans les poser, je voulais vous faire plaisir, je crois que vous aimez
12:45beaucoup.
12:46Hey babe, take a walk on the wild side.
12:51Hey babe, take a walk on the wild side.
12:55And the colored girls go doo-doo-doo, doo-doo-doo, doo-doo-doo, doo-doo-doo, doo-doo-doo, doo-doo-doo,
13:02doo-doo-doo, doo-doo-doo, doo-doo-doo, doo-doo-doo.
13:06Lauride, il est au-dessus des Beatles pour vous ?
13:09C'est compliqué, là vous me demandez de choisir entre mon père et ma mère !
13:12Vous adorez Lauride.
13:16Fabrice Sarfi, en préparant l'interview, je me suis dit, il faut que je lui pose la
13:20question.
13:21Vous qui avez passé votre vie à traquer la corruption dans les sphères de pouvoir,
13:24à exposer au public les dérives petites et grandes des hommes politiques, là vous
13:28avez un homme qui porte ses condamnations et ses procédures pénales en bandoulière.
13:33Un homme sur lequel tous les journalistes américains ont enquêté, ont exposé toutes
13:38les dérives financières, électorales, complotistes et sexuelles.
13:41Et cet homme remporte largement l'élection présidentielle dans un pays libre et démocratique.
13:46Et le vote populaire ? Qu'est-ce que vous vous êtes dit, vous, le journaliste d'investigation
13:51qui explique qu'il faut les poursuivre et mettre leurs vis sur la place publique ?
13:56Qu'est-ce que vous vous êtes dit avec l'élection de Trump ? Que tout ce travail,
14:00que toutes ces enquêtes finalement n'ont pas d'impact sur les gens ?
14:02C'est une question fondamentale, le sol se dérobe sous nos pieds et en fait on est
14:08en train de vivre ce qu'on vit.
14:09Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y a cette très belle phrase de Charles Péguy
14:12qui disait « il faut dire ce qu'on voit mais il faut aussi, et c'est nettement plus
14:15difficile, voir ce qu'on voit ». C'est en train de se passer.
14:18C'est-à-dire que, vous l'avez dit, moi je suis autodidacte et mon université intime
14:23je l'ai fait en partie avec la plus philosophe des journalistes et la plus journaliste des
14:27philosophes qui est Anna Arendt, qui en étudiant les deux totalitarismes qui ont déchiré
14:31le XXe siècle, le nazisme et le stalinisme, a très bien raconté que le danger n'était
14:36pas le nazi convaincu ou le stalinien convaincu, le danger c'est comment nous tous, nous
14:40toutes, on sombre dans le gouffre ouvert par l'effacement de la frontière entre le vrai
14:45et le faux.
14:46C'est-à-dire que c'est la post-vérité, la vérité n'est plus qu'une opinion
14:49comme une autre.
14:50Et quand les mots sont détruits de cette manière-là, que le réel n'existe plus,
14:54alors tout est possible.
14:55Et en effet, le réel n'a plus de prise sur un grand pays, sur les gens absolument.
15:02Les gens Fabrice Harty, donc vous qui, à Mediapart, je veux dire encore plus, mais
15:07bien sûr, mais quand on a fait son succès, le succès de ce journal sur les enquêtes
15:13financières et de malversations et de corruption des hommes politiques et qu'on voit que
15:18maintenant c'est plus un problème, voire on peut avoir envie de voter pour lui parce
15:25qu'il a ses condamnations pénales et qu'il s'assoit dessus.
15:27Bien sûr, en fait, c'est affront renversé.
15:31C'est-à-dire qu'on vit dans une espèce d'inframonde désormais à la lumière.
15:35C'est Orwellien, la force c'est l'ignorance, la guerre c'est la paix.
15:39Mais il ne faut pas croire que ce vent saumâtre qui balaie les Etats-Unis n'est pas arrivé
15:45sur les côtes françaises, on est en train de le vivre en direct avec Marine Le Pen.
15:49Pas que Marine Le Pen, ce n'est pas le monopole de l'extrême droite.
15:52Il faudrait qu'on l'écoute après les réquisitions du parquet qui ont requis 5 ans de prison
15:57et surtout 5 ans d'inéligibilité contre Marine Le Pen dans l'affaire des assistants
16:01présumés fictifs du Parlement européen.
16:04Une volonté du parquet qui est celle en réalité de me priver et même de priver les Français
16:11de la capacité de voter pour qui ils souhaitent.
16:14L'objectif c'est ça, on sent bien que tout ça avait peu d'intérêt pour le parquet.
16:20La seule chose qui intéresse le parquet c'est Marine Le Pen.
16:23Voilà, elle dénonce une ingérence politique insupportable des juges et on entend depuis
16:27une semaine la République des juges, les juges qui font de la politique, qui vont empêcher
16:30Marine Le Pen de se présenter.
16:32C'est un scandale démocratique et ça marche dans une grande partie de la population qui
16:37trouve ça dégueulasse.
16:38D'abord qui dit qu'ils ne savent pas que ce n'est que des réquisitions et qu'on n'est
16:42pas au verdict.
16:43C'est dramatique, c'est-à-dire que les mêmes qui demandent la tolérance zéro pour la délinquance
16:48du quotidien ne supportent pas que la loi puisse s'appliquer à leur propre milieu
16:52dans une autre forme de délinquance qui est la délinquance en col blanc.
16:55Mais ça c'est la puissance de la délinquance en col blanc.
16:57C'est des prévenus qui, quand ils sont mis en cause, ont la possibilité d'aller aux
17:0020 heures d'une grande chaîne de télévision et de faire l'événement pour faire le procès
17:05de la justice.
17:06On demande toute la journée de respecter la police, la justice, mais quand ça s'intéresse
17:10à vous, alors le problème ça devient la justice.
17:12Mais les magistrats, ils ne tentent qu'une seule chose, faire appliquer la loi qui est
17:16votée par des élus, élus démocratiquement.
17:19Elles parlent de l'inigibilité, donc l'impossibilité à effet immédiat éventuellement de ne pas
17:24pouvoir se présenter.
17:25Mais ça c'est un lieu commun du droit français.
17:28Vous allez sur Google…
17:29Et ça vous questionne ?
17:30Non mais…
17:31Je sais ce que… On sait tous ce que vous pensez… Mais est-ce que vous ça vous questionne ?
17:35Moi c'est ça qui m'intéresse.
17:36Mais bien sûr ça me questionne.
17:37Si il est 9h20 et c'est une interview plus personnelle, est-ce que vous vous dites à
17:40quoi je sers ?
17:41Mais bien sûr, bien sûr.
17:42Alors moi j'ai quand même une petite philosophie de vie qui consiste à être un sombre optimiste.
17:49Et donc je pense que c'est quand ça va mal qu'il faut espérer.
17:51Donc on a beaucoup de raisons d'espérer en ce moment.
17:55Mais bien sûr que ça nous questionne sur notre difficulté à rendre le réel opérant.
18:01Mediapart pourrait-il quitter Twitter ?
18:03Je ne sais pas, je ne peux pas répondre parce qu'il y a une discussion en cours au journal.
18:08Donc en tout cas, comme d'autres journaux, le Guardian aux Etats-Unis, ou j'ai vu la
18:13Vague-Guardia en Espagne, la question se pose en effet.
18:18Et vous, vous pourriez quitter Twitter ? Vous avez 300 000 abonnés.
18:21Oui, je pourrais quitter 300 000 abonnés, ce n'est pas une difficulté.
18:24Les impromptus très rapidement, Edwin Plenel en un mot ?
18:27Edwin Plenel en un mot… Un éclaireur.
18:32C'est vrai qu'on vous appelait le chien fou au début de Mediapart ?
18:35Oui, pourquoi pas.
18:36Vous avez été guitariste ?
18:39Oui, toujours.
18:40Il m'arrive même de jouer parfois dans des bars à Paris.
18:42Le monde ou Libération ?
18:44Le monde ou Libération ? Ah non mais là c'est compliqué.
18:46Je dirais quand même le monde pour Hubert Boeufmeri, ce qu'il a dit d'un journal
18:53son indépendance, derrière lequel il ne devait y avoir ni d'Etat, ni de banque, ni d'église.
18:58Et cette phrase magnifique, le journalisme, c'est le contact et la distance.
19:01Joseph Kessel ou Truman Capote ?
19:04Oh là là, Joseph Kessel ou Truman Capote ?
19:07C'est dur ça.
19:09Kessel.
19:10Vous mentez parfois ?
19:12Bien sûr, l'âme humaine est ainsi faite qu'on peut mentir.
19:17Et Dieu dans tout ça, Fabrice Arfi ?
19:19Moi, j'ai grandi dans un environnement familial où Dieu n'avait pas sa place.
19:24Famille laïque, athée à titre personnel, mais très sensible au fait qu'on puisse
19:30se réfugier dans des spiritualités qui nous aident à tenir chaud.
19:34Le nouveau livre s'appelle « La troisième vie », c'est au Seuil.
19:37Et Fabrice Arfi était notre invité.
19:39Merci à vous, belle journée.
19:40Merci à vous.